Fantômes

Chapitre 16

 

Au début, comme devant les ruines romaines, il n’y eut que lesilence… Mais, soudain, j’entendis à mon oreille le rire grossierd’un haleur ; quelque chose tomba à l’eau avec une plainte etcoula à pic.

Je scrutai les ténèbres ; pas une âme qui vive… Tout àcoup, un vacarme assourdissant dont l’écho se répercuta sur lerivage. Il y avait de tout dans ce chaos de bruits : des râles, descris aigus, des injures exaspérées et des rires — surtout des rires—, des coups de rame et des coups de hache, le bruit de portesenfoncées et de coffres disloqués, le grincement des mâts et desroues… Galop de chevaux, glas du tocsin, frôlement de chaînes,sifflements et hurlements d’incendie, chants d’ivrognes et refrainsscandés, sanglots déchirants, plaintes terrifiantes, imprécationsaffreuses, râles de moribonds et sifflements des bandits,vociférations et danses trépignées… « À mort ! Frappez !…Pendez !… Noyez !… Massacrez !… Bravo !…Bravo !… Pas de merci !… » Ces cris montaient vers moi,et j’entendais même des hommes qui haletaient, à court desouffle…

Et cependant, tout alentour, aussi loin que l’œil pouvait percerles ténèbres, il ne se produisait rien, pas de mouvement : lefleuve roulait, mystérieux et presque morne ; le rivagesemblait sauvage et désertique…

Je me tournai vers Ellys, mais elle mit un doigt sur seslèvres.

« Stenka ! Voici Stenka Razine !… »

La clameur retentissait tout à nos oreilles.

« Le voici, notre père, notre ataman, notre défenseur !»

Je ne voyais toujours rien, mais il me sembla, tout à coup,qu’un corps gigantesque s’avançait vers moi…

« Frolka ! Où es-tu, fils de chienne ? tonna une voixterrible. Mets le feu partout et taille-les à coups de hache, cespropres à rien ! »

La chaleur d’une flamme me frappa au visage ; je sentis uneâcre odeur de roussi ; un liquide tiède, comme du sang,m’éclaboussa le visage et les mains… Des rires sauvages fusaient detoutes parts…

Je m’évanouis… Quand je revins à moi, nous glissions toutdoucement dans les airs, au-dessus de la forêt que je connaissaisbien, tout droit vers le vieux chêne.

« Vois-tu ce sentier, où la lune luit à travers la brume, oùdeux jeunes bouleaux inclinent leurs têtes ?… Veux-tu que nousallions là-bas ? »

J’étais tellement brisé, épuisé, que je ne pus que murmurer:

« Chez moi !… Chez moi !…

— Tu y es ! » répliqua Ellys.

Effectivement, j’étais devant ma porte, tout seul. Ellys avaitdisparu. Le chien s’approcha de moi, me dévisagea d’un airsoupçonneux et s’éloigna en aboyant.

J’eus à peine la force de me traîner jusqu’à mon lit etm’endormis tout habillé.

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