Contes et nouvelles en vers – Tome II

La Confidente sans le savoir, ou le stratagème

Je ne connais rhéteur, ni maître ès arts

Tel que l’Amour ; il exerce en bien dire ;

Ses arguments, ce sont de doux regards,

De tendres pleurs, un gracieux sourire :

La guerre aussi s’exerce en son empire,

Tantôt il met aux champs ses étendards

Tantôt couvrant sa marche et ses finesses

II prend des cœurs entourés de remparts.

Je le soutiens : posez deux forteresses

Qu’il en batte une, une autre le dieu Mars

Que celui-ci fasse agir tout un monde

Qu’il soit armé, qu’il ne lui manque rien

Devant son fort je veux qu’il se morfonde

Amour tout nu fera rendre le sien.

C’est l’inventeur des tours et stratagèmes.

J’en vais dire un de mes plus favoris

J’en ai bien lu, j’en vois pratiquer mêmes,

Et d’assez bons, qui ne sont rien au prix.

La jeune Aminte à Géronte donnée,

Méritait mieux qu’un si triste hyménée ;

Elle avait pris en cet homme un époux

Malgracieux, incommode et jaloux.

Il était vieux ; elle à peine en cet âge

Où quand un cœur n’a point encore aimé

D’un doux objet il est bientôt charmé.

Celui d’Aminte ayant sur son passage

Trouvé Cléon, beau, bien fait, jeune et sage,

Il s’acquitta de ce premier tribut,

Trop bien peut-être, et mieux qu’il ne fallut :

Non toutefois que la belle n’oppose

Devoir et tout, à ce doux sentiment ;

Mais lorsqu’Amour prend le fatal moment,

Devoir et tout, et rien c’est même chose.

Le but d’Aminte en cette passion

Était, sans plus, la consolation

D’un entretien sans crime, où la pauvrette

Versât ses soins en une âme discrète.

Je croirais bien qu’ainsi l’on le prétend ;

Mais l’appétit vient toujours en mangeant :

Le plus sûr est ne se point mettre à table.

Aminte croit rendre Cléon traitable :

Pauvre ignorante ! elle songe au moyen

De l’engager à ce simple entretien,

De lui laisser entrevoir quelque estime,

Quelque amitié, quelque chose de plus,

Sans y mêler rien que de légitime :

Plutôt la mort empêchât tel abus !

Le point était d’entamer cette affaire.

Les lettres sont un étrange mystère,

Il en provient maint et maint accident.

Le meilleur est quelque sûr confident.

Où le trouver ? Géronte est homme à craindre.

J’ai dit tantôt qu’Amour savait atteindre

À ses desseins d’une ou d’autre façon ;

Ceci me sert de preuve et de leçon.

Cléon avait une vieille parente,

Sévère et prude, et qui s’attribuait

Autorité sur lui de gouvernante.

Madame Alis (ainsi l’on l’appelait),

Par un beau jour eut de la jeune Aminte

Ce compliment, ou plutôt cette plainte :

« Je ne sais pas pourquoi votre parent,

Qui m’est et fut toujours indifférent,

Et le sera tout le temps de ma vie,

A de m’aimer conçu la fantaisie.

Sous ma fenêtre il passe incessamment ;

Je ne saurais faire un pas seulement

Que je ne l’aie aussitôt à mes trousses ;

Lettres, billets pleins de paroles douces,

Me sont donnés par une dont le nom

Vous est connu ; je le tais pour raison.

Faites cesser pour Dieu cette poursuite ;

Elle n’aura qu’une mauvaise suite.

Mon mari peut prendre feu là-dessus.

Quant à Cléon, ses pas sont superflus :

Dites-le-lui de ma part, je vous prie. »

Madame Alis la loue, et lui promet

De voir Cléon, de lui parler si net

Que de l’aimer il n’aura plus d’envie.

Cléon va voir Alis le lendemain :

Elle lui parle, et le pauvre homme nie,

Avec serments, qu’il eût un tel dessein

Madame Alis l’appelle enfant du diable,

« Tout vilain cas, dit-elle, est reniable ;

Ces serments vains et peu dignes de foi

Mériteraient qu’on vous fît votre sauce.

Laissons cela ; la chose est vraie ou fausse

Mais fausse ou vraie, il faut, et croyez-moi

Vous mettre bien dans la tête qu’Aminte

Est femme sage, honnête, et hors d’atteinte :

Renoncez-y. – Je le puis aisément. »

Reprit Cléon. Puis au même moment

II va chez lui songer à cette affaire :

Rien ne lui peut débrouiller le mystère.

Trois jours n’étaient passés entièrement

Que revoici chez Alis notre belle :

« Vous n’avez pas, Madame, lui dit-elle,

Encore vu, je pense, notre amant ;

De plus en plus sa poursuite s’augmente. »

Madame Alis s’emporte, se tourmente :

« Quel malheureux ! » puis l’autre la quittant,

Elle le mande ; il vient tout à l’instant.

Dire en quels mots Alis fit sa harangue,

II me faudrait une langue de fer ;

Et quand de fer j’aurais même la langue,

Je n’y pourrais parvenir ; tout l’enfer

Fut employé dans cette réprimande :

« Allez Satan, allez vrai Lucifer,

Maudit de Dieu. » La fureur fut si grande,

Que le pauvre homme étourdi dès l’abord,

Ne sut que dire ; avouer qu’il eût tort,

C’était trahir par trop sa conscience.

Il s’en retourne, il rumine, il repense,

Il rêve tant qu’enfin il dit en soi :

« Si c’était là quelque ruse d’Aminte ?

Je trouve, hélas ! mon devoir dans sa plainte. »

Elle me dit : « Ô Cléon aime-moi,

Aime-moi donc », en disant que je l’aime :

Je l’aime aussi, tant pour son stratagème

Que pour ses traits. J’avoue en bonne foi

Que mon esprit d’abord n’y voyait goutte ;

Mais à présent je ne fais aucun doute ;

Aminte veut mon cœur assurément.

Ah ! si j’osais, dès ce même moment

Je l’irais voir, et plein de confiance

Je lui dirais quelle est la violence,

Quel est le feu dont je me sens épris.

Pourquoi n’oser ? offense pour offense,

L’amour vaut mieux encor que le mépris.

Mais si l’époux m’attrapait au logis ?

Laissons-la faire, et laissons-nous conduire. »

Trois autres jours n’étaient passes encor,

Qu’Aminte va chez Alis pour instruire

Son cher Cléon du bonheur de son sort.

« Il faut, dit-elle, enfin que je déserte ;

Votre parent a résolu ma perte ;

Il me prétend avoir par des présents :

Moi, des présents ? c’est bien choisir sa femme ;

Tenez, voilà rubis et diamants,

Voilà bien pis, c’est mon portrait, Madame.

Assurément de mémoire on l’a fait

Car mon époux à tout seul mon portrait.

À mon lever cette personne honnête,

Que vous savez, et dont je tais le nom,

S’en est venue, et m’a laissé ce don

Votre parent mérite qu’à la tête

On le lui jette ; et s’il était ici…

Je ne me sens presque pas de colère.

Oyez le reste : il m’a fait dire aussi

Qu’il sait fort bien qu’aujourd’hui pour affaire

Mon mari couche à sa maison des champs ;

Qu’incontinent qu’il croira que mes gens

Seront couchés, et dans leur premier somme,

Il se rendra devers mon cabinet.

Qu’espère-t-il ? pour qui me prend cet homme ?

Un rendez-vous ! est-il fol en effet ?

Sans que je crains de commettre Géronte

Je poserais tantôt un si bon guet

Qu’il serait pris ainsi qu’au trébuchet

Ou s’enfuirait avec sa courte honte. »

Ces mots finis, Madame Aminte sort

Une heure après, Cléon vint, et d’abord,

On lui jeta les joyaux et la boëte :

On l’aurait pris à la gorge au besoin :

« Et bien, cela vous semble-t-il honnête ?

Mais ce n’est rien ; vous allez bien plus loin. »

Alis dit lors mot pour mot ce qu’Aminte

Venait de dire en sa dernière plainte.

Cléon se tint pour dûment averti :

« J’aimais, dit-il, il est vrai, cette belle ;

Mais puisqu’il faut ne rien espérer d’elle,

Je me retire, et prendrai ce parti.

– Vous ferez bien ; c’est celui qu’il faut prendre, »

Lui dit Alis, il ne le prit pourtant.

Trop bien minuit à grand’peine sonnant,

Le compagnon sans faute se va rendre

Devers l’endroit qu’Aminte avait marqué :

Le rendez-vous était bien expliqué.

Ne doutez point qu’il n’y fût sans escorte.

La jeune Aminte attendait à la porte :

Un profond somme occupait tous les yeux ;

Même ceux-là qui brillent dans les cieux

Étaient voilés par une épaisse nue.

Comme on avait toute chose prévue,

Il entre vite, et sans autres discours

Ils vont, ils vont au cabinet d’amours.

Là le galant dès l’abord se récrie,

Comme la dame était jeune et jolie,

Sur sa beauté ; la bonté vint après,

Et celle-ci suivit l’autre de près.

« Mais dites-moi, de grâce, je vous prie,

Qui vous a fait aviser de ce tour ?

Car jamais tel ne se fit en amour.

Sur les plus fins je prétends qu’il excelle ;

Et vous devez vous-même l’avouer. »

Elle rougit, et n’en fut que plus belle ;

Sur son esprit, sur ses traits, sur son zèle,

Il la loua ; ne fit-il que louer ?

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