Le Mannequin d’osier

Chapitre 5

 

En sortant de chez le doyen, M. Bergeretrencontra Mme de Gromance qui revenait de lamesse. Il en eut du plaisir, estimant que la vue d’une jolie femmeest une bonne fortune pour un honnête homme.Mme de Gromance lui paraissait la plusdésirable des femmes. Il lui savait gré de s’habiller avec cet artsavant et discret, qu’elle possédait seule dans la ville, et demontrer dans son allure une taille souple et des reins agiles,images d’une réalité non permise à l’humaniste obscur et pauvre,mais dont il pouvait du moins illustrer à propos un vers d’Horace,d’Ovide ou de Martial. Il lui était reconnaissant d’être aimable etde laisser traîner après elle un parfum d’amour. Au-dedans delui-même, il la remerciait comme d’une grâce de cette facilité decœur, à laquelle pourtant il n’espérait point d’avoir part.Étranger à la société aristocratique, il n’avait jamais pénétréchez cette dame, et c’est par grand hasard qu’aux fêtes de Jeanned’Arc, après la cavalcade, il lui avait été présenté dans latribune de M. de Terremondre. Au reste, comme il était unsage et qu’il avait le sentiment de l’harmonie, il ne souhaitaitpoint de l’approcher. Il lui suffisait de saisir par hasard cettejolie figure au passage et de se rappeler en la voyant les récitsqu’on faisait d’elle dans la boutique de Paillot. Il lui devaitquelque joie et il lui en gardait une espèce de gratitude.

Ce matin du premier jour de l’an, dès qu’il lavit, sous le porche de Saint-Exupère, relevant d’une main sa jupede manière à marquer la molle flexion du genou, et tenant del’autre son grand missel relié en maroquin rouge, il lui fit unepetite oraison mentale pour la remercier d’être le fin plaisir etla fable charmante de toute la ville. Et il mit cette idée dans sonsourire, en la voyant.

Mme de Gromance neconcevait pas tout à fait comme M. Bergeret la gloire d’unefemme. Elle y mêlait beaucoup d’intérêts sociaux et gardait desménagements, étant du monde. Comme elle n’ignorait pas ce qu’onpensait d’elle dans la région, elle faisait froide mine aux gens àqui elle n’avait pas envie de plaire.

M. Bergeret était de ceux-là. Elle trouvason sourire impertinent, et elle y répondit par un regard hautainqui le fit rougir.

Poursuivant son chemin, il se dit d’un cœurcontrit :

« Elle a été rosse. Mais j’avais étémufle. Je le sens à présent. Je connais trop tard l’impertinence demon sourire qui lui disait : « Vous êtes un plaisirpublic. » Cette délicieuse créature n’est pas un philosopheaffranchi des préjugés vulgaires. Elle ne pouvait mecomprendre ; elle ne pouvait savoir que je tiens sa beautépour une des plus grandes vertus du monde et l’usage qu’elle enfait pour une magistrature très auguste. J’ai manqué de tact. Etj’en ai honte. J’ai, comme tous les honnêtes gens, transgresséquelques-unes des lois humaines ; et je n’en ai point derepentir. Mais certaines actions de ma vie, qui se sont trouvéescontraires à ces délicatesses imperceptibles et supérieures qu’onnomme les convenances, m’ont laissé des regrets cuisants et unesorte de remords. En ce moment, j’ai envie de me cacher, parvergogne. Je fuirai désormais l’approche agréable de cette dame àla taille flexible, crispum… docta movere latus. J’ai bienmal commencé l’année ! »

– Je vous la souhaite bonne, dit une voixdans une barbe, sous un chapeau de paille.

C’était M. Mazure, l’archivistedépartemental. Depuis que le ministre lui avait refusé les palmesacadémiques pour insuffisance de titres et que toutes les sociétésde la ville négligeaient de rendre des visites àMme Mazure, pour la secrète raison qu’elle avaitété la cuisinière et la concubine des deux archivistesantérieurement préposés à la garde des archives départementales,M. Mazure avait pris en horreur le gouvernement, le monde endégoût, et il était tombé dans une misanthropie noire.

En ce jour de visites amicales ourespectueuses, pour mieux montrer son mépris du genre humain, ilavait revêtu un tricot sordide, dont le lainage bleuâtre paraissaitsous son paletot aux boutonnières déchirées, il avait coiffé unchapeau de paille défoncé que la bonne Marguerite, sa femme, avaitmis sur le cerisier du jardin, dans la saison des cerises. Aussiregarda-t-il avec pitié la cravate blanche de M. Bergeret.

– Vous venez, lui dit-il, de tirer votrechapeau à une fameuse coquine.

M. Bergeret n’entendit pas sanssouffrance un langage si disgracieux et si peu philosophique. Maisil pardonnait beaucoup à la misanthropie, et c’est avec douceurqu’il s’efforça de reprendre M. Mazure sur l’indélicatesse deson propos.

– Mon cher monsieur Mazure, j’attendaisde votre science profonde un jugement plus équitable sur une damequi ne fait de mal à personne, bien au contraire.

M. Mazure répliqua sèchement qu’iln’aimait pas les farceuses. Ce n’était pas de sa part l’expressiond’un sentiment sincère. M. Mazure n’avait pas proprement unedoctrine morale. Mais il s’entêtait dans sa mauvaise humeur.

– Allons ! dit M. Bergeret ensoupirant, je reconnais le tort deMme de Gromance. Elle est née cent cinquanteans trop tard. Dans la société du XVIIIe siècle ellen’aurait pas encouru le blâme d’un homme d’esprit.

M. Mazure, flatté, se radoucit. Iln’était pas un puritain farouche. Mais il respectait le mariagecivil auquel les législateurs de la Révolution avaient communiquéune dignité nouvelle. Il ne niait pas pour cela les droits du cœuret des sens. Il admettait les femmes légères en même temps que lesmatrones.

– À propos, ajouta-t-il, comment vaMme Bergeret ?

Le vent du nord soufflait sur la placeSaint-Exupère et M. Bergeret voyait le nez de M. Mazurerougir sous le bord rabattu du chapeau de paille. Lui-même avaitfroid aux pieds, aux genoux, et il pensait àMme de Gromance pour se remettre un peu dechaleur et de joie dans les veines.

La boutique de Paillot n’était pas ouverte.Les deux savants se voyaient sans feu ni lieu et ils se regardaientl’un l’autre avec une tristesse sympathique.

Et M. Bergeret se disait en lui-même,d’un cœur amical :

« Quand j’aurai quitté ce compagnon dontla pensée est courte et grossière, je retomberai dans la solitudede cette ville hostile ; ce sera horrible. »

Ses pieds restaient attachés aux pavés pointusde la place, tandis que le vent lui brûlait les oreilles.

– Je vous reconduis jusqu’à votre porte,lui dit l’archiviste.

Et ils allèrent tous deux, côte à côte,saluant çà et là des citadins en habits du dimanche qui portaientdes sacs de bonbons et des polichinelles.

– Cette comtesse de Gromance, ditl’archiviste, est une Chapon. On ne connaît qu’un Chapon : sonpère, le plus franc fesse-mathieu de la province. Mais j’ai dénichéle dossier des Gromance, qui appartiennent à la petite noblesse dela région. Il y a une demoiselle Cécile de Gromance qui se fitfaire en 1815 un enfant par un Cosaque. Ce sera un joli sujetd’article pour une feuille locale. J’en prépare toute unesérie.

M. Mazure disait vrai. Ennemi farouche deses compatriotes, chaque jour, du lever au coucher du soleil, seulen son grenier poudreux, sous le toit de la préfecture, ilcompulsait furieusement les six cent trente-sept mille layettes quiy étaient entassées, à la seule fin d’y découvrir des anecdotesscandaleuses sur les principales familles du département. Et là,dans l’amas des parchemins gothiques et des papiers timbrés pardeux siècles de fiscaux aux armes de six rois, de deux empereurs etde trois républiques, il riait dans la poussière, en soulevant lestémoignages, à demi dévorés par les vers et par les souris, descrimes anciens et des fautes expiées.

Et voici que, le long des tortueusesTintelleries, il entretenait de ces trouvailles cruellesM. Bergeret, indulgent aux fautes des aïeux et curieuxseulement de mœurs et d’usages. Mazure avait trouvé, disait-il,dans les archives, un Terremondre qui, terroriste et président duclub des Sans-Culottes dans sa ville en 1793, avait changé sesprénoms de Nicolas-Eustache en ceux de Marat-Peuplier. Et Mazures’était hâté de fournir à son collègue de la Société d’archéologie,M. Jean de Terremondre, monarchiste rallié et clérical, desnotes sur cet aïeul oublié, Marat-Peuplier Terremondre, auteur d’unhymne à sainte Guillotine. Il avait aussi découvert unarrière-grand-oncle du vicaire général de l’archevêché, un sieur deGoulet, ou plus exactement, comme il signait lui-même, unGoulet-Trocard, qui, fournisseur aux armées, avait été condamné auxtravaux forcés, en 1812, pour avoir livré, au lieu de bœuf, laviande de chevaux morveux. Et les pièces de ce procès avaient étépubliées dans la feuille avancée du département. M. Mazureannonçait des révélations plus terribles encore sur la familleLaprat, pleine d’incestes ; la famille Courtrai, flétrie dansun de ses membres, pour haute trahison, en 1814 ; la familleDellion, enrichie par l’agiotage sur les blés ; la familleQuatrebarbe, qui sort de deux chauffeurs, un homme et une femme,pendus à un arbre de la côte Duroc, sous le Consulat par leshabitants eux-mêmes. Et l’on rencontrait encore, aux environs de1860, des vieillards qui se rappelaient avoir vu, dans leurenfance, sous la branche d’un chêne une forme humaine autour delaquelle flottait une longue chevelure noire, dont s’effrayaientles chevaux.

– Elle resta pendue trois ans, s’écrial’archiviste, et c’est la propre grand-mère d’HyacintheQuatrebarbe, l’architecte diocésain !

– C’est fort curieux, mais il faut gardercela pour nous, dit M. Bergeret.

Mazure ne l’écoutait pas. Il voulait toutpublier, tout faire paraître, malgré le préfet,M. Worms-Clavelin, qui disait sagement : « On doitéviter les gestes de scandale et les motifs de division », etqui menaçait l’archiviste de le révoquer s’il continuait ladivulgation des vieux secrets de famille.

– Ah ! s’écria Mazure en ricanantdans sa barbe emmêlée, on saura qu’en 1815 une demoiselle deGromance a fait un petit Cosaque.

Depuis un moment déjà, M. Bergeret,arrivé à sa porte, tenait le bouton de la sonnette :

– Que cela est peu de chose !dit-il. Cette pauvre demoiselle a fait ce qu’elle a pu. Elle estmorte, le petit Cosaque est mort. Laissons leur mémoire en paix,ou, si nous la réveillons un moment, que ce soit avec indulgence.Quelle ardeur vous emporte, mon cher monsieur Mazure ?

– L’ardeur de la justice.

M. Bergeret tira le cordon de lasonnette :

– Adieu, monsieur Mazure, ne soyez pasjuste et soyez indulgent. C’est la bonne année que je voussouhaite.

M. Bergeret regarda, par la vitre sale dela loge, s’il n’y avait pas quelque lettre ou quelque papier danssa case : la curiosité subsistait dans son esprit des lettresenvoyées de loin et des revues littéraires. Mais il ne trouva quedes cartes de visite qui lui représentaient des personnes aussiminces et pâles que les cartes elles-mêmes, et une note deMlle Rose, modiste aux Tintelleries. En jetant lesyeux sur cette note, il songea que Mme Bergeretdevenait dépensière, et que la maison se faisait lourde. Il ensentait le poids sur ses épaules et il lui semblait, dans levestibule, porter sur son dos le plancher de son appartement avecle piano du salon et la terrible armoire à robes où s’engouffraittout son peu d’argent et qui était toujours vide. Ainsi opprimé pardes pensées domestiques, il saisit la rampe de fer, qui déroulaiten courbes lentes son grillage fleuri, et commença de gravir, latête basse et le souffle court, les marches de pierre, aujourd’huinoircies, usées, fendues, rapiécées, garnies de briques effritéeset de carrelages ignobles, et qu’aux jours anciens de leur clairenouveauté enjambaient à l’envi les gentilshommes et les joliesfilles pressés d’aller faire leur cour au traitant Pauquet, enrichides dépouilles de toute la province. Car M. Bergeret logeaitdans l’hôtel Pauquet de Sainte-Croix, déchu de sa gloire, dépouilléde ses richesses, déshonoré par un étage de plâtre qui avait prisla place de son élégant attique et de son toit majestueux, offusquépar les hautes bâtisses élevées de tous côtés sur ses jardins auxmille statues, sur ses pièces d’eau, sur son parc et jusque dans sacour d’honneur où Pauquet avait fait élever un monument allégoriqueà son roi, qui lui faisait rendre gorge tous les cinq ou six ans,et le laissait à nouveau se gorger d’or.

Cette cour, bordée d’un superbe portiquetoscan, avait disparu lors de la rectification, en 1857, del’alignement des Tintelleries. Et l’hôtel Pauquet de Sainte-Croixn’était plus qu’une disgracieuse maison de rapport fort mal tenuepar le vieux couple des portiers Gaubert, qui méprisaientM. Bergeret pour sa douceur et n’admiraient point salibéralité réelle, parce que c’était celle d’un homme peu riche,tandis qu’ils considéraient avec respect ce que donnaitM. Raynaud, qui donnait peu, mais aurait pu donner beaucoup,et dont la pièce de cent sous avait cela de beau qu’elle venaitd’un trésor.

M. Bergeret, parvenu au premier étage, oùlogeait ce M. Raynaud, propriétaire de terrains situés dans lequartier de la nouvelle gare, regarda, selon sa coutume, lebas-relief qui surmontait la porte. On y voyait le vieux Silène surson âne parmi des nymphes. C’est tout ce qui restait de ladécoration intérieure de l’hôtel, qui avait été construit vers lafin du règne de Louis XV, à l’époque où le style françaisvoulut être antique et, trop heureux pour y parvenir, acquit cettepureté, cette fermeté, cette noblesse élégante qu’on remarqueparticulièrement dans les plans de Gabriel. Et précisément l’hôtelPauquet de Sainte-Croix avait été dessiné par un élève de cetarchitecte excellent. Mais on l’avait déshonoré avec méthode. Si,par économie, et pour épargner un peu de peine et d’argent, onn’avait pas arraché le petit bas-relief de Silène et des nymphes,du moins l’avait-on peint à l’huile, comme tout l’escalier, avec undécor imitant le granit rouge. Une tradition locale voulait que ceSilène fût le portrait du traitant Pauquet, qui passait pourl’homme le plus laid de son temps et le plus aimé des femmes ;mais M. Bergeret, sans être grand connaisseur en art,retrouvait dans cette figure, à la fois grotesque et sublime, duvieillard divin, un type consacré par les deux antiquités et par laRenaissance. Il se gardait de tomber dans l’erreur commune ;pourtant ce Silène entouré de nymphes ramenait par un facile détoursa pensée sur ce Pauquet qui avait joui de tous les biens de cemonde dans les mêmes murs où lui-même menait une vie ingrate etdifficile.

« Ce financier, songeait-il sur lepalier, prenait de l’argent au roi qui lui en prenait. Ainsis’établissait l’équilibre. Il ne conviendrait pas de vanterexcessivement les finances de la monarchie puisque, finalement, ledéficit causa la fin du régime. Mais ce point est à noter qu’alorsle roi était l’unique propriétaire des biens meubles et immeublesdu royaume. Toute maison appartenait au roi, en foi de quoi lesujet qui en avait la jouissance faisait mettre les armes royalessur la plaque du foyer. Ce n’est pas dans l’exercice du droit deréquisition, mais comme propriétaire, que Louis XIV envoyait àla monnaie la vaisselle plate de ses sujets pour payer les frais dela guerre. Il faisait fondre même les trésors des églises, et j’ailu récemment qu’il avait fait enlever les ex-voto de Notre-Dame deLiesse, en Picardie, parmi lesquels se trouvait le sein que lareine de Pologne y avait déposé en reconnaissance de sa guérisonmiraculeuse. Tout alors appartenait au roi, c’est-à-dire à l’État.Et ni les socialistes qui réclament aujourd’hui la nationalisationdes propriétés privées, ni les propriétaires qui entendentconserver leur bien ne prennent garde que cette nationalisationserait en quelque sorte un retour à l’ancien régime. On goûte unplaisir philosophique à considérer que la Révolution a été faite endéfinitive pour les acquéreurs de biens nationaux et que laDéclaration des droits de l’homme est devenue la charte despropriétaires.

« Ce Pauquet, qui faisait venir ici lesplus jolies filles de l’Opéra, n’était pas chevalier deSaint-Louis. Il serait aujourd’hui commandeur de la Légiond’honneur et les ministres des finances viendraient prendre sesordres. Il avait les jouissances de l’argent ; il en auraitmaintenant les honneurs. Car l’argent est devenu honorable. C’estnotre unique noblesse. Et nous n’avons détruit les autres que pourmettre à la place cette noblesse, la plus oppressive, la plusinsolente et la plus puissante de toutes. »

M. Bergeret fut distrait en cet endroitde ses réflexions par une compagnie d’hommes, de femmes etd’enfants qui sortaient de chez M. Raynaud. Il discerna quec’était la troupe des parents pauvres, venus pour souhaiter labonne année au vieillard, et il crut voir qu’ils avaient le nezlong sous leurs chapeaux neufs. Il continua de monter l’escalier,car il demeurait au troisième étage, qu’il nommait volontiers latroisième chambre, pour parler comme au XVIIe siècle.Et, pour illustrer ce terme vieilli, volontiers il citait les versde La Fontaine :

Que sert à vos pareils de lire incessamment ?

Ils sont toujours logés à la troisième chambre,

Vêtus au mois de juin comme au mois de décembre,

Ayant pour tout laquais leur ombre seulement.

Peut-être faisait-il abus de ces vers, et decette façon de dire, qui exaspérait Mme Bergeret,fière d’occuper un appartement au centre de la ville, dans unemaison bien habitée.

« Gagnons, se dit-il, la troisièmechambre. »

Il tira sa montre et vit qu’il était onzeheures. Il avait dit qu’il ne rentrerait qu’à midi, comptant passerune heure dans la boutique de Paillot. Mais il en avait trouvé lesvolets clos. Les jours de fêtes et les dimanches lui étaientpénibles, pour cette seule raison que la librairie était fermée cesjours-là. Il n’avait pu faire sa visite coutumière à Paillot, et illui en restait un malaise.

Parvenu au troisième étage, il coula sansbruit sa clef dans la serrure et entra de son pas timide dans lasalle à manger. C’était une pièce assez sombre sur laquelleM. Bergeret n’avait pas d’opinion arrêtée, mais queMme Bergeret jugeait de bon goût à cause de lasuspension de cuivre qui surmontait la table, des chaises et dubuffet de chêne sculpté qui composaient l’ameublement, de l’étagèred’acajou, chargée de petites tasses, et surtout à cause desassiettes de faïence peinte qui garnissaient le mur. En pénétrantdans cette pièce par l’antichambre noire, on avait à main gauche laporte du cabinet de travail, à main droite la porte du salon.M. Bergeret avait coutume, en rentrant chez lui, de passer àgauche dans son cabinet où il trouvait ses pantoufles, ses livres,la solitude. Cette fois, il se dirigea à droite, sans motif, sansraison, sans aucun sentiment. Il tourna le bouton de la serrure,poussa la porte, fit un pas et se trouva dans le salon.

Il vit alors sur le canapé des formes humainesenlacées dans une attitude violente qui tenait de l’amour et de lalutte et qui, dans le fait, était celle de la volupté.Mme Bergeret avait la tête renversée et cachée,mais l’expression de ses sentiments paraissait sur ses bas rougesamplement découverts. La physionomie de M. Roux présentait cetair tendu, grave, fixe, maniaque qui ne trompe pas, bien qu’on aitpeu l’occasion de l’observer, et qui s’accordait avec le désordrede ses vêtements. Au reste, tout se transforma en moins d’uneseconde. Et M. Bergeret n’eut plus sous les yeux que deuxpersonnes tout à fait différentes de celles qu’il avaitsurprises ; deux personnes gênées dans leur maintien, d’aspectbizarre, un peu comique. Il aurait cru s’être trompé, si lapremière image ne s’était gravée dans ses yeux avec une force égaleà sa rapidité.

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