Contes et nouvelles en vers – Tome II

Messire Jean, (c’était certain curé

Qui prêchait peu sinon sur la vendange)

Sur ce sujet, sans être préparé,

Il triomphait ; vous eussiez dit un ange,

Encore un point était touché de lui ;

Non si souvent qu’eût voulu le messire ;

Et ce point-là les enfants d’aujourd’hui

Savent que c’est, besoin n’ai de le dire.

Messire Jean tel que je le décris

Faisait si bien, que femmes et maris

Le recherchaient, estimaient sa science ;

Au demeurant il n’était conscience

Un peu jolie, et bonne à diriger,

Qu’il ne voulût lui-même interroger,

Ne s’en fiant aux soins de son vicaire.

Messire Jean aurait voulu tout faire ;

S’entremettait en zélé directeur

Allait partout ; disant qu’un bon pasteur

Ne peut trop bien ses ouailles connaître,

Dont par lui-même instruit en voulait être.

Parmi les gens de lui les mieux venus,

Il fréquentait chez le compère Pierre,

Bon villageois à qui pour toute terre,

Pour tout domaine et pour tous revenus

Dieu ne donna que ses deux bras tout nus,

Et son louchet, dont pour toute ustensille

Pierre faisait subsister sa famille.

Il avait femme et belle et jeune encor,

Ferme surtout ; le hâle avait fait tort

À son visage, et non à sa personne.

Nous autres gens peut-être aurions voulu

Du délicat, ce rustic ne m’eût plu ;

Pour des curés la pâte en était bonne ;

Et convenait à semblables amours.

Messire Jean la regardait toujours

Du coin de œil, toujours tournait la tête

De son côté ; comme un chien qui fait fête

Aux os qu’il voit n’être par trop chétifs ;

Que s’il en voit un de belle apparence,

Non décharné, plein encor de substance,

Il tient dessus ses regards attentifs :

Il s’inquiète, il trépigne, il remue

Oreille et queue ; il a toujours la vue

Dessus cet os, et le ronge des yeux

Vingt fois devant que son palais s’en sente.

Messire Jean tout ainsi se tourmente

À cet objet pour lui délicieux.

La villageoise était fort innocente.

Et n’entendait aux façons du pasteur

Mystère aucun ; ni son regard flatteur,

Ni ses présents ne touchaient Magdeleine :

Bouquets de thym, et pots de marjolaine

Tombaient à terre : avoir cent menus soins

C’était parler bas-breton tout au moins.

Il s’avisa d’un plaisant stratagème.

Pierre était lourd, sans esprit : je crois bien

Qu’il ne se fût précipité lui-même,

Mais par delà de lui demander rien,

C’était abus et très grande sottise.

L’autre lui dit : « Compère mon ami

Te voilà pauvre, et n’ayant à demi

Ce qu’il te faut ; si je t’apprends la guise

Et le moyen d’être un jour plus content

Qu’un petit roi, sans te tourmenter tant,

Que me veux-tu donner pour mes étrennes ? »

Pierre répond : « Parbleu Messire Jean

Je suis à vous ; disposez de mes peines ;

Car vous savez que c’est tout mon vaillant.

Notre cochon ne nous faudra pourtant :

II a mange plus de son, par mon âme,

Qu’il n’en tiendrait trois fois dans ce tonneau,

Et d’abondant la vache à notre femme

Nous a promis qu’elle ferait un veau :

Prenez le tout. – Je ne veux nul salaire,

Dit le pasteur ; obliger mon compère

Ce m’est assez, je te dirai comment.

Mon dessein est de rendre Magdeleine

Jument le jour par art d’enchantement,

Lui redonnant sur le soir forme humaine.

Très grand profit pourra certainement

T’en revenir ; car ton âne est si lent,

Que du marché l’heure est presque passée

Quand il arrive ; ainsi tu ne vends pas,

Comme tu veux, tes herbes, ta denrée,

Tes choux, tes aulx, enfin tout ton tracas.

Ta femme étant jument forte et membrue,

Ira plus vite ; et sitôt que chez toi

Elle sera du logis revenue,

Sans pain ni soupe un peu d’herbe menue

Lui suffira. » Pierre dit : « Sur ma foi

Messire Jean, vous êtes un sage homme.

Voyez que c’est d’avoir étudié !

Vend-on cela ? si j’avais grosse somme

Je vous l’aurais, parbleu bientôt payé. »

Jean poursuivit : « Or ça je t’apprendrai

Les mots, la guise, et toute la manière

Par ou jument bien faite et poulinière

Auras de jour, belle femme de nuit.

Corps, tête, jambe, et tout ce qui s’ensuit

Lui reviendra : tu n’as qu’a me voir faire

Tais-toi sur tout ; car un mot seulement

Nous gâterait tout notre enchantement.

Nous ne pourrions revenir au mystère,

De notre vie ; encore un coup motus,

Bouche cousue, ouvre les yeux sans plus.

Toi-même après pratiqueras la chose. »

Pierre promet de se taire, et Jean dit :

« Sus Magdeleine ; il se faut, et pour cause,

Dépouiller nue et quitter cet habit :

Dégrafez-moi cet atour des dimanches ;

Fort bien : ôtez ce corset et ces manches ;

Encore mieux : défaites ce jupon ;

Très bien cela. » Quand vint à la chemise,

La pauvre épouse eut en quelque façon

De la pudeur. Être nue ainsi mise

Aux yeux des gens ! Magdeleine aimait mieux

Demeurer femme, et jurait ses grands dieux

De ne souffrir une telle vergogne.

Pierre lui dit : « Voilà grande besogne !

Et bien, tous deux nous saurons comme quoi

Vous êtes faite ; est-ce par votre foi

De quoi tant craindre ? Et là la Magdeleine,

Vous n’avez pas toujours eu tant de peine

À tout ôter : comment donc faites-vous

Quand vous cherchez vos puces ? dites-nous.

Messire Jean est-ce quelqu’un d’étrange ?

Que craignez-vous ? hé quoi ? qu’il ne vous mange ?

Çà dépêchons ; c’est par trop marchander.

Depuis le temps Monsieur notre curé

Aurait déjà parfait son entreprise. »

Disant ces mots il ôte la chemise,

Regarde faire, et ses lunettes prend.

Messire Jean par le nombril commence,

Pose dessus une main en disant :

« Que ceci soit beau poitrail de jument. »

Puis cette main dans le pays s’avance.

L’autre s’en va transformer ces deux monts

Qu’en nos climats les gens nomment tétons ;

Car quant à ceux qui sur l’autre hémisphère

Sont étendus, plus vastes en leur tour,

Par révérence on ne les nomme guère ;

Messire Jean leur fait aussi sa cour ;

Disant toujours pour la cérémonie :

« Que ceci soit telle ou telle partie,

Ou belle croupe, ou beaux flancs, » tout enfin.

Tant de façons mettaient Pierre en chagrin ;

Et ne voyant nul progrès à la chose,

Il priait Dieu pour la métamorphose.

C’était en vain ; car de l’enchantement

Toute la force et l’accomplissement

Gisait à mettre une queue à la bête :

Tel ornement est chose fort honnête :

Jean ne voulant un tel point oublier

L’attache donc : lors Pierre de crier,

Si haut qu’on l’eût entendu d’une lieue :

« Messire Jean je n’y veux point de queue :

Vous l’attachez trop bas, Messire Jean ! »

Pierre à crier ne fut si diligent,

Que bonne part de la cérémonie

Ne fut déjà par le prêtre accomplie.

À bonne fin le reste aurait été,

Si non content d’avoir déjà parlé

Pierre encor n’eût tiré par la soutane

Le curé Jean, qui lui dit : « Foin de toi :

T’avais-je pas recommandé, gros âne,

De ne rien dire, et de demeurer coi ?

Tout est gâté ; ne t’en prends qu’a toi-même. »

Pendant ces mots l’époux gronde à part soi.

Magdeleine est en un courroux extrême

Querelle Pierre, et lui dit : « Malheureux

Tu ne seras qu’un misérable gueux

Toute ta vie : et puis viens-t’en me braire

Viens me conter ta faim et ta douleur.

Voyez un peu : Monsieur notre pasteur

Veut de sa grâce à ce traîne-malheur

Montrer de quoi finir notre misère :

Mérite-t-il le bien qu’on lui veut faire ?

Messire Jean laissons là cet oison :

Tous les matins tandis que ce veau lie

Ses choux, ses aulx, ses herbes, son oignon,

Sans l’avertir venez à la maison ;

Vous me rendrez une jument polie. »

Pierre reprit : « Plus de jument, ma mie,

Je suis content de n’avoir qu’un grison. »

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