Les Aventures de Charlot

Chapitre 9 –Le trousseau de Charlot. – Les adieux. – Le cœur d’une mère.

Le Jean-Bart devant mettre à la voileà la fin du mois, il n’y avait pas de temps à perdre pour préparerle petit trousseau de Charlot. Sa mère se mit aussitôt à labesogne. Obligeantes comme on l’est presque toujours chez lespauvres gens, quelques voisines lui offrirent leurs services ;mais elle voulut tout faire par elle-même. Elle trouvait quelqueconsolation à s’occuper des vêtements que devait porter son filsbien-aimé.

Denise seule avait la permission de secondersa mère ; elle y travaillait de tout son pouvoir. Souvent onvoyait de grosses larmes couler sur les joues de Marianne et tombersur l’ouvrage qu’elle tenait à la main. Alors Denise s’approchaittout doucement et embrassait sa mère, qui pleurait ensuite avecmoins d’amertume.

Rosalie aussi voulut mettre la main autrousseau de son frère. On fut obligé de refaire secrètement toutce qu’elle avait cousu, car ses points offraient les variations lesplus imprévues : il y en avait de grands, de petits, de longs,de courts, de toute espèce enfin, excepté de solides, et cettequalité surtout est importante pour des vêtements qu’on emporte àbord. Il n’y avait pas là de blanchisseuse ; chaque matelotdevait laver son propre linge, et le plus souvent à l’eau de mer,dont l’action est pernicieuse pour les tissus.

Quant à Fanchette, à qui Marianne avait apprisà coudre, elle travaillait du matin au soir, même en mangeant lemorceau de pain qu’elle emportait aux champs.

Il fallait la voir arriver toute rayonnantechez Marianne et lui remettre le mouchoir ou la chemise qu’ellevenait d’ourler. Touchée du zèle que mettait cette enfant à laservir, la veuve la prenait dans ses bras et l’embrassait aveceffusion.

« Il reviendra bientôt, allez, madameMarianne, disait Fanchette, et il vous apportera de l’argent. Ildeviendra fort et bon comme Jobic ; ce sera un brave marin quifera honneur à sa famille.

– Il sera capitaine ! s’écriaitRosalie.

– Capitaine des mousses, » répondaitJobic en riant.

Si le matelot avait laissé faire Marianne,celle-ci, malgré sa pauvreté, aurait trouvé moyen de remplir descaisses d’objets destinés à son fils.

« Vous vous figurez donc qu’on va luidonner une cabine ? disait Jobic. Il aura de la place pour sonsac de marin, et tout juste encore. Ce qui ne pourra pas tenir dansle sac, voyez-vous, ça restera au Havre. Ce n’est donc pas la peinede dépenser votre argent et de vous exterminerde travailpour des choses inutiles.

– Mais, Jobic, il y a encore de la place,disait la pauvre mère en tendant de toutes ses forces le sac engrosse toile à voiles que devait emporter Charlot.

– Vous oubliez, Marianne, qu’il fautlaisser de la place pour la chemise de laine et le béret que nousachèterons en arrivant au Havre.

– Le pauvre petit aura froid.

– Ta, ta, ta ! il a déjà plusd’affaires que les trois quarts de ses camarades. Il estfort et bien portant, ce garçon ; il n’a pas besoin d’emporterun chargement avec lui. »

Enfin tout se trouva terminé. Il fallut songerau départ. Marianne aurait bien voulu gagner encore quelques jours,mais Jobic y mit de la fermeté. Trouvant Charlot moins actif etmoins futé que la plupart des petits mousses de son âge, il tenaità ce que l’enfant se dégourdît un peu avant le départ, entravaillant au chargement.

Il expliqua tout cela à sa mère, et elle futbien obligée de reconnaître qu’il avait raison.

Un beau matin, la charrette d’un fermiervoisin s’arrêta de bonne heure devant la porte des Morand. Marianneet Denise devaient accompagner Charlot jusqu’au village qu’ilfallait traverser pour aller à Lézardrieux.

Charlot embrassa Rosalie qui pleurait etvoulait partir avec lui. Puis il alla dire adieu aux animaux quechaque jour il menait au pâturage.

« Adieu, Bellone, dit-il à la vacheblanche qui le regardait de son grand œil doux et mélancolique.Adieu, Kéban ; adieu, Brunette. »

Ni Bellone, ni Kéban, ni Brunette necomprenaient les paroles de Charlot ; mais, voyant sa figureattristée, ils frottaient leurs bonnes têtes contre la poitrine del’enfant pour le consoler et lui témoigner leur affection.

Quant à Kidu, il ne quittait pas son petitmaître d’une semelle.

Sur la route, on rencontra Fanchette qui setenait aux aguets pour dire adieu à son ancien camarade. Ellel’embrassa, lui glissa dans la main une petite médaille en plomb desaint Mathurin et une pièce de vingt sous, tout son trésor. Puiselle vint prendre la main de Marianne et la porta à ses lèvres avecun mouvement rempli d’effusion, exprimant par cette muette caressela part qu’elle prenait à son chagrin. Charlot avait l’air trèssérieux.

En arrivant, à Lanmodez, le fermier qui avaitla complaisance de le conduire, ainsi que Jobic, jusqu’àLézardrieux, fit une halte de cinq minutes pour prendre quelquescommissions. Il était convenu que là se ferait l’adieu définitif dufutur mousse et de sa famille.

Émerveillé de son voyage en charrette, étourdià la pensée des belles choses qu’il allait voir, Charlot, quin’avait pas encore atteint d’ailleurs l’âge où l’on comprend toutela douleur d’une séparation, avait naturellement bien du chagrin dequitter sa mère et ses sœurs ; mais c’était surtout de lesvoir pleurer qu’il pleurait lui-même.

La pauvre Marianne le tint longtemps pressésur son cœur en appelant sur lui toutes les bénédictions duciel.

Jobic fit un signe au fermier.

« Il est temps de partir, dit lepaysan.

– Adieu, maman ! cria Charlot.

– Adieu, mon fils ! réponditMarianne. Sois bon et brave comme ton père, et que Dieu veille surtoi ! »

Les chevaux se mirent en mouvement, et lesvoyageurs s’éloignèrent.

Kidu avait vu son maître monter en voiture. Ille suivit en aboyant. On avait beau le renvoyer, il revenaittoujours. Jobic le ramena à Marianne, qui fut obligée de l’attacheravec son mouchoir. Alors le pauvre chien, les yeux fixés sur lacharrette qui emportait Charlot, se mit à pousser des hurlementsplaintifs qui navraient le cœur de Marianne.

Elle et Denise restèrent sur la route tantqu’on put distinguer les voyageurs. Bientôt un tournant les dérobaà leurs yeux.

Toutes deux entrèrent alors dans l’église, oùMarianne s’agenouilla devant l’autel et pria longtemps.

Enfin Denise et Fanchette parvinrent àl’emmener en lui rappelant que Rosalie était seule à la maison.

Une fois de retour dans la chaumière, Mariannereprit ses occupations accoutumées ; mais on ne la vit plussourire comme du temps où elle avait auprès d’elle son mari et sonfils.

Chaque fois qu’il s’élevait une tempête, elledevenait sombre et inquiète. Ce n’était pas raisonnable, carCharlot étant déjà bien loin de France, l’orage qui régnait sur lescôtes de Bretagne n’avait aucune influence sur le sort duJean-Bart. Mais le cœur d’une mère s’alarme de tout.

Alors Denise et Rosalie redoublaient enverselle de soins et de prévenances. Toutes trois priaient ensemble, etle calme rentrait peu à peu dans l’âme de la pauvre Marianne.

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