La Dame noire des frontières

Chapitre 8LA PISTE

Le lundi matin, vers dix heures, RobertDelangle qui suivant son habitude s’était couché très tard, n’étaitpas encore levé. Tout en savourant avec délices un vaste bol de théqu’accompagnaient des tartines grillées, beurrées et salées àpoint, il avait attaqué une pile de journaux de tous les formats etles parcourait distraitement.

Il fut brusquement arraché à cette paresseusebéatitude par un violent coup de sonnette.

– Je me demande un peu, murmura-t-il enétouffant un bâillement, qui est-ce qui vient déjà medéranger ? On ne peut pas être une minutetranquille !

La minute d’après, la vieille femme de ménagede Robert pénétrait dans la chambre à coucher et remettait à sonmaître une lettre dont l’adresse griffonnée en larges traits étaitpresque illisible. L’enveloppe portait dans un angle la mention« urgente et personnelle ».

– C’est un soldat qui vient d’apportercela, expliqua la vieille femme, et il a dit que c’était trèspressé.

Robert tournait et retournait la missive entreses doigts avant de se décider à rompre le cachet.

– Tiens, fit-il, mais c’est l’écriture deMarchal ! Que peut-il me vouloir de si bonne heure ? Ouje me trompe fort, ou ce message urgent est une invitation àdéjeuner.

Mais il sursauta en lisant ces quelqueslignes :

« Mon cher ami,

Mon bureau a été cambriolé pendant mon absenceet complètement dévalisé. Fort heureusement, j’avais emporté avecmoi les plans de mon avion blindé.

« Viens vite me rejoindre, j’ai besoin detes conseils et peut-être de ton aide. Je compte sur toi.

« Ton ami, Marchal. »

Robert avait sauté à bas de son lit et s’étaitmis en devoir de s’habiller. Dix minutes plus tard, il dégringolaitprécipitamment les rues en pente de la vieille ville et couraitchez son ami.

Par un singulier hasard, chemin faisant, ilrencontra lord Willougby qui, de l’air flegmatique qui lui étaithabituel, faisait à pied sa promenade matinale. Tous deux sesaluèrent en échangeant quelques phrases de politesse banale.

À la grande surprise de Robert, l’Anglaisétait déjà au courant du vol commis dans le bureau ducapitaine ; le reporter ne put s’empêcher de marquer sonétonnement en voyant son interlocuteur si bien informé.

– Vous m’étonnez, dit Willougby avec ungrand calme. Pour un correspondant de guerre permettez-moi de vousdire que vous n’êtes pas très bien informé. Le cambriolage a étéconstaté à huit heures par l’ordonnance du capitaine et déjà lanouvelle a fait le tour de la ville.

Et il ajouta d’un ton hypocrite :

– Ce qui arrive est très fâcheux pour lecapitaine Marchal ; que ce soient des valeurs ou des documentsmilitaires qui lui aient été soustraits, il peut en résulter pourlui de très sérieux désagréments.

– Je ne vois pas comment, dit Robert,encore sur le coup de l’émotion que lui causait le malheur arrivé àson ami.

– Le capitaine est tout au moins coupablede négligence. Je ne sais pas encore comment le vol s’est produit,mais M. Marchal aura bien de la chance s’il évite le conseilde guerre.

– Je vous quitte, s’écria brusquement lereporter, je ne suis pas plus que vous au courant des faits, jecours chez Marchal.

– Vos conseils ne peuvent que lui êtreprécieux, on sait que vous avez une grande habitude de cesdélicates enquêtes. Je compte d’ailleurs aller aussi lui rendrevisite dans la journée, pour lui offrir mes services.

– Je ne vois pas bien quels services…

– Bah ! fit lord Willougby avecinsouciance, un homme peut toujours être utile à un autre homme. Sion n’a volé au capitaine que de l’argent, je mettrai volontiers àsa disposition n’importe quelle somme. Comme on dit en France,plaie d’argent n’est pas mortelle. Je sais que vous êtes lemeilleur ami de M. Marchal, vous pouvez lui faire cette offrede ma part.

– Je doute fort qu’il accepte, répliquaRobert.

– Et pourquoi donc n’accepterait-ilpas ?

– Vous n’êtes pas de très vieillesconnaissances puis vous êtes étranger.

– Qu’importe ? Le capitaine était,il n’y a pas trois jours, mon partner au casino et c’est un braveet savant officier que j’estime tout particulièrement.

– Je vous remercie en son nom, milord etje me sauve.

– Au revoir, dites-lui bien surtout quede toute manière, il peut disposer de moi et compter sur madiscrétion…

– Je n’y manquerai pas.

Après avoir échangé avec l’Anglais unecordiale poignée de main, le reporter continua sa route, cherchantvainement à s’expliquer l’offre généreuse qui venait de lui êtrefaite. Il conclut que, pour agir comme il le faisait, lordWillougby devait avoir quelque mobile secret et il se résolutd’être sur ses gardes plus que jamais.

Robert trouva son ami seul dans le bureauqu’il arpentait mélancoliquement de long en large.

– Allons ! s’écria Robert avec sonentrain habituel, il faut réagir, se remuer… Le mal n’est peut-êtrepas si grand que tu te l’imagines… Tu as l’air consterné !

– Il y a de quoi.

– Un peu de courage, que diable !Ressaisis-toi. Et d’abord, mets-moi vite au courant.

– Ce sera vite fait. Le vol dont je suisvictime te paraîtra comme à moi tout à fait inexplicable. Je n’aidécouvert aucune trace d’effraction, tous mes papiers, les moindresobjets de mon bureau étaient ce matin à la place où je les avaislaissés samedi soir. Seulement quand, sur mon ordre, Ronflot, monordonnance, a ouvert le coffre-fort, il n’y a plus trouvé trace desbillets de banque que m’avait remis le général de Bernoise pour laconstruction du modèle réduit de mon avion blindé.

– Voilà qui est en effet assezextraordinaire.

– Je n’y comprends rien. J’ai beauessayer de raisonner !… j’ai la tête perdue.

– Calme-toi ! Nous allons examinerles faits ensemble, à tête reposée. Le voleur si habile qu’il soita dû laisser derrière lui quelque indice.

– Et si on ne le retrouve pas ?Sais-tu qu’il s’agit d’une somme énorme pour moi : quarantemille francs !

– Diable !…

– Je ne cacherai pas que la façonmystérieuse dont ce vol a été commis ne me laisse aucun espoir.Puis, des billets de banque, c’est facile à dissimuler… et levoleur a vingt-quatre heures d’avance. À l’heure qu’il est, il doitêtre en sûreté, très loin, peut-être en Angleterre…

– Et tu es tenu de rembourser, si lemalfaiteur demeure introuvable ?

– C’est de toute évidence. Je suisresponsable de cet argent. Il faut que je le rende, à toutprix ! Et je n’en vois pas le moyen…

– Ne te désespère pas, mon pauvre vieux,je puis déjà mettre à ta disposition dix mille francs.

– Je te remercie, mon cher ami, ce n’estpas d’aujourd’hui que je connais ton dévouement ! Mais lesautres trente mille francs hélas ?

– Nous chercherons ensemble.

– Inutile. Quel est l’homme d’affairesqui voudrait avancer à un officier sur sa solde une somme aussiconsidérable ? Il n’y en a pas.

Robert demeura quelques instantssilencieux.

– Tu vois bien, reprit tristement lecapitaine Marchal, tu es comme moi, tu ne trouves pas.

– Si, peut-être, fit le reporter avechésitation, il y aurait un moyen, je suis sûr que lord Willougby seferait un plaisir de t’avancer l’argent qui te manque.

– Jamais, s’écria Marchal, dont le visages’empourpra, jamais je ne demanderai à cet homme un semblableservice.

– Je comprends tes scrupules, mais dansun cas désespéré comme le tien…

– N’insiste pas, jamais je ne ferai cettedémarche. Lord Willougby est un étranger que je ne connais pasassez pour m’adresser à lui… Ma situation est sans issue… Et c’estaujourd’hui même que je devais donner des acomptes auxconstructeurs.

Le capitaine Marchal baissa la tête avecaccablement. Robert réfléchissait.

– Tu as prévenu le général deBernoise ? demanda-t-il enfin.

– Oui, je suis passé à son hôtel, il m’aécouté silencieusement et n’a pas eu le moindre mot de reprochepour ce que d’autres eussent appelé ma négligence. Il a aucontraire essayé de me consoler. J’étais honteux de tant debonté.

– Cependant, à ce que j’ai crucomprendre, le général avait prélevé cet argent sur sa fortunepersonnelle ?

– Oui, malheureusement… c’est – j’en aipresque la certitude maintenant – une partie de la dot deMlle Yvonne. Comprends-tu maintenant qu’il faut queje rembourse ces quarante mille francs à tout prix ?

– Certes, il le faut. As-tu au moinsdéposé une plainte ?

– Je l’ai fait. J’ai mis au courant desfaits le commissaire central, le commissaire spécial des frontièreset même un célèbre détective anglais, master Frock, en ce moment envacances dans notre ville, mais je crains fort que tout cela neserve à rien.

– Que t’ont-ils dit ?

– Rien d’affirmatif. Ce n’est qu’aprèsl’enquête qu’ils se prononceront sur les chances que je puis avoirde rentrer dans mes fonds. Cependant on les dit tous trois trèshabiles, chacun dans leur genre.

– Tu ne soupçonnes personne ?

– Personne.

– Examinons un peu les gens quit’entourent, proposa Robert. Qui sait si nous ne découvrirons pasune bonne piste ?

– Volontiers. Il y a d’abord le fourrierqui me tient lieu de secrétaire. C’est un très honnête garçon, unancien comptable, d’une probité scrupuleuse. D’ailleurs il estparti en permission samedi bien avant moi et il a très exactementrendu compte de l’emploi de son temps du samedi au lundi.

– Bon, celui-là est hors de cause :et ton ordonnance ?

– Ronflot ! J’en réponds comme demoi-même. Il m’est absolument dévoué. Puis je l’avais emmené avecmoi ; nous sommes partis en même temps samedi et revenusensemble ce matin. Quand il s’est aperçu du vol, il était presqueaussi consterné que je l’étais moi-même. Ce n’est certes pas surlui que peuvent s’égarer les soupçons.

– L’énigme semble véritablementindéchiffrable. À mon avis, les empreintes digitales, s’il y en a,pourraient seules fournir quelques indices sur les malfaiteurs.

– Il ne faut pas même compterlà-dessus.

– Que veux-tu dire ?

– Par une véritable fatalité, Ronflot,dès en arrivant, a brossé, ciré, épousseté, nettoyé tous lesmeubles du bureau. S’il y a jamais eu des empreintes, il a dû leseffacer.

– Tu n’as pas de chance, murmura Robert,devenu tout à coup pensif.

– Sais-tu bien, fit-il au bout d’uninstant, que ces cambrioleurs qui ne laissent aucune trace de leurpassage vont paraître à bien des gens tout à faitinvraisemblables ? Personne n’y croira. Et, ma foi, si tun’étais pas aussi bien noté…

– Que veux-tu dire ?

– Tout simplement cette chose terrible,dont mon amitié pour toi me fait un devoir de te prévenir. C’estque les soupçons pourraient tomber sur toi.

Le capitaine Marchal était devenu blême ;ses jambes se dérobaient sous lui. Les paroles de Robert venaientseulement alors de lui faire entrevoir toute la profondeur dugouffre où il était tombé.

– Je n’avais pas songé à cela,balbutia-t-il, éperdu. C’est épouvantable !

– Pourquoi, après tout, n’accepterais-tupas les services de lord Willougby ? Je puis te diremaintenant que c’est lui qui, spontanément, m’a offert de te veniren aide ; il a même insisté avec beaucoup de chaleur.

– Ne reviens pas sur ce sujet, répliquale capitaine Marchal avec impatience. Je t’ai déjà dit qu’ilm’était impossible, pour toute sorte de raisons, d’accepter cetteoffre.

– Je ne t’en parlerai plus, murmura lereporter.

Et changeant brusquement de ton :

– Continuons notre petite enquête,reprit-il. Tu n’as pas de soupçons contre le soldat Bossard, quis’est évadé de façon si habile cette même nuit du samedi audimanche ?

– Non. J’avais pensé tout d’abord àlui ; mais, en réfléchissant un peu, je me suis rendu comptequ’il ne pouvait pas être coupable et c’est aussi l’opinion dugénéral de Bernoise. Comment veux-tu que Bossard, qui avait étésoigneusement fouillé avant d’être mis en cellule, ait pu seprocurer les fausses clefs et les outils indispensables pourfracturer, surtout sans laisser de traces, un coffre-fort aussisolide que le mien ?

– Je suis de ton avis. Je connaissaisBossard et c’était un bon diable, à part son caractère un peu tropindépendant et sa propension à faire la « nouba » entoute occasion.

– Son évasion s’explique d’une façon trèssimple. Bossard était très aimé de ses camarades ; ils ont dûfavoriser sa fuite. Dans le courant de la nuit du samedi, il a sansdoute profité du sommeil des hommes de garde pour escalader lagrille, et la sentinelle a fait mine de ne rien voir. Cetteexplication est celle qui a paru au général de Bernoise aussi bienqu’à moi la plus plausible.

À ce moment, Ronflot pénétra dans le bureau etremit au capitaine Marchal un large pli officiel.

– Ce n’est rien d’intéressant,murmura-t-il après avoir lu ; il faut seulement que j’aillejusqu’au bureau du commandant pour y signer quelques pièces.

– Tu n’en as pas pour longtemps ?demanda le reporter.

– Pour dix minutes au plus.

– Très bien. Pendant ce temps, j’iraiprévenir lord Willougby de ton refus. Il devait d’ailleurs terendre visite.

– Eh bien ! c’est cela, reviens icien même temps que lui. Mais, n’oublie pas ce que je t’ai dit. Je neveux rien accepter de lui.

– Et toi, ajouta-t-il en se tournant ducôté de Ronflot, ne laisse entrer personne ici en mon absence. Lecommissaire a recommandé que l’on ne dérangeât aucun objet avantson retour et que l’on n’admît personne, sauf en ma présence.

Les deux amis se séparèrent.

Marchal fut de retour le premier. Pendant sacourte absence, une femme était venue apporter une lettre et, en ladonnant à Ronflot, lui avait bien recommandé de ne la remettrequ’en mains propres, au capitaine lui-même, et de ne la faire voirà personne.

Marchal tressaillit en reconnaissant surl’enveloppe la longue écriture aristocratique de miss Arabella.

Voici ce que contenait la lettre :

« Cher ami,

« Je suis au courant des ennuis qui vousarrivent. N’hésitez pas à accepter l’offre de mon frère, c’est leseul moyen pour vous d’éviter de grands malheurs. Je ne puism’expliquer plus clairement.

Votre tout affectionnée

A.

« P. S. – Brûlez cebillet, sitôt que vous l’aurez lu. C’est très important. Je ne veuxpas qu’on puisse se douter de l’immense intérêt qui s’attache, pourmoi, à tout ce qui vous touche. »

Marchal s’empressa d’obéir à cette prudenterecommandation, sans réfléchir tout d’abord à ce qu’elle pouvaitavoir de singulier.

Il jeta le billet et l’enveloppe dans lacheminée. Des étincelles couraient encore sur le papier noirci parla flamme, lorsque Robert Delangle revint.

– J’ai vu lord Willougby, dit-il… ilviendra dans un instant te réitérer son offre. Il est extrêmementvexé de ton refus. Tu persistes toujours dans tarésolution ?

– Oui.

– Eh bien ! permets-moi de te dire,répliqua Robert d’un ton grave, que tu as tout à fait tort. J’aibeaucoup réfléchi. Il y a dans ce vol quelque chosed’incompréhensible et le meilleur moyen d’arriver à connaître lavérité, serait peut-être d’accepter l’offre de l’Anglais.

– Tu crois ? fit Marchal déjà à demiconvaincu.

– J’en suis sûr. Tu sais que tu n’asjamais eu à te repentir d’avoir suivi mes conseils. Cette foisencore, fais ce que je te dis et tu t’en trouveras bien.

– Eh bien ! soit, murmural’officier. J’ai toute confiance dans ton amitié.

Tous deux demeurèrent quelque tempssilencieux, Marchal considérait pensivement ce qui restait dubillet de miss Arabella : une pincée de cendre grise d’oùmontait encore une légère fumée.

Cinq minutes plus tard, lord Willougby escortécomme toujours de l’impassible Gerhardt faisait son entrée dans lebureau et saluait cérémonieusement les deux amis.

Robert se précipita au-devant du visiteur.

– J’ai réussi à persuader l’amiMarchal ! s’écria-t-il joyeusement. Il accepte.

Malgré tout son empire sur lui-même, Willougbyne put réprimer un sourire de satisfaction. Son visage s’épanouit,pendant qu’il serrait la main du capitaine Marchal avec unecordialité inaccoutumée.

Le regard de l’espion s’arrêta quelquesinstants sur le petit tas de cendre dans la cheminée et il échangeaavec Gerhardt un furtif coup d’œil.

Marchal, lui aussi, s’était déridé. L’idéequ’il allait pouvoir rembourser les quarante mille francs dugénéral le soulageait d’un poids immense.

– Je suis honoré de votre visite en cettepénible circonstance, dit-il. Vous êtes au courant du malheur quime frappe ?

Il avançait en même temps un siège auvisiteur ; celui-ci le prit et s’y installa, pendant queGerhardt restait debout dans une attitude obséquieuse.

– Ce n’est pas si grave que vous vous lefigurez, répondit l’espion d’un ton hypocrite ; celas’arrangera, j’en suis persuadé, très aisément.

– Milord, interrompit tout à coup Robert,je ne vous ai pas encore félicité de votre splendide réception desamedi dernier. Je vous en fais tous mes compliments.

– Ma foi, je n’ai pas à me plaindre, fitWillougby avec une bonhomie pleine de fatuité. C’était assezréussi. Mes invités et surtout mes invitées ont fait preuve d’unentrain et d’une bonne grâce charmante. On a dansé jusqu’au petitjour. Aussi, avouerai-je que j’étais très fatigué…

Il ajouta en s’adressant à Marchal :

– Permettez-moi d’espérer, capitaine,qu’à la prochaine occasion, vous me ferez l’honneur d’être desnôtres. J’ai vivement regretté votre absence.

– Je vous promets de vous l’amener, ditRobert ; n’est-ce pas, mon vieux ?

– Mais, certainement…

La conversation continua ainsi quelque temps,sans qu’on en vînt à aborder le point important.

Ce fut Robert qui se chargea de mettre, commeon dit, les points sur les i.

– Tout à l’heure, milord, dit-il àWillougby, je vous ai mis au courant du vol dont mon ami vientd’être victime.

– Et j’ai spontanément offert d’avancerau capitaine Marchal la somme qui lui manque. C’est me faire ungrand plaisir que de me donner l’occasion de rendre un si légerservice à un parfait gentleman, à un brave et loyal officier.

Marchal serra la main de Willougby.

– Milord, lui dit-il, je suis trop émupour vous exprimer, comme je le devrais, toute ma gratitude.

– Capitaine, répliqua Willougby, avec unefeinte cordialité, pas de remerciements, je vous prie. Ce que jefais ne vaut vraiment pas la peine qu’on en parle. Ne suis-je pasun ancien officier de l’armée de Sa Majesté ? Il est toutnaturel qu’entre collègues on se rende de ces légers services. Lessoldats de tous les pays devraient, en temps de paix, se considérercomme des frères. Cela ne les empêcherait pas d’être braves et defaire leur devoir au jour du péril.

– Oui, reprit Robert avec enthousiasme,il en était ainsi aux glorieuses époques de jadis. Deux chevaliers,après avoir partagé leur bourse et bu dans la même coupe sebattaient jusqu’à la mort !

Willougby eut un sourire sarcastique.

– Vous voilà bien, s’exclama-t-il, vousautres Français, avec votre étonnante imagination ! Évoquerles splendeurs de la chevalerie, à propos d’un vulgaire prêtd’argent !… C’est peut-être un peu exagéré, mais, en tout cas,très amusant.

– J’espère, dit Marchal, ne pas resterlongtemps votre débiteur. Les intérêts…

– Vous me rembourserez quand vousvoudrez, dans deux ans ou dans dix ans. Cela n’a pour moi aucuneespèce d’importance. Quant aux intérêts, qu’il n’en soit plusquestion entre nous. Je suis baronnet et ancien officier de l’arméebritannique et non pas homme d’affaires !

Robert était enchanté de voir la tournure queprenaient les événements. L’affaire allait s’arranger, pour ainsidire, d’elle-même. Il comprit que sa tâche était remplie et que saprésence n’était plus indispensable.

– Je vous laisse, messieurs, dit-il… vousm’excuserez, mais je n’ai pas encore dépouillé mon courrier.

Vainement, on essaya de le retenir.

Il salua et sortit, l’air très affairé,quoique en réalité, il n’eût rien à faire ce matin-là.

Il alla flâner dans le superbe square qui setrouve à peu de distance des casernes. Il se proposait de guetterle départ de l’Anglais et de remonter ensuite chez Marchal pourapprendre de lui si tout s’était bien passé.

Puis, tout à coup, après avoir consulté soncarnet de notes, il se leva, alla jusqu’à la grille de la caserneet demanda au chef de poste à parler au soldat Louvier, le mêmequi, de faction sous les fenêtres du bureau, avait favorisé lafuite de Bossard.

Robert venait d’avoir une bonne idée.

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