Contes et nouvelles en vers – Tome II

Le Remède

Si l’on se plaît à l’image du vrai,

Combien doit-on rechercher le vrai même.

J’en fais souvent dans mes contes l’essai

Et vois toujours que sa force est extrême,

Et qu’il attire à soi tous les esprits :

Non qu’il ne faille en de pareils écrits

Feindre les noms ; le reste de l’affaire

Se peut conter sans en rien déguiser ;

Mais quant aux noms, il faut au moins les taire ;

Et c’est ainsi que je vais en user.

Près du Mans donc, pays de sapience,

Gens pesant l’air, fine fleur de Normand,

Une pucelle eut naguère un amant,

Frais, délicat, et beau par excellence,

Jeune surtout, à peine son menton

S’était vêtu de son premier coton.

La fille était un parti d’importance :

Charmes et dot, aucun point n’y manquait :

Tant et si bien que chacun s’appliquait

À la gagner ; tout Le Mans y courait.

Ce fut en vain ; car le cœur de la fille

Inclinait trop pour notre jouvenceau :

Les seuls parents, par un esprit manceau,

La destinaient pour une autre famille.

Elle fit tant autour d’eux que l’amant,

Bon gré, mal gré, je ne sais pas comment,

Eut à la fin accès chez sa maîtresse.

Leur indulgence, ou plutôt son adresse,

Peut-être aussi son sang et sa noblesse

Les fit changer, que sais-je quoi ? tout duit

Aux gens heureux, car aux autres tout nuit.

L’amant le fut : les parents de la belle

Surent priser son mérite et son zèle :

C’était là tout : eh que faut-il encor ?

Force comptant ; les biens du siècle d’or

Ne sont plus biens, ce n’est qu’une ombre vaine

Ô temps heureux ! je prévois qu’avec peine

Tu reviendras dans le pays du Maine :

Ton innocence eût secondé l’ardeur

De notre amant, et hâté cette affaire ;

Mais des parents l’ordinaire lenteur

Fit que la belle, ayant fait dans son cœur

Cet hyménée, acheva le mystère

Selon les us de l’île de Cythère.

Nos vieux romans, en leur style plaisant,

Nomment cela « paroles de présent. »

Nous y voyons pratiquer cet usage,

Demi-amour, et demi-mariage,

Table d’attente, avant-goût de l’hymen.

Amour n’y fit un trop long examen :

Prêtre et parent tout ensemble, et notaire,

En peu de jours il consomma l’affaire :

L’esprit manceau n’eut point part à ce fait.

Voilà notre homme heureux et satisfait,

Passant les nuits avec son épousée ;

Dire comment, ce serait chose aisée ;

Les doubles clefs, les brèches à l’enclos,

Les menus dons qu’on fit à la soubrette,

Rendaient l’époux jouissant en repos

D’une faveur douce autant que secrète.

Avint pourtant que notre belle un soir

En se plaignant, dit à sa gouvernante,

Qui du secret n’était participante :

« Je me sens mal ; n’y saurait-on pourvoir ? »

L’autre reprit : « Il vous faut un remède ;

Demain matin nous en dirons deux mots. »

Minuit venu, l’époux mal à propos,

Tout plein encor du feu qui le possède,

Vient de sa part chercher soulagement,

Car chacun sent ici-bas son tourment.

On ne l’avait averti de la chose.

Il n’était pas sur les bords du sommeil,

Qui suit souvent l’amoureux appareil,

Qu’incontinent l’Aurore aux doigts de rose,

Ayant ouvert les portes d’Orient,

La gouvernante ouvrit tout en riant,

Remède en main, les portes de la chambre :

Par grand bonheur il s’en rencontra deux,

Car la saison approchait de septembre,

Mois où le chaud et le froid sont douteux.

La fille alors ne fut pas assez fine ;

Elle n’avait qu’à tenir bonne mine,

Et faire entrer l’amant au fond des draps,

Chose facile autant que naturelle :

L’émotion lui tourna la cervelle

Elle se cache elle-même, et tout bas

Dit en deux mots quel est son embarras.

L’amant fut sage, il présenta pour elle

Ce que Brunel à Marphise montra.

La gouvernante, ayant mis ses lunettes

Sur le galant son adresse éprouva :

Du bain interne elle le régala,

Puis dit adieu, puis après s’en alla.

Dieu la conduise, et toutes celles-là

Qui vont nuisant aux amitiés secrètes !

Si tout ceci passait pour des sornettes

(Comme il se peut, je n’en voudrais jurer)

On chercherait de quoi me censurer.

Les critiqueurs sont un peuple sévère

Ils me diront : « Votre belle en sortit

En fille sotte et n’ayant point d’esprit

Vous lui donnez un autre caractère :

Cela nous rend suspecte cette affaire ;

Nous avons lieu d’en douter, auquel cas

Votre prologue ici ne convient pas. »

Je répondrai… Mais que sert de répondre ?

C’est un procès qui n’aurait point de fin :

Par cent raisons j’aurais beau les confondre ;

Cicéron même y perdrait son latin.

Il me suffit de n’avoir en l’ouvrage

Rien avancé qu’après des gens de foi :

J’ai mes garants, que veut-on davantage ?

Chacun ne peut en dire autant que moi.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer