LE CRIME DU GOLF Agatha Christie

J’étais de la meilleure humeur du monde, mais mon ami m’observait d’un air grave.

— Vous avez l’air comme envoûté, Hastings. Cela ne présage rien de bon.

— Sornettes ! En tout cas, vous ne partagez pas mes sentiments.

— Non, moi j’ai peur.

— Peur de quoi ?

— Je n’en sais rien. J’ai un pressentiment. Un je-ne-sais-quoi me turlupine.

Il parlait si sérieusement que j’en fus impressionné – et ce, en dépit des gallicismes qui dénaturaient les plus banales de ses phrases.

— J’ai le sentiment, dit-il lentement, que nous abordons une affaire d’importance, un problème long et compliqué qu’il ne sera pas facile de résoudre.

Je l’aurais volontiers questionné plus longuement, mais nous venions d’entrer dans la petite station de Merlinville. Nous ralentîmes pour demander le chemin de la villa Geneviève.

— Tout droit, monsieur. Vous traversez l’agglomération, et la villa Geneviève se trouve environ huit cents mètres plus loin. C’est une grande maison qui domine la mer, vous ne pouvez pas la manquer.

Nous le remerciâmes et, reprenant notre route, laissâmes Merlinville derrière nous. Bientôt une patte d’oie nous obligea à une seconde halte. Un paysan se dirigeait vers nous d’un pas lent. Il y avait une villa au bord de la route, mais trop modeste et trop délabrée pour être celle que nous cherchions. Soudain, la porte de la maison s’ouvrit et une jeune fille en sortit.

Le paysan nous avait rejoints. Le chauffeur se pencha par la portière pour s’informer auprès de lui du chemin à suivre.

— La villa Geneviève ? À quelques pas d’ici sur la droite, monsieur. S’il n’y avait pas le tournant, vous la verriez déjà.

Le chauffeur le remercia et nous repartîmes. J’étais fasciné par la jeune fille qui nous observait, immobile, une main sur la porte. Je suis un fervent admirateur de la beauté, et celle-ci en était une qu’on ne pouvait manquer de remarquer. Très grande, le corps d’une Vénus, des cheveux blonds resplendissant au soleil, c’était ma foi une des plus belles filles que j’eusse jamais vues. Comme nous nous engagions dans le tournant, je tournai la tête pour la regarder une fois encore.

— Bon sang, Poirot ! m’exclamai-je. Vous avez vu cette jeune déesse ?

Poirot haussa les sourcils.

— Ça commence ! murmura-t-il. Voilà que vous avez déjà vu une déesse !

— Mais enfin, bon sang ! n’en était-ce pas une ?

— C’est possible, je ne l’ai pas remarquée.

— Mais vous l’avez bien vue, tout de même !

— Mon ami, il est bien rare que deux personnes voient la même chose. Vous, par exemple, vous avez vu une déesse. Moi…

Il hésita.

— Eh bien ?

— Je n’ai vu qu’une jeune fille aux yeux inquiets, dit-il d’un ton grave.

Mais à ce moment précis la voiture freina devant un grand portail vert et une même exclamation nous échappa. La grille était gardée par un imposant sergent de ville qui nous barrait le chemin.

— On ne passe pas, messieurs.

— Mais nous voulons voir M. Renauld ! m’exclamai-je. Nous avons rendez-vous. C’est bien sa villa, n’est-ce pas ?

— En effet, monsieur, mais…

Poirot sortit la tête par la vitre baissée :

— Mais quoi ?

— M. Renauld a été assassiné ce matin !

3

La villa Geneviève

Poirot bondit hors de la voiture, les yeux brillant d’un éclat vert.

— Vous dites ? Assassiné ? Quand ? Comment ?

Le sergent de ville se redressa avec dignité.

— Je ne peux répondre à aucune question, monsieur.

— C’est juste. Je comprends.

Poirot réfléchit un instant.

— Le commissaire est ici ?

— Oui, monsieur.

Poirot sortit une carte de son portefeuille et y griffonna quelques mots.

— Voilà ! Auriez-vous la bonté de lui faire passer cette carte au plus vite ?

L’agent la prit, tourna la tête et lança un coup de sifflet. Un de ses collègues apparut aussitôt et se chargea du message de Poirot. Au bout de quelques minutes d’attente, nous vîmes un petit bonhomme rondouillard et affublé d’une énorme moustache se hâter vers la grille. Le sergent de ville salua et s’effaça pour le laisser passer.

— Mon cher monsieur Poirot, s’écria le nouveau venu, quel plaisir de vous voir ! Laissez-moi vous dire que vous tombez à pic !

Le visage de Poirot s’éclaira.

— Monsieur Bex ! Tout le plaisir est pour moi ! Permettez-moi de faire les présentations : le capitaine Hastings, M. Lucien Bex.

J’échangeai avec le commissaire un salut cérémonieux, puis M. Bex se tourna de nouveau vers Poirot.

— Je ne vous ai pas revu depuis l’affaire d’Ostende, en 1909, mon vieux, vous vous rappelez ? Auriez-vous cette fois encore des éléments susceptibles d’éclairer notre lanterne ?

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