Fantômes

Chapitre 24

 

Je les rouvris bientôt… Ellys se serrait étrangement contremoi ; il semblait qu’elle eût voulu me rabrouer. Je laregardai, et mon sang se glaça… Quiconque a eu l’occasion de voirse peindre sur le visage de son voisin une épouvante sans nom, dontil ne peut deviner la raison, celui-là me comprendra… La terreur,une terreur affreuse, défigurait les traits évanescents d’Ellys etles faisait grimacer. Jamais je n’ai rien vu de tel sur un visagehumain. Un fantôme de brume, sans vie, une ombre…, et à côté decela cet effroi mortel…

« Ellys, qu’as-tu donc ? demandai-je enfin.

— C’est elle !… C’est elle !… répondit le fantôme aveceffort… C’est elle !

— C’est elle ?… Qui donc ?

— Ne la nomme pas… Surtout, ne l’appelle pas par son nom,balbutia ma compagne… Nous devons la fuir, sans quoi tout estperdu…, perdu…, à jamais… Oh ! regarde…, regarde…,là-bas ! »

Je tournai la tête dans la direction qu’elle m’indiquait d’unemain tremblante et aperçus quelque chose…, quelque chose devraiment terrible…

La chose était d’autant plus effrayante quelle n’avait point decontours déterminés… Cela était lourd, sinistre, jaune sombre,bigarré comme le ventre du lézard… Une sorte de nuée, debrouillard, qui se déroulait lentement, comme un serpent, et sedéployait au-dessus du sol… Cela avançait en oscillant lentement,d’un ample mouvement de va-et-vient, de haut en bas, comme unoiseau de proie qui plane sur ses ailes grandes ouvertes, en quêted’une victime ; parfois, la chose sans nom se collait à laterre d’un mouvement répugnant — comme une araignée à la mouchequ’elle vient de saisir… Qu’était-ce que cette massehorrible ?… Sous son influence néfaste, — cela, je le voyais,je le sentais —, tout disparaissait et sombrait dans le néant… Ils’en dégageait une froide odeur de pourriture et de charogne ;la nausée me montait à la gorge, mes yeux voyaient trouble, mescheveux se hérissaient sur mon crâne… Et elle avançait toujours,cette force inéluctable, à laquelle rien ne résiste et qui régittout, force aveugle, innombrable et absurde, force omnisciente quichoisit ses victimes comme un oiseau de proie, les étouffe et lespique de son dard glacé de reptile.

« Ellys ! Ellys ! m’écriai-je comme un fou… C’est lamort ! C’est la mort elle-même ! »

Un son plaintif, comme j’en avais entendu déjà, un cri humains’échappa de ses lèvres. Nous nous élançâmes… Mais notre vol étaitsingulièrement, terriblement agité… Ellys trébuchait, tombait, sejetait d’un côté et de l’autre, comme une perdrix, quand elle estmortellement blessée, ou quand elle veut égarer le chien, loin deses petits…

Cependant, des sortes d’antennes ou de tentacules, longues etsinueuses, se détachèrent de la masse immonde et se jetèrent ànotre poursuite… La silhouette d’un immense cavalier, monté sur uncoursier blanc, se dessina soudain et s’éleva sous la voûte descieux… Ellys s’agita encore plus nerveusement, encore plusfébrilement :

« Elle a vu ! Tout est fini ! Je suis perdue !s’écriait-elle d’une voix entrecoupée, à peine perceptible…Oh ! que je suis malheureuse ! J’aurais pu profiter,boire la vie, m’en pénétrer…, et à présent… C’est la fin…, lenéant… »

Cela devenait insupportable… Je perdis connaissance…

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