Dimitri Roudine

Chapitre 8

 

Le lendemain, qui était un dimanche, Natalie se leva un peutard. Elle avait été très silencieuse la veille ; ses larmeslui faisaient secrètement honte et elle avait mal dormi. Assise àdemi vêtue devant son petit piano, elle resta longtemps immobile,effleurant parfois les touches de l’instrument, mais assezdoucement pour ne pas réveiller mademoiselle Boncourt ; oubien, appuyant son front sur l’ivoire glacé du clavier, elle selivrait tout entière à sa rêverie, ne songeant pas tant à Roudinelui-même qu’à certaines paroles qu’il avait prononcées. Volinzoffse présentait parfois à son souvenir. Elle s’avouait qu’ill’aimait ; mais elle l’éloignait aussitôt de sa pensée. Ellese sentait prise d’une agitation étrange. Elle s’habilla à la hâte,descendit pour souhaiter le bonjour à sa mère et profita du loisirqui lui restait pour aller seule au jardin.

La journée était chaude, claire et radieuse malgré la pluie quitombait par intervalles. Les nuages bas et vaporeux passaientlégèrement dans le ciel bleu sans pourtant obscurcir lesoleil ; de brusques et passagères ondées ruisselaient sur leschamps. De grosses gouttes brillantes se succédaient rapidementavec un bruit sec, comme le ferait une averse de diamants ; lesoleil se jouait à travers leurs réseaux étincelants et l’herbe,que le vent faisait ondoyer un instant auparavant, avait cessé defrissonner pour aspirer avidement l’humidité ; les arbreschargés de pluie frémissaient avec langueur de toutes leursfeuilles ; les oiseaux poursuivaient leurs chansons, et leursgazouillements babillards se mêlaient au bruit sourd et au murmurefrais de l’averse qui s’éloignait. Les routes couvertes depoussière laissaient échapper une légère vapeur et les gouttesd’eau rapprochées les bigarraient de capricieux dessins. Puis, dansun moment, le nuage se dissipe, un petit vent s’élève, l’herbecommence à se nuancer d’or et d’émeraude en se courbant au soufflede l’air. Les feuilles collées par l’humidité deviennent de plus enplus transparentes. Une senteur pénétrante s’échappe de toutesparts…

Le ciel était presque éclairci quand Natalie entra dans lejardin. La fraîcheur et le calme y régnaient, ce calme paisible etheureux auquel le cœur de l’homme répond par la douce langueurd’une sympathie mystérieuse et par de vagues désirs.

Au moment où Natalie traversait une longue allée de peupliersargentés qui bordaient l’étang, elle vit apparaître Roudine devantelle comme s’il sortait tout à coup de la terre. Elle se troubla.Il fixa ses yeux sur ceux de la jeune fille et lui dit :

– Vous êtes seule ?

– Oui, je suis seule, répondit Natalie. Je ne suis du restesortie que pour une minute ; il est temps que je rentre.

– Je vous accompagnerai.

Et il se mit à marcher à ses côtés.

– Vous me semblez triste, ajouta-t-il après un courtsilence.

– Moi… Cela est singulier ! J’allais vous adresser la mêmequestion. Je vous trouve un air mélancolique.

– C’est possible… Cela m’arrive. Mais on le comprend mieux chezmoi que chez vous, Natalie.

– Pourquoi cela ? Pensez-vous que je n’aie aucune raisond’être triste ?

– À votre âge on doit jouir de la vie.

Natalie fit quelques pas en silence.

– Dimitri Nicolaïtch ! dit-elle.

– Que me voulez-vous ?

– Vous rappelez-vous la comparaison que vous avez faite hier àpropos d’un chêne ?

– Oui, je me la rappelle. Mais pourquoi cette question ?Natalie lui jeta un regard à la dérobée.

– Pourquoi avez-vous… Que vouliez-vous dire par cettecomparaison ? Roudine baissa la tête et laissa errer sesregards au loin.

– Natalie Alexéiewna, commença-t-il avec cette expressioncontenue et significative qui lui était habituelle et qui faisaittoujours croire à son auditeur qu’il ne livrait que la dixièmepartie de ce qui oppressait son âme, Natalie Alexéiewna, vous avezremarqué que je parle fort peu de mon passé. Il y a certainescordes que je n’aime point à faire vibrer. Mon cœur… qui donc abesoin de savoir ce qui s’y passe ? L’exposer à des regardsindifférents m’a toujours semblé un sacrilège. Mais avec vous jesuis sincère, vous avez éveillé ma confiance… Je ne veux pas vouscacher que j’ai aimé et souffert comme tout le monde… Quand etcomment ? Peu importe ! mais mon cœur a éprouvé degrandes joies et de grandes douleurs.

Roudine s’arrêta un instant.

– Ce que je vous ai dit hier, continua-t-il, peut, dans masituation actuelle, se rapporter à moi jusqu’à un certain point.Mais, encore une fois, ce n’est pas la peine d’en parler. Ce côtéde la vie a déjà disparu pour moi. Il ne me reste plus à présentqu’à me traîner, de relais en relais, sur des chemins déserts etcouverts de poussière, dans une méchante téléga[11] quicahote. Où arriverai-je, si jamais j’arrive ? Dieu le sait…Parlons plutôt de vous. – Il n’est pas possible, DimitriNicolaïtch, interrompit Natalie, que vous n’attendiez plus rien dela vie. – Vous avez raison, et j’en attends en effet beaucoup, maisnon pour moi… Je ne renoncerai jamais à l’activité, au bonheurd’agir, mais je renonce à la jouissance. Mes espérances et mespropres joies n’ont plus rien de commun. L’amour… (à ce mot ilhaussa les épaules), l’amour n’est pas fait pour moi ; je nele mérite pas ; la femme qui aime a le droit d’exiger quecelui qu’elle choisit soit à elle tout entier et je ne peux plus medonner sans réserve. De plus, plaire appartient à la jeunesse et jesuis trop vieux. Est-ce bien à moi de faire tourner destêtes ? Dieu veuille que je garde la mienne sur mesépaules ! – Je comprends que celui qui marche vers un butélevé n’ait pas le loisir de penser à lui-même, réponditNatalie ; mais les femmes ne sont-elles pas capablesd’apprécier de pareils hommes ? Il me semble, au contraire,qu’elles se détournent vite de l’égoïste… Les jeunes gens, selonvous, sont tous des égoïstes ; ils ne pensent qu’à eux seuls,même lorsqu’ils aiment. La femme, croyez-moi, n’a pas seulement lafaculté de comprendre les sacrifices : elle sait aussi se sacrifierelle-même. Les joues de Natalie s’étaient légèrement empourprées,ses yeux brillaient. Avant d’avoir fait la connaissance de Roudine,elle n’aurait jamais pu prononcer un aussi long discours ni parleravec tant de feu. – Vous avez plus d’une fois entendu mon avis surle rôle des femmes, répliqua Roudine avec un sourire indulgent.Vous savez que, selon moi, Jeanne d’Arc seule pouvait sauver laFrance… Mais il ne s’agit pas de cela. Vous vous trouvez sur leseuil de la vie… Il est doux de raisonner sur votre avenir, et cene sera peut-être pas sans fruit. Écoutez-moi, je suis votre ami,vous le savez ; je vous porte un intérêt plus vif que sij’étais simplement votre parent… C’est pourquoi j’espère que vousne jugerez pas ma question indiscrète. Dites-le moi, votre cœura-t-il toujours été complètement calme ? Natalie rougitjusqu’au blanc des yeux et ne répondit pas. Roudine s’arrêta etelle en fit autant. – Est-ce que vous vous fâchez contre moi ?lui demanda-t-il. – Non, mais je ne m’attendais pas du tout… –D’ailleurs, continua Roudine, vous pouvez ne pas répondre. Jeconnais votre secret. Natalie le regarda d’un air presqueépouvanté. – Oui… oui, je sais celui qui vous plaît – et, je doisle dire – vous ne pouviez faire un meilleur choix. C’est un hommeexcellent ; il saura vous apprécier ; il n’a pas ététrahi par la vie… c’est une âme simple et sereine… Il fera votrebonheur. – De qui parlez-vous, Dimitri Nicolaïtch ? – Ne lesavez-vous pas ? De Volinzoff, bien entendu. Comment ? Meserais-je trompé ? Natalie s’était un peu détournée deRoudine. Elle était tout éperdue. – Ne vous aimerait-il pas ?Allons donc, il ne vous quitte pas des yeux, il suit chacun de vosmouvements. Et puis, est-il possible de cacher l’amour ?Vous-même, n’êtes-vous pas bien disposée pour lui ? Autant quej’ai pu le remarquer, il plaît aussi à votre mère… Votre choix… –Dimitri Nicolaïtch ! interrompit Natalie toute troublée, enétendant la main vers un buisson voisin, il m’est vraiment péniblede traiter ce sujet, mais je vous assure que vous vous trompez. –Je me trompe ! répéta Roudine, oh ! je ne le pense pas.Il n’y a pas longtemps que j’ai fait votre connaissance, mais jevous connais fort bien. Que signifie ce changement que je vois envous, que je vois clairement ? Pourriez-vous dire que vousêtes telle que je vous ai trouvée il y a six semaines ?… Non,Natalie, votre cœur n’est plus aussi tranquille. – C’estpossible ! répondit la jeune fille d’une voix à peineintelligible, et pourtant vous vous trompez. – Comment cela ?demanda Roudine. – Laissez-moi, ne me questionnez pas… repritNatalie en se dirigeant vers la maison d’un pas rapide. Elle étaitterrifiée elle-même du sentiment qui s’était tout à coup éveillédans son cœur. Roudine la rejoignit et l’arrêta. – Natalie !dit-il, cette conversation ne peut se terminer ainsi ; elleest trop importante pour moi… Comment dois-je vouscomprendre ? – Laissez-moi, répéta Natalie. – Natalie, pourl’amour de Dieu ! Le visage de Roudine exprimait l’émotion laplus vive ; la pâleur couvrait son front. – Vous qui compreneztout, vous devez aussi me comprendre, dit Natalie, et elle retirasa main et s’éloigna sans regarder derrière elle. – Un seul mot,lui cria Roudine. Elle s’arrêta, mais ne se retourna pas. – Vousm’avez demandé ce que je voulais dire par la comparaison d’hier.Sachez-le donc, je ne veux pas vous tromper. Je parlais demoi-même, de mon passé et de vous. – Comment… de moi ? – Oui,de vous ; je le répète, je ne veux pas vous tromper… Voussavez maintenant à quel sentiment nouveau je faisais allusion… Jene me suis jamais hasardé avant ce jour… Natalie avait subitementcouvert son visage de ses mains et s’était enfuie vers la maison.Elle était si saisie du dénouement inattendu de sa conversationavec Roudine quelle ne remarqua pas Volinzoff près duquel elleavait passé en courant. Il était immobile, le dos appuyé contre unarbre. Arrivé depuis un quart d’heure chez Daria Michaëlowna, ill’avait trouvée au salon, lui avait dit deux mots, puis s’étaitesquivé sans qu’elle s’en aperçut et s’était mis à la recherche deNatalie. Avec l’instinct particulier aux amoureux, il était allédroit au jardin où il avait aperçu Roudine et Natalie au momentmême où celle-ci lui retirait sa main. Volinzoff fut pris d’unvertige. Suivant Natalie du regard, il quitta son arbre et fitquelques pas, sans savoir où il allait, ni ce qu’il voulait.Roudine l’avait vu et s’était approché de lui. Ils se regardèrentfixement, se saluèrent et se séparèrent en silence. « Cela ne peutse terminer ainsi », avaient-ils pensé tous les deux. Volinzoffs’enfonça dans les profondeurs du jardin. Il était à la foisdésespéré et morne. Il y avait comme du plomb sur son cœur et puis,tout à coup, une violente colère faisait bouillonner le sang dansses veines. La pluie recommençait à tomber. Roudine était retournédans sa chambre. Il n’était pas tranquille non plus : ses penséess’agitaient comme dans un tourbillon. Quel homme ne serait pastroublé, en effet, par le contact inattendu et confiant d’une jeuneâme honnête ? Les choses allèrent assez mal pendant le dîner :Natalie était très pâle ; elle se tenait à peine sur sa chaiseet ne levait pas les yeux. Volinzoff était assis à côté d’elle,comme d’habitude, et s’efforçait par moments de causer. Il setrouva que Pigassoff dînait ce jour-là chez Daria Michaëlowna etqu’il parlait plus que tous les autres. Il se mit à démontrer,entre autres choses, qu’on pouvait partager les hommes en deuxcatégories comme les chiens : les hommes à oreilles courtes et leshommes à oreilles longues. Les hommes ont les oreilles courtes,disait-il, soit de naissance, soit par leur propre faute. Dans lesdeux cas, ils sont à plaindre, car rien ne leur réussit. Ils n’ontpas confiance en eux-mêmes. Mais celui qui possède des oreilleslongues et bien fournies est un homme heureux. Il peut être plusmauvais ou plus faible qu’un homme à oreilles courtes, mais il aconfiance en lui-même. Il dresse les oreilles, tous l’admirent.Moi, continua-t-il avec un soupir, j’appartiens à la catégorie desoreilles courtes et, ce qu’il y a de plus irritant, c’est que je meles suis coupées moi-même. – Ceci, interrompit négligemmentRoudine, revient à dire une chose qui, du reste, a été dite enmoins de mots par La Rochefoucauld longtemps avant vous : « Aieconfiance en toi-même et les autres croiront en toi ». Je necomprends pas la nécessité de faire intervenir les oreilles danstout cela. – Permettez à chacun, riposta Volinzoff d’un ton incisifet les yeux injectés de sang, permettez à chacun de s’exprimercomme il l’entend. On discute sur le despotisme… Rien n’est plusodieux, selon moi, que le despotisme des soi-disant gens d’esprit.Que le diable les emporte ! Cette sortie de Volinzoff étonnatout le monde ; personne ne dit mot. Roudine lui jeta un coupd’œil à la dérobée, mais sans soutenir le regard de sonrival ; il se détourna, sourit et n’ouvrit plus la bouche. –Eh ! eh ! toi aussi tu as les oreilles courtes, pensaPigassoff. Natalie se sentait défaillir de peur. Daria regardalongtemps Volinzoff d’un air surpris et fut la première à reprendrela conversation. Elle entama un récit à propos d’un chienextraordinaire qui appartenait à son ami le ministre N*** N***.Volinzoff se retira peu de temps après le dîner. En saluantNatalie, il ne put s’empêcher de lui dire : – Pourquoi avez-vous lacontenance troublée d’un coupable ? Vous ne pouvez êtrecoupable vis-à-vis de personne… Natalie n’avait rien compris etl’avait seulement suivi des yeux. Roudine s’approcha d’elle avantle thé et, se penchant sur la table comme s’il parcourait lejournal, lui dit à demi-voix : – Tout cela ressemble à un rêve,n’est-ce pas ? Il est indispensable que je vous voie seule… nefût-ce que pour un instant. Il se retourna vers mademoiselleBoncourt : Voici le feuilleton que vous cherchiez, lui dit-il.Puis, se penchant de nouveau vers Natalie, il continua toujours àvoix basse : Tâchez d’être vers dix heures auprès de la terrasse…dans le bosquet de lilas. Je vous y attendrai… Pigassoff fut lehéros de la soirée. Roudine lui avait abandonné le champ debataille. Il commença d’abord à parler d’un de ses voisins etdivertit beaucoup Daria en lui racontant que ce voisin s’étaittellement efféminé en vivant trente ans sous les cotillons de safemme, qu’un jour, au moment de traverser une mare, lui, Pigassoff,l’avait vu porter sa main par derrière et retrousser les pans deson habit, comme les femmes retroussent leurs jupes. Après cela, iltomba sur un autre propriétaire qui avait été d’abord franc-maçon,puis misanthrope, et qui voulait maintenant se faire banquier. Maisc’est lorsque Pigassoff se mit à disserter sur l’amour quel’hilarité de Daria Michaëlowna fut excitée au plus haut point. Ilassura qu’on avait aussi soupiré pour lui et qu’une Allemande àpassions ardentes l’avait appelé son petit Africain appétissant etlangoureux. Daria Michaëlowna se mit à rire. Pigassoff pourtant nementait pas, il avait réellement le droit de se vanter de sessuccès. Il affirma que rien n’était plus facile que de se faireaimer de la première femme venue ; on n’avait qu’à lui répéterpendant dix jours de suite que le paradis était sur ses lèvres etla béatitude dans ses yeux, et qu’auprès d’elle toutes les autresfemmes n’étaient que de vrais laiderons, pour qu’elle se ditelle-même, le onzième jour, que le paradis était sur ses lèvres etla béatitude dans ses yeux, et qu’elle s’éprit de celui qui avaitdécouvert en elle tant de jolies choses. Tout arrive en cemonde ; Pigassoff avait peut-être raison. Qui le sait ?Roudine était dans le bosquet à neuf heures et demie. Les étoilesvenaient seulement d’apparaître dans les pâles et lointainesprofondeurs du ciel ; il y avait encore des traces de feu àl’occident, et l’horizon s’y dessinait plus net et plus pur. Lecroissant de la lune brillait comme de l’or à travers le réseaunoir des bouleaux touffus. Les arbres environnants s’élevaientcomme de mornes géants avec mille éclaircies pareilles à des yeux,ou bien ils se confondaient en une masse sombre et serrée. Pas unefeuille ne s’agitait ; les hautes branches de lilas et desacacias s’allongeaient dans l’air tiède comme si elles prêtaientl’oreille à quelque voix secrète. La maison projetait son ombre surle sol et ses longues fenêtres éclairées tranchaient sur le fondobscur en taches rougeâtres. La soirée était paisible etsilencieuse ; on eût dit qu’une aspiration contenue etpassionnée s’exhalait mystérieusement de ce silence même. Roudineétait debout, les bras croisés sur sa poitrine ; il écoutaitavec une attention extrême. Son cœur battait avec force et ilretenait involontairement son haleine. Des pas légers et rapides sefirent enfin entendre et Natalie entra dans le bosquet. Roudine seprécipita au-devant d’elle et lui prit les deux mains. Ellesétaient aussi froides que la glace. – Natalie Alexéiewna, dit-ild’une voix sourde et émue, j’ai voulu vous voir… je ne pouvais pasattendre jusqu’à demain. Il faut que je vous dise ce que je nesoupçonnais pas, ce dont je ne me doutais même pas ce matin : jevous aime ! Les mains de Natalie avaient faiblement tressaillidans les siennes. – Je vous aime ! répéta-t-il. Je ne saiscomment j’ai pu me tromper aussi longtemps… comment je n’ai pasdeviné plus tôt que je vous aimais… Et vous ?… Natalie,répondez-moi… Et vous ? Natalie respirait à peine. – Vousvoyez que je suis venue, dit-elle enfin. – Dites, dites,m’aimez-vous ? – Il me semble que… oui… murmura-t-elle.Roudine lui serra encore les mains avec plus de force et voulutl’attirer à lui… Natalie jeta rapidement un coup d’œil autourd’elle. – Laissez-moi, j’ai peur, il me semble que quelqu’un nousécoute… Soyez prudent, pour l’amour de Dieu… Volinzoff se doute… –Que Dieu le bénisse ! vous voyez bien que je ne lui ai mêmepas répondu aujourd’hui… Ah ! Natalie, que je suisheureux ! Maintenant rien ne pourra plus nous séparer !Natalie leva ses yeux vers le ciel. – Laissez-moi, murmurait-elle,il est temps… – Un instant encore ! – Non, laissez,laissez-moi… – Est-ce que je vous fais peur ? – Non, mais jene dois pas rester. – Répétez au moins encore une fois… – Vousdites que vous êtes heureux ? demanda Natalie. – Oui, je suisl’homme le plus heureux du monde. Pouvez-vous en douter ?Natalie avait relevé la tête. Son pâle visage, si jeune, si nobleet si ému, était bien beau à voir ainsi à la faible clarté quitombait du ciel nocturne à travers les ténèbres mystérieuses dubosquet. – Sachez-le donc, dit-elle : Je serai votre femme. – ÔDieu ! s’écria Roudine. Mais Natalie avait déjà fui. Roudines’arrêta un instant puis il quitta lentement le bosquet. La lunedonnait en plein sur son visage ; un sourire plissait seslèvres. – Je suis heureux, dit-il à demi-voix. Oui, je suisheureux, répéta-t-il, comme s’il désirait se le persuader àlui-même. Il s’était redressé, avait rejeté ses cheveux en arrièreet s’était mis à marcher rapidement en agitant joyeusement sesbras. À ce moment les branches s’entrouvraient dans le bosquet delilas et Pandalewski se montrait. Il regarda avec précaution autourde lui, hocha la tête, pinça ses lèvres et dit d’une manièresignificative : « Oh ! c’est ainsi ! Il faut en prévenirDaria ». Et il disparut.

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