La Dame noire des frontières

Chapitre 11UNE LETTRE D’ANGLETERRE

La nouvelle de l’arrestation du capitaineMarchal avait fait un bruit énorme. Dans la région du Nord, ellefaisait le sujet de toutes les conversations.

L’opinion publique se divisait en deuxcamps.

Les uns croyaient Marchal coupable, suivant encela l’opinion du commissaire central dont le rapport, communiqué àde rares privilégiés était un véritable chef-d’œuvre de logique, àce qu’affirmaient du moins ceux qui l’avaient lu.

En revanche, tous les collègues du capitaine,tous ses subordonnés, tous ses amis prenaient hautement sa défenseet ne voulaient voir dans toute cette affaire qu’un effroyablehasard, un sinistre concours de circonstances dont l’officier setrouvait victime.

Le vol de quarante mille francs et – à cequ’on assurait – de documents précieux pour la défense nationalesuccédant à l’évasion mystérieuse du soldat Bossard avaient mis enémoi toutes les cervelles.

De vives attaques étaient dirigées contrel’administration.

Le général de Bernoise était dans unedouloureuse situation d’esprit.

Le rapport du commissaire central habilementprésenté, étayé d’ingénieuses hypothèses, ne laissait en apparenceaucun doute sur la culpabilité du capitaine.

Par un revirement assez naturel, le général semontrait maintenant aussi dur, aussi inflexible qu’il avait naguèreété indulgent envers son protégé auquel il reprochait d’avoirtrompé sa confiance.

Yvonne, en apprenant que celui qu’elle aimaitétait en prison, accusé de vol, était tombée malade.

Il y avait eu entre le père et la fille uneorageuse explication.

– Comment voulez-vous, mon père, s’étaitécriée la jeune fille, qu’un officier dont la probité et labravoure ont été jusqu’alors citées en exemple, devienne tout àcoup un fripon ! Cela ne se peut pas !… C’estimpossible !…

– Pourtant…

– Je te le répète, c’estimpossible ! Le capitaine Marchal est un homme d’honneur.

– Il l’était…

– Il l’est toujours.

– Tu ne doutes pas de ma douleur, machère enfant, j’ai moi-même comme tu le fais en ce moment, défenduMarchal, mais, hélas ! je ne puis aller contre l’évidence, lesfaits sont là !

– Les faits ! Aucun fait n’estentièrement prouvé, et le capitaine n’a pas un seul instant cesséde nier !

– Sa thèse ne tient pas debout, ne méritemême pas un examen sérieux. Il accuse lord Willougby.

– Eh bien ! s’écria la jeune fille,dans un élan admirable, c’est que lord Willougby estcoupable ! Cet homme, d’ailleurs, m’a toujours déplu.

– Ma chère enfant, ton cœurt’égare !… Dans cette pénible affaire, la raison seule doitnous guider ! L’accusation de Marchal contre lord Willougbyest absolument ridicule et invraisemblable… Lord Willougby estrichissime, son honorabilité est hors de doute. Ce serait ledernier que je soupçonnerais et tout le monde est de monavis !…

– Le capitaine Marchal, lui aussi,murmura tristement la jeune fille, était d’une honorabilitéau-dessus de tout soupçon, avant de devenir la victime d’uneodieuse accusation.

– Il est impossible que lord Willougbysoit pour quelque chose dans ce vol et je vais te le prouver si tuveux m’écouter cinq minutes, sans parti pris.

– Je vous écoute, mon père.

– Tu dois te souvenir que le soir du vol,le lord était à bord de son yacht, au milieu de ses invités. Tul’as vu toi-même, tu lui as parlé, cela, c’est un fait.

« Miss Arabella qui est d’un tempéramentsi impressionnable a été à ce point bouleversée par ces iniquesimputations, qu’elle a dû, sur l’ordre de son médecin, allerterminer la saison en Écosse, dans un de ses châteaux.

– Voilà qui est singulier… fit Yvonne àdemi-voix, voilà un départ précipité qui ressemble beaucoup à unefuite.

– Quant à son frère, continuaM. de Bernoise, je pense qu’il ne tardera pas, lui aussi,à regagner l’Angleterre. Il a été très froissé des calomnies deMarchal et il n’a pas caché son dépit. Comment ! voilà unmillionnaire qui tient toute une ville en joie par ses fêtes, quiouvre sa bourse à tout le monde, dont le caractère et les manièressont parfaites. Et l’on ne trouve rien de mieux à faire, pour lerécompenser, que d’inventer des infamies sur son compte !

– On prétendait, interrompit tout à coupYvonne, qu’il était allé rejoindre miss Arabella.

– C’est inexact, son yacht est encoreancré en vue de notre port. Il visite les sites de la contrée, sansdoute avant de partir définitivement.

– De sorte, objecta la jeune fille avecentêtement, que, s’il était réellement coupable, il seraitimpossible de l’arrêter !

– Tais-toi, tu me ferais mettre encolère, dit sévèrement le vieil officier.

– Pourquoi aussi, mon père, avoir faitpoursuivre le capitaine Marchal alors que c’est vous-même qui luiaviez avancé les quarante mille francs ? Vous auriez pu luiaccorder du temps pour découvrir l’auteur du vol. Ou alors, si vousn’aviez pas confiance en lui, il ne fallait pas lui prêterd’argent ! Je suis logique, moi aussi. Père, ce que vous avezfait là n’est pas bien.

Le visage du général de Bernoise devintpourpre de colère.

– Comment, s’écria-t-il, ne pas fairepoursuivre le misérable qui t’a dépouillée d’une partie de ta dot,qui a abusé de ta confiance et de la mienne… Est-ce bien toi, mafille, qui me tiens un pareil langage ?… Mais cet homme t’adonc ensorcelée ?…

Il ajouta d’un ton plus calme :

– Remarque d’ailleurs que ce n’est pasmoi qui l’ai fait poursuivre. J’aurais préféré de beaucoupsacrifier cette somme, quelque importante qu’elle soit, que de voirflétrir, par un jugement infamant, un des officiers placés sous mesordres. Réfléchis que c’est Marchal lui-même qui, se fiant à saréputation d’honnêteté, a porté plainte au commissariat central,persuadé que les soupçons ne tomberaient jamais sur lui. L’enquêteayant prouvé d’une façon à peu près certaine que c’était lui lecoupable, je me suis vu forcé de laisser la justice suivre soncours.

– Cela n’empêche pas, répliqua la jeunefille avec vivacité, que M. Marchal n’est responsablequ’envers vous de la somme que vous lui avez avancée.

– Ce sera la tâche de son avocat de fairevaloir cet argument devant le conseil de guerre.

– Pourtant, mon père, si vous retiriezvotre plainte ?

– Impossible ! Comprends donc que cen’est pas moi qui ai porté plainte, c’est Marchal lui-même ;il s’est pris à son propre piège. D’ailleurs, maintenant, lajustice, aussi bien que l’opinion publique, sont saisies del’affaire et veulent avoir satisfaction. Il est trop tard pourrevenir en arrière.

Yvonne, les yeux gonflés de larmes, demeurasilencieuse.

Elle voyait s’écrouler son beau rêve d’amour,et pourtant, au fond de son cœur, elle conservait encore, avec desecrets espoirs, le souvenir attendri de celui qu’elle regardaittoujours comme son fiancé…

– Oui, dit encore le général de Bernoised’une voix grave, cette affaire offre tant de côtés mystérieuxqu’il est de mon devoir de la suivre jusqu’au bout et de l’éclairerentièrement. De toute façon, il faut que la lumière se fasse. Leministre dont j’ai reçu une lettre confidentielle partageabsolument ma manière de voir.

– Et ces côtés mystérieux ?interrogea Yvonne anxieusement.

– Je ne puis pas tous te lesexpliquer ; mais n’y eût-il que la singulière attitude ducapitaine Marchal, ce fait qu’il a reconnu avoir passé ailleurs quechez son oncle une partie de la nuit du samedi ! N’est-ce pasdéjà très singulier ? Et il ne veut pas donner l’emploi de sontemps pendant cette même nuit où le vol a été commis.

– Il doit avoir ses raisons pour garderle silence.

– C’est possible, mais une pareilleattitude produit une impression très fâcheuse… Puis il y a d’autresfaits déconcertants. Ainsi j’avais reçu une lettre anonyme mesignalant la mauvaise conduite de l’inculpé, cette lettre adisparu, il m’a été impossible de la retrouver.

M. de Bernoise, en parlant ainsi,était à mille lieues de soupçonner que ce pût être Justine, lafemme de chambre, qui eût subtilisé la lettre.

– Enfin, continua-t-il, je ne m’expliqueguère la conduite du journaliste Robert Delangle. Il était partipour Londres et devait nous rapporter toutes sortes derenseignements sensationnels, et on n’entend plus parler de lui. Iln’a pas donné signe de vie depuis son départ.

– C’est sans doute qu’il n’a pas pu,interrompit la jeune fille, M. Delangle est un homme decœur !

– Je ne dis pas le contraire.

– Il n’a pas hésité une minute à prendrela défense de son ami, envers et contre tous.

– D’accord… mais ce soldat qui, bien quepuni par moi de trente jours de prison, continue à jurer contretoute évidence que le seul coupable du vol est le soldatBossard ? Voilà, je crois, suffisamment de mystères àéclaircir.

Yvonne demeura silencieuse.

Pelotonnée au fond d’une bergère dans unefrileuse attitude, elle réfléchissait.

Un des mystères de « l’affaireMarchal » dont le général n’avait pu parler à sa fille et quile préoccupait beaucoup, c’était le drame dont la prison militaireavait été le théâtre et sur lequel, dans le plus grand secret, uneenquête avait été commencée.

Pour échapper à une conversation qui lemettait au supplice, M. de Bernoise embrassa sa fille etsortit, prétextant un rendez-vous.

Dès qu’il se fut retiré, Justine s’approcha desa jeune maîtresse.

Justine, elle aussi, avait longuement réfléchiet elle était convaincue de la terrible injustice commise envers lecapitaine Marchal. Elle aussi était intimement persuadée del’innocence de l’officier.

En ce moment, cédant à une inspiration,peut-être heureuse, elle se croyait sur le point de tenir un desfils conducteurs qui devaient l’amener à la connaissance de lavérité.

– Mademoiselle, dit-elle à Yvonne, il nefaut pas vous chagriner. Le capitaine Marchal est innocent !J’en ai, comme vous, la conviction.

– Je suis heureuse que tu sois de monavis, mais je suis désespérée. Tu as vu comme on a monté la tête àmon père ?

– Il y a sûrement là-dessous un complotqu’on finira bien par découvrir. Mais le capitaine est innocent, ilfaut le tirer de là.

– Oh ! si je savaiscomment !…

– Je crois en avoir trouvé le moyen, maispour cela, il faudrait faire une démarche peut-être imprudente etqui n’aurait certainement pas l’approbation de votre père.

– Dis toujours.

– Vous n’avez pas oublié cette jeunefille qui se disait fiancée au soldat Bossard et qui est venue voussolliciter en sa faveur ? Elle pourrait peut-être nous fournirdes renseignements d’une importance capitale.

– Elle se nomme Germaine ?

– Oui, c’est bien cela.

– Mais, comment la voir ?

– Ce n’est pas difficile, j’ai retenul’adresse qu’elle nous a donnée l’autre fois. Ce n’est pas loind’ici, dans la rue du Coin-Menteur.

– Eh bien, allons-y ! Mon père megrondera après, s’il veut, mais du moins j’aurai fait mondevoir.

– Bravo, mademoiselle, s’écria Justine enbattant des mains, voilà qui est courageux de votre part ;mais si vous voulez tirer d’affaire le capitaine Marchal, ce n’estpas le moment de faire des façons.

Yvonne et sa camériste furent prêtes à sortiren un instant, elles avaient endossé leurs costumes les plussombres et les plus simples et mis leurs voilettes les plusépaisses.

Il pouvait être trois heures.

La chaleur d’une lourde après-midi d’étérendait les rues presque désertes et l’on n’entendait dans lesilence de l’arrière-port que le halètement des machines à vapeuret la cadence des marteaux dans les forges de marine.

De vieilles dames avec de petits chiens et desretraités à cheveux blancs se dirigeaient tout doucement vers lessquares, munis de leur journal et de leur tabatière.

Yvonne et sa camériste ne rencontrèrentpersonne de leur connaissance ; au bout d’un quart d’heureelles étaient arrivées à la porte d’une maison de pauvre apparencedont la façade était enguirlandée de filets de pêche, accrochés làpour sécher.

Au moment d’entrer dans ce logis qui n’étaitrien moins que somptueux, les deux femmes hésitèrent. Que diraitM. de Bernoise quand il apprendrait qu’en dépit de sadéfense formelle sa fille était venue dans cet endroit ?

– Tant pis, dit enfin Yvonne, il fautavoir du courage jusqu’au bout, mon père dira ce qu’ilvoudra !

Comme elle prononçait cette phrase, Robertapparut tout à coup à l’autre extrémité de la rue. Le reporterdescendu du paquebot une demi-heure auparavant était encore encostume de voyage. Il paraissait très animé.

– Mademoiselle, dit-il après avoirrespectueusement salué la jeune fille, j’arrive de Londres et jecrois que les nouvelles que j’apporte sont bonnes, mais hélas lerésultat définitif – la réhabilitation de mon ami Marchal – n’estpas encore atteint…

– Vous me redonnez de l’espoir, réponditYvonne, après avoir écouté le récit succinct que lui fit lejournaliste de ses aventures à Londres. J’allais précisément, pourtâcher d’obtenir quelques renseignements, rendre visite à lafiancée de Bossard.

– Nous irons ensemble. Peut-être Germainea-t-elle déjà des nouvelles. Et peut-être aussi – ajouta lereporter en baissant la voix – Bossard est-il déjà de retour.

– Volontiers, murmura la jeune fille, etpourtant croyez-vous que ma présence soit indispensable ?Maintenant que vous êtes là, je suis presque tentée de meretirer.

– Gardez-vous-en bien. Germaine vousconfiera peut-être, à vous, des choses qu’elle ne me dirait pas àmoi. Il est très important que vous nous accompagniez.Mademoiselle, permettez-moi de vous montrer le chemin.

Et il commença à gravir l’escalier, suivid’Yvonne et de sa camériste.

La chambre qu’occupait Germaine dans la maisond’un vieux pêcheur était simple et gaie. Sur la cheminée, décoréede coquillages des mers australes et de vases en faïence anglaiseau reflet doré, s’étalait dans un beau cadre de peluche, laphotographie de Bossard, la mine souriante, ses médaillescoloniales alignées bien en évidence sur sa poitrine fièrementbombée.

Germaine fit à ses visiteurs l’accueil le plusempressé. Elle fit asseoir Mlle de Bernoisedans l’unique fauteuil qu’elle possédait et insista pour lui faireaccepter un petit verre de vieux genièvre ; comme on peut lesupposer, Yvonne déclina cette invitation, puis on causa.

– Mademoiselle, dit naïvement Germaine,toute fière de recevoir chez elle la fille du général, c’est biengentil à vous d’être venue. Il y a longtemps qu’on ne s’était pasvu…

Yvonne, tout interloquée par ce ton un peufamilier, ne savait trop que dire ; ce fut Robert, au fondtrès amusé de cette scène, qui se chargea de répondre etd’expliquer le but de leur visite.

– Je suis tout à votre disposition,répondit la matelote, mais je doute fort que je puisse vous donnerquelque renseignement utile. Déjà bien des gens sont venus mequestionner au sujet de mon fiancé, ce pauvre Bossard, depuis qu’ila réussi à s’échapper de prison et à passer à l’étranger. Je ne l’yai pas aidé, comme on l’a prétendu… mais je suis tout de même biencontente qu’il soit en sûreté ; il a tiré son épingle du jeu,il a bien fait, pas vrai ? Vous-même, monsieur Robert, vous enauriez fait autant à sa place.

Le reporter ne put s’empêcher de sourire decette vivacité de langage.

– Alors, reprit-il, il ne vous a pasécrit ? vous n’avez pas eu de ses nouvelles ?

– Non.

– Vous ne savez pas où il est ?

– Ma fois non ! mais je crois que cen’est pas bien difficile à deviner, il doit être sûrement enBelgique ou en Angleterre.

– C’est étonnant qu’il ne vous ait pasécrit.

– Sans doute qu’il n’a pas pu lefaire.

Yvonne crut comprendre, au vague de cesréponses, que la fiancée de Bossard se renfermait dans un silenceprudent et qu’elle en savait beaucoup plus qu’elle ne voulait endire.

– Vous n’ignorez pas mademoiselle,dit-elle palpitante d’émotion, que les renseignements que vouspouvez nous fournir – sans aucun danger pour vous d’ailleurs – ontpour nous une grande importance. Un vol a été commis, un officierest injustement accusé et votre fiancé pourrait peut-être le sauverpar son témoignage. Si vous faisiez cela, je vous jure que c’estmoi qui m’occuperais de votre dot. Votre fiancé aurait sa grâce, etune bonne place.

– Je devine, murmura Germaine éclairéepar son instinct, ce doit être votre prétendu à vous que l’onaccuse ?

Yvonne était devenue rouge comme unecerise.

– Non, mademoiselle, reprit sèchement lafemme de chambre, vous vous trompez, il s’agit seulement d’unepersonne à laquelle le général s’intéresse, un parent…

– Tant pis, répondit Germaine, mais je nepuis vous dire que ce que je sais. Vous avez été trop aimable avecmoi pour que je ne sois pas franche. Tenez. Aussi vrai qu’il faitgrand jour, Bossard est parti sans me dire adieu, sans même venirm’embrasser !

– Vous auriez tort de nous cacher quelquechose, reprit Yvonne avec insistance, même si votre fiancé étaitréellement coupable, en ce moment, il aurait tout intérêt àavouer.

– Ces messieurs de la police m’ont déjàexpliqué cela ; mais, croyez-moi si vous voulez, Bossard apeut-être bien des défauts, mais il n’a jamais fait tort d’un sou àpersonne…

Elle s’interrompit brusquement. On venait defrapper à la porte de la chambre.

– Mon Dieu, murmura Yvonne éperdue, simon père me surprenait ici !

Et elle baissa rapidement sa voilette et seretira dans l’angle le plus sombre de la pièce.

– N’ayez pas peur, mademoiselle, s’écriaGermaine, c’est le facteur. J’ai reconnu ses deux petits coupssecs.

– Une lettre recommandée, annonça lepédestre factionnaire dont le profil impassible se montra dansl’encadrement de la porte.

Germaine signa sur le registre et prit lalettre toute joyeuse.

– Le timbre anglais, s’écria-t-elle,c’est pour sûr de mon fiancé !…

Elle brisa le cachet d’une main impatiente.L’enveloppe ouverte, il en tomba un mandat international, puis unefeuille couverte d’une grosse écriture.

Germaine s’était retirée dans l’embrasure dela fenêtre pour mieux lire, tandis qu’Yvonne et Robert attendaienten échangeant des regards anxieux.

– Parbleu, s’écria Germaine avecenthousiasme, je savais bien, moi, que mon pauvre Bossard n’étaitpas un filou ! Voyez ce qu’il m’écrit !… Tenez, lisezvous-même !

Yvonne lut à son tour et devint pâle dejoie.

– Le capitaine est sauvé !murmura-t-elle d’une voix émue.

– Pas encore, dit Robert, mais il estbien près de l’être.

– Nous n’avons pas une minute àperdre ; je vais immédiatement prévenir mon père. Et vous,mademoiselle, ajouta-t-elle en se tournant vers Germaine,habillez-vous rapidement, M. Robert Delangle vous conduirachez mon père où nous vous précédons et qui va vous attendre.Surtout, n’oubliez pas la lettre !… Si les choses marchentcomme je l’espère, je vous promets la grâce de Bossard…

Yvonne et sa camériste étaient déjà dansl’escalier. Germaine se trouva bientôt parée de sa fameuse coiffureboulonnaise, auréolée de dentelles, et de son plus beau foulard desoie, et Robert lui servit de cavalier jusqu’à la demeure dugénéral de Bernoise.

Celui-ci n’étant pas encore rentré, Yvonnereçut les visiteurs dans le salon et leur tint compagnie enattendant le retour de son père.

Le général éprouva un profond étonnement enapercevant Germaine, la matelote, assise aux côtés du reporter.

– Singulière visite ! grommela-t-ilentre ses dents.

Et il demanda à Yvonne, à demi-voix :

– Qu’est-ce que cela signifie ? Queveut cette femme ?

– Mon père, répondit hardiment la jeunefille, je te présente la fiancée du soldat Bossard. Elle a degraves révélations à te faire.

Et comme le général fronçait lesourcil :

– Père, elle t’apporte la preuve del’innocence du capitaine Marchal. J’ai cru bien faire en la priantde t’attendre. Avant de te fâcher, prends connaissance de la lettreque cette jeune fille vient de recevoir, il n’y a qu’un instant, etqu’elle s’est empressée de t’apporter !

Le général, sans rien répondre, prit la lettreque lui tendait Germaine, toute tremblante d’émotion, et il lutattentivement le récit détaillé que faisait Bossard de son évasion,en annonçant son retour à sa fiancée.

Tout de suite la physionomie renfrognée deM. de Bernoise se détendit et, d’un geste plein debienveillance, il invita Germaine à se rasseoir.

– Mon général, dit alors le reporter,permettez-moi de compléter les renseignements précieux que contientcette lettre. Vous allez vous convaincre que mon voyage à Londres,bien que n’ayant pas donné tous les résultats que j’en attendais,n’a pas été complètement inutile.

Et il raconta, dans le plus grand détail,l’agression dont il avait été victime à la maison de fous, savisite au détective Frock et ses autres aventures enAngleterre.

Quand il eut terminé, le général étaitpleinement convaincu.

– Je suis très heureux, déclara-t-il, deconstater que le capitaine Marchal n’est pas coupable. Maintenant,il s’agit de prendre les mesures nécessaires pour que la dame noiredes frontières et ses complices n’échappent pas au châtiment qu’ilsont mérité. Je crains bien, malheureusement, qu’il ne soit déjàtrop tard.

Le général avait serré dans son portefeuillela lettre de Bossard, et, se retournant vers Germaine :

– Ayez bon espoir, mademoiselle, luidit-il, je vais faire tout mon possible pour obtenir la grâcepleine et entière de votre fiancé. Mais c’est à la condition quevous ne parlerez à personne du contenu de cette lettre. C’est unechose très importante. Quant à vous, monsieur Robert, revenez mevoir dans la soirée. Nous avons à causer longuement.

M. de Bernoise reconduisitcérémonieusement jusqu’à la porte de la rue le reporter et lamatelote, tous deux ravis du résultat de leur démarche.

Le général se sentait allégé d’un grand poids.Jamais il n’avait été aussi heureux.

Une fois rentré dans son cabinet de travail,son premier soin fut de libeller deux ordres de mise en libertéimmédiate, l’un en faveur du capitaine Marchal, l’autre concernantle soldat Louvier dont la bonne foi apparaissait maintenantévidente.

Puis, après avoir serré dans ses bras Yvonne,radieuse, le général se rendit en hâte chez le commissaire central.Il s’agissait de prendre les mesures nécessaires pour opérerl’arrestation de la célèbre espionne et de ses affidés. La lettrede Bossard allait peut-être donner les moyens d’atteindre cerésultat difficile.

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