Contes et nouvelles en vers – Tome II

Le Contrat

Le malheur des maris, les bons tours des Agnès,

Ont été de tout temps le sujet de la fable ;

Ce fertile sujet ne tarira jamais,

C’est une source inépuisable :

À de pareils malheurs tous hommes sont sujets ;

Tel qui s’en croit exempt est tout seul à le croire ;

Tel rit d’une ruse d’amour

Qui doit devenir à son tour

Le risible sujet d’une semblable histoire.

D’un tel revers se laisser accabler

Est, à mon gré, sottise toute pure ;

Celui dont j’écris l’aventure

Trouva dans son malheur de quoi se consoler.

Certain riche bourgeois, s’étant mis en ménage,

N’eut pas l’ennui d’attendre trop longtemps

Les doux fruits du mariage ;

Sa femme lui donna bientôt deux beaux enfants,

Une fille d’abord, un garçon dans la suite.

Le fils devenu grand, fut mis sous la conduite

D’un précepteur ; non pas de ces pédants

Dont l’aspect est rude et sauvage ;

Celui-ci, gentil personnage.

Grand maître ès arts, surtout en l’art d’aimer,

Du beau monde avait quelque usage,

Chantait bien et savait charmer ;

Et, s’il faut déclarer tout le secret mystère,

Amour, dit-on, l’avait fait précepteur :

Il ne s’était introduit près du frère

Que pour voir de plus près la sœur.

Il obtient tout ce qu’il désire,

Sous ce trompeur déguisement.

Bon précepteur, fidèle amant,

Soit qu’il régente ou qu’il soupire,

Il réussit également.

Déjà son jeune pupile

Explique Horace et Virgile ;

Et déjà la beauté qui fait tous ses désirs

Sait le langage des soupirs ;

Notre maître en galanterie

Très bien lui fit pratiquer ses leçons :

Cette pratique aussitôt fut suivie

De maux de cœur, de pâmoisons,

Non sans donner de terribles soupçons

Du sujet de la maladie.

Enfin tout se découvre, et le père, irrité,

Menace, tempête, crie.

Le docteur épouvanté

Se dérobe à sa furie.

La belle volontiers l’aurait pris pour époux ;

Pour femme volontiers il aurait pris la belle ;

L’hymen était l’objet de leurs vœux les plus doux,

Leur tendresse était mutuelle ;

Mais l’amour aujourd’hui n’est qu’une bagatelle,

Et l’argent seul forme les plus beaux nœuds :

Elle était riche, il était gueux,

C’était beaucoup pour lui, c’était trop peu pour elle.

Quelle corruption ! ô siècle ! ô temps ! ô mœurs !

Conformité de biens, différence d’humeurs,

Souffrirons-nous toujours ta puissance fatale,

Méprisable intérêt, opprobre de nos jours,

Tyran des plus tendres amours !

Mais faisons trêve à la morale,

Et reprenons notre discours.

Le père est bien fâché, la fille bien marrie ;

Mais que faire ? Il faut bien réparer ce malheur

Et mettre à couvert son honneur.

Quel remède ? On la marie,

Non au galant, j’en ai dit les raisons,

Mais à certain quidam, amoureux des testons

Plus que de fillette gentille,

Riche suffisamment, et de bonne famille ;

Au surplus, bon enfant ; sot, je ne le dis pas,

Puisqu’il ignorait tout le cas.

Mais, quand il le saurait, fait-il mauvaise emplette ?

On lui donne à la fois vingt mille bons ducats,

Jeune épouse et besogne faite.

Combien de gens, avec semblable dot,

Ont pris, le sachant bien, la fille et le gros lot !

Et celui-ci crut prendre une pucelle :

Bien il est vrai qu’elle en fit les façons ;

Mais quatre mois après, la savante donzelle

Montra le prix de ses leçons :

Elle mit au monde une fille.

« Quoi ! déjà père de famille !

Dit l’époux, étant bien surpris ;

Au bout de quatre mois, c’est trop tôt ! Je suis pris !

Quatre mois ce n’est pas mon compte. »

Sans tarder, au beau-père il va conter sa honte,

Prétend qu’on le sépare, et fait bien du fracas.

Le beau-père sourit, et lui dit : « Parlons bas !

Quelqu’un pourrait bien nous entendre.

Comme vous, jadis je fus gendre,

Et me plaignis en pareil cas ;

Je parlai, comme vous, d’abandonner ma femme ;

C’est l’ordinaire effet d’un violent dépit.

Mon beau-père défunt, Dieu veuille avoir son âme !

Il était honnête homme et me remit l’esprit.

La pilule, à vrai dire, était assez amère ;

Mais il sut la dorer ; et, pour me satisfaire,

D’un bon contrat de quatre mille écus,

Qu’autrefois pour semblable affaire

Il avait eu de son beau-père,

Il augmenta la dot ; je ne m’en plaignis plus.

Ce contrat doit passer de famille en famille.

Je le gardais exprès : ayez-en même soin ;

Vous pourrez en avoir besoin

Si vous mariez votre fille. »

À ce discours, le gendre, moins fâché,

Prend le contrat et fait la révérence.

Dieu préserve de mal ceux qu’en telle occurrence

On console à meilleur marché !

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