Fantômes

Chapitre 10

 

Nous étions au barrage de mon étang. Juste devant moi, à traversles feuilles pointues des cytises, j’apercevais la surface paisiblede l’eau, où s’éparpillaient encore quelques filaments de brume. Àdroite, on voyait le champ de seigle, avec son éclat mat ; àgauche, les arbres du jardin, sveltes, immobiles, embués de rosée…Le souffle du matin les avait déjà fait frissonner…

Deux ou trois nuages obliques — on les aurait pris pour destraînées de fumée — défilaient dans le ciel, pur et gris. Lespremiers rayons de l’aurore les colorèrent de jaune tendre. Jen’arrivais pas encore à distinguer la ligne d’horizon, quicommençait seulement à blanchir imperceptiblement à l’endroit où lesoleil devait se lever.

Les étoiles s’éteignirent ; rien ne bougeait encore, bienque tout s’éveillât dans le charme silencieux de la pénombrematinale.

« Le jour ! Voici le jour ! s’écria Ellys, tout contremon oreille… Adieu !… À demain !… »

Je me retournai… Elle se détacha légèrement du sol, passalentement devant moi, leva ses deux bras au-dessus de la tête. Etsoudain la tête et les bras prirent l’éclat chaleureux de lachair ; des lueurs de vie brillèrent dans ses yeuxsombres ; le sourire d’une jouissance secrète entrouvrit seslèvres incarnadines…

Une femme charmante apparut devant moi… Mais, défaillante, ellese renversa aussitôt en arrière et s’évanouit comme une vapeur.

Je ne bougeai pas.

En regardant autour de moi, il me sembla que cet éclat charnel,cette teinte rosé pâle ; qui avait souligné les contours de lavision, était restée en suspens dans l’air du matin… C’était l’aubequi pointait.

Je ressentis soudain une lassitude extrême et me dirigeai versla maison.

En passant devant la basse-cour, je perçus le balbutiementmatinal des canards (toujours les premiers levés). Des corbeaux,perchés le long de la toiture, vaquaient à leur toilette, presséset silencieux ; leurs silhouettes se détachaient nettement surun fond de ciel laiteux… Par moments, ils s’envolaient, en bande,décrivaient quelques cercles et revenaient se poser en rang, sansun cri… Le bois tout proche retentit à deux reprises du chant fraiset rauque d’un coq de bruyère qui venait de descendre dans l’herbetouffue, couverte de rosée et de baies… Je tressaillis légèrement,allai me mettre au lit et m’endormis incontinent.

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