Jean sans peur

XIX – LE GEÔLIER

Le chevalier de Passavant, donc, avait étéenfermé dans un cachot du deuxième sous-sol de la tourHuidelonne.

Le jour même, le prisonnier reçut deux visites(nous ne parlons pas de celle d’Isabeau qui eut lieu le soir trèstard).

La première, toute naturelle et attendue parlui, ce fut celle de son geôlier qui lui apporta des vivres telsqu’ils pouvaient convenir à un dangereux prisonnier d’État.

– Vous voici donc revenu ? demandacet homme, de sa voix indifférente.

– Est-ce que cela vous fâche ? ditPassavant. Ne suis-je pas un bon prisonnier, très doux, incapabled’une tentative d’évasion ?

– Hum ! fit le geôlier. Vouspourriez tenter de vous évader que cela ne vous servirait de rien.Je vous l’ai dit jadis : on ne sort de la Huidelonne que lespieds devants. Et puis, vous n’auriez pas le temps, croyez-moi. Enécoutant de-ci de-là ce qu’on disait de vous, j’ai entendu qu’on vavous juger pour je ne sais quel crime, et que sous trois ou quatrejours vous serez livré à l’exécuteur.

– Ah !… c’est une consolation.

– Oui, mieux vaut le bourreau. Au moinsc’est fait en peu de temps. L’agonie qui vous attendrait ici seraitterrible, et elle durerait bien quelques mois.

Passavant se mit à rire.

– Bon, dit-il, si vite qu’on me livre àmaître Capeluche, nous aurons bien le temps…

– Le temps de quoi ? fit legeôlier.

– Rien ! dit Passavant d’une voixsombre. Dites-moi, lorsque vous m’avez aidé à grimper à la fenêtrede la demoiselle de Champdivers… vous rappelez-vous ?

– Oui. S’il fallait vous aider encore, jerecommencerais…

Passavant eut une sorte de grognement. Ilreprit :

– Écoutez, il m’a semblé que vous aviezpour moi je ne sais quelle affection… est-ce vrai ?

– C’est vrai, dit le geôlier… plus quevous ne croyez. Pour vous, j’ai risqué la mort.

– Écoutez… Puisque vous avez risqué lamort pour moi, puisque vous prétendez que je vous ai inspiré un peud’amitié, puisque vous m’avez dit votre vénération pour lademoiselle de Champdivers… c’est d’elle qu’il s’agit.

– Que voulez-vous ? dit le geôlierd’une voix sourde.

– Aidez-moi à fuir !

Le geôlier secoua la tête.

– Vous ne voulez pas ? ditPassavant.

– C’est impossible.

Ces deux hommes se regardèrent. Et tous deuxavaient sans doute une arrière-pensée, car leurs regards étaienttroubles. Le geôlier reprit :

– Impossible… à cause de la surveillance…et puis, tenez, je vais vous dire. J’ai prêté serment. Vous nesavez pas cela ? Eh bien, un geôlier, cela prête serment de nepas favoriser l’évasion des prisonniers. Un serment… hum !Croyez-vous à la damnation éternelle ?

– J’y crois, dit gravement lechevalier.

– Vous voyez bien !

– Qu’est-ce que je vois ?

– Que je ne peux pas vous faire fuir,puisque j’ai prêté serment dans la chapelle en présence d’unprêtre.

Quelques minutes, le chevalier demeura pensif.Puis, en lui-même, il murmura :

– Pauvre diable !… J’eusse pourtantbien voulu éviter mais puisqu’il n’y a pas moyen… Je vous disaisdonc, reprit-il, que nous aurions tout de même le temps…

– Oui, fit le geôlier d’un air étrange.Vous me disiez cela tout à l’heure. Et tout à l’heure commemaintenant, vous n’avez pas achevé de me dire de quoi nous aurionsle temps…

Tout d’une voix, haletant, un faux rire auxlèvres, l’esprit bouleversé d’angoisse, Passavantprononça :

– Eh ! le temps de ferrailler un peuensemble !

– Ah ! Ah ! C’est cela ?…Eh bien, vous me faites plaisir, mon gentilhomme !

– Pauvre diable ! murmuraPassavant.

Et il essuya d’un revers de main un peu desueur froide qui pointait à son front. Il considéra un instant larude figure du geôlier, noyée d’ombre d’un côté, et il lui semblavoir sur ce visage une singulière expression de pitié, de sacrificepeut-être.

– Il le faut ! gronda-t-il. Ainsi,vous dites que cela vous ferait plaisir ?

– Sans doute, dit le geôlier avec uneétrange bonhomie, sans doute. Je ne suis pas fâché de voir lesprogrès que vous avez pu faire. Ah ! ah ! mon chevalier,je suis votre maître ! C’est moi qui vous ai appris à tuerproprement un homme – d’un seul coup – droit au cœur !

Le chevalier tressaillit violemment.

– J’ai appris, continua le geôlier, quele coup vous a déjà servi et que les sires de Guines et deCourteheuse en ont su quelque chose. Que Dieu ait pitié de leursâmes ! J’ai appris cela en écoutant le sire d’Ocquetonville.Est-ce vrai, mon gentilhomme ?

– C’est vrai ! dit sourdement lechevalier. C’est vous qui m’avez appris le coup.

– Il vous a servi, dit le geôlier d’unton d’indifférence. Il pourra vous servir encore. Est-ce qu’onsait ?

De nouveau, un profond tressaillement agita lechevalier.

– Donc, poursuivit le geôlier, nonseulement cela me fera plaisir de tâter encore votre fer, maisencore je m’en trouverai honoré. Tant que vous n’étiez que monprisonnier, vous comprenez, vous n’aviez pas encore porté l’épée.Vous ne vous étiez pas mesuré avec des gentilshommes, des gens siau-dessus du pauvre hère que je suis. Mais maintenant, diable… vousallez m’anoblir !

Cette fois, ce fut une sorte d’ironie terribleque le chevalier crut distinguer dans la voix du geôlier.

– Eh bien ! dit-il, puisque la chosevous fait plaisir et vous honore, quand commençons-nous ?

Le geôlier se mit à réfléchir et ditlentement :

– J’apporterai deux épées, commeautrefois – deux épées démouchetées, cela va sans dire ! Avecvotre adresse et la mienne, nous ne risquons pas de nous blessersérieusement.

– Non, dit Passavant qui frissonna, nousne le risquons pas.

– Je descendrai donc deux bonnes lames,solides, bien trempées. J’ai horreur de ces lames qui se ploient ouse brisent au premier coup.

– Quand ? haleta Passavant.

– Dès que ce sera possible ! dit legeôlier.

Et il se retira, tranquille et indifférentcomme à son ordinaire, laissant son prisonnier dans un étatd’agitation indicible. Le chevalier s’était accoté dans ce coin oùIsabeau, plus tard, dans la soirée, devait le voir. Parfois, ilfrissonnait. Et parfois il murmurait :

– Pauvre diable !… Aurai-je bien cecourage ?… Il le faut ! Pour Odette… et pourRoselys !

Or le chevalier de Passavant en était ainsi àse débattre contre les sentiments divers qui l’assaillaient, et legeôlier était parti depuis plus de trois heures, lorsque la portedu cachot se rouvrit pour cette deuxième visite dont nousparlions.

Cette fois, le geôlier demeura dans lecouloir.

À sa place, entrèrent quatre hommes portantdes torches qui éclairèrent vivement l’intérieur. Puis, huit gardesbien armés vinrent se ranger aux murs, tandis que douze autresprenaient position dans le couloir. Enfin deux valets apportèrentune petite table noire et quatre escabeaux.

Lorsque tous ces préparatifs furent achevés,Passavant vit entrer Scas et Ocquetonville, puis trois ou quatreautres personnages de la maison de Bourgogne.

Tous ces gens étaient silencieux.

Un petit homme vêtu de noir et tout fluetentra en saluant et, s’asseyant au bout de la table, apprêta unécritoire, des plumes, et installa devant lui diversparchemins : c’était le greffier.

Enfin, trois hommes également vêtus de noir,graves et solennels, firent leur entrée dans le cachot et tout desuite prirent place à la table, sur les escabeaux qui avaient étépréparés.

C’étaient les juges.

L’un d’eux, en bredouillant très vite, lut unpapier qui établissait que, par l’énormité du crime, l’importancedu personnage victime de ce crime, il était à craindre que leprisonnier ne pût être transporté au siège de l’Officialité ;que la légitime colère du peuple de Paris soustrairait sans aucundoute le scélérat au châtiment qui l’attendait, par une mortassurément méritée mais trop douce ; qu’en conséquence leprocès se ferait dans le plus grand secret.

Le même papier concluait en ordonnant que lecachot du meurtrier fût pour la circonstance érigé en grand-chambrede justice. Passavant fit justement observer que les conseillers dela grand-chambre ne pourraient jamais entrer tous dans le cachot.Mais le juge, non moins justement, lui répondit qu’il n’avait pasvoix sur ce chapitre.

– Après tout, cela m’est égal, ditPassavant en riant.

– Écrivez que cela lui est égal et qu’ila ri, dit gravement le juge.

Ce fut ainsi que commença le procès. À toutesles questions qui lui furent posées, Passavant répondit en setournant vers Scas et Ocquetonville :

– Demandez à ces deux-là qui sont lesmeurtriers.

Ce jour-là, il fut établi que l’accusé s’étaittrouvé, d’après ses propres aveux, dans la rue Barbette, à l’heuremême où le duc d’Orléans avait été tué.

Le lendemain, nouvelle visite, nouvelleséance ; les témoins déposèrent et furent unanimes :l’accusé avait été vu fuyant, couvert de sang ; Scas racontaque Passavant lui avait dit la haine qu’il nourrissait contre lemalheureux duc ; Ocquetonville assura qu’il avait reçu lesconfidences de Guines et de Courteheuse ; ces pauvresgentilshommes, sortant d’un cabaret de la rue Barbette, avaiententendu les cris du duc d’Orléans, s’étaient élancés à son secours,mais étaient arrivés trop tard ; ils avaient pu cependant voirle meurtrier qui tenait encore la hache à la main, et avaientessayé de l’arrêter ; Passavant avait alors juré de se vengerde ces deux vaillants seigneurs, et il avait tenu parole.

Le lendemain, troisième et dernière séance,très courte, qui fut consacrée à la lecture du jugement. Ensuite dequoi, le greffier annonça au condamné qu’il serait exécuté le joursuivant, sur l’heure de midi, en place de Grève.

Il faut remarquer que le geôlier fut présent àcette dernière séance, à laquelle parurent les juges et lesgardes : mais les témoins ne revinrent pas.

Après la lecture du jugement, les juges seretirèrent, escortés par les gardes. Mais le greffier demeura uninstant encore.

– Par grâce et compassion de notre bonsire le roi, dit-il, vous pouvez passer la nuit en prières dans lachapelle du couvent des Célestins. Le voulez-vous ?

Passavant, qui à ce moment regardait legeôlier, crut s’apercevoir que cet homme lui faisait signe derefuser. Ce n’était peut-être qu’une imagination, mais il réponditqu’il prierait tout aussi bien dans son cachot, réponse dont legreffier se montra satisfait.

Quelques instants plus tard, le condamné seretrouva seul. Le geôlier était parti, lui aussi, le laissant dansles ténèbres. Passavant commença à désespérer.

– Demain ! murmura-t-il. Demain,tout sera fini…

Le geôlier n’avait pas tenu sa promesse devenir se mesurer avec lui les épées à la main : c’était leseul espoir du prisonnier qui s’envolait. Maintenant, il était troptard, sans doute…

– Eh bien ! tant mieux, aprèstout ! songea Passavant. Que ce pauvre diable vive savie ! N’eût-ce pas été pour moi une horrible chose que deconquérir à ce prix ma liberté ?

Ainsi, tantôt reportant son souvenir versOdette, tantôt songeant à Roselys qu’il ne reverrait plus jamais,le jeune homme finit par s’endormir – quelques heures de lourdsommeil coupé de rêves sanglants. Lorsqu’il se réveilla, toutfrissonnant, il se murmura :

– Est-ce encore la nuit ? Ou bien lejour a-t-il commencé ?… le jour où je dois mourir…

Il se disait cela. Mais, quoi qu’il fît, iln’arrivait pas à se convaincre que l’heure de la mort allaitréellement sonner. Cela lui paraissait absurde. Son activeimagination inventait des délais, des catastrophes qui ledélivreraient, et tout à coup il entendit la porte s’ouvrir. Levague et tenace espoir qui était au fond de sa pensée aussitôts’évanouit.

– On vient me chercher, songea-t-il. Ehbien ! nous verrons. Il y a loin de l’Hôtel Saint-Pol à laplace de Grève. Si je n’arrive pas à fuir, je me ferai tuer par lesgardes. J’arracherai à l’un d’eux sa pique, sa dague, n’importequel moyen de défense, et je mourrai les armes à la main, comme unvrai Passavant.

La porte s’ouvrit et se referma l’instantd’après.

C’était le geôlier.

– La dernière visite du geôlier, songeaPassavant… Mais… que tient-il sous son bras ?… Desépées ?…

Le prisonnier se mit à palpiter. Oui, legeôlier venait de fixer la torche à la place habituelle et, setournant vers Passavant, lui montrait deux épées.

Passavant fit un effort pour conserver son aird’indifférence.

– Est-ce le jour ? demanda-t-ild’une voix qui ne tremblait pas.

– C’est le jour, dit le geôlier. Il estbientôt onze heures du matin. Dans quelques minutes, les gardesviendront vous prendre.

– Mais ces épées ? fitPassavant.

– Eh bien, ne m’avez-vous pas promis devous mesurer une dernière fois avec moi ? Nous avons le temps.Mais il faut que je vous demande aussi une faveur. Je vous ai ditque je serais fier de toucher l’épée d’un vrai gentilhomme… Or, quifait le gentilhomme ? Le costume !…

– Le costume ! s’écria Passavant quine put s’empêcher de rire.

– Sans doute ! Eh bien, tel que vousêtes, tout déchiré, vous ne faites guère mine de gentilhomme. Aussivous ai-je apporté un costume… et si vous vouliez…

Passavant frémit. Il devina ou crut devinerquelque secrète intention chez le geôlier. Cet homme voulait-ildonc le sauver ? Lui apportait-il donc un costume pour lerendre méconnaissable et lui permettre de traverser sans encombreles jardins de l’Hôtel Saint-Pol ?

Il le regarda fixement. Mais le geôlier,froidement, lui montra le paquet, et grogna :

– Si vraiment vous voulez me faireplaisir, hâtez-vous. Tout à l’heure il sera trop tard.

Passavant ne se le fit pas dire deux fois. Enmoins de dix minutes, il eut opéré le changement et se trouvarevêtu d’un fort beau costume qui lui seyait parfaitement.

– Cette dague à votre ceinture, dit legeôlier.

Et Passavant plaça à sa ceinture la fortedague que lui tendait le geôlier.

– Maintenant, votre épée !

Et le prisonnier ceignit l’épée, bonne lamesolide qu’il eut soin de vérifier.

– Maintenant, votre escarcelle !

Et le geôlier attacha lui-même une escarcellede cuir dans laquelle tintaient une douzaine d’écus d’or.Passavant, stupéfait et palpitant, se laissait faire.

– C’est, dit le geôlier, le dernierargent que m’aura fait gagner le sire de Bois-Redon. Vous necomprenez pas, mais peu importe. Vous voici maintenant un vraigentilhomme. Rien n’y manque, le costume, l’épée, la dague etl’escarcelle. Maintenant, l’honneur que vous me voulez faire seracomplet. En garde, donc, en garde !…

Le geôlier tomba aussitôt dans la position degarde et, machinalement, le prisonnier l’imita.

– Voilà ! songea Passavant entouchant le fer de l’étrange adversaire, un coup droit à fond,droit au cœur… le coup qu’il m’a enseigné… et cet homme tombe.Alors, je lui prends ses clefs, je monte à la surface de la terre.Grâce au costume qu’il m’a apporté, nul ne me reconnaît. Grâce àl’or dont il m’a muni, je puis fuir… Oui. Je n’ai plus qu’un coup àporter…

– Défendez-vous, par les saints et lesdémons ! Défendez-vous donc !…

Le geôlier attaquait vivement. Passavantreculait.

Ce coup qu’il lui fallait porter, dix fois enquelques minutes, lui fut presque offert par le geôlier qui sedécouvrait, commettait d’étonnantes maladresses, et, d’une voixfurieuse, répétait :

– Mais attaquez donc, mort-diable !Tout à l’heure, il va être trop tard !

– Trop tard ? Pourquoi troptard ?

– Pour fuir, donc !

Il y eut un bref silence. Le regardqu’échangèrent ces deux hommes fut un regard de véritable défi. Carle sacrifice et le dévouement ont leurs fureurs comme la colère etla haine. L’attitude du geôlier était d’une aveuglante clarté. Ellecriait : « Tuez-moi et prenez les clefs pourfuir… »

– N’y a-t-il donc que ce seulmoyen ? dit Passavant à haute voix.

Le geôlier comprit parfaitement de quoi ils’agissait.

– C’est le seul moyen, dit-il d’une voixcalme. Et encore faut-il vous hâter.

Passavant rengaina son épée. Une puissanteémotion lui étreignait le cœur. Ses yeux s’embuaient de larmes.

– Que faites-vous ? grogna legeôlier. En garde, en garde, ou je vous charge !Mort-Dieu ! Et moi qui voulais voir vos progrès ! Voilàque vous ne voulez plus vous battre ? Je n’y comprendsrien !

– Pardonnez-moi, dit le chevalier d’unevoix tremblante. C’est vrai. J’ai fait cet affreux rêve que vousavez deviné : de conquérir la liberté en sacrifiant votrevie…

– Bah ! Bah ! Que vaut mavie ? Je suis vieux. Quelques années de plus ou de moins, etpuis, je vous assure, cette vie que vous voulez me ménager… à quoisert-elle ? Je n’ai fait que du mal. J’en ferai encore si jevis. Un geôlier, c’est presque un bourreau. Je ne tiens pas à vivreplus longtemps. Il y a ce diable de serment que j’ai fait enprésence du prêtre, sans quoi, je vous ouvrirais tout simplement laporte. Je ne peux pas. Et pourtant, vous devez vivre, vous. Il lefaut, sinon pour vous-même, du moins pour elle !… Elle vousattend. Je le sais. Et je sais aussi ce qui la menace. Tenez, lesclefs sont là, à ma ceinture. Ne faites pas l’enfant : un boncoup d’épée, et vous les prenez. Par exemple, je vous demande de nepas manquer le coup.

Passavant avait écouté, tête basse. Le geôliers’approcha de la porte, écouta un instant, puis revint endisant :

– Nous avons encore un petit quartd’heure…

– La dernière leçon, murmura Passavant.La dernière leçon d’armes, vous venez de me la donner. Je pense àce qu’aurait été ma vie si je vous avais tué ; heureusement,cela n’est pas, cela n’eût pas été, « même pour elle »…Cela ne sera pas. Allons, geôlier, merci de m’avoir habillé de neufpour aller à la place de Grève.

– Vous ne voulez pas fuir ? grondale geôlier, sincèrement stupéfait.

Passavant fit un pas vers le geôlier et luitendit la main.

– Quoi ? fit l’homme abasourdi.Moi ! Un manant ! Un geôlier !

Et il saisit la main du chevalier qu’ilétreignit. De confuses idées passèrent dans sa tête. Il se dit quepeut-être il était semblable à un autre homme, à un bourgeois, etmême à un noble. Passavant souriait. Il n’était plus question defuir. Tout cela s’était fait très simplement, et cette scènen’avait demandé que peu de minutes.

– Je vous tiens pour un brave à l’égal den’importe quel haut baron, dit paisiblement Passavant. Vous avezvoulu vous laisser tuer pour assurer ma fuite…

– En me donnant votre main, dit legeôlier avec la sincérité de son héréditaire humilité, en m’élevantainsi au-dessus de ma condition, vous m’avez payé cela au delà. Jesuis votre débiteur. Et je puis bien risquer maintenant…

Il s’arrêta, tout pâle.

– Risquer quoi ? palpita lechevalier qui se remit à trembler.

– Eh ! mort-diable, oui, je puisbien risquer mon âme !

– Allons ! dit Passavant en sedirigeant résolument à la porte.

Une seconde, le geôlier, le considéra avecétonnement.

– Il refuse de me tuer, songea-t-il, etil accepte que je perde mon âme par un parjure… Oh ! oh !Le salut de l’âme est cependant chose plus grave que celui ducorps, à ce que j’ai toujours ouï dire…

Quelques instants plus tard, tous deux setrouvaient hors du cachot que le geôlier, par geste machinal,referma avec autant de conscience que l’habitude. Ils montèrent, lechevalier frémissant, et le geôlier ruminant de vagues pensées oùle salut de son âme tenait le premier rôle. Quand ils furent aurez-de-chaussée, le geôlier jeta un rapide coup d’œil audehors.

– Il était temps, dit-il.

– Quoi ? fit Passavant.

– On vient vous chercher.

Le chevalier regarda, et au loin dans ladirection du palais de Charles VI, vit venir une trouped’archers. Mais maintenant, libre, de l’air et de l’espace devantlui, une bonne épée à la main, il ne craignait plus rien.

– Oui, dit-il froidement, il est temps,en effet. Partons. Vous venez avec moi ?

– Il le faut bien, grogna le geôlier. Sivous partez seul, vous allez sûrement vous heurter à ces gens. Ilfaut que je vous guide. Après quoi, ajouta-t-il avec un soupir, jereviendrais reprendre ma place, ici. Allons, où voulez-vous que jevous mène ?

– Au palais du roi, dit Passavant.

– J’en étais sûr ! songea legeôlier.

Ils se mirent en route, tournant d’abord ledos à la troupe qui venait, et se dirigeant vers la Bastille ;puis, longeant le chemin de ronde, ils gagnèrent cette petite portepar où Passavant était entré un soir. De là, par des cheminsdétournés, à travers les cours, ils marchèrent sur le palais duroi.

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