Fantômes et Fantoches

V

La guérison d’Hermann était rapide. Dès que lasanté réapparut à son visage, dès qu’il eut quitté son masque demoribond et cessé d’être un objet d’effroi, il dépêcha Smaragd verssa fille. Et Hilda Spirocelli lui tenait maintenant compagnie,tandis que le serviteur accueillait de nouveau dans la boutiqueélégants et infirmes. Les courtiers montaient dans la chambre àcoucher et le lapidaire concluait des marchés dans la pompe de sonlit à colonnes. Seuls, les étrangers se trouvaient implacablementévincés ; on ne visiterait pas les collections tant que lemaître demeurerait incapable de les présenter lui-même.

Smaragd se plongeait dans les réflexions lesplus subtiles sur les événements récents. Il causait, pesait,empaquetait, recevait l’argent avec l’activité d’un vendeuraccompli, mais il dut souvent causer mal, peser faux, empaqueterpeu solidement, demander et recevoir des prix fantaisistes, carsans cesse il pensait aux rubis, et sa croyance de les avoir vusroses et de ne point s’être trompé, se confirmait davantage àmesure qu’il se retraçait la scène. Alors, il fallait décider queces pierres changeaient de couleur selon l’état de leurpropriétaire, par sympathie, comme l’opale et la turquoise, ou bienqu’elles ne revêtaient leur splendeur suprême qu’en la présenced’Hermann, et, dans ce cas, cela tenait de la magie. L’une des deuxsolutions s’imposait et Smaragd attendait que le sort justifiâtsoit l’une, soit l’autre, ou bien laissât, comme il était probable,la question sans réponse.

Au-dessus de cette angoisse boutiquière,Hermann se complaisait en l’intimité reconquise de sa fille.Aussitôt que le départ d’un courtier les laissait seuls, Hildacontait dans le cher langage d’Allemagne les nouvellesintéressantes descendues de la noblesse ou montées du peuple verselle, et les caquets de son entourage bourgeois. Ce babillagefrivole distrayait le vieillard ; après tant de travauxobstinés et de secousses, il éprouvait un repos délicieux à pensertout simplement que les époux Malatesta, toujours ennemis, avaientprocédé en pleine rue à l’escarmouche la plus réjouissante ;que la famille des Salvaggi logeait à présent dans son palais neuf,et que l’ancien venait d’être acheté par un étranger. Et de tempsen temps, il posait à sa fille des questions afin d’encourager saloquacité et lui donner comme un élan nouveau.

– Qui donc possède maintenant le palaisdes Salvaggi ?

– Père, c’est, je crois, un Vénitien. Ils’appelle le comte Pisco, mais il n’a, dit-on, que le titred’écuyer ; ce n’est pas lui qui doit habiter le palais.

– Et son maître, le connaît-on ?

– Non, mais je le devine opulent etdélicat, aux splendeurs qui meublent déjà son logis. Il y a dans leport une gabare chargée de tapisseries éclatantes, de dressoirsminutieusement sculptés, d’objets gracieux et rares, et le bateause vide promptement, tandis que la vieille demeure s’emplit de lacargaison royale. Par les fenêtres ouvertes, j’ai pu regarder cesrichesses, et quand la façade hautaine du palais m’est apparue denouveau, mes yeux encore émerveillés ont cru voir une masure.

« Il faut que j’apprenne quel est ceseigneur, car nous ne saurions trop connaître les gens qui nousfréquentent ; et sûrement celui-ci fera mainte emplette chezvous, mon père, et chez Danielo. L’insolvabilité se cache parfoissous des dehors pompeux…

Hermann eut un froncement bref dessourcils : Hilda, sous l’influence de son mari, devenait âpreau gain, et cela s’accordait mal avec les idées généreuses de sonpère. Elle lui laissa voir ce penchant plus clairement encore, lelendemain.

Ce jour-là, tout essoufflée, elle se précipitadans la chambre d’Hermann, et, dès l’entrée, lui dit :

– Réjouissez-vous, mon père, laProvidence nous favorise : le palais Salvaggi loge la richesseet la coquetterie, c’est une femme qui l’habite. Et quellefemme ! Mon père, on raconte qu’elle a été chassée de Venisepour excès de parure ! Là-bas, les lois somptuaires sont,paraît-il, inexorables, et comme, malgré leur défense, la marquiseAngela Calderini s’obstinait à porter des perles, le provéditeur auluxe l’a exilée. Elle est arrivée hier au soir, et déjà le vieuxpalais s’anime pour des bals et des réjouissances. L’esprit dufaste se serait abattu sur la Ville que nous n’aurions pas lieud’être satisfaits davantage, car les Génoises voudront rivaliser desplendeur avec la Vénitienne, et les orfèvres se féliciteront de ceque la lutte des deux cités prenne pour théâtre les salles de fêteset non plus la mer.

– Ma chère enfant, nous sommes parmi lesplus fortunés… répliqua Hermann. Ton avidité est doncinsatiable ? Les bénéfices que tu supputes dans ton avaricesont chimériques, car Gênes est encore très hostile à Venise, etpeut-être la signora Calderini passera-t-elle pour une espionnedont chacun s’écartera… et puis, profiter de la corruption d’uneville pour s’enrichir, serait-ce une action d’éclat ? Et nevaudrait-il pas mieux pour la République abriter encore la guerrecivile et la peste, plutôt que la débauche et la marquiseCalderini ?… Elle est sans doute très belle ?

– Non, mon père, je l’ai aperçue tout àl’heure à sa terrasse. Ses cheveux roux, humides de teinture etrépandus sur ses épaules, séchaient au soleil. C’était un spectacleanormal pour les Génois et les passants s’arrêtaient pour laregarder. Elle, insouciante, les regardait aussi. Les femmes latrouvaient presque laide, mais les hommes l’admiraient sansréserve.

– Je la déteste d’avance, fit Hermann, etje souhaite ardemment – comme je le pressens, d’ailleurs – quecette nouvelle venue soit une aventurière dont la Ville fassejustice.

La prévision de l’austère vieillard ne seréalisa qu’à demi et de la façon qui pouvait le moins contenter sondésir de vertu et d’équité :

La population génoise fut bientôt persuadéequ’Angela Calderini n’était qu’une aventurière, mais malgré desaccusations, du reste incertaines et sans preuve, les portes detous les palais s’ouvrirent devant son sourire et l’on eût dit quechacun s’efforçait de faire oublier à cette souveraine du plaisirles attaques dont la foule seule devait être responsable.

Hilda Spirocelli ne parlait plus maintenantque de la marquise. Cet événement prolongé noyait les incidentsquotidiens, et le lapidaire, de plus en plus vaillant, écoutait bongré mal gré cent anecdotes dont la Vénitienne était l’héroïne. Maisles récits de la jeune Allemande rapportaient fort inexactement larumeur publique. Hilda l’expurgeait avec soin, voulant amener sonpère à juger plus favorablement la riche prodigue, afin qu’il lareçût dans sa maison et tirât de sa coquetterie de grandes sommesd’argent.

Elle évoqua pour le convalescent les soupersféeriques dans les parcs illuminés, au son des orchestres, lescroisières nocturnes des barques enguirlandées de lanternes, lescavalcades par la campagne sur des haquenées espagnoles, pomponnéesà la madrilène et tintinnabulantes, les joyeuses charges derrièrele vol inexorable des faucons, et surtout les fêtes un peucérémonieuses et guindées que les nobles et le doge, « oui,mon père, le doge lui-même », avaient offertes à la signoraCalderini.

Que cette folle affichât imprudemment desallures et des goûts trop vénitiens, ce qui ressemblait à uneprovocation ; que Pietro Pisco, son prétendu cousin, occupâtauprès d’elle une fonction louche ; que la provenance de leursressources fût inconnue, peu importait à Hilda. L’essentiel étaitque leurs dépenses fussent nombreuses et soldées exactement, enbons écus sonores.

Angela étant allée choisir quelques bijouxparmi ceux de Spirocelli, ce fut une nouvelle occasion pour lelapidaire d’entendre louer celle qu’il persistait à mépriser, et safille s’employa si bien à la réussite de son projet, qu’ellearracha au vieillard ébranlé la promesse d’accueillir au milieu deses pierreries la marquise Calderini.

Il était temps. Hermann reprit son existencecoutumière, et par les entretiens dont la boutique résonnaitconstamment, il connut ce que sa fille lui avait tu, et, créduleaux bavardages parce qu’ils abondaient dans le sens de sonaversion, certain qu’Angela et Pietro Pisco ne devaient leuropulence qu’à des forfaits, il eut besoin de se rappeler la foijurée pour se résoudre à les laisser venir.

Vers le milieu du jour fixé pour l’entrevue,Smaragd prévint son maître de l’approche d’une troupe, sans doutel’escorte de la Vénitienne.

Hermann s’avança jusqu’à la porte pouraccueillir la visiteuse et vit un nombreux cortège venir à lui dansle chatoiement des étoffes et le bourdonnement des voix ; celafaisait comme un flot houleux de plumes, de feutres et de soies, oùse balançait une sorte de bateau.

La signora Angela Calderini, en effet,inaugurait une nouvelle extravagance, et sa litière avait la formed’une gondole. L’avant redressait comme une fière encolure sa lamed’acier flamboyant au soleil, et le felze déployait une tellemagnificence que les magistrats de la Sérénissime Républiquen’eussent certainement pas laissé voguer sur l’Adriatique cepavillon d’une richesse effrontée. De gros pompons d’or tournaienten guirlandes sur le toit, dégringolaient en suivant les angles descôtés et couraient au long du bordage ; la tente était desatin pourpre à reflets vermeils, et l’écusson portait, comme undéfi suprême aux Génois, le lion de Saint-Marc, l’aile haute et lagriffe sur les lois. De la poupe à la proue, des fleursdiscordantes emplissaient la nacelle, et, sous la coque, unemultitude d’écharpes bigarrées entrelaçaient l’infinité descouleurs. Huit porteurs érigeaient sur leurs épaules cet arrogantvéhicule, et le lapidaire put s’imaginer que l’arche du dieuMauvais-Goût s’arrêtait devant lui.

Attirés par cette procession inusitée, destêtes apparurent à toutes les lucarnes, visages amusés de femmes etfigures d’hommes renfrognées par la vue de cet appareil hostile àleurs sentiments.

La gondole sombra dans un remous de la foule.De jeunes seigneurs aux noms historiques, plaisamment respectueux,balayèrent, de la litière au seuil, le pavé, et firent voler lapoussière au vent de leurs panaches. Les porteurs, ayant tiré lesrideaux de la caponera, laissèrent tomber le marchepied, et AngelaCalderini descendit les degrés comme ceux d’un trône. Elle s’arrêtasur l’avant-dernier afin que sa camériste pût la chausser desocques à la vénitienne, puis, gênée par cette rallongedisgracieuse cachée sous la longue jupe, l’air d’une impotentedisproportionnée, cheminant clopin-clopant, la main aux épaules dedeux jeunes hommes, elle approcha lentement d’Hermann sa beautégrasse et souriante, vêtue d’écarlate selon la préférence de sescompatriotes.

D’une patricienne de Venise, elle possédaittout ce que l’argent, l’art et la patience pouvaient acquérir. Elleportait l’accoutrement des femmes nobles ; comme les leurs, sachevelure devait à l’artifice ses reflets de cuivre rouge ;elle avait pris leurs allures ; et son teint même, son teintblafard de recluse épaissie, rappelait, sous le même éclatemprunté, celui des dogaresses qui s’ennuyaient ducalement toute lavie à l’ombre des palais ou des gondoles closes, et qui, sur lesterrasses où leurs cheveux se teignaient de soleil, préservaientl’aristocratique pâleur sous la visière d’une solana.

Mais à travers ces charmes, ou du moins cesdehors commandés par le caprice du moment, un être populaciertransparaissait, pour certains yeux, aux lignes sans pureté duprofil, aux doigts plébéiens dans leurs bagues et sous le point deVenise ; et le vieux lapidaire, mal prévenu par ses penchantssecrets, se plut à croire que la rouée commère formulait ensoi-même des pensées vulgaires dans un jargon de batelier.

Voilà comment Hermann la jugeait.

Mais les courtisans d’Angela, s’étant proposéun idéal plus convenable à leur âge que celui d’un septuagénaire,n’avaient garde de détériorer par trop de réflexions cette agréablepoupée ajustée selon leur gré d’un bonnet à oreillons et d’une robede brocart trop chaude dont un vertugadin en cloche soutenait lesplis roides. Le corselet pointant bas et décolleté de même encarré, la boursouflure des manches, tout en elle – jusqu’au couteaude cuisine, d’or incrusté d’émaux, qui pendait à sa ceinture, commeil était d’usage en la ville de San Marco pour désigner lesménagères entendues – tout leur plaisait infiniment.

Ces modes s’accordaient du reste à souhaitavec la créature qui les avait adoptées ; son pouvoir deséduction s’en trouvait doublé, et c’était là un grand bonheur pourAngela Calderini, car beaucoup de femmes de bonne volonté ontignoré l’amour à cause que les costumes de leur époque leshabillaient mal.

Hermann connaissait de longue date lescavaliers de la dame. L’un d’eux, Mario Cibo, la lui nomma, et, enphrases recherchées, pria le lapidaire de permettre à Phœbé l’accèsdu firmament étoilé, gageant que ses pierres s’éteindraient dedépit au regard stellaire d’Angela ; puis, désignant unemanière de séraphin accommodé luxueusement, dont l’habit seulprouvait le sexe, et qui servait d’étançon à cette splendeurtrébuchante, il dit que c’était là le comte Pietro Pisco, cousin etsigisbée de la marquise.

Impassible, mais heureux à part soi que lavisiteuse peu souhaitée n’eût pour la devancer qu’un héraut deparole fade et banale, Hermann fit un geste de réception, et lapetite cour entra derrière sa reine, dont la porte basse courbal’édifice chancelant.

Comme il y avait affluence, on proposa aulapidaire d’ouvrir toutes les chambres à la fois et Hermann yconsentit parce qu’il y avait affluence de gens de qualité.

Smaragd saisit alors le moment où son maîtrese tenait dans la grande salle, et se glissa jusqu’au cabinet desrubis : leur éclat était insoutenable et du rouge le plusfranc. Voilà qui réduisait à néant la deuxième conjecture duvalet : la couleur plus ou moins vive des joyaux ne dépendaitpas de la présence ou de l’absence d’Hermann. Smaragd se souvintalors d’une contre-épreuve qui acheva de le convaincre : dansla main même du lapidaire, le matin de sa crise, le dixième rubisavait lancé des éclairs jaunâtres.

Ces faits écartaient pour l’esprit de Smaragdtoute prévention de sorcellerie. Transporté de joie, soulagé desoupçons, il regagna sa boutique où des freluquets menaient grandtapage.

Pendant que Mario Cibo faisait, parfanfaronnade et sur les instances de moqueurs, l’emplette d’uneboucle ornée de jaspe, stimulant les orateurs, Angela Calderinigoûtait l’enivrement d’un capitaine au milieu d’un arsenal.

Pour admirer plus à son aise, elle avaitquitté ses hautes sandales, et maintenant, petite, alerte, relevantsa robe traînante, elle allait, avec des cris de passion, vers lesbijoux séducteurs, abandonnait le rational d’Aaron pour courir auxfétiches, puis s’élançait vers l’exaspération d’un cristal plusvoyant. Chaque pierre fut proclamée la plus belle ; c’étaientdes compliments aux saphirs, des baisers aux douces perles défenduesur les lagunes, et ne voyant là, au mépris des classifications,que flammes et colifichets, la coquette avoua si franchement sonvice effréné, qu’Hermann se dérida.

L’animosité qu’il avait contre Angelas’évanouit insensiblement, à cause, pensait-il, de leur amourcommun pour les pierres précieuses, et peut-être… à cause du charmeinexplicable de la Vénitienne. Mais cette dernière considérationéchappa tout entière à la perspicacité du vieillard. La puissanceopérait sans qu’il s’en doutât, aussi n’en put-il démêler la natureet juger que, contre toute apparence, la force de cette femmen’était fondée sur aucun artifice, qu’elle était irrésistible ets’appelait la Jeunesse.

Or, s’il avait compris ses sentiments, Hermannles eût laissé grandir, car la grâce de la jeune femme n’éveillaitpoint en lui de transports virils et honteux, mais son cœur d’aïeultressaillait très tendrement devant cette grande allégressepuérile.

Il l’amena lui-même aux rubis, pour savourerle redoublement de son bonheur, et ne fut pas déçu. Elle prit lesdix pierres, emplissant d’un chaos féerique la coupe de sesmains :

– Voyez, s’écria-t-elle, cela s’adapte onne peut mieux à la couleur de mon costume. Vous savez, messireorfèvre, que je me vêts toujours de cette teinte… J’ai des coffretspleins de rubis, afin que les joyaux et les étoffes soientd’accord ; mais les miens vont me sembler ternis, maintenant…Il faudra les vendre, Pietro, dit-elle au personnage ambigu qui lasuivait pas à pas ; puis elle se tourna brusquement vers lelapidaire et lui dit, sur ce ton grave et mutin à la fois desenfants :

– Je vous achète vos rubis. Quel en estle prix ?

La stupeur des assistants causa un silencesubit.

Chose étrange, Hermann s’attendait à cetteproposition ; aussi répondit-il sans sourciller :

– Ils ne sont pas à vendre, madame.

– Pourquoi ?

– Mais, répondit le lapidaire embarrassépar cette demande déconcertante, parce que je les aime, et puis…qui serait assez riche pour les acquérir ?

– Vous les aimez moins que je ne lesaime, car vous avez d’autres pierres qui partagent votreaffection ; moi je n’aurais que celles-là. Quant à les payer,reprit Angela en promenant son regard sur le groupe des puissantsseigneurs, quant à les payer… j’ai assez d’amis qui tiendraient àl’honneur de me les offrir…

Ici, les uns caressèrent leur menton assezniaisement, et d’autres, plongés aux abîmes de la pensée,examinèrent avec gravité qui une poutre, qui une dalle, revêtuestout à coup d’un intérêt puissant.

– … si je n’avais, poursuivit-elle, dequoi satisfaire moi-même à mes fantaisies les plus folles.

Là-dessus, les mentons reprirent leur liberté,et l’examen du plafond et du sol ne se poursuivit pas plusavant.

Angela ne riait plus, sa jeunesse avait commereculé derrière les roides atours et les attraits postiches. Aufond de ses yeux gris passait une lueur perverse. Elleinsista :

– Combien voulez-vous me vendre vosrubis ?

Hermann sentit revenir son inimitié primitive,ce coup d’œil venait de lui rappeler la mauvaise réputationd’Angela, les crimes que la voix publique lui imputait. Il ne vitplus dans cet être factice, diaboliquement rouge, aux mains pleinesde feu, qu’un démon.

– Combien ?

– Je vous ai répondu, madame. Les trésorsqui circulent des royaumes aux républiques, ceux que des argentiersjaloux conservent au fond des palais, les richesses englouties dansles océans et celles que la terre nous cache, tout cela joint àl’empire du monde ne serait pas un prix digne de mes rubis.

Puis, comme la marquise souriait à cesparoles, se méprenant à leur sens, il ajouta :

– Et si j’avais mes vingt ans, je nedonnerais pas ces pierres en échange de votre amour.

Quelques minutes après, la gondole tanguait etroulait au fil de la rivière humaine. Les rideaux entrouverts de lacaponera laissaient voir Angela Calderini à côté de Pietro Pisco,baignés tous deux dans le jour écarlate du pavillon. Ils causaientavec animation, et le peuple se demandait, en suivant le couplerouge, quel infernal dessein pouvaient tramer ces genssinguliers.

On se disait qu’il est sacrilège de s’attiferà la façon des cardinaux, ou macabre d’endosser la souquenille dubourreau ; mais les jeunes hommes inventaient mille prétextespour faire pardonner à la Vénitienne sa patrie, ses affronts et sesimprudences, en faveur de sa beauté.

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