Contes et nouvelles en vers – Tome II

Le Diable de Papefiguière

Maître François dit que Papimanie

Est un pays où les gens sont heureux.

Le vrai dormir ne fut fait que pour eux :

Nous n’en avons ici que la copie.

Et par saint Jean, si Dieu me prête vie,

Je le verrai ce pays où l’on dort :

On y fait plus, on n’y fait nulle chose

C’est un emploi que je recherche encor.

Ajoutez-y quelque petite dose

D’amour honnête, et puis me voilà fort.

Tout au rebours il est une province

Où les gens sont haïs, maudits de Dieu.

On les connaît à leur visage mince,

Le long dormir est exclu de ce lieu :

Partant, lecteurs, si quelqu’un se présente

À vos regards, ayant face riante

Couleur vermeille, et visage replet,

Taille non pas de quelque mingrelet,

Dire pourrez, sans que l’on vous condamne,

« Cettui me semble à le voir Papimane. »

Si d’autre part celui que vous verrez

N’a l’œil riant, le corps rond, le teint frais,

Sans hésiter qualifiez cet homme

Papefiguier. Papefigue se nomme

L’île et province où les gens autrefois

Firent la figue au portrait du saint-père :

Punis en sont ; rien chez eux ne prospère ;

Ainsi nous l’a conté maître François.

L’île fut lors donnée en apanage

À Lucifer ; c’est sa maison des champs

On voit courir par tout cet héritage

Ses commensaux rudes à pauvres gens,

Peuple ayant queue, ayant cornes et griffes

Si maints tableaux ne sont point apocryphes.

Avint un jour qu’un de ces beaux messieurs

Vit un manant rusé, des plus trompeurs

Verser un champ dans l’île dessus dite.

Bien paraissait la terre être maudite

Car le manant avec peine et sueur

La retournait, et faisait son labeur.

Survient un diable à titre de seigneur.

Ce diable était des gens de l’Évangile,

Simple, ignorant à tromper très facile,

Bon gentilhomme et qui, dans son courroux

N’avait encor tonné que sur les choux.

Plus ne savait apporter de dommage.

« Vilain, dit-il, vaquer à nul ouvrage

N’est mon talent : je suis un diable issu

De noble race, et qui n’a jamais su

Se tourmenter ainsi que font les autres.

Tu sais vilain que tous ces champs sont nôtres :

Ils sont à nous dévolus par l’édit

Qui mit jadis cette île en interdit.

Vous y vivez dessous notre police.

Partant, vilain, je puis avec justice

M’attribuer tout le fruit de ce champ :

Mais je suis bon, et veux que dans un an

Nous partagions sans noise et sans querelle.

Quel grain veux-tu répandre dans ces lieux ? »

Le manant dit : « Monseigneur, pour le mieux

Je crois qu’il faut les couvrir de touselle

Car c’est un grain qui vient fort aisément.

– Je ne connais ce grain-là nullement,

Dit le lutin ; comment dis-tu … ? touselle … ?

Mémoire n’ai d’aucun grain qui s’appelle

De cette sorte ! Or emplis-en ce lieu :

Touselle soit, touselle de par Dieu,

J’en suis content. Fais donc vite, et travaille ;

Manant travaille et travaille vilain :

Travailler est le fait de la canaille :

Ne t’attends pas que je t’aide un seul brin,

Ni que par moi ton labeur se consomme :

Je t’ai déjà dit que j’étais gentilhomme,

Né pour chommer et pour ne rien savoir.

Voici comment ira notre partage.

Deux lots seront ; dont l’un, c’est à savoir

Ce qui hors terre et dessus l’héritage

Aura poussé demeurera pour toi ;

L’autre dans terre est réservé pour moi. »

L’août arrivé, la touselle est sciée,

Et tout d’un temps sa racine arrachée,

Pour satisfaire au lot du diableteau.

Il y croyait la semence attachée,

Et que l’épi non plus que le tuyau

N’était qu’une herbe inutile et séchée.

Le laboureur vous la serra très bien.

L’autre au marché porta son chaume vendre

On le hua ; pas un n’en offrit rien :

Le pauvre diable était prêt à se pendre.

II s’en alla chez son copartageant :

Le drôle avait la touselle vendue,

Pour le plus sûr, en gerbe et non battue,

Ne manquant pas de bien cacher l’argent.

Bien le cacha ; le diable en fut la dupe.

« Coquin, dit-il, tu m’as joué d’un tour.

C’est ton métier : je suis diable de cour

Qui comme vous à tromper ne m’occupe.

Quel grain veux-tu semer pour l’an prochain ?

Le manant dit : Je crois qu’au lieu de grain

Planter me faut ou navets ou carottes :

Vous en aurez, Monseigneur, pleines hottes :

Si mieux n’aimez raves dans la saison.

– Raves, navets, carottes, tout est bon,

Dit le lutin, mon lot sera hors terre

Le tien dedans. Je ne veux point de guerre

Avecque toi si tu ne m’y contrains.

Je vais tenter quelques jeunes nonnains. »

L’auteur ne dit ce que firent les nonnes.

Le temps venu de recueillir encor,

Le manant prend raves belles et bonnes,

Feuilles sans plus tombent pour tout trésor

Au diableteau, qui l’épaule chargée

Court au marché. Grande fut la risée :

Chacun lui dit son mot cette fois-là.

« Monsieur le diable, où croît cette denrée ?

Où mettrez-vous ce qu’on en donnera ? »

Plein de courroux et vuide de pécune

Léger d’argent et chargé de rancune,

Il va trouver le manant qui riait

Avec sa femme, et se solaciait

« Ah ! par la mort, par le sang, par la tête,

Dit le démon, il le payra par bieu.

Vous voici donc Phlipot la bonne bête ;

Ça ; Ça, galons-le en enfant de bon lieu.

Mais il vaut mieux remettre la partie :

J’ai sur les bras une dame jolie

À qui je dois faire franchir le pas

Elle le veut, et puis ne le veut pas.

L’époux n’aura dedans la confrérie

Sitôt un pied qu’à vous je reviendrai,

Maître Phlipot, et tant vous galerai

Que ne jouerez ces tours de votre vie.

À coups de griffe il faut que nous voyions

Lequel aura de nous deux belle amie,

Et jouira du fruit de ces sillons.

Prendre pourrais d’autorité suprême

Touselle et grain, champ et rave, enfin tout.

Mais je les veux avoir par le bon bout.

N’espérez plus user de stratagème.

Dans huit jours d’hui, je suis à vous Phlipot,

Et touchez là, ceci sera mon arme. »

Le villageois étourdi du vacarme

Au fardadet ne put répondre un mot.

Perrette en rit ; c’était sa ménagère,

Bonne galande en toutes les façons,

Et qui sut plus que garder les moutons

Tant qu’elle fut en âge de bergère.

Elle lui dit : « Phlipot, ne pleure point :

Je veux d’ici renvoyer de tout point

Ce diableteau : c’est un jeune novice

Qui n’a rien vu : je t’en tirerai hors :

Mon petit doigt saurait plus de malice,

Si je voulais, que n’en sait tout son corps. »

Le jour venu Phlipot qui n’était brave

Se va cacher, non point dans une cave,

Trop bien va-t-il se plonger tout entier

Dans un profond et large bénitier

Aucun démon n’eût su par où le prendre,

Tant fut subtil ; car d’étoles, dit-on,

Il s’affubla le chef pour s’en défendre,

S’étant plongé dans l’eau jusqu’au menton.

Or le laissons, il n’en viendra pas faute.

Tout le clergé chante autour à voix haute

Vade retro. Perrette cependant

Est au logis le lutin attendant.

Le lutin vient : Perrette échevelée

Sort, et se plaint de Phlipot, en criant :

« Ah ! le bourreau, le traître, le méchant

Il m’a perdue, il m’a toute affolée

Au nom de Dieu, Monseigneur, sauvez-vous.

À coup de griffe il m’a dit en courroux

Qu’il se devait contre Votre Excellence

Battre tantôt, et battre à toute outrance.

Pour s’éprouver le perfide m’a fait

Cette balafre. » À ces mots au follet

Elle fait voir… Et quoi ? chose terrible.

Le diable en eut une peur tant horrible

Qu’il se signa, pensa presque tomber ;

Onc n’avait vu, ni lu, ni ouï conter

Que coups de griffe eussent semblable forme

Bref aussitôt qu’il aperçut l’énorme

Solution de continuité,

Il demeura si fort épouvanté,

Qu’il prit la fuite, et laissa là Perrette.

Tous les voisins chommèrent la défaite

De ce démon : le clergé ne fut pas

Des plus tardifs à prendre part au cas.

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