L’Affaire Lerouge

Chapitre 20

 

Quelques mois plus tard, un soir, chez la vieille Mlle deGoëllo, madame la marquise d’Arlange, rajeunie de dix ans,racontait aux douairières, ses amies, les détails du mariage de sapetite-fille Claire, laquelle venait d’épouser monsieur le vicomteAlbert de Commarin.

– Le mariage, disait-elle, s’est fait dans nos terres deNormandie, sans tambour ni trompette. Mon gendre l’a voulu ainsi,en quoi je l’ai désapprouvé fortement. L’éclat de la méprise dontil a été victime appelait l’éclat des fêtes. C’est mon sentiment,je ne l’ai pas caché. Bast ! ce garçon est aussi têtu quemonsieur son père, ce qui n’est pas peu dire ; il a tenu bon.Et mon effrontée petite-fille, obéissant à son mari paranticipation, s’est mise contre moi. Du reste, peu importe, jedéfie aujourd’hui de trouver un individu ayant le courage d’avouerqu’il a douté une seconde de l’innocence d’Albert. J’ai laissé mesjeunes gens dans l’extase de la lune de miel, plus roucoulantsqu’une paire de tourtereaux. Il faut avouer qu’ils ont acheté leurbonheur un peu cher. Qu’ils soient donc heureux et qu’ils aientbeaucoup d’enfants, ils ne seront embarrassés ni pour les nourrirni pour les doter. Car, sachez-le, pour la première fois de sa vieet sans doute la dernière, monsieur de Commarin s’est conduit commeun ange. Il a donné toute sa fortune à son fils, toute absolument.Il veut aller vivre seul dans une de ses terres. Je ne crois pasque le pauvre cher homme fasse de vieux os. Je ne voudrais pasjurer même qu’il a bien toute sa tête depuis certaine attaque…Enfin ! ma petite-fille est établie, et bien. Je sais ce qu’ilm’en coûte, et me voici condamnée à une grande économie. Mais jemésestime les parents qui reculent devant un sacrifice pécuniairequand le bonheur de leurs enfants est en jeu.

Ce que la marquise ne racontait pas, c’est que, huit jours avant« la noce », Albert avait nettoyé sa situation passablementembarrassée et liquidé un respectable arriéré.

Depuis elle ne lui a emprunté que neuf mille francs ;seulement elle compte lui avouer un de ces jours combien elle esttracassée par un tapissier, par sa couturière, par trois marchandsde nouveautés et par cinq ou six autres fournisseurs.

Eh bien ! c’est une digne femme : elle ne dit pas de mal deson gendre.

Réfugié en Poitou après l’envoi de sa démission, M. Daburon atrouvé le calme ; l’oubli viendra. On ne désespère pas,là-bas, de le décider à se marier.

Mme Juliette, elle, est tout à fait consolée. Les quatre-vingtmille francs cachés par Noël sous l’oreiller n’ont pas été perdus.Il n’en reste plus grand-chose. Avant longtemps on annoncera lavente d’un riche mobilier.

Seul, le père Tabaret se souvient.

Après avoir cru à l’infaillibilité de la justice, il ne voitplus partout qu’erreurs judiciaires.

L’ancien agent volontaire doute de l’existence du crime etsoutient que le témoignage des sens ne prouve rien. Il fait signerdes pétitions pour l’abolition de la peine de mort et organise unesociété destinée à venir en aide aux accusés pauvres etinnocents.

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