L’Amour Impossible

Chapitre 1La comtesse d’Anglure

Caroline de Vaux-Cernay, comtesse d’Anglure par mariage, étaitune des plus jeunes et des plus riches maîtresses de maison qu’il yeût alors dans la haute société de Paris. Élevée en province, aufond de la Picardie, par une vieille tante qui l’avait mariée aucomte d’Anglure avant qu’elle eût atteint sa seizième année, elleavait consolé la bonne compagnie de la grande éclipse de Mme deGesvres en ouvrant son salon presque à là même heure où la marquisefermait le sien. On trouva chez la comtesse d’Anglure la mêmeélégance, le même goût et à peu près le même monde que chez Mme deGesvres ; seulement, celle qui faisait les honneurs de cesalon ne ressemblait en rien à Bérangère. Elle n’en avait ni labeauté mate et arrêtée, ni la coquetterie toujours sous les armes,ni cette parole brillante et hardie qui faisait croire, bien àtort, que la marquise était méchante, à tous les poltrons qui ontpeur des esprits, mais qui donnait aux cerveaux de ceux qui en ontl’excitation fécondante sans laquelle on ne saurait causer avecplaisir et avec entrain. Non, Mme d’Anglure n’avait rien de toutcela. Mais pour ceux qui prosternent tout devant l’inexprimablemagie de la jeunesse, le changement consolait de la perte, et l’onpouvait sans ingratitude stupide se dispenser d’avoir desregrets.

Que l’on se figure, en effet, tout ce que les peintres ontjamais inventé de plus printanier et de plus suave pour donner uneidée de la jeunesse, et l’on n’aura qu’une faible image de cequ’était Caroline d’Anglure quand elle arriva à Paris. Toutes lesfemmes de seize ans ont l’air jeune ; mais ce qui attirait sivivement en elle n’était point cette floraison fugitive, cetentr’ouvrement mystérieux de rose blanche qui, sous la force de lavie, déchire l’enveloppe de son bouton, et qui s’épanouit au frontde toutes les virginités pubères ; c’était quelque chose deplus fraîchement idéal encore, quelque chose de supérieur à labeauté même, rayon impalpable et divin qui se jouait autour decette forme déliée, mignonne et blanche, que le comte d’Anglureavait prise unmatin dans sa mante,comme dit la chanson espagnole, et avait apportée, comme unedifficulté à vaincre, aux plus habiles couturières de Paris. Rien,de fait, ne dut être plus difficile que d’habiller Caroline. Ladélicatesse inouïe de toute sa personne alourdissait les pluslégers tissus, comme la lumière nacrée de son teint en éteignaitles couleurs. Jusqu’aux fleurs pesaient sur ce front candide. Elleeût rappelé les filles d’Ossian, ces belles rêveuses couchées, sansles faire plier, sur des nuages, si une fraîcheur aussi exquise quela sienne avait pu durer deux jours sans se faner dans lesbrouillards.

Ce genre de beauté parfaitement inconnu à Paris, où les jeunesfilles naissent flétries et épuisent ces nombreuses nuances dejaune qu’Haller seul put exprimer par dix-huit mots distincts, enallemand, eut un succès fou : le succès du rare et del’étrange, le grand succès chez les sociétés avancées qui sontarrivées au bout de tous les ordres de sensations. Les femmes, quieurent la douleur de le voir et de le constater, sourirent enprévoyant combien serait court un triomphe dû à des qualités plusfragiles que la beauté même. À leurs yeux, sceptiques pour tout cequi n’est pas leur miroir, Caroline d’Anglure était à peinejolie : ce n’était qu’une blonde bien blanche ; maistoutes les blondes ne le sont-elles pas ? Comme les artistes,qui, plus francs ou plus sensibles aux effets de la couleur,étaient fanatiques de l’éclat limpide et doux qu’épandait lafraîcheur pâle de la comtesse, elles ne voyaient pas que tout encette adorable enfant s’arrêtait timidement à la nuance, depuis lerose indécis de la bouche jusqu’aux larges prunelles gris de perlede ses beaux yeux, depuis les reflets bronzés de ses cheveux tordussur sa tête jusqu’aux gouttes d’or fluide dans lesquellesl’extrémité de ses longues paupières semblait avoir été trempée parla main légère du caprice. S’imaginant sans doute qu’il n’y a pointde mois de mai aux bougies, les imprudentes approchaient, sanstrembler, leurs épaules céruséennes des touffes de lys irisées etdiaphanes qui s’épanouissaient au corsage de Caroline comme auxbords d’un charmant vase antique, tout svelte et tout pur, et ellesne manquaient jamais de se dire entre elles, quand la comtessearrivait quelque part : – « Ne trouvez-vous pas quela grande fraîcheur de Mme d’Anglure se passe unpeu ? »

Du reste, elles avaient décidé souverainement qu’elle avaitl’air bête, et vraiment la pauvre Caroline, qui avait été élevée àla campagne, ou plutôt qui n’avait pas été élevée du tout, nepouvait guères mettre dans sa physionomie de ces effrayants airs detout comprendre et de pouvoir tout exprimer qu’ont les femmes decet admirable siècle, si profondément intelligent. Quand le comted’Anglure l’épousa, elle n’avait fait que lire son office de laVierge et cultiver des résédas ; et quand il la conduisit dansle monde, ce qu’elle y vit et y entendit n’éveilla point en elleces facultés dont les prodigieux développements, chez les autresfemmes, menacent, si cela continue, de devenir un véritable fléau.Elle n’eut aucune des affectations modernes. Lamartine l’ennuyaitsincèrement, et sa loge était souvent vide les jours que Rubinichantait. Elle se contentait d’être le je ne sais quoi de joli, derond, de gracieux et de parfumé qu’est une femme qui reste femme, –la seule chose que, dans leurs ambitions effrénées, elles oublientde vouloir être maintenant.

Mais si les excellentes amies de la comtesse travaillèrent à luifaire une superbe réputation de sottise et d’ignorance, il leurfallut toutefois reconnaître que cette petite et insignifiantepersonne n’était pourtant ni gauche ni timide, et qu’elle faisaitles honneurs de chez elle avec aussi peu d’étonnement que si toutesa vie s’était passée dans ce monde où elle arrivait. Cette jeunefille d’hier avait l’aplomb du nom qu’elle portait. Elle quin’avait jamais vu que quelques curés de campagne et quelquesgentilshommes chasseurs, vieux et bruyants amis de sa tante, MlleThécla de Vaux-Cernay, elle avait les manières simples, la voix,l’accent, la phrase brisée, la politesse relevée et quelquefoisfamilière de la femme essentiellement comme il faut, qualitésmorales de la noblesse de sang et de race qui font se ressembler,malgré les différences d’éducation, la femme la plus répandue etcelle qui n’a jamais quitté la tourelle de son château de province.À peine Caroline eut-elle fait faire ses robes chez Palmyre,qu’elle eut l’air aussi comtesse que les femmes chez qui elleallait au faubourg Saint-Germain. On sentait soudainement, envoyant ces femmes vieillies sur les parquets de ces salons et cettepetite mariée qui n’y avait jusque-là jamais posé la pointe de sonpied, qu’elles étaient providentiellement écloses pour remplir lemême rôle social, et qu’elles étaient égales entre elles par lestraditions du berceau.

Cela seul empêcha peut-être qu’elle ne succombât, comme femme àla mode, sous la réputation d’affreuse bêtise qu’on s’amusa à luitailler à facettes ; car ce fut par ce mot cruel et forcéqu’on traduisit la plus ineffablement charmante absence d’espritqui fut jamais. Cette imprescriptible noblesse qu’elle avait dansl’accent et dans la physionomie quand elle disait de ces riens quiétaient, hélas ! toute sa conversation (l’hélas ! étaitla charité ordinaire des femmes qui lui trouvaient la peau tropblanche), cette noblesse originelle la sauvait de l’espèce deridicule qu’il y a en France, le pays, comme l’on sait, le plusspirituel de la terre, à manquer de tout ce que le monde a, et oùles femmes, surtout, se placent à une si grande hauteur que, pourdeux mots à leur dire sur leur bonne grâce ou celle de leur robe,on est obligé de subir une conversation si spirituelle,si mille fleurs d’Italie,qu’une bonne migraine en est toujours le résultat.

Fut-ce le contraste, plein d’imprévu, qu’il y avait entre cetteenfant que l’instinct du monde et son aristocratie naturelleempêchaient d’être une Agnès, mais qui n’avait dans sa jolie têterien qui ressemblât à une pensée sur quoi que ce soit, et lesfemmes distinguées qui en ont sur tout une immensité ; fut-cece contraste, ou seulement l’alliciant parfum de la plus exquisejeunesse en fleur, qui lui livra et lui retint tous leshommages ? Parmi ceux qui lui furent offerts si elle voulut enagréer quelques-uns, ce ne fut point son mari qui l’en empêcha. Sonmari, homme élégant, d’ailleurs, l’avait moins épousée pourelle-même que pour cimenter des relations qui existaient de fortlongue date entre les Vaux-Cernay et les d’Anglure ; il futprobablement décidé aussi par la beauté de cette blanche personnequi promettait à ses enfants un sang si pur. Et comment n’eût-ilpas plongé sa lèvre avec un certain frémissement dans l’écumelégère et savoureuse de ce sorbet virginal ? Mais peut-être letrouva-t-il un peu froid. C’était tout à fait un homme de son tempsque Raoul d’Anglure, de ce temps où la vie anglaise, la vie deshommes entre eux, a succédé à ces relations de tous les instantsavec les femmes qui donnaient aux hommes d’autrefois cette grâce,hélas ! perdue, et qui causait de si grands désordres d’amour.Avec les habitudes qu’on prend si vite dans le laisser-aller de nosmœurs, il n’appartenait réellement pas à Caroline de captiver unhomme comme Raoul. Aussi, peu de temps après son mariage, celui-cidonna-t-il à sa femme une liberté qu’elle ne désirait probablementpas. Il la suivit fort rarement dans le monde. Il passait sesjournées à courir à cheval et à chasser ; puis, quand il étaitbien fatigué, il s’en allait clore ses soirées chez une anciennemaîtresse plus âgée que lui, et sur le canapé de laquelle il necraignait pas de s’étaler avec ses bottes et ses éperons. Là, iltrouvait toujours quelques amis, grands amateursdu va tepromener, la honte !et de l’intimité des hommes qui se mettent au-dessus des apparenceset qui les jugent sans soigner la rédaction du jugement. Rien nevaut, à ce qu’il semble, cette intimité que les délicats traitentde grossière, mais qui n’astreint ni à la repartie ni à la grandetenue, si gênantes pour l’égoïsme de nos jours. Cela est triste àdire, mais cela est. Le mariage lui-même a toujours une certainepruderie, un certain guindé, ce certain vertugadin de satin blancqu’on appelle la chasteté ; et toutes ces maudites agrafes, sidifficiles à faire sauter, expliquent fort bien la préférence qu’onaccorde, et qu’accordait Raoul d’Anglure, à une vieille maîtressequi suce vos cigares pour les allumer et devant qui on se permettout sans qu’elle soit choquée de rien, sur une ravissante jeunefemme épousée par inclination et digne de tout l’amour des anges,si les hommes ressemblaient à ces derniers un peu davantage.

Quoi qu’il en soit, la comtesse d’Anglure ne s’aperçut guèresdes négligences de son mari. Elle l’avait épousé sans l’aimer, etla vie extérieure de Paris l’empêcha de regretter la vie intimequ’elle n’avait pas. En vain lui insinuait-on quelquefois avecbeaucoup d’art qu’elle ne devait pas être heureuse, elle n’avaitpas l’air de comprendre. Elle restait de la plus gracieusestupidité. Rien n’altérait le blanc plumage de cette peau de cygneque lustraient la santé et la jeunesse, et qui avait les splendeursbleuâtres du plus pur émail. Nulles larmes ne rosaient – car ellesn’eussent pas osé les rougir – ces paupières, si lentes à semouvoir au-dessus de ces beaux orbes d’un gris si tendre qu’ilssemblaient sourire en regardant. Aussi les observatrices de salonchez qui elle allait prendre le thé disaient-elles qu’où l’espritmanquait, les sentiments vifs ou profonds devaient nécessairementmanquer aussi. Bel axiome que M. de Maulévrier fit mentir, car iladvint que cette petite poupée qui ne pensait pas, et qui, comme laStatue de Memnon, ne savait dire que bonjour et bonsoir d’une voixharmonieuse, se prit à aimer M. de Maulévrier avec une intrépidenaïveté. Dans ce cœur d’une virginité fabuleuse, éclata tout à coupcette fleur d’un sentiment vrai qui ne fleurit plus guères que tousles cent ans, comme l’aloès, et qui fait moins de bruits. Elleretint l’amour prêt à disparaître de ce monde ; elle abritaquelques jours encore ce bel oiseau de paradis que bien des jeunesfilles passeront désormais inutilement leur vie à attendre dans cesiècle, où, en fait d’amour, le langage meurt avec l’idée ; etoù demain peut-être les lettres de Mlle de Lespinasse serontregardées comme l’expression apocryphe d’un sentimentantédiluvien.

M. de Maulévrier arrivait alors on ne sait d’où, après uneabsence de plusieurs années. On connaît maintenant le marquisRaimbaud de Maulévrier. Une singulière particularité de sabiographie de cœur, c’est que jusqu’alors il n’avait aimé que lesfemmes brunes. Lescheveuxfeuille morte de Mme d’Anglurele jetaient toujours dans des rêveries qu’il se reprochait, car ilhaïssait l’air rêveur. C’était, comme on l’a déjà vu, un oisifcomme Raoul d’Anglure, mais un oisif d’une aristocratie plusrelevée dans les habitudes de sa vie. Il préférait la société desfemmes à celle des hommes, auxquels il adressait rarement laparole ; il ne détestait pas les esclavages de la toilette, etn’eût pas prostitué sa bouche au narghilé même du sultan. Parcequ’il n’aimait pas à courir toute la journée, bride abattue, commeun jockey, on l’accusait d’être un efféminé, et les amis de Raoull’appelaient en riant Sardanapale. Indépendant, au milieu de Paris,comme le vent dans les bruyères, et ne sentant pas l’affreux besoind’être riche, il pouvait, si cela lui plaisait, s’engloutir toutvivant dans l’amour d’une femme du monde, ce dévorant passe-temps,pour un homme, qui eût anéanti l’âme de Bonaparte lui-même s’iln’avait pas eu le bonheur d’aimer une femme entretenue, à uneépoque qui était un pêle-mêle social.

Mais les misères du temps présent avaient tué à la mamellel’ambition de M. de Maulévrier, et son orgueil était moins grandque sa vanité. Aussi, à force de regarder cescheveux feuille morte, et ce cœurd’épaules qui donnait une grâce si tombante à la robe de Mmed’Anglure, il se dévoua encore une fois à ce culte terrible qu’ilavait déjà pratiqué, l’adoration d’une femme de naissance et demonde. Seulement, empressons-nous de le dire, Mme d’Anglure sut luiépargner toutes les aspérités auxquelles il s’était déjà sirudement froissé. Elle ne fit aucune des petites mines d’usageavant d’accepter ce qui lui causait tant de plaisir. C’est même decette époque que la fatuité de Maulévrier devint célèbre ;Caroline en couva et en développa le germe sous son amour. Ellel’aima avec la virginité de son âme, avec toutes les ignorances deson esprit. Elle l’aima sans songer à autre chose qu’à lui donnerle plus grand bonheur possible, sans mesurer les conséquences de lapassion qui se saisissait de son avenir, sans avoir le moindresouci de la fragilité des beautés qu’elle lui prodiguait, et dontelle trouvait qu’il ne s’emparait jamais assez. Elle qui, par lanature de sa beauté, était destinée à passer si vite, elle n’eutpas peur des dégâts affreux de la caresse, et elle s’exposa à tousles dangers du bonheur. Que voulez-vous ? elle l’aimait commeune femme qui n’a pas dans l’esprit la moindre portée, mais dont lacéleste niaiserie est le plus délicieux hasard que Dieu puissejeter dans la vie d’un homme amoureux !

M. de Maulévrier, qui, en fait d’amours de salon, avait, commeil arrive toujours, avalé considérablement de crème fouettée avecplus ou moins de vanille, s’abreuva pour la première fois, de celait chaud, pur et substantiel, d’un sentiment vrai. Il fit mêmecomme les chats gourmands, qui fourrent jusqu’à leurs pattes dansla jatte pour mieux boire : dans l’avidité de son bonheur, ilempêcha Mme d’Anglure de se montrer aussi souvent dans lemonde ; et il eut tort, car le monde doit être le premieramant d’une femme du monde, et si elle en a jamais un autre, il nedoit venir que bien loin après. Comme la comtesse aimait M. deMaulévrier avec la soumission de cette courtisane amoureuse quimettait le pied de son amant sur son sein, nu, comme elle adoraitses moindres caprices, elle aurait fini par ne plus aller chezpersonne et à vivre follement pour lui seul, si Mme de Gesvres,avec qui elle avait toujours été fort confiante, ne lui eût faitcomprendre qu’en agissant ainsi elle s’affichait et donnait contreelle aux autres femmes des armes dont elles ne manqueraient pas dese servir.

Et l’expérience de la marquise ne l’avait point trompée ;son conseil fut extrêmement utile à Mme d’Anglure. En dépit desnombreuses différences qu’il y avait entre ces deux femmes,opposées presque en toutes choses, elles se voyaient assez souvent.Mme d’Anglure allait beaucoup chez Mme de Gesvres. Mme de Gesvreslui avait toujours montré une bienveillance pleine de franchise etd’appui. Jamais elle n’avait partagé les petites jalousies de cesjolies créatures, moitié abeilles et moitié vipères, quin’oubliaient point, quand il s’agissait de la comtesse, de mettreun peu de venin dans leur miel. Il faut le dire, malgré son costumede coquette, la grande marquise était bien au-dessus de cesmisérables sentiments. Belle comme un jour d’Asie, elle admiraitnaïvement la beauté dans les autres, et toujours elle avait parléde celle de Mme d’Anglure comme eût fait un homme impartial. Fièred’être belle, elle avait une fierté tranquille, inaccessible àtoutes les alarmes. La comtesse d’Anglure, avec qui elle eutl’amabilité des cœurs généreux pour ceux qu’on traite avecinjustice, la crut son amie, et vraiment elle l’aurait été, si,comme celle qui l’appelait de ce nom, elle s’était livrée en seliant, ce qui lui était impossible. On l’a déjà vu, le caractère decette femme était fermé comme les portes de l’enfer. De toutes lesgrâces qu’elle avait en partage, Dieu ne lui avait pas donné laplus grande, celle de l’abandon. Elle écoutait avec une patienceattendrie le récit de l’amour de Mme d’Anglure, mais elle nerendait pas confidence pour confidence. Elle n’avait aucun desprofits de l’amitié, elle n’en avait que la probité sincère ;car si, un soir, elle prit plaisir à faire renier à M. deMaulévrier son amour pour Mme d’Anglure, c’est que M. de Maulévriers’était jeté lui-même dans cette voie de blasphèmes et qu’aucunefemme n’eût résisté à la tentation d’une si enivrante volupté. Etsi elle désira parfois être aimée de l’amant de son amie, c’estqu’elle se trouvait bien à plaindre de se voir privée d’un bonheurqui n’était pas chose si rare, sans doute, puisque Mme d’Anglure,qu’elle jugeait de si haut, l’éprouvait ; et c’étaitd’ailleurs bien moins de la femme qu’elle était jalouse que del’amour.

Cet amour, elle l’avait cru une ressource, une dernièreressource contre l’ennui de sa vie ; mais, puissante à lefaire naître, elle s’était trouvée impuissante à le ressentir. Sises coquetteries avaient rendu M. de Maulévrier infidèle,hélas ! qu’y avait-elle gagné ? Femme chez qui un espritmûri prenait insensiblement la place d’un cœur qu’un sang brûlantn’avait jamais gonflé, espèce d’âme étrange, mais qui, dans lessociétés comme la nôtre, tend chaque jour à devenir plus commune,sa misère tenait à ses qualités mêmes. Mme d’Anglure, qui avait entendresse ce qui lui manquait en intelligence, pouvait-elle sedouter de cela ?

M. de Maulévrier avait cessé de lui écrire depuis qu’il allaitchez Mme de Gesvres. C’en était assez pour qu’un doute affreuxs’élevât dans l’âme de la comtesse, et pour qu’elle s’en vînt enposte à Paris, et jusque chez Mme de Gesvres, voir, par ses yeux,si elle était réellement trahie.

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