Contes et nouvelles en vers – Tome II

Le Magnifique

Un peu d’esprit, beaucoup de bonne mine,

Et plus encor de libéralité,

C’est en amour une triple machine

Par qui maint fort est bientôt emporté ;

Rocher fut-il ; rochers aussi se prennent.

Qu’on soit bien fait, qu’on ait quelque talent,

Que les cordons de la bourse ne tiennent ;

Je vous le dis, la place est au galant.

On la prend bien quelquefois sans ces choses.

Bon fait avoir néanmoins quelques doses

D’entendement et n’être pas un sot :

Quant à l’avare on le hait : le magot

A grand besoin de bonne rhétorique :

La meilleure est celle du libéral.

Un Florentin nommé le Magnifique

La possédait en propre original.

Le Magnifique était un nom de guerre

Qu’on lui donna ; bien l’avait mérité :

Son train de vivre, et son honnêteté,

Ses dons surtout, l’avaient par toute terre

Déclaré tel ; propre, bien fait, bien mis,

L’esprit galant, et l’air des plus polis.

Il se piqua pour certaine femelle

De haut état. La conquête était belle :

Elle excitait doublement le désir :

Rien n’y manquait, la gloire et le plaisir.

Aldobrandin était de cette dame

Bail et mari : pourquoi bail ? ce mot-là

Ne me plaît point ; c’est mal dit que cela ;

Car un mari ne baille point sa femme.

Aldobrandin la sienne ne baillait ;

Trop bien cet homme à la garder veillait

De tous ses yeux ; s’il en eut eu dix mille,

Il les eût tous à ce soin occupés :

Amour le rend, quand il veut, inutile ;

Ces Argus-là sont fort souvent trompés.

Aldobrandin ne croyait pas possible

Qu’il le fut onc ; il défiait les gens.

Au demeurant il était fort sensible

À l’intérêt, aimait fort les présents.

Son concurrent n’avait encor su dire

Le moindre mot à l’objet de ses vœux :

On ignorait, ce lui semblait, ses feux,

Et le surplus de l’amoureux martyre ;

(Car c’est toujours une même chanson)

Si l’on l’eût su, qu’eût-on fait ? que fait-on ?

Jà n’est besoin qu’au lecteur je le die.

Pour revenir à notre pauvre amant,

II n’avait su dire un mot seulement

Au médecin touchant sa maladie.

Or le voilà qui tourmente sa vie,

Qui va, qui vient, qui court, qui perd ses pas :

Point de fenêtre et point de jalousie

Ne lui permet d’entrevoir les appas

Ni d’entr’ouïr la voix de sa maîtresse.

Il ne fut onc semblable forteresse.

Si faudra-t-il qu’elle y vienne pourtant

Voici comment s’y prit notre assiégeant.

Je pense avoir déjà dit, ce me semble,

Qu’Aldobrandin homme à présents était ;

Non qu’il en fît, mais il en recevait.

Le Magnifique avait un cheval d’amble,

Beau, bien taillé, dont il faisait grand cas :

Il l’appelait à cause de son pas

La haquenée. Aldobrandin le loue :

Ce fut assez ; notre amant proposa

De le troquer ; l’époux s’en excusa :

« Non pas, dit-il, que je ne vous avoue

Qu’il me plaît fort ; mais à de tels marchés

Je perds toujours. » Alors le Magnifique,

Qui voit le but de cette politique,

Reprit : « Eh bien ! faisons mieux ; ne troquez ;

Mais pour le prix du cheval permettez

Que vous présent j’entretienne Madame.

C’est un désir curieux qui m’a pris.

Encor faut-il que vos meilleurs amis

Sachent un peu ce qu’elle a dedans l’âme.

Je vous demande un quart d’heure sans plus. »

Aldobrandin l’arrêtant là-dessus :

« J’en suis d’avis ; je livrerai ma femme ?

Ma foi mon cher gardez votre cheval.

– Quoi, vous présent ? – Moi présent. – Et quel mal

Encore un coup peut-il en la présence

D’un mari fin comme vous arriver ? »

Aldobrandin commence d’y rêver :

Et raisonnant en soi : » Quelle apparence

Qu’il en mévienne en effet moi présent ?

C’est marché sûr ; il est fol ; à son dam ;

Que prétend-il ? pour plus grande assurance,

Sans qu’il le sache, il faut faire défense

À ma moitié de répondre au galant.

Sus, dit l’époux, j’y consens. – La distance

De vous à nous, poursuivit notre amant,

Sera réglée, afin qu’aucunement

Vous n’entendiez. » II y consent encore :

Puis va quérir sa femme en ce moment.

Quand l’autre voit celle-là qu’il adore,

Il se croit être en un enchantement.

Les saluts faits, en un coin de la salle

Ils se vont seoir. Notre galant n’étale

Un long narré ; mais vient d’abord au fait.

« Je n’ai le lieu ni le temps à souhait,

Commença-t-il ; puis je tiens inutile

De tant tourner, il n’est que d’aller droit.

Partant, Madame, en un mot comme en mille,

Votre beauté jusqu’au vif m’a touché.

Penseriez-vous que ce fût un péché

Que d’y répondre ? ah je vous crois, Madame

De trop bon sens. Si j’avais le loisir,

Je ferais voir par les formes ma flamme,

Et vous dirais de cet ardent désir

Tout le menu : mais que je brûle, meure,

Et m’en tourmente, et me dise aux abois,

Tout ce chemin que l’on fait en six mois

Il me convient le faire en un quart d’heure :

Et plus encor ; car ce n’est pas là tout.

Froid est l’amant qui ne va jusqu’au bout,

Et par sottise en si beau train demeure.

Vous vous taisez ? pas un mot ! qu’est-ce là ?

Renvoyrez-vous de la sorte un pauvre homme

Le Ciel vous fit, il est vrai, ce qu’on nomme.

Divinité ; mais faut-il pour cela

Ne point répondre alors que l’on vous prie ?

Je vois, je vois, c’est une tricherie

De votre époux : il m’a joué ce trait ;

Et ne prétend qu’aucune repartie

Soit du marché : mais j’y sais un secret.

Rien n’y fera pour le sûr sa défense.

Je saurai bien me répondre pour vous :

Puis ce coin d’œil par son langage doux

Rompt à mon sens quelque peu le silence.

J’y lis ceci : « Ne croyez pas, Monsieur,

Que la nature ait composé mon cœur

De marbre dur. Vos fréquentes passades,

Joutes, tournois, devises, sérénades,

M’ont avant vous déclare votre amour.

Bien loin qu’il m’ait en nul point offensée,

Je vous dirai que des le premier jour

J’y répondis, et me sentis blessée

Du même trait ; mais que nous sert ceci ?

– Ce qu’il nous sert ? je m’en vais vous le dire :

Étant d’accord, il faut cette nuit-ci

Goûter le fruit de ce commun martyre ;

De votre époux nous venger et nous rire ;

Bref le payer du soin qu’il prend ici ;

De ces fruits-là le dernier n’est le pire.

Votre jardin viendra comme de cire :

Descendez-y, ne doutez du succès :

Votre mari ne se tiendra jamais

Qu’à sa maison des champs, je vous l’assure,

Tantôt il n’aille éprouver sa monture

Vos douagnas en leur premier sommeil,

Vous descendrez, sans nul autre appareil

Que de jeter une robe fourrée

Sur votre dos, et viendrez au jardin.

De mon côté l’échelle est préparée.

Je monterai par la cour du voisin :

Je l’ai gagné : la rue est trop publique.

Ne craignez rien. – Ah mon cher Magnifique

Que je vous aime ! et que je vous sais gré

De ce dessein ! venez, je descendrai.

C’est vous qui parle ; et plût au Ciel, Madame

Qu’on vous osât embrasser les genoux !

– Mon Magnifique, à tantôt ; votre flamme

Ne craindra point les regards d’un jaloux.

L’amant la quitte ; et feint d’être en courroux ;

Puis tout grondant : « Vous me la donnez bonne

Aldobrandin ; je n’entendais cela.

Autant vaudrait n’être avecque personne

Que d’être avec Madame que voilà.

Si vous trouvez chevaux à ce prix-là,

Vous les devez prendre sur ma parole

Le mien hannit du moins ; mais cette idole

Est proprement un fort joli poisson.

Or sus, j’en tiens ; ce m’est une leçon.

Quiconque veut le reste du quart d’heure

N’a qu’à parler ; j’en ferai juste prix. »

Aldobrandin rit si fort qu’il en pleure.

« Ces jeunes gens, dit-il, en leurs esprits

Mettent toujours quelque haute entreprise.

Notre féal vous lâchez trop tôt prise ;

Avec le temps on en viendrait à bout

J’y tiendrai œil ; car ce n’est pas là tout

Nous y savons encor quelque rubrique :

Et cependant, Monsieur le Magnifique,

La haquenée est nettement à nous :

Plus ne fera de dépense chez vous.

Dès aujourd’hui, qu’il ne vous en déplaise,

Vous me verrez dessus fort à mon aise

Dans le chemin de ma maison des champs. »

Il n’y manqua, sur le soir ; et nos gens

Au rendez-vous tout aussi peu manquèrent.

Dire comment les choses s’y passèrent

C’est un détail trop long ; lecteur prudent

Je m’en remets à ton bon jugement.

La dame était jeune, fringante, et belle,

L’amant bien fait, et tous deux fort épris.

Trois rendez-vous coup sur coup furent pris ;

Moins n’en valait si gentille femelle.

Aucun péril, nul mauvais accident

Bons dormitifs en or comme en argent

Aux douagnas, et bonne sentinelle.

Un pavillon vers le bout du jardin

Vint à propos ; Messire Aldobrandin

Ne l’avait fait bâtir pour cet usage.

Conclusion qu’il prit en cocuage

Tous ses degrés ; un seul ne lui manqua ;

Tant sut jouer son jeu la haquenée :

Content ne fut d’une seule journée

Pour l’éprouver ; aux champs il demeura

Trois jours entiers, sans doute ni scrupule.

J’en connais bien qui ne sont si chanceux

Car ils ont femme, et n’ont cheval ni mule

Sachant de plus tout ce qu’on fait chez eux.

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