Contes et nouvelles en vers – Tome II

Soyez amant, vous serez inventif :

Tour ni détour, ruse ni stratagème

Ne vous faudront : le plus jeune apprentif

Est vieux routier dès le moment qu’il aime :

On ne vit onc que cette passion

Demeurât court faute d’invention :

Amour fait tant qu’enfin il a son compte.

Certain cuvier, dont on fait certain conte

En fera foi. Voici ce que j’en sais,

Et qu’un quidam me dit ces jours passés.

Dedans un bourg ou ville de province

(N’importe pas du titre ni du nom)

Un tonnelier et sa femme Nanon

Entretenaient un ménage assez mince.

De l’aller voir Amour n’eut à mépris

Y conduisant un de ses bons amis ;

C’est Cocuage ; il fut de la partie ;

Dieux familiers, et sans cérémonie

Se trouvant bien dans toute hôtellerie

Tout est pour eux bon gîte et bon logis

Sans regarder si c’est Louvre ou cabane.

Un drôle donc caressait Madame Anne.

Ils en étaient sur un point, sur un point…

C’est dire assez de ne le dire point,

Lorsque l’époux revient tout hors d’haleine

Du cabaret ; Justement, justement…

C’est dire encor ceci bien clairement.

On le maudit ; nos gens sont fort en peine.

Tout ce qu’on put, fut de cacher l’amant :

On vous le serre en hâte et promptement

Sous un cuvier, dans une cour prochaine.

Tout en entrant l’époux dit : « J’ai vendu

Notre cuvier. – Combien ? dit Madame Anne.

– Quinze beaux francs. – Va tu n’es qu’un gros âne

Repartit-elle : et je t’ai d’un écu ; ;

Fait aujourd’hui profit par mon adresse,

L’ayant vendu six écus avant toi.

Le marchand voit s’il est de bon aloi,

Et par dedans le tâte pièce à pièce,

Examinant si tout est comme il faut,

Si quelque endroit n’a point quelque défaut.

Que ferais-tu malheureux sans ta femme ?

Monsieur s’en va chopiner, cependant

Qu’on se tourmente ici le corps et l’âme :

Il faut agir sans cesse en l’attendant.

Je n’ai goûté jusqu’ici nulle joie :

J’en goûterai désormais, attends-t’y.

Voyez un peu, le galant a bon foie :

Je suis d’avis qu’on laisse à tel mari

Telle moitié. – Doucement notre épouse,

Dit le bon homme. Or sus Monsieur, sortez

Çà que je racle un peu de tous côtés

Votre cuvier, et puis que je l’arrouse.

Par ce moyen vous verrez s’il tient eau,

Je vous réponds qu’il n’est moins bon que beau. »

Le galant sort ; l’époux entre en sa place,

Racle partout, la chandelle à la main,

Deçà delà, sans qu’il se doute brin

De ce qu’Amour en dehors vous lui brasse :

Rien n’en put voir ; et pendant qu’il repasse

Sur chaque endroit, affublé du cuveau,

Les dieux susdits lui viennent de nouveau

Rendre visite, imposant un ouvrage

À nos amants bien diffèrent du sien.

Il regratta, gratta, frotta si bien,

Que notre couple, ayant repris courage,

Reprit aussi le fil de l’entretien

Qu’avait troublé le galant personnage

Dire comment le tout se put passer,

Ami lecteur, tu dois m’en dispenser :

Suffit que j’ai très bien prouvé ma thèse.

Ce tour fripon du couple augmentait l’aise.

Nul d’eux n’était à tels jeux apprentif.

Soyez amant, vous serez inventif.

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