Les Aventures de Charlot

Chapitre 11– Le Jean-Bart. – Vie de bord. – L’intérieur d’un navire. – Débutsde Charlot. – Mauvais tours de Bernard.

Coucher dans un hamac, morceau de toile àvoile suspendu par des cordes, peut être favorable au sommeil desgens qui en ont l’habitude. Mais la première nuit que Charlot passadans ce nouveau lit fut agitée ; chaque mouvement du vaisseau,en le secouant, disloquait ses membres. Il se leva moulu comme s’ilavait reçu des coups de bâton.

« Mon gars, lui dit Jobic, dans soixanteans d’ici, tu ne voudras pas dormir ailleurs que là-dedans.Sais-tu, continua-t-il, que tu as de la chance de naviguer pour toncoup d’essai sur le Jean-Bart, un trois-mâts de huit centstonneaux. »

Charlot regarda son ami et parut calculer enlui-même la place que tiendraient huit cents barriques de vinarrimées (rangées) à fond de cale.

Jobic lui expliqua que le tonneau est unemesure de poids, qui équivaut à 1 000 kilogrammes. LeJean-Bart était capable de jauger(porter) 800fois 1 000 kilogrammes. Il parut au petit mousse qu’unbâtiment semblable ne devait jamais éprouver de naufrage.

Cependant on s’occupait sur le pont dedéterminer la vitesse de la marche du bâtiment. Un morceau de boisà peu près triangulaire, nommé loch,avait été jeté à l’eauet restait stationnaire, tandis que la corde qu’on y avait adaptéese déroulait rapidement. Au bout d’une minute, la quantité de cordeainsi dévidée indique la longueur de distance parcourue.

« Tout cela est si important, dit Jobic àCharlot, que chaque jour on consigne sur un livre spécial, nommélivre de loch, du nom de ce morceau de bois, quelle a étéla marche du navire, quelle route il a tenue, les coups de vent,les avaries, les rencontres, etc. C’est la tâche de l’officierde quart, ainsi nommé parce que le temps de son servicedure quatre heures. Les matelots se relaient aussi dans le mêmetemps. Sur les navires de commerce, ils se divisent en deux bandes,deux bordées, et on les désigne sous le nom detribordais ou bâbordais, selon qu’ils se trouventà bâbord ou à tribord.

– Pourquoi, demanda Charlot, qui suivaittoujours de l’œil le loch et sa longue corde, pourquoi y a-t-il desnœuds à cette corde ?

– Bon ! as-tu aussi remarqué que cesnœuds étaient faits à intervalles réguliers ? Celui qui tientla corde les compte quand ils lui passent sous le doigt. L’on saitalors que le vaisseau file six nœudsou dix nœudsà l’heure, et c’est un autre moyen de connaître avec quellerapidité l’on marche. »

Charlot vit encore avec plaisir qu’ilvoyagerait en compagnie de quelques moutons, d’une vache et d’unechèvre qu’on avait installés dans la chaloupe. Il se promit dechercher par là des amis.

Enfin, ne voulant pas négliger la pratiquepour la théorie, Jobic commanda à son protégé de grimper au grandmât. Pour cela, des cordages nommés haubans sont disposéscomme les montants d’une échelle double. Ils partent des flancs dunavire et rejoignent le sommet de chaque mât. Les échelons sont encorde plus mince et plus tendue ; ils prennent le nomd’enfléchure.Mais un mât n’est point fait d’une seulepièce ; il se compose en réalité de trois mâts emboîtés lesuns dans les autres. Au sommet de chacun, se trouve une espèce deplate-forme à jour, nommée hune. Au-dessus du grandmât s’élève le mât de hune, dont la voile prend ladésignation de grand hunier ; puis vient le mâtde perroquet, surmonté de celui de catacoisou plutôtcacatois, ainsi que le nomment tous les marins.

Malheureusement pour Charlot, maître Bernard,son collègue, lui avait raconté très sérieusement que le troudu chat, échancrure pratiquée dans la hune et par laquelle onpasse pour aller plus haut, devait son nom à un chat énorme qui s’ytenait jour et nuit.

« Il ne dit rien aux anciens matelots,prétendait Bernard, mais il griffe et mord cruellement ceux qu’ilne connaît pas. »

Un novice (aspirant matelot) et deux autresmarins avaient confirmé ce récit. Charlot commença donc à tremblerquand Letallec lui ordonna de monter au grand mât, puis d’allerjusqu’aux barres de perroquet. Il gravissait lentement lesenfléchures.

« Plus vite, lambin ! » luicria Jobic.

À mesure qu’il approchait de la hune, Charlotralentissait encore son ascension.

« Veux-tu monter ! » lui disaitle matelot, mécontent de sa nonchalance.

Quant à Bernard et au novice, ils riaient à setenir les côtes.

Jobic saisit un bout de corde et fit mine des’élancer dans la mâture pour activer le mousse.

« Serais-tu poltron, mongars ? » cria d’en bas le capitaine qui venaitd’arriver.

À ces mots, la fierté du petit Breton dominatout autre sentiment. Il prit son élan, traversa le trou du chat,et grimpa d’un trait jusqu’aux barres de perroquet.

« L’enfant a du cœur, il ira bien, »murmura le capitaine en continuant son chemin.

Au bout de cinq ou six minutes, un bruitparticulier le fit se retourner.

C’était maître Charlot qui, revenu de sonexpédition, tombait à coups de poing sur Bernard.

« La paix ! » dit lecapitaine.

Les combattants se séparèrent. M. Tanguyeut bientôt appris la cause du combat.

« Mon enfant, dit-il à Charlot, quiroulait son béret d’un air confus, je ne veux point de bataille àmon bord. On ne se fâche pas ainsi pour une bagatelle. Quand ondoit rester longtemps ensemble, il faut que chacun y mette du sienet qu’on se montre réciproquement indulgent.

– Oui, capitaine, soupira Charlot.

– Quant à toi, Bernard, il ne faut pasnon plus que tes plaisanteries aillent trop loin ; autrement,c’est le martinet du contre-maître qui se chargerait dupayement. »

Cette mercuriale n’empêcha point maîtreBernard de mystifier bien d’autres fois son petit camarade ;mais peu à peu celui-ci devint plus avisé.

Un jour pourtant, il fut la dupe d’une autreaventure. Un passager avait recueilli un poisson volant. Ce poissonest à peu près de la dimension d’un petit hareng ; il a degrandes nageoires au moyen desquelles il s’enlève sur l’eau et peutse soutenir une ou deux minutes en l’air, jusqu’à ce qu’il retombedans les flots, ou sur le pont de quelque navire. C’est le plussouvent pour se dérober à la voracité des dorades et des thons, quileur font une guerre acharnée, que ces pauvres animaux se livrent àla gymnastique aérienne qui leur a mérité leur nom.

Charlot n’avait point vu le poisson, mais ilavait entendu parler de la trouvaille faite par le passager. Aprèsavoir préparé la chose longtemps à l’avance par ses récits, Bernardvint informer son camarade que le chirurgien du bord l’envoyaitdire au coq de mettre à la broche les deux ailes dupoisson volant.

Charlot, devant lequel on parlait depuis uneheure de cet animal comme d’une sorte de poulet ou de pigeonaquatique, accomplit naïvement la prétendue commission duchirurgien.

Par malheur, le coq avait encouru laveille de sévères reproches au sujet d’une fricassée de poulets,qui ne contenait que quatre ailes pour trois têtes et six cuisses.Le capitaine n’ayant jamais voulu consentir à attribuer ce déficità une mauvaise conformation de ses poulets, le coq avaitété mis à la demi-ration de vin pendant trois jours.

Déjà de mauvaise humeur, il prit pour uneraillerie le message du pauvre Charlot et l’en récompensaimmédiatement par un rude soufflet. Éclairé sur la mystificationdont il venait d’être victime, Charlot s’en retourna, l’oreillebasse, vers les matelots qui riaient de bon cœur.

« Eh bien, Charlot, qu’a répondu lecoq ? demanda Bernard d’un ton gouailleur.

– Voilà sa réponse, » repartit lepetit Breton en rendant généreusement à Bernard le soufflet qu’ilavait reçu.

Peu soucieux de ce présent, Bernard riposta.Par malheur pour lui, vint à passer le second,c’est-à-dire l’officier placé immédiatement après le capitaine etdont l’autorité prime celle du lieutenant, qui n’est que letroisième officier du bord. Pour s’être servi indûment du nom duchirurgien, Bernard fut condamné à douze coups de martinet qui luifurent appliqués immédiatement, au grand désespoir de Charlot quicriait :

« Donnez-m’en la moitié. J’en mérite biensix pour avoir été si bête ! »

Bernard, au milieu de son supplice, essayaitde le consoler.

« On n’en meurt pas, lui disait-il, etdans un sens ça fait du bien, car on s’en veut tout de même d’êtresi taquin. Mais que veux-tu, Charlot, c’est plus fort quemoi ; dès qu’une malice me passe par la tête, je la mets àl’air. Et voilà les suites, » ajouta l’étourdi, en montrantses épaules meurtries à Charlot.

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