Feu Mathias Pascal

Chapitre 13LA PETITE LANTERNE

Quarante jours dans l’obscurité !

Réussie, réussie admirablement l’opération ! Seulement monœil resterait peut-être un tout petit peu plus gros que l’autre.Patience ! Et en attendant, oui, dans l’obscurité – quarantejours – dans ma chambre.

J’eus la preuve que l’homme, quand il souffre, se fait une idéeparticulière du bien et du mal, c’est-à-dire du bien que les autresdevraient lui faire et auquel il prétend, comme si ses souffranceslui donnaient droit à une compensation, et du mal qu’il peut faireaux autres, comme si encore il y était autorisé par sessouffrances. Et si les autres ne lui font pas du bien comme pardevoir, il les accuse, et, de tout le mal qu’il fait il s’excusefacilement.

Après quelques jours de cette prison aveugle, le désir, lebesoin d’être réconforté en quelque manière s’accrut jusqu’àl’exaspération. Je savais bien que j’étais dans une maisonétrangère et que, par conséquent, je devais plutôt remercier meshôtes des soins très délicats dont ils m’avaient comblé. Mais cessoins ne me suffisaient plus, et même m’irritaient, comme si on meles avait donnés par dépit. Certainement ! Car je devinais dequi ils me venaient. Adrienne me prouvait ainsi qu’elle était, parla pensée, presque tout le jour avec moi, dans ma chambre, et mercide la consolation ! À quoi me servait-elle, puisque moi,pendant ce temps, par la mienne, je la suivais çà et là par lamaison, toute la journée, fiévreusement ? Elle seule pouvaitme réconforter : elle le devait ; elle plus que lesautres était en mesure de comprendre comment et combien devait mepeser l’ennui et me ronger le désir de la voir ou de la sentir aumoins près de moi.

L’impatience et l’ennui étaient encore accrus en moi par la rageque m’avait causée la nouvelle du départ subit de Rome dePantogada. Me serais-je terré là pendant quarante jours dansl’obscurité, si j’avais su qu’il devait s’en aller sivite ?

Pour me consoler, M. Anselme Paleari voulut me démontrerpar un long raisonnement que l’obscurité était imaginaire.

– Imaginaire ? Ceci ? lui criai-je.

– Non ! Un peu de patience ; je m’explique.

Et il me développa (peut-être aussi pour que je fusse préparéaux expériences de spiritisme qu’on allait faire cette fois dans machambre, pour me procurer une distraction), il me développa, dis-jeune conception à lui, très spécieuse, qu’on pourrait appelerlanternosophie.

De temps en temps, le brave homme s’interrompait pour medemander :

– Vous dormez, monsieur Meis ?

Et j’étais tenté de lui répondre :

– Oui, merci ! Je dors, monsieur Anselme.

Mais comme l’intention au fond était bonne, à savoir de me tenircompagnie, je lui répondais que je m’amusais au contraire beaucoupet que je le priais de continuer.

Le sentiment de la vie pour M. Anselme était proprementcomme une lanterne que chacun de nous porte en soi, allumée ;une lanterne qui nous fait nous voir égarés sur la terre et nousfait voir le mal et le bien ; une lanterne qui projette toutautour de nous un cercle plus ou moins large de lumière, au-delàduquel est l’ombre noire, l’ombre pleine d’épouvante quin’existerait pas si la lanterne n’était pas allumée, mais que nousne sommes que trop forcés de croire vraie, tant que celle-cimaintient en nous sa flamme vive. Cette flamme soufflée à la fin,rentrerons-nous réellement dans cette ombre factice ?rentrerons-nous dans la nuit éternelle, après le jour fameux denotre illusion, ou ne resterons-nous pas plutôt à la merci del’Être, qui aura brisé les vaines formes de notre raison ?

– Vous dormez, monsieur Meis ?

– Continuez ! continuez ! monsieur Anselme ;je ne dors pas. Il me semble presque la voir, votre lanterne.

Mais pourquoi donc M. Anselme Paleari, tout en disant tantde mal de la petite lanterne que chacun de nous porte allumée ensoi, voulait-il en allumer maintenant une autre, à vitre rouge, icidans ma chambre, pour ses expériences de spiritisme ?N’était-ce pas déjà trop d’une ? Je le lui demandai.

– Correctif ! me répondit-il. Une lanterne contrel’autre ! Du reste, à un moment, celle-ci s’éteint, voussavez !

– Et il vous semble que ce soit là le meilleur moyen pourvoir quelque chose ? me risquai-je à observer.

– Mais la prétendue lumière, excusez, repartit promptementM. Anselme, peut servir à nous faire voir trompeusement ici,dans la prétendue vie. Pour nous faire voir au-delà de celle-ci,elle ne sert à rien, croyez-le, et bien plutôt nous nuit. Ellessont stupides, les prétentions de certains savants à cœur mesquinet à intelligence plus mesquine encore, qui veulent croire pourleur commodité que, par ces expériences, on fait outrage à lascience ou à la nature. Mais non, monsieur ! Nous voulonsdécouvrir d’autres lois, d’autres forces, une autre vie de lanature, toujours dans la nature, par Bacchus ! Au-delà del’indigente expérience normale, nous voulons forcer l’étroitecompréhension que nos sens limités nous en donnent habituellement.À présent, excusez, les savants ne prétendent-ils pas tous, lespremiers, à un milieu et à des conditions appropriés pour la bonneréussite de leurs expériences ? Peut-on se passer de chambrenoire pour la photographie ? Eh donc ? Et puis il y atant de moyens de contrôle !

M. Anselme, cependant, comme je pus le voir après quelquessoirs, n’usait d’aucun. Mais c’étaient des expériences enfamille ! Pouvait-il jamais soupçonner que mademoiselleCaporale et Papiano prenaient plaisir à le tromper ? Et puis,pourquoi ? Quel plaisir ? Il était plus que convaincu etn’avait nullement besoin de ces expériences pour raffermir sa foi.En excellent homme qu’il était, il n’arrivait pas à supposer qu’ilspussent le tromper pour une autre fin ! Quant à la pauvretéaffligeante et puérile des résultats, la théosophie se chargeait delui en donner une explication très plausible. Les êtres supérieursdu Plan mental, ou de plus haut, ne pouvaient descendrecommuniquer avec nous par l’intermédiaire d’unmédium ; il fallait donc se contenter desmanifestations grossières d’âmes de trépassés inférieurs, duPlan astral, c’est-à-dire du plus proche de nous :voilà ! Et qui pouvait lui dire que non ![2]

*

* *

Je savais qu’Adrienne avait toujours refusé d’assister à cesexpériences. Depuis que j’étais renfermé dans ma chambre, dansl’obscurité, elle n’était entrée que rarement, et jamais seule,pour me demander comment j’allais. Chaque fois, cette demandeparaissait et était, en effet, adressée par pure convenance. Ellesavait, elle savait aussi bien comment j’allais ! Il mesemblait même reconnaître comme une pointe d’ironie dans sa voix,car, naturellement, elle ignorait pour quelle raison je m’étaisainsi tout à coup résolu à me soumettre à l’opération. Elle devaitpar conséquent supposer que je souffrais par vanité, pour me rendreplus beau ou moins laid, avec mon œil rajusté suivant le conseil dela Caporale.

– Je vais très bien, mademoiselle ! lui répondais-je.Je ne vois rien.

– Eh ! mais vous verrez, vous verrez mieux après,disait alors Papiano.

Profitant de l’obscurité, je levais un poing, comme pour le luiabattre sur le visage. Il le faisait exprès certainement, pour queje perdisse le peu de patience qui me restait encore. Il n’étaitpas possible qu’il ne s’aperçût pas de l’ennui qu’il mecausait : je le lui donnais à entendre de toutes les façons,en bâillant, en soufflant, et pourtant, il continuait à entrer dansma chambre presque tous les soirs et y restait des heures entières,bavardant sans fin. Dans ces ténèbres, sa voix me coupait presquela respiration, me faisait me tordre sur la chaise, comme sur unchevalet de torture, crisper mes doigts : j’aurais voulul’étrangler à de certains moments. Le devinait-il ? Lesentait-il ? Juste à ces moments-là, sa voix devenait plusmolle, plus caressante.

Nous avons besoin de rendre toujours quelqu’un responsable denos peines et de nos malheurs. Papiano, au fond, faisait tout pourme pousser à partir de cette maison, et si la voix de la raisonavait pu parler en moi, ces jours-là j’aurais dû l’en remercier detout cœur. Mais comment pouvais-je l’écouter, cette bienheureusevoix de la raison, quand elle me parlait justement par la bouche dePapiano, lequel, pour moi, avait tort, évidemment tort, impudemmenttort ? Ne voulait-il pas me chasser, en effet, pour duperPaleari et perdre Adrienne ? C’est tout ce que je pouvaiscomprendre alors à tous ses discours. Oh ! comment la voix dela raison avait-elle pu choisir juste la bouche de Papiano pour sefaire entendre de moi ? Mais peut-être était-ce moi qui, pourme trouver une excuse, la mettais dans sa bouche, pour qu’elle meparût odieuse, moi qui me sentais déjà repris dans les lacets de lavie.

Bien que je vécusse très modestement, Papiano s’était fourrédans la tête que j’étais très riche. Et, maintenant, pour détournerma pensée d’Adrienne, peut-être caressait-il l’idée de me fairetomber amoureux de la petite-fille du marquis Giglio, et il me ladécrivait comme une jeune fille sage et fière, pleine de talent etde volonté, décidée dans ses manières, franche et vive. D’ailleursbelle : oh ! bien belle ! Brune, mince et de formesadmirables en même temps : toute de feu, avec une paire d’yeuxfulminants. Il ne disait rien de la dot : superbe ! toutela fortune du marquis d’Auletta, ni plus ni moins. Celui-ci, sansdoute, serait très heureux de la marier bientôt, non seulement pourse délivrer de Pantogada, qui le tourmentait, mais aussi parce quel’accord ne régnait pas toujours entre le grand-père et lapetite-fille : le marquis était faible de caractère, toutrenfermé dans son monde mort ; Pépita, au contraire, forte,vibrante de vie.

Ne comprenait-il pas que, plus il faisait l’éloge de Pépita,plus croissait en moi l’antipathie pour elle, avant même de laconnaître ?

Je ferais sa connaissance, disait-il, un de ces soirs, car il ladéciderait à assister aux prochaines séances de spiritisme. Jeconnaîtrais aussi le marquis Giglio d’Auletta, qui le désiraitfort, après tout ce que Papiano lui avait dit de moi. Mais lemarquis ne sortait presque plus de chez lui, et puis, jamais il neprendrait part à une séance de spiritisme, à cause de ses idéesreligieuses…

– Et comment, demandai-je, lui s’abstenant, le permet-il àsa petite-fille ?

– C’est qu’il sait en quelles mains il la remet !s’écria Papiano d’une voix altière.

Je ne voulus pas en savoir davantage. Pourquoi Adriennerefusait-elle d’assister à ces expériences ? Par scrupulereligieux. Or, si la petite-fille du marquis Giglio prenait part àces séances, avec le consentement de son grand-père clérical, nepourrait-elle y participer, elle aussi ? Fort de cet argument,je cherchai à la persuader, la veille de la première séance.

Elle était entrée dans ma chambre avec son père, qui, ayantentendu ma proposition, soupira :

– Mais nous en sommes toujours là, monsieur Meis. Lareligion, en face de ce problème, dresse des oreilles d’âne et secabre, comme la science. Et pourtant, nos expériences, je l’ai déjàdit et expliqué bien des fois à ma fille, ne sont nullementcontraires ni à l’une ni à l’autre. Et même, pour la religion enparticulier, elles sont une preuve des vérités qu’ellesoutient.

– Et si j’avais peur ? objecta Adrienne.

– De quoi ? lui rétorqua son père. Del’épreuve ?

– Ou des ténèbres ? ajoutai-je. Nous sommes tous làavec vous, mademoiselle ! Voudrez-vous manquerseule ?

– Mais moi… répondit, embarrassée, Adrienne, je n’y croispas, voilà…

Elle ne put en ajouter davantage. À son embarras, je compris quece n’était pas seulement la religion qui empêchait Adrienned’assister à ces expériences. La peur qu’elle mettait en avantpouvait avoir une autre cause que M. Anselme ne soupçonnaitpas. Ou peut-être lui répugnait-il d’assister au spectacle de sonpère puérilement trompé par Papiano et mademoiselleCaporale ?

Je n’eus pas le courage d’insister.

Mais elle, comme si elle avait lu dans mon cœur le déplaisir queson refus me causait, laissa échapper dans l’obscurité un :Du reste… que je recueillis au vol.

– Ah ! bravo ! Nous vous aurons donc avecnous ?

– Pour demain soir seulement, accorda-t-elle ensouriant.

Le lendemain, sur le tard, Papiano vint préparer lachambre ; il y introduisit une table rectangulaire, en sapin,sans tiroir, sans vernis, commune ; il débarrassa un coin dela pièce, y suspendit à une ficelle un drap, puis apporta uneguitare, un collier de chien avec beaucoup de sonnettes et d’autresobjets. Ces préparatifs furent faits à la lumière de la fameusepetite lanterne à verre rouge. Tout en préparant, il ne cessa pasun seul instant de parler.

– Le drap sert d’accumulateur de cette forcemystérieuse : vous le verrez s’agiter, monsieur Meis,s’éclairer parfois d’une lumière étrange, pour ainsi dire sidérale.Oui, monsieur ! Nous n’avons pas réussi encore à obtenir desmatérialisations, mais des lumières, oui, vous en verrez, simademoiselle Silvia se trouve ce soir en bonnes dispositions. Ellecommunique avec l’esprit d’un de ses anciens camarades d’Académie,mort, Dieu nous en préserve ! de phtisie, à dix-huit ans.C’est du moins ce que dit mademoiselle Caporale. Avant même desavoir qu’elle avait cette faculté médianique, elle communiquaitavec l’esprit de Max. Oui, monsieur ! C’est ainsi qu’ils’appelait : Max… attendez… Max Oliz, si je ne me trompe.Possédée par cet esprit, elle improvisait sur le piano, jusqu’àtomber par terre, évanouie, à certains moments. Un soir même, desgens se rassemblèrent, en bas, dans la rue, qui ensuitel’applaudirent.

– Et mademoiselle Caporale en eut presque peur, ajoutai-jetranquillement.

– Ah ! vous le savez ? fit Papiano interdit.

– Elle me l’a dit elle-même. De sorte, donc, qu’ilsapplaudirent la musique de Max, exécutée par les mains demademoiselle Caporale ?

– Sans doute ! C’est dommage que nous n’ayons pas depiano à la maison. Nous devons nous contenter de quelque petitmotif, de quelque refrain, esquissé sur la guitare. Max se met encolère, vous savez ! jusqu’à briser les cordes, certainesfois… Mais vous entendrez ce soir… Il me semble que tout est enordre, maintenant.

– Et, dites-moi un peu, monsieur Térence. Par curiosité,voulus-je lui demander, avant qu’il s’en allât, et vous, ycroyez-vous ? Y croyez-vous vraiment ?

– Voilà ! me répondit-il tout de suite, comme s’il eûtprévu la question… Pour dire la vérité, je ne réussis pas à y voirclair. Non pas parce que les expériences se font dans les ténèbres,faites attention ! Les phénomènes, les manifestations sontréels, il n’y a pas à dire : indéniables. Nous ne pouvonspoint nous défier de nous-mêmes…

– Et pourquoi pas ? Au contraire ! fis-je.

– Comment ? Je ne comprends pas !

– Nous nous abusons si facilement ! Surtout quand ilnous plaît de croire en quelque chose.

– Mais à moi, non, vous savez : cela ne me plaîtpas ! protesta Papiano. Mon beau-père, qui est très enfoncédans ses études, y croit. Moi, voyez-vous, je n’ai même pas letemps de penser… si même j’en avais l’envie. J’ai tant àfaire ! Je perds ainsi quelques soirées, pour faire plaisir àmon beau-père. De mon côté, je suis d’avis que, tant que nousserons en vie, nous ne pourrons rien savoir de la mort. Donc, nevous semble-t-il pas inutile d’y penser ? Ingénions-nous àvivre le mieux possible plutôt ! Je me sauve maintenantprendre, rue des Pontifes, mademoiselle Pantogada.

Il revint environ une demi-heure après, très contrarié. Avecmademoiselle Pantogada et la gouvernante était venu un certainpeintre espagnol, qui me fut présenté, les dents serrées, comme amide la maison Giglio. Il s’appelait Manuel Bernaldez et parlaitcorrectement l’italien ; il n’y eut pas moyen pourtant de luifaire prononcer l’s de mon nom : on eût dit qu’àchaque fois qu’il était pour le prononcer, il avait peur de s’yblesser la langue.

– Adrien Mei, disait-il, comme si tout à coup nousétions devenus une paire d’amis.

Entrèrent ces dames : Pépita, la gouvernante, mademoiselleCaporale, Adrienne.

– Toi aussi ? Quelle nouveauté ! lui dit Papianode mauvaise grâce.

Il ne s’y attendait pas, à celle-là ! Cependant, à la façondont avait été accueilli le Bernaldez, j’avais compris que lemarquis Giglio ne devait rien savoir de sa présence à la séance etqu’il devait y avoir là-dessous quelque petite intrigue avecPépita.

Mais le grand Térence ne renonça pas à son plan. Disposantautour de la table la chaîne médianique, il fit asseoir à côté delui Adrienne et mit à côté de moi la Pantogada.

N’étais-je pas content ? Non. Et Pépita non plus. Parlant àpeu près comme son père, elle se rebella aussitôt :

– Millé graces, cé ne puede pas aller ainsi ! Yoveux estar entre la señor Paleari et ma gobernante, caro señorTerence !

La demi-obscurité rougeâtre permettait à peine de discerner lesformes ; de sorte que je ne pus voir jusqu’à quel pointrépondait à la réalité le portrait que Papiano m’avait ébauché demademoiselle Pantogada. Ses manières, pourtant, sa voix et cetterébellion subite, s’accordaient parfaitement avec l’idée que jem’étais faite d’elle d’après cette description.

Certes, en refusant si dédaigneusement la place que Papiano luiavait assignée à côté de moi, mademoiselle Pantogada m’offensait.Pourtant, non seulement je ne le pris pas mal, mais même je m’enréjouis.

– Fort juste ! s’écria Papiano. Et alors, on peutfaire ainsi : à côté de monsieur Meis, s’assoira madameCandide ; puis, prenez place ici, mademoiselle. Mon beau-pèrerestera où il est, et nous autres, tous les trois aussi, comme noussommes. Cela va ?

Eh non ! cela n’allait pas encore : ni pour moi, nipour mademoiselle Caporale, ni pour Adrienne et ni – comme on levit bientôt – pour la Pépita, qui se trouva beaucoup mieux dans unenouvelle chaîne disposée justement par le génialissime esprit deMax.

Pour le moment, je vis à côté de moi comme un fantôme de femme,avec une espèce de petite colline sur la tête (était-ce unchapeau ? était-ce une coiffe ? une perruque ? quediable était-ce ?). De dessous cette énorme charge sortaientde temps en temps certains soupirs terminés par un gémissementbref. Personne n’avait pensé à me présenter à cette dameCandide ; à présent, pour faire la chaîne, nous devions noustenir par la main, et elle soupirait. Cela ne lui paraissait pasbien fait, voilà ! Dieu, quelle main froide !

De l’autre main, je tenais la gauche de mademoiselle Caporale,assise au bout de la table, les épaules contre le drap suspendu aucoin ; Papiano lui tenait la droite. À côté d’Adrienne, del’autre côté, était assis le peintre ; M. Anselme était àl’autre bout de la table, vis-à-vis de la Caporale.

Papiano dit :

– Il faudrait avant tout expliquer à monsieur Meis et àmademoiselle Pantogada le langage… Comments’appelle-t-il ?

– Typtologique, dit M. Anselme.

– S’il vous plaît, à moi aussi, se hasarda à dire madameCandide, en s’agitant sur sa chaise.

– C’est très juste ! Aussi à madame Candide,naturellement.

– Voici, commença à expliquer M. Anselme. Deux coupsveulent dire oui…

– Des coups ? interrompit Pépita. Quelscoups ?

– Des coups ! répondit Papiano, ou percussions sur latable ou sur les chaises, ou ailleurs, ou que l’on fait percevoirpar voie d’attouchements.

– Ah ! no ! noi no ! no !no ! s’écria-t-elle alors précipitamment, bondissant surses pieds. Yo n’aimé pas cela les attouchements. Déqui ?

– Mais de l’esprit de Max, mademoiselle ! lui expliquaPapiano. Je vous en ai parlé en venant : cela ne fait pas mal,rassurez-vous.

– Typtologiques, appuya d’un air de commisération,en femme supérieure, madame Candide.

– Donc, reprit M. Anselme, deux coups,oui ; trois coups, non ; quatre,ténèbres ; cinq, parlez ; six,lumière. Cela suffira ainsi. Et à présent,concentrons-nous, messieurs.

On fit silence.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer