Contes et nouvelles en vers – Tome II

Vers le Levant, le Vieil de la Montagne

Se rendit craint par un moyen nouveau.

Craint n’était-il pour l’immense campagne

Qu’il possédât, ni pour aucun monceau

D’or ou d’argent ; mais parce qu’au cerveau

De ses sujets il imprimait des choses

Qui de maint fait courageux étaient causes.

Il choisissait entre eux les plus hardis ;

Et leur faisait donner du paradis

Un avant-goût à leurs sens perceptible ;

Du paradis de son législateur ;

Rien n’en a dit ce prophète menteur

Qui ne devînt très croyable et sensible

À ces gens-là : comment s’y prenait-on ?

On les faisait boire tous de façon

Qu’ils s’enivraient, perdaient sens et raison.

En cet état, privés de connaissance,

On les portait en d’agréables lieux,

Ombrages frais, jardins délicieux.

Là se trouvaient tendrons en abondance

Plus que mailles, et beaux par excellence :

Chaque réduit en avait à couper.

Si se venaient joliment attrouper

Près de ces gens qui leur boisson cuvée

S’émerveillaient de voir cette couvée

Et se croyaient habitants devenus

Des champs heureux qu’assigne à ses élus

Le faux Mahom. Lors de faire accointance,

Turcs d’approcher, tendrons d’entrer en danse’

Au gazouillis des ruisseaux de ces bois,

Au son de luths accompagnant les voix

Des rossignols : il n’est plaisir au monde

Qu’on ne goûtât dedans ce paradis :

Les gens trouvaient en son charmant pourpris

Les meilleurs vins de la machine ronde ;

Dont ne manquaient encor de s’enivrer,

Et de leur sens perdre l’entier usage.

On les faisait aussitôt reporter

Au premier lieu de tout ce tripotage

Qu’arrivait-il ? ils croyaient fermement

Que quelque jour de semblables délices

Les attendaient, pourvu que hardiment,

Sans redouter la mort ni les supplices,

Ils fissent chose agréable à Mahom,

Servant leur prince en toute occasion.

Par ce moyen leur prince pouvait dire

Qu’il avait gens à sa dévotion

Déterminés, et qu’il n’était empire

Plus redouté que le sien ici-bas.

Or ai-je été prolixe sur ce cas,

Pour confirmer l’histoire de Féronde.

Féronde était un sot de par le monde

Riche manant, ayant soin du tracas,

Dîmes, et cens, revenus, et ménage

D’un abbé blanc. J’en sais de ce plumage

Qui valent bien les noirs à mon avis,

En fait que d’être aux maris secourables,

Quand forte tâche ils ont en leur logis

Si qu’il y faut moines et gens capables.

Au lendemain celui-ci ne songeait

Et tout son fait dès la veille mangeait,

Sans rien garder, non plus qu’un droit apôtre,

N’ayant autre œuvre, autre emploi, penser autre

Que de chercher ou gisaient les bons vins.

Les bons morceaux, et les bonnes commères,

Sans oublier les gaillardes nonnains,

Dont il faisait peu de part à ses frères.

Féronde avait un joli chaperon

Dans son logis, femme sienne, et dit-on

Que parentèle était entre la dame

Et notre abbé ; car son prédécesseur,

Oncle et parrain, dont Dieu veuille avoir l’âme,

En était père, et la donna pour femme

À ce manant, qui tint à grand honneur

De l’épouser. Chacun sait que de race

Communément fille bâtarde chasse :

Celle-ci donc ne fit mentir le mot.

Si n’était pas l’époux homme si sot

Qu’il n’en eût doute, et ne vît en l’affaire

Un peu plus clair qu’il n’était nécessaire.

Sa femme allait toujours chez le prélat ;

Et prétextait ses allées et venues

Des soins divers de cet économat.

Elle alléguait mille affaires menues.

C’était un compte, ou c’était un achat ;

C’était un rien ; tant peu plaignait sa peine.

Bref il n’était nul jour en la semaine,

Nulle heure au jour, qu’on ne vît en ce lieu

La receveuse. Alors le père en Dieu

Ne manquait pas d’écarter tout son monde

Mais le mari, qui se doutait du tour

Rompait les chiens, ne manquant au retour

D’imposer mains sur madame Féronde.

Onc il ne fut un moins commode époux.

Esprits ruraux volontiers sont jaloux,

Et sur ce point à chausser difficiles,

N’étant pas faits aux coutumes des villes.

Monsieur l’abbé trouvait cela bien dur

Comme prélat qu’il était, partant homme

Fuyant la peine, aimant le plaisir pur,

Ainsi que fait tout bon suppôt de Rome.

Ce n’est mon goût ; je ne veux de plein saut

Prendre la ville, aimant mieux l’escalade ;

En amour da, non en guerre ; il ne faut

Prendre ceci pour guerrière bravade,

Ni m’enrôler là-dessus malgré moi.

Que l’autre usage ait la raison pour soi,

Je m’en rapporte, et reviens à l’histoire

Du receveur qu’on mit en purgatoire

Pour le guérir, et voici comme quoi.

Par le moyen d’une poudre endormante

L’abbé le plonge en un très long sommeil.

On le croit mort, on l’enterre, l’on chante :

Il est surpris de voir à son réveil

Autour de lui gens d’étrange manière ;

Car il était au large dans sa bière,

Et se pouvait lever de ce tombeau

Qui conduisait en un profond caveau.

D’abord la peur se saisit de notre homme

Qu’est-ce cela ? songe-t-il ? est-il mort ?

Serait-ce point quelque espèce de sort ?

Puis il demande aux gens comme on les nomme,

Ce qu’ils font là, d’où vient que dans ce lieu

L’on le retient, et qu’a-t-il fait à Dieu ?

L’un d’eux lui dit : « Console-toi, Féronde

Tu te verras citoyen du haut monde

Dans mille ans d’hui complets et bien comptés

Auparavant il faut d’aucuns pêchés

Te nettoyer en ce saint purgatoire.

Ton âme un jour plus blanche que l’ivoire

En sortira. » L’ange consolateur

Donne à ces mots au pauvre receveur

Huit ou dix coups de forte discipline,

En lui disant : « C’est ton humeur mutine,

Et trop jalouse, et déplaisant à Dieu

Qui te retient pour mille ans en ce lieu. »

Le receveur s’étant frotté l’épaule

Fait un soupir : » Mille ans, c’est bien du temps ! »

Vous noterez que l’ange était un drôle,

Un frère Jean novice de Léans.

Ses compagnons jouaient chacun un rôle

Pareil au sien dessous un feint habit.

Le receveur requiert pardon, et dit :

« Las ! si jamais je rentre dans la vie,

Jamais soupçon ombrage et jalousie,

Ne rentreront dans mon maudit esprit.

Pourrais-je point obtenir cette grâce ? »

On la lui fait espérer ; non sitôt :

Force est qu’un an dans ce séjour se passe,

Là cependant il aura ce qu’il faut

Pour sustenter son corps, rien davantage

Quelque grabat, du pain pour tout potage,

Vingt coups de fouet chaque jour, si l’abbé

Comme prélat rempli de charité

N’obtient du Ciel qu’au moins on lui remette

Non le total des coups, mais quelque quart,

Voire moitié, voire la plus grand’part.

Douter ne faut qu’il ne s’en entremette,

À ce sujet disant mainte oraison.

L’ange en après lui fait un long sermon.

« À tort, dit-il, tu conçus du soupçon.

Les gens d’église ont-ils de ces pensées ?

Un abbé blanc ! c’est trop d’ombrage avoir ;

Il n’écherrait que dix coups pour un noir.

Défais-toi donc de tes erreurs passées. »

Il s’y résout. Qu’eût-il fait ? cependant

Sire prélat et Madame Féronde

Ne laissent perdre un seul petit moment.

Le mari dit : « Que fait ma femme au monde ?

– Ce qu’elle y fait ? tout bien ; notre prélat

L’a consolée, et ton économat

S’en va son train, toujours à l’ordinaire.

– Dans le couvent toujours a-t-elle affaire ?

– Où donc ? il faut qu’ayant seule à présent

Le faix entier sur soi la pauvre femme

Bon gré mal gré léans aille souvent,

Et plus encor que pendant ton vivant. »

Un tel discours ne plaisait point à l’âme.

Âme j’ai cru le devoir appeler,

Ses pourvoyeurs ne le faisant manger

Ainsi qu’un corps. Un mois à cette épreuve

Se passe entier, lui jeûnant, et l’abbé

Multipliant œuvres de charité,

Et mettant peine à consoler la veuve.

Tenez pour sûr qu’il y fit de son mieux.

Son soin ne fut longtemps infructueux :

Pas ne semait en une terre ingrate.

Pater abbas avec juste sujet

Appréhenda d’être père en effet.

Comme il n’est bon que telle chose éclate,

Et que le fait ne puisse être nié,

Tant et tant fut par sa Paternité

Dit d’oraisons, qu’on vit du purgatoire

L’âme sortir, légère, et n’ayant pas

Once de chair. Un si merveilleux cas

Surprit les gens. Beaucoup ne voulaient croire

Ce qu’ils voyaient. L’abbé passa pour saint.

L’époux pour sien le fruit posthume tint

Sans autrement de calcul oser faire.

Double miracle était en cette affaire

Et la grossesse, et le retour du mort.

On en chanta Te deum à renfort

Stérilité régnait en mariage

Pendant cet an, et même au voisinage

De l’abbaye, encor bien que léans

On se vouât pour obtenir enfants.

À tant laissons l’économe et sa femme ;

Et ne soit dit que nous autres époux

Nous méritions ce qu’on fit à cette âme

Pour la guérir de ses soupçons jaloux.

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