Les Aventures de Charlot

Chapitre 3 –Le matelot. – Les jouets. – Les crêpes. – On va au secours deCharlot.

Peu de temps après le départ de Charlot pourles champs, un homme à cheval s’était arrêté devant la chaumièredes Morand. Sa monture était une de ces bêtes de louage comme on entrouvait partout autrefois en Bretagne, et qui, malgré leur chétiveapparence, font quinze à vingt lieues dans la journée etrecommencent le lendemain. Un gamin d’une douzaine d’années suivaitle cavalier, afin de ramener l’animal à son propriétaire. Que lecheval trotte ou galope, le pauvre diable ne le quitte pas. Je vouslaisse à juger du mal et de la fatigue qu’il se donne pour gagnercinq ou six sous, juste de quoi ne pas mourir de faim.

« N’est-ce pas ici que demeure AntoineMorand, ma petite fille ? demanda l’étranger à Denise, quilavait des coquillages devant la porte.

– Oui, monsieur.

– Est-il là ?

– Non, monsieur.

– Et sa femme ?

– Elle est dans la maison.

– Tu es leur fille, n’est-ce pas ?reprit le voyageur, qui débouclait les courroies d’un sac de marinattaché sur la croupière de la selle en guise de portemanteau.

– Oui, monsieur ; mon père est à lapêche.

– Mon mari reviendra probablement cesoir, dit Marianne, qui était arrivée au bruit.

– Tant mieux ! s’écria joyeusementle nouveau venu. Je suis Jobic Letallec, et j’étais avec lui.

– À bord de la Bellone,interrompit Marianne ; oh ! il nous a parlé de vous biensouvent.

– Vrai ?

– Oui, dit la petite Denise, c’est bienvrai ; l’autre jour encore, il a bu à votre santé.

– Soyez le bienvenu chez nous, »reprit la mère.

Le matelot jeta la bride du cheval au gaminqui l’accompagnait et embrassa cordialement son hôtesse. Pendant cetemps, Denise s’était emparée du sac du marin et cherchait à lesoulever.

« C’est trop lourd pour toi, ma petite,dit le matelot en souriant. Comment t’appelles-tu ?

– Denise, monsieur.

– Eh bien, Denise, tu es très gentille,veux-tu m’embrasser ? »

Denise lui tendit ses joues fraîches etrosées.

« Et toi, petite joufflue ? »demanda-t-il en s’avançant vers Rosalie qui, cachée derrière samère, dont elle tenait le tablier, regardait curieusement lenouveau venu.

Rosalie était un peu sauvage. Elle se mit àcrier. Mais sa sœur l’apaisa en lui parlant tout bas et la poussadoucement vers le matelot.

Jobic saisit à l’improviste la petiteeffarouchée. Elle poussa un cri de frayeur.

« Oh hisse ! » dit le mateloten l’installant sur son épaule.

En même temps il riait d’un si bon cœur queRosalie fut promptement rassurée. Cinq minutes après, elle étaitencore perchée sur l’épaule de son nouvel ami.

Pendant ce temps, Marianne et Denise avaientmis sur la table un pot de cidre, du beurre et une michede pain bis. Sur l’invitation cordiale de Marianne, le gardien ducheval était aussi entré dans la chaumière. On lui versa deuxgrandes bolées (chopines) de cidre, et Denise lui coupa ungros morceau de pain. Tandis qu’il beurrait son énorme tartine avecle recueillement que les paysans bretons mettent à cette opération,Jobic Letallec lui paya le prix fixé pour la location du cheval, etlui donna de plus un bon pourboire. Presque tous lesmarins sont généreux, et malgré son air brusque, sa grosse voix etsa vivacité, Jobic ne faisait pas exception à la règle.

Quand le gamin se remit en route, Marianne luidonna un second morceau de pain, et le pauvre petit s’éloigna toutjoyeux en appelant les bénédictions du ciel sur cette maisonhospitalière.

« Je croyais que vous aviez troisenfants, dit Letallec à son hôtesse, qui s’occupait déjà despréparatifs du dîner, – car en Bretagne on dîne à midi.

– Mon fils est sorti avec nos bestiaux,répondit Marianne.

– Il reviendra pour dîner ?

– Oh oui ! dit-elle en riant. Iln’oublie jamais ce moment-là, je vous assure.

– C’est qu’en passant par Plendaniel oùil y avait une foire, j’ai acheté quelques babioles aux enfants. Jevoudrais qu’ils fussent tous là pour faire ma distribution.

– Oh ! fais voir,monsieur ! » s’écria Rosalie en se trémoussant de joiesur l’épaule du matelot.

Et, leste comme un écureuil, la petitecurieuse se laissa glisser à terre.

« Il faut attendre Charlot, » ditMarianne.

Les marins ont un grand faible pour lesenfants. Le bon Jobic ne put résister aux câlineries de Rosalie, nià la muette prière des yeux de Denise. Il ouvrit une boîte et entira divers jouets qu’il distribua aux deux petites filles.

« Merci, merci, monsieurJobic ! » disait Denise toute radieuse.

Rosalie, une poupée dans les bras, sautaitcomme une biche, embrassait Letallec, courait à sa mère, embrassaitDenise, revenait au marin et ne pouvait tenir en place.

Jobic riait de bon cœur.

« Qu’est-ce que tu regardes ?demanda-t-il à Denise qui jetait un coup d’œil curieux au fond dela boîte.

– Est-ce qu’il y a quelque chose pourCharlot ?

– Qu’est-ce que c’est queCharlot ?

– Mon frère, monsieur Jobic.

– Pourquoi me demandes-tu cela ?

– Pour lui laisser sa part.

– Eh bien, tu as un bon petit cœur, toi,s’écria Jobic ; mais sois tranquille, le gars n’a pas étéoublié.

– Demande à maman qu’elle fasse descrêpes, dit mystérieusement à l’oreille du marin Rosalie,qui semblait depuis quelques minutes ruminer un projet dans satête.

– Pourquoi ? répondit-il sur le mêmeton.

– C’est bon ; les sucrées surtout,ça te fera plaisir.

– Et à toi ?

– À moi aussi, tiens ! »

Marianne avait prévenu le désir de sa fille.Seulement, comme les Morand n’étaient pas assez riches pour sepermettre des crêpes sucrées aussi fréquemment que l’aurait voulula généreuse hospitalité de Rosalie, elle se préparait à faire desgalettes de blé noir ou sarrazin.

Une brassée d’ajoncs bien secs fut jetée surl’âtre et flamba joyeusement. Denise prit la galetière,large disque en fer, armé d’un anneau qui sert à le suspendre.Tandis qu’elle en frottait la surface avec un peu de beurre pourempêcher la galette (ou crêpe non sucrée) de s’y attacher, la mèreachevait de délayer la pâte dans une vaste terrine.

Quand cette pâte, ou, pour mieux dire, cettebouillie liquide fut à point, Marianne en remplit une petite tasseen fer-blanc destinée à cet usage et la versa sur la galetière. Lapâte, étendue par sa main habile, formait un rond presque parfait.Colorée par la chaleur du feu ainsi que par le beurre dont lagaletière était enduite, elle prit bientôt la teinte grise etfeuille-morte par endroits.

Pendant ce temps, Denise faisait cuire dansl’eau bouillante des coquillages et des crabes qu’onappelle cancres sur les côtes de Bretagne. Jobic avait ôtésa veste et secondait la petite cuisinière avec autant de bonnevolonté que d’adresse, car les matelots savent faire un peu detout.

Rosalie ne quittait pas d’une semelle sonnouvel ami. Elle lui expliquait avec une imperturbable assurancetous les préparatifs que faisaient sa mère et sa sœur. Enfin, unedemi-douzaine de galettes étaient fabriquées, lorsque le pauvreKidu, l’oreille en sang, se précipita dans la maison de toute lavitesse des trois pattes dont il pouvait encore disposer. Quant àla quatrième, atteinte d’une rude morsure, il la tenait suspendueen l’air.

« Oh ! mon Dieu ! s’écriaMarianne, dont la première pensée fut pour son fils, qu’est-ilarrivé à Charlot ?

– Et Kidu ! Vois donc comme il estabîmé ! » dit Denise en caressant le chien quilui léchait les mains avec reconnaissance.

Marianne s’élança hors de la chaumière etrencontra la petite Fanchette tout essoufflée d’avoir couru.

« C’est ici la maison des parents deCharlot ? demanda la mendiante.

– Oui, mon enfant. Qu’est-il arrivé à monfils ? »

Fanchette le lui raconta d’une manière un peudécousue, mais avec intelligence. Comme elle parlait sousl’influence de la peur qu’elle-même avait éprouvée, son réciteffraya vivement Marianne.

« Ah ! mon Dieu !s’écria-t-elle, on m’avait bien dit que les nouveaux fermiersétaient de méchantes gens, mais je n’aurais jamais cru deschrétiens capables de frapper ainsi un pauvre enfant. Je cours chezeux.

– Non, dit Jobic en la retenant, j’yvais, moi. »

Marianne insista et, bon gré mal gré, voulutaller retrouver son fils.

« Mais toi reste ici, mon enfant, ditJobic à la mendiante. Tu es fatiguée, il faut te reposer.

– Non, répondit Fanchette, je vousaccompagnerai. Si le vilain homme disait que Charlot n’est pas dansle cellier, je serais là pour soutenir le contraire.

– Et s’il te bat ?

– Tant pis ! ça m’est arrivé tant defois.

– Ça ne t’arrivera pas avec moi,toujours, ni devant moi ! » s’écria Letallec.

Puis, soulevant la petite, il l’emporta dansses bras robustes, et se dirigea vers la ferme.

Kidu courait devant eux sur ses trois pattes,et revenait à chaque instant caresser Jobic, comme s’il eût deviné,le bon animal, qu’il amenait du secours à son jeune maître.

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