La Dame noire des frontières

Chapitre 9PRIS AU PIÈGE

Marchal et Willougby étaient maintenant seuls.Sur un signe de son maître, l’impassible Gerhardt avait disparu, ilétait allé dans la pièce voisine tenir compagnie à Ronflot.

– Maintenant, dit aimablement Willougby,je suis à vos ordres. Hâtons-nous d’en finir avec cette petiteaffaire.

Et il fit un geste comme pour prendre sonportefeuille.

– Un moment, milord, fit Marchal. Vous neme refuserez pas d’accepter une tasse de thé… ou un verre deporto ? Un de mes amis, de passage à New York, m’a envoyé toutdernièrement quelques bouteilles d’un vieux porto blanc, provenantdes caves du milliardaire Jay Gloud.

– Eh bien ! soit. J’accepterai unverre de ce vin presque historique. Nous le dégusterons tout encausant.

Marchal sonna, donna ses ordres, et bientôtRonflot revenait avec un plateau qui supportait un flacon poudreux,une théière et des sandwichs.

Willougby but un verre de porto qu’il déclaraexquis. Maréchal se contenta d’une tasse de thé.

– Un cigare, proposa Willougby en tirantde sa poche un étui de vermeil d’un curieux travail.

– Volontiers… dit Marchal, et il choisitun régalia d’une couleur d’or blond, le fit craquer et l’alluma enjetant un coup d’œil distrait sur l’étui dont une des faces portaitun aéroplane gravé en relief.

– Vous vous intéressez àl’aviation ? demanda-t-il distraitement.

– Énormément, répondit l’espion. Je suismême commanditaire d’une grosse maison anglo-américaine pour lafabrication des aéroplanes, des avions et des dirigeables de touteespèce.

« C’est ce qui explique, ajouta-t-il, queje connaissais votre nom, bien avant de vous connaître vous-même.J’ai lu dans les revues spéciales plusieurs articles de vous.

– En effet, j’ai beaucoup écrit sur laquestion.

– Dites que vous êtes en France, un desspécialistes les plus réputés. Ah ! si la maison que jecommandite était dirigée par un homme de votre valeur…

Et, comme obéissant à une subite inspiration,Willougby ajouta :

– Je n’avais pas songé à cela, il yaurait peut-être une idée intéressante à creuser.

Marchal éprouvait une secrète nervosité, iltrouvait que le richissime Anglais mettait bien du temps à conclureune affaire aussi simple, mais, par sa situation même, il étaittenu à beaucoup de patience et de courtoisie, envers l’homme quis’offrait si généreusement à lui venir en aide.

– Quel est, demanda-t-il, sans comprendreencore où son interlocuteur voulait en venir, l’objectif, le butprincipal de vos ingénieurs ?

– Notre but est grandiose, répliqual’espion avec impudence, faire entrer l’aviation dans la pratiquede la vie courante. Créer partout des lignes de transport pour lesvoyageurs, réduire enfin les chemins de fer à ne véhiculer que desmarchandises.

– Ce serait magnifique, dit polimentl’officier. Les communications entre les villes et les continentsdeviendraient d’une rapidité jusqu’alors inconnue. On irait à NewYork en trois jours et en une heure du Havre à Paris. Nous verronspeut-être ces merveilles. L’industrie moderne, aidée par lascience, est bien près de toucher au but, mais ce ne sera pas sansd’immenses travaux.

– J’ai l’orgueil de penser que je mèneraià bien, grâce à ma fortune, cette tâche énorme et glorieuse. Mais,une telle entreprise ne peut être l’œuvre d’un seul homme. Pour leparachever, je m’adjoindrai des savants éminents, des hommes commevous, monsieur Marchal. Et tenez, jetons à l’instant même les basesd’une association, où vous apporterez votre savoir et moi mescapitaux. Soyez l’ingénieur des merveilleuses nefs aériennes que jeconçois.

Marchal tombait de son haut, ne comprenant pasencore.

– Vous savez bien, murmura-t-il, que ceque vous me demandez là est impossible.

– Je devine votre objection, repritWillougby avec une chaleur entraînante. Vous ne pouvez devenir moncollaborateur sans sacrifier votre situation !… Eh bien !sacrifiez-la… n’hésitez pas une minute. Vous aurez d’amplescompensations : dès maintenant, je vous offre trente millefrancs d’appointements annuels !

– Vous oubliez, milord, dit gravementMarchal, que j’appartiens à l’armée française ?

– Vous m’avez mal compris. Si vouscraignez d’éprouver quelques désagréments après avoir donné votredémission… Il s’agit d’une affaire purement industrielle et,d’ailleurs, nos usines sont installées à l’étranger !

– Nous avons, dit Marchal en fronçant lesourcil, des façons de voir bien différentes. Laissons, je vousprie, ce sujet qui m’est pénible. Je ne puis en aucune façonaccepter vos propositions.

– Ne soyez pas si prompt à rejeter uneoffre, somme toute, fort avantageuse et fort honorable. S’il vousrépugne de quitter une carrière à laquelle vous êtes attaché, ilexiste encore un moyen de nous entendre. Communiquez-moi des plans,des épures, j’exécuterai mes appareils d’après vos données et vousserez payé tout aussi bien.

– Impossible ! absolumentimpossible !

Le capitaine Marchal s’était levé et avaitfait un pas dans la direction de la porte. Willougby le rejoignitet le prit par le bras.

– Réfléchissez encore, murmura-t-il.

Il avait tiré son portefeuille bourré d’uneépaisse liasse de billets de banque.

– Ce que je viens de vous dire est trèssérieux, ajouta-t-il, ce ne sont pas là des promesses en l’air.Voici d’abord les quarante mille francs que je vous ai promis, eten voici encore autant. Tout cela est à vous si vous m’apportez desplans. Il paraît que, dans votre avion blindé, vous arrivez àréaliser une augmentation de vitesse très appréciable, ce sont lesplans de cet avion qui, pour le moment, m’intéresseraient le plus.Je vous attends ce soir… Est-ce entendu ?

Cette fois, toute équivoque avait cessé,l’espion jetait le masque. La face empourprée par l’indignation,Marchal marcha droit à lui, la main levée.

– Arrière, misérable ! s’écria-t-ild’une voix tonnante. Sortez d’ici !

L’espion parut à peine ému de cette attitude,il battit lentement en retraite vers la porte.

– Capitaine, murmura-t-il en ricanant, jevous conseille de vous tenir tranquille et de songer plutôt àtrouver l’argent qui vous manque… Il est encore temps de changerd’avis… Tenez, regardez cette liasse de billets bleus… Ils sont àvous, si vous voulez…

D’un geste farouche qu’il ne put réprimer,Marchal arracha les billets des mains de Willougby, les jeta àterre et les piétina furieusement.

– Voilà le cas que je fais de ton argent,clamait-il, mais, prends garde à toi, traître, rien ne m’empêcherade te faire arrêter !

Willougby ramassa les billets avec uneprestesse qui eût fait honneur à un prestidigitateur de profession,puis, avec un flegme imperturbable :

– Dénoncez-moi, si cela vous amuse,capitaine Marchal ; je suis au-dessus de vos attaques… Vousaurez déjà bien du mal à vous défendre vous-même…

Marchal crut sentir le sol manquer sous sespieds. Brusquement, il se souvenait de l’étrange ressemblanceconstatée par Robert entre miss Arabella et « la dame noiredes frontières », la fameuse espionne allemande.

Évidemment, ni le prétendu lord Willougby, nisa sœur n’étaient anglais, cela devenait trop clair.

À ce moment, Ronflot entrebâilla la porte etannonça d’une voix que l’émotion faisait trembler :

– M. le général de Bernoise !M. le commissaire central !…

– Qu’ils entrent, dit Marchal avecaccablement.

Le général s’était avancé vers Willougby, lamain tendue.

– Recevez mes excuses, milord, luidit-il, mais je suis obligé de vous déranger. J’ai à entretenir lecapitaine Marchal, d’une grave affaire, d’une affaire de servicequi ne souffre aucun retard.

– Mon général, répondit l’espion, avecune imperceptible ironie, vous ne nous dérangez nullement,croyez-le bien. J’allais précisément me retirer.

Et il salua et sortit rapidement.

Marchal avait fait un geste comme pours’élancer à sa poursuite, puis, il était retombé affaissé sur sonsiège. Le trouble qu’il ressentait n’échappa ni au général, ni aucommissaire de police. Tous deux échangèrent un regard.

– Capitaine Marchal, dit alorsM. de Bernoise, je vous ai tenu jusqu’ici dans la plushaute estime et c’est avec regret que je me vois obligé de prendrecontre vous de rigoureuses mesures disciplinaires : jusqu’à lafin de l’enquête sur le vol commis dans vos bureaux, je vousordonne de garder les arrêts au quartier général où une chambrevous sera désignée.

Marchal était devenu d’une pâleurmortelle.

– Au quartier général !…murmura-t-il, d’une voix étranglée. Pourquoi pas chezmoi ?…

Le commissaire qui, depuis qu’il était entré,examinait, en connaisseur, la serrure du coffre-fort se retournabrusquement :

– Capitaine, dit-il, j’espère que toutfinira par s’éclairer, mais, jusqu’ici, je ne vous le cache pas,les apparences sont contre vous. L’enquête ne vous a pas étéfavorable. Nous ne trouvons aucune manière d’expliquer le vol àmoins que d’admettre que vous en êtes l’auteur.

– Je suis innocent, s’écria Marchal avecindignation.

– Je ne vous dis pas le contraire. Je nevous accuse pas formellement. Nous discutons et jusqu’ici lalogique vous condamne !

– Comment cela ?

– Dame, nous n’avons relevé sur la portede la maison et sur celle du coffre-fort aucune trace d’effractionou de pesée. De plus, vous avez vous-même déclaré que vous nesoupçonniez personne, ni votre fourrier, ni votre ordonnance…

– Je maintiens ce que j’ai dit à cetégard, mon fourrier et mon ordonnance sont d’honnêtes gens. Je lesconsidère comme incapables de commettre une malhonnêteté.

– Il y pourtant un coupable !…

– Sans doute, mais ni vous, ni moi ne leconnaissons, et pour me disculper, je ne puis pourtant pas accuserdes innocents…

Le commissaire eut un haussementd’épaules.

– Laissons cela, fit-il d’une voix brève.Vous aviez des dettes de jeu ?

– Oui.

– Vous les avez payées ?

– Oui, monsieur.

– Et avec quel argent ?

– Avec mes économies personnelles.

– Ou avec d’autres fonds !… raillale commissaire, c’est ce que nous éclaircirons.

– Monsieur !… s’écria Marchal quicontenait à peine son indignation, vous abusez du malheur de masituation présente pour m’insulter !…

Le général de Bernoise, qui avait écoutésilencieusement cet interrogatoire, intervint alors :

– Soyez calme, dit-il. Je souhaite quevous arriviez à démontrer votre innocence, mais, véritablement,tout est contre vous. Tout vous accuse, depuis la permissionaccordée au fourrier qui est parti bien avant l’heure réglementairejusqu’à votre visite à votre oncle chez lequel d’ailleurs unedescente de justice va être opérée.

Marchal frissonna de tout son corps ensongeant au saisissement et au chagrin qu’allait éprouver levieillard en voyant les gens de police envahir sa demeure pourperquisitionner.

– Mon oncle en mourra, balbutia-t-il,d’une voix à peine perceptible.

– Et ce sera vous qui l’aurez tué,répliqua le commissaire de police.

Marchal baissa la tête avec accablement etdemeura quelque temps plongé dans le silence du désespoir. Mais,chez lui, le découragement ne durait jamais longtemps, il se relevabientôt dans un beau mouvement d’énergie.

– Si j’avais eu l’intention dem’approprier les sommes qui m’étaient confiées, n’aurais-je paspris la précaution de simuler une effraction ? Qui aurait osém’accuser ?

– Vous avez sans doute cru plus habiled’agir comme vous l’avez fait, vous imaginant sans doute qu’onn’aurait jamais l’idée de vous soupçonner. Puis, tenez, il y a unfait accablant contre vous.

– Quel fait ?

– Qu’êtes-vous venu faire à Boulogne,dans la nuit du samedi après avoir, pour donner le change, annoncéque vous restiez à Étaples jusqu’au lundi !

Marchal demeura silencieux.

– Vous voyez bien ! dit lecommissaire en jetant au général de Bernoise un regard de triomphe.Il vous est impossible d’expliquer l’emploi de votre temps.

– J’avais rendez-vous avec une personneque je ne puis nommer.

Le commissaire eut un sourire de pitié.

– Voilà un truc bien usé, fit-il, ilfaudra chercher autre chose.

Marchal était exaspéré, il se débattaitvainement sous un amoncellement de preuves écrasantes. Ilcomprenait qu’à chaque phrase qu’il prononçait, il s’enfonçait unpeu plus.

– Eh bien, s’écria-t-il d’une voixvibrante de colère, puisque l’on m’oblige à défendre mon honneur,je vais tout vous dire.

– Je vous écoute, ditM. de Bernoise, devenu attentif.

– Il y a quelque chose que j’ai sur lecœur. Je suis sûr, moi, que le seul coupable est lordWillougby.

Le général eut un geste de surprise.

– Oui, reprit Marchal… Willougby est venuà mon bureau le samedi soir, un peu avant mon départ, et je merappelle maintenant son attitude singulière, mais, ce n’est pastout, au moment où vous êtes entrés, ce misérable m’offrait derembourser lui-même les quarante mille francs volés si jeconsentais à lui livrer les plans de mon avion blindé.

– C’est le comble de l’impudence, s’écriale commissaire avec mépris. Au début de l’interrogatoire, vousaviez montré un certain sang-froid, maintenant, vous perdez latête… Pourquoi ne dites-vous pas aussi que c’est chez lordWillougby que vous avez passé la nuit du samedi ?

Marchal eut besoin de toute sa force d’âme,pour ne pas parler de miss Arabella et ne pas dire la vérité.Maintenant, il en avait la conviction absolue, la belle Arabella etla Dame noire des frontières, l’espionne allemande de sinistrerenom n’étaient qu’une seule et même personne.

Le malheureux officier voyait maintenant dansquel piège infâme il avait été attiré, mais il comprenait aussiqu’on ne croirait pas un mot de ses affirmations, il venait d’enavoir la preuve.

– Vous aggravez votre cas de pitoyablefaçon, ajouta M. de Bernoise d’un ton sévère. Jusqu’ici,je conservais encore des doutes sur votre culpabilité, maintenant,ma conviction est faite. Accuser sans preuve, contre toutevraisemblance, un noble lord, un ancien officier des arméesbritanniques ! Voilà qui est odieux !

Marchal sentait le sang lui monter à latête.

– Oui, répéta-t-il avec une sorte derage. Willougby, à plusieurs reprises, m’a offert de l’argent, enéchange de mes plans, je le dis et je le maintiens !…

– Silence, monsieur, dit le général, jen’ai jamais vu personne se défendre de si piteuse façon. Noussavons que le noble lord se montre généreux envers tout le monde,jusqu’à la prodigalité. Peut-être vous a-t-il rendu service àvous-même, et c’est pour l’en récompenser que vous l’accusez, maisce n’est pas ici que de pareilles questions doivent sedébattre…

Marchal demeura silencieux. Il se sentaitdevenir fou de colère et de rage impuissante.

À ce moment, Ronflot pénétra dans la pièce,tenant en main un papier plié en quatre ; il s’apprêtait à leremettre au capitaine Marchal, lorsque le commissaire le luiarracha des mains.

– Voyons cela, dit-il au général deBernoise, sans doute quelque avis secret qu’on veut faire passer àl’inculpé.

Marchal était rouge de honte.

Ainsi, il était déjà « l’inculpé »,on lui prenait sa correspondance, comme à un vulgaire malfaiteurdont la police a le droit d’ouvrir les lettres.

Le papier plié en quatre ne contenait que cesquelques lignes tracées au crayon :

« Mon cher ami,

« Je crois avoir fait une découverteintéressante pour toi. Demande de ma part une audience immédiate àM. de Bernoise.

« Ton ami,

Robert. »

Le commissaire eut une moue dedésappointement : il s’était attendu à tout autre chose.

– Introduisez la personne qui vous aremis ce billet, dit le général à Ronflot.

L’instant d’après, Robert Delangle pénétraitdans le bureau. Il était accompagné du soldat Louvier, le même qui,mis en sentinelle sous les fenêtres du bureau, avait laissé fuirson ami Bossard.

– Mon général, dit-il en saluant avecrespect M. de Bernoise, qui lui rendit froidement sonsalut, vous excuserez mon indiscrétion, mais j’ai à vous faire unecommunication de la plus haute gravité.

– Vous êtes tout excusé, monsieur,surtout si vous nous apportez quelque renseignement utile.

– Je crois être en mesure de prouverl’innocence de mon ami, le capitaine Marchal, qui, à ce que jeviens d’apprendre, est injustement soupçonné d’être l’auteur du voldont lui-même a été victime.

La physionomie du général se rembrunit.

– Je crains que vous n’ayez entrepris làune tâche difficile, dit-il d’un ton bref.

Le commissaire, lui, demeuraitsilencieux ; il étudiait le nouveau venu.

– Serait-ce un complice ? sedemandait-il in petto.

Cependant, Robert avait fait avancer le soldatLouvier jusqu’auprès du général.

– Voici, dit le reporter, en la personnede ce brave soldat, un témoin dont les dires ne peuvent guère êtrerécusés, puisqu’en révélant la vérité, il s’expose lui-même à unesévère punition.

– Soldat Louvier, dit le général, je vousdonne l’ordre de me dire ce que vous savez. Vous n’ignorez pasqu’un mensonge pourrait avoir pour vous les plus gravesconséquences.

– Mon général, répondit Louvier, sansparaître intimidé, je sais que je me suis mis en défaut par trop debonté, ou plutôt par trop de bêtise. J’ai eu tort ; aussi çam’est égal d’aller au bloc : je l’ai mérité.

– Allez au fait, murmura le général avecimpatience, et surtout, tâchez de parler clairement, d’une façonnette et précise.

– Oui, mon général.

– En somme, que dites-vous ?

– Eh bien ! voilà, j’étais defaction, samedi dernier, sous les fenêtres mêmes du bureau ;c’est une habitude, on met toujours une sentinelle à cetteplace-là.

Et Louvier alla ouvrir la fenêtre et se penchavers la cour.

– Vous voyez, mon général, j’étais là,juste en bas du mur.

– Continuez.

– Vers les neuf heures et demie, jefaisais les cent pas, mon flingot sur l’épaule, quand je vois toutà coup, à côté de moi, mon camarade Bossard, avec qui j’ai faitcampagne au Tchad, au Bornou, au Maroc. Il venait de s’échapper desa cellule.

– Votre devoir était de le mettre enjoue, d’appeler à la garde et, au besoin, de tirer surlui !

– Je sais bien, mon général, mais il m’atellement supplié de le laisser grimper jusqu’à l’appui de lafenêtre que… j’ai fini par céder.

– Vous l’avez aidé ?

– Non, mais je l’ai laissé faire. Ilsavait que le capitaine était absent et il prétendait pouvoir trèsbien gagner la rue en passant par le bureau…

Le général foudroya le soldat d’un regardterrible.

– Complicité d’évasion !s’écria-t-il. Vous savez ce qui vous attend, vous n’avez qu’àrelire les articles du code, à la fin de votre livret militaire.Vous êtes sûr de passer au conseil, c’est moi qui vous ledis !

– Tant pis pour moi, murmura Louvier,sans se déconcerter. Je ne l’ai pas volé. Si j’avais pu deviner cequ’allait faire ce gredin de Bossard, je ne l’aurais pas laisséaller. Finalement, il a grimpé jusqu’à la fenêtre et il est entrédans le bureau. Ce ne peut être que lui qui a dégringolé la caisse…Voilà la vraie vérité ! Le capitaine Marchal est innocent etBossard un coquin, ça, je le jure !

Marchal avait écouté la déposition de cetémoin inespéré avec un véritable ravissement ; il se croyaitdéjà sauvé. Mais une amère déconvenue lui était réservée.

Le commissaire s’était avancé vers RobertDelangle.

– Monsieur, lui dit-il avec un souriregoguenard, cela n’est pas mal imaginé. La fable fait honneur àvotre imagination de reporter, mais vos efforts désespérés poursauver votre ami seront inutiles…

– C’est-à-dire que je suis unmenteur ! grommela Louvier d’un ton hargneux.

– Silence, vous ! ordonnaM. de Bernoise, laissez parler M. lecommissaire.

– Ce soldat répète évidemment une leçonapprise par cœur. Nul doute qu’il n’ait été stylé parM. Delangle. Malheureusement, l’histoire ne tient pas debout.Bossard n’aurait pu gagner la rue en passant par le bureau sanscommettre quelques dégâts, sans laisser quelques traces de sonpassage.

– On voit encore très bien sur le mur destraces d’escalade, dit Louvier.

– Voilà une chose intéressante àconstater, fit le reporter.

– Ces dégradations, répliqua aigrement lecommissaire, peuvent avoir été faites après coup. Qui nous prouvequ’elles datent de samedi ?

– Qui prouve aussi qu’elles datent d’uneépoque postérieure ?… objecta Robert.

– Cela suffit, s’écriaM. de Bernoise, irrité de ce qu’il croyait être unegénéreuse supercherie de l’ancien correspondant de guerre poursauver son ami. Le soldat Louvier aura, par mon ordre, trente joursde prison, avec le motif : A tenté d’entraver l’action dela justice militaire par des mensonges.

Puis, s’adressant au reporter :

– Quant à vous, monsieur, dont le rôledans cette affaire me semble très suspect, je vais réfléchir à ladécision qu’il convient de prendre à votre égard.

– Mon général, dit Robert, je vous jureque vous êtes sur le point de prêter la main à une terribleinjustice.

– Silence, monsieur. Prenez garde quevotre dévouement irréfléchi pour votre ami ne vous fasse considérercomme son complice.

Le capitaine Marchal qui, pendantl’interrogatoire de Louvier avait gardé un sombre silence, s’étaitélancé vers Robert et lui serrait la main avec effusion.

– Merci, mon cher ami, murmura-t-il, jen’oublierai jamais ce que tu viens de faire pour moi. Mais, soisconvaincu que, d’ici peu, mon innocence éclatera d’elle-même. Jeconnais les vrais coupables…

Il allait expliquer à Robert le rôle infâmejoué par le prétendu lord Willougby et sa sœur, mais lecommissaire, furieux, intervint et les sépara.

– Vous n’avez pas le droit, dit-il àRobert, de communiquer avec l’inculpé ; d’ores et déjà, il estau secret et ne doit parler à personne, tout le monde doit sortirde ce bureau où les scellés vont être apposés.

Au moment de franchir le seuil, Robert serraune dernière fois la main de son ami.

– À bientôt, lui dit-il, sois sûr que jene t’abandonnerai pas…

– Je te le jure, je suisinnocent !

– Monsieur, dit rudement le général, leConseil de guerre appréciera !…

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