Les Deux Frères

Chapitre 13

 

 

L’hiver arriva bientôt après, le temps desgrandes neiges, où tous les travailleurs des bois rentrent auvillage et se reposent de leurs fatigues. Alors les exploitationsdes coupes sont suspendues. Les plus pauvres gens seuls vont encorepar petites bandes à la forêt ramasser le bois mort ;quelques-uns portent des balais à la ville, d’autres font dessabots ou tressent des paniers : il leur faut du bois,toujours du bois !

Le garde les attend au retour sur la route, ilvisite leurs fagots et s’assure qu’on n’y trouve pas de brinsverts, puis il les laisse passer. Malgré cela les procès-verbauxsont rares, ces pauvres gardes ne sont pas fâchés non plus de setenir au chaud dans leurs maisonnettes isolées, et de fumer leurpipe au coin de l’âtre ; ce n’est que sur le coup de feu d’unbraconnier à l’affût qu’ils se lèvent, regardent et prennent ladirection, pendant que le coup retentit encore d’échos enéchos ; alors quelquefois ils se mettent en route dans lesneiges, et font le tour du finage ; les traces du délinquantle suivent jusqu’à sa maison. On entre chez lui, mais le plussouvent son gibier a disparu, il est chez un voisin, ou bienenterré derrière quelque broussaille, en attendant qu’on puissealler le chercher, pour le porter en ville.

Ce métier de braconnier est biendangereux ; tôt ou tard les malheureux vont passer cinq ou sixmois en prison, et ne retrouvent, en rentrant à la cabane, que lamisère profonde, la femme et les enfants presque morts de faim.

Décembre et janvier se passèrent ainsi dans lerepos ordinaire, tantôt du vent, tantôt de la neige, du givre, degrandes pluies froides, du verglas.

M. le garde général, sévère comme lesjeunes gens qui ne connaissent que leurs livres, leurs calculs,leurs règlements, sans prendre en considération les misèreshumaines, ne se relâchait pas envers ses gardes, il lui fallait unrapport toutes les semaines.

Il faisait aussi toujours de la musique,allait voir M. Jean et chantait avec Louise ;M. Jacques, de sa maison en face, voyait tout cela.

Un jour qu’il tombait du grésil en masse, metrouvant à la mairie, où la sage-femme Simone et le bûcheronNicolas Cerf, de l’annexe du Grand-Soldat, venaient de présenter unenfant du sexe masculin à l’inscription aux actes de naissance, surle registre de l’état civil, comme ces gens sortaient, M. lemaire entra pour signer l’acte et s’assit auprès de moi, sa grossetabatière en carton noir sur la table.

Je mettais mes actes au net, le feu pétillaitdans le fourneau, quand tout à coup M. Jacques se réveillantme demanda :

« Georges va toujours vous voir, monsieurFlorence ?

– Quelquefois, monsieur le maire ;il vient le soir, nous causons de choses et d’autres.

– De quoi causez-vous ?

– Mon Dieu de tout ; de coupes, deprocès-verbaux, de chômage ; il faut bien passer lasoirée…

– Vous devriez bien engager Georges às’en aller d’ici, dit-il. Ce n’est pas une existence pour un jeunehomme instruit, riche, de bonne famille, de se promener en blouse,une toise sous le bras, de mesurer des bûches, de compter desplanches et de se laisser vexer par un mendiant qui n’a pas de quois’acheter un habit neuf, et qui vous cherche les plus mauvaiseschicanes pour avoir de l’avancement. Non, ça ne peut pas durer, ilfaut que Georges parte ou cela finira mal. »

Je l’écoutais, surpris d’un pareil changement,car il m’avait dit cinquante fois qu’on n’est bien que chez soi,que son fils lui succéderait, qu’il serait son propre maître, qu’ilamènerait ses propres affaires, qu’il surveillerait son proprebien, et que c’était le plus beau sort d’avoir à donner des ordresau lieu d’en recevoir.

Je ne disais rien, et lui, devinant ce que jepensais, continua :

« Dans le temps, sous M. Botte ettous les autres gardes généraux, qui faisaient le soir leur partiede piquet avec les adjudicataires, en prenant une ou deux chopinesde vin blanc, cela pouvait encore aller ; mais aujourd’hui cesnouveaux employés ne pensent qu’à se distinguer ; et plus ilsfont de procès-verbaux, plus ils se distinguent. C’est la nouvelleadministration de Louis-Philippe : il faut tondre sur un œuf,ou vous n’êtes pas capable ! À Sarrebourg, ils appellent çal’esprit moderne, l’esprit du progrès, le positif. Ils veulent tousêtre positifs. À force d’être positifs, ils s’attirent tout lemonde sur le dos, les paysans, les marchands, les ouvriers, et çafinira par une révolution. Enfin ça les regarde ! Mais enattendant le commerce se gâte, les adjudications se font au rabais,les acheteurs se ruinent. Vous me rendriez un grand service,monsieur Florence, d’expliquer tout cela clairement à mon garçon.Mon Dieu, je ne veux pas le forcer à faire plutôt ceci que cela. Àsa place je tâcherais de devenir avocat. Aujourd’hui les avocatssont tout ; ils sont procureurs généraux, députés,ministres ; ils se mettent du foin dans les bottes tant etplus ; ils font le gouvernement et les lois. Ou si Georges neveut pas être avocat, qu’il choisisse autre chose, tout ce qu’ilvoudra, ça m’est égal, mais qu’il s’en aille. Je suis vieux, majambe gauche traîne depuis deux ans, j’aurais souhaité d’avoir legarçon près de moi, de le voir prendre la suite de mesaffaires ; mais les Rantzau ont la tête chaude, ils nesupportent pas l’injustice ; à vingt ans, je me serais révoltécent fois ; il me ressemble… un mauvais coup est sitôtfait !… vous comprenez !… Ce garçon-là doitpartir. »

Je ne savais quoi répondre.

« Tâchez de lui faire comprendre ça,dit-il, car je ne veux pas m’en mêler ; depuis quelque tempsil ne m’écoute plus. J’ai la voix un peu forte, j’ai l’habitudequ’on m’obéisse… je pourrais m’emporter à la fin ; alors luis’en irait peut-être en Amérique, et ne me donnerait plus de sesnouvelles. Nous avons vu cela dans la famille ; ça ne seraitpas la première fois ; le grand-oncle Jean-Baptiste est partile lendemain d’une dispute avec son père, quinze ou vingt ans avantla Révolution ; il est allé du côté de la Pologne, de laTurquie, Dieu sait où, et le pauvre vieux n’a jamais su ce qu’ilétait devenu ; c’était son plus grand chagrin. Et qu’est-cequi me resterait à moi ? Rien que mes rhumatismes et ma femme.J’aurais travaillé toute ma vie pour des gens qui se partageraientmon bien après ma mort. Quand on se connaît, il faut se méfier desoi-même. Voilà, monsieur Florence, ce que j’avais à vousdire ; depuis plusieurs jours j’y pense, j’attendaisl’occasion.

– Mais, monsieur le maire, lui dis-jetout inquiet, est-ce que vous croyez que Georges m’écoutera ?Maintenant il en sait dix fois plus que son vieux maîtred’école…

– Oui, fit-il, Georges vousécoutera ; vous êtes un bon homme, il vous aime ;parlez-lui seulement comme je viens de vous le dire, à votremanière ; j’ai pleine confiance en vous. Mettez un peu d’ordredans tout ça ; moi, quand j’y pense, la colère me gagne toutde suite. Je voudrais déjà le voir à Strasbourg, à Paris, n’importeoù ! Quand ça devrait me coûter cinq mille francs par an, jen’y regarderais pas, pourvu qu’il s’en aille. Mais il ne veut plusm’écouter, on dirait qu’il a peur que je le vole !

– Oh ! monsieur le maire…

– C’est une façon de parler,dit-il ; Dieu merci, Georges n’a ni frères, ni sœurs, tout luireviendra. Mais c’est ainsi qu’il faut nous y prendre ; vousme le promettez, monsieur Florence ?

– Puisque vous avez cette confiance enmoi, monsieur le maire, je ferai mon possible.

– Oui, j’ai la plus grande confiance envous, et je suis bien content de vous avoir expliqué lachose ; ça réussira.

– Peut-être… nous verrons. »

Alors la nuit était venue ; et se levant,M. Jacques ferma la porte du poêle, pour éteindre le feu.

« Ce n’est pas la peine d’allumer lalampe, ni de brûler du bois, dit-il, personne ne viendra plus cesoir. Allons-nous-en. »

Nous sortîmes dans le grand corridor. Jefermai la porte à double tour, mettant la grosse clef dans mapoche, et nous descendîmes en nous souhaitant le bonsoir. Jeretournai chez moi tout pensif et M. Jacques rentra chezlui.

En arrivant à la maison, quelques instantsavant le souper, je trouvai ma femme seule, en train de coudre prèsde la table déjà mise ; Juliette était dans la cuisine. Touten me débarrassant de ma redingote et mettant mon tricot, je luiracontai ce qui venait de se passer ; elle avait déposé sonouvrage près de la lampe et m’écoutait bien étonnée, je voyais quema promesse ne la rendait pas contente.

« Comment, Florence, dit-elle en joignantles mains, comment, tu te laisses mettre des affaires pareilles surles épaules ? Il n’avait qu’à parler lui-même à songarçon ; est-ce que cela nous regarde ? S’il veut queGeorges s’en aille, il n’a qu’à lui dire de s’en aller.

– Bon, bon, Marie-Anne, je sais biença ; c’est ennuyeux, mais j’ai promis.

– Tu as promis ! Mais ce garçon-làne t’écoutera pas ; il pourra se fâcher !… Que M. lemaire s’arrange lui-même, nous ne devons nous mêler de rien.

– Mais j’ai promis !… lui dis-jeencore une fois.

– C’est égal, dit-elle. Au nom du ciel,Florence, reste tranquille ; on ne sait pas où tout cela peutnous mener. »

Alors je me fâchai presque et je luidis :

« Écoute, Marie-Anne, ne me parle jamaiscomme cela ; je ne veux pas qu’on me parle de cettefaçon : un homme n’a que sa parole ! M. Jacques m’arendu plus d’un service ; il m’a conservé ma place, il m’amême fait augmenter de cent francs, je ne pouvais pasrefuser ; j’ai promis, et je tiendrai ma promesse… Tum’entends ? »

Je n’avais jamais parlé d’un pareil tond’autorité à Marie-Anne, mais elle me donnait aussi pour lapremière fois un mauvais conseil, car tout homme doit remplir sespromesses. Elle fut donc tout étonnée ; et comme Julietteentrait justement avec le plat de pommes de terre et le pot de laitcaillé, elle ne dit plus un mot et le souper se passatranquillement.

Le lendemain, le surlendemain, il n’y eut riende nouveau. Il neigeait toujours. Je tenais mon école et je pensaisque la semaine entière se passerait de la sorte, lorsque le samedisoir, après le souper, Georges arriva. Ma femme fut aussitôttroublée ; Juliette, elle, ne sachant rien, était gaie comme àl’ordinaire ; elle se leva tout de suite et, présentant unechaise à Georges, elle lui dit de s’asseoir.

Il fumait selon son habitude une pipe deterre. Je n’aime pas l’odeur du tabac, personne ne fume à lamaison ; mais pour un de mes anciens élèves, j’avais fait uneexception.

« Vous me permettez, monsieurFlorence ? dit-il en souriant.

– Va… va… continue, ne te gêne pas, luidis-je ; c’est du bon tabac, et…

– Oui, fit-il, c’est du caporal à huitsous le paquet ; on n’en vend pas d’autre au village ;mais je n’aime pas la contrebande des Allemands, ils font leurqualité supérieure de tabac avec des trognons de choux ; c’estpour ça que cela sent si mauvais. »

Alors on se mit à causer du mauvais temps. Ilse plaignait du retard dans les coupes, du chômage des scieries, àcause de la quantité d’eau gelée qui restait dans la montagne, aulieu de descendre ; il prévoyait un grand débordement etpeut-être même des inondations à la fonte des neiges.

Moi je l’écoutais, songeant toujours à lamanière d’entamer mon chapitre.

À la fin, comme il disait que l’existenceétait bien ennuyeuse au village pendant l’hiver, je pensai : –Voilà le bon moment ! – et je lui dis :

« Ah ! tu as bien raison !…Quelle existence… Quelle existence !… Surtout quand ça doitdurer des trente, quarante et cinquante ans… Quel ennui !… Àla longue, on est comme des mécaniques qui font toujours les mêmeschoses sans penser à rien. Ce que je ne comprends pas, Georges,c’est qu’un garçon comme toi, riche, instruit, tu viennest’enterrer aux Chaumes. Je ne te cache pas qu’en te voyant aucollège couvert de toutes ces couronnes, jamais je ne me seraisfiguré que tu finirais par être un simple marchand de bois, qui sepromènerait en blouse, dans la boue, dans la neige, à la pluie etau vent, comme le Savoyard Martin et tous les malheureux roulantsde cette espèce. Non ! ça ne me serait jamais entré dansl’esprit. Moi, Georges, je te voyais déjà d’avance dans une grandeville, en train de faire des études de droit ou de médecine, demathématiques ou d’histoire naturelle ; d’écouter d’illustresprofesseurs, et puis après cela de te distinguer dans une carrièrevraiment scientifique. Je croyais déjà lire le nom de GeorgesRantzau dans des écrits savants, et même dans les gazettes. Voilàce que je pensais ! Ça me paraissait très naturel d’avoircette idée, car tous les professeurs reconnaissaient les heureusesdispositions que la nature a mises en toi ; ces germes utilesqu’il faut cultiver pour les voir fructifier ; que tantd’autres voudraient avoir, et qui dépérissent faute de culture,dans un pays comme le nôtre, où l’on n’entend que les raisonsvulgaires et les grossiers propos des naturels du pays. »

Je m’animais moi-même, arrangeant avec art ceque M. Jacques m’avait dit ; lui, m’écoutait en meregardant de côté, son grand nez incliné, sans cligner de l’œil. Mafemme, tout en ayant l’air de suivre sa couture, tremblait commeune feuille ; Juliette, seule, qui ne se doutait de rien,m’observait, ouvrant de grands yeux étonnés, car d’habitude jen’aime pas à parler longuement, j’aime bien mieux écouter lesautres.

Georges, sans rien dire, avait fini par selever et se promenait dans la chambre, en crachant à droite et àgauche, et tirant d’énormes bouffées de sa pipe, comme si mondiscours avait produit sur lui de l’impression.

Pendant plus d’une bonne demi-heure, je ne fisque m’exalter et m’attendrir, lui peignant le beau sort des jeunesgens qui continuent leurs études ; la vie brillante qu’ilsmènent au sein de la civilisation ; le grand opéra, lesthéâtres, les musées, les bibliothèques, les magnifiquescollections du Jardin des Plantes, enfin tout ce que je mereprésentais d’après les descriptions que j’en avais lues ;tout ce que je me serais souhaité d’avance, si j’avais eu lebonheur de naître dans une position élevée ; tout ce qui mefaisait soupirer depuis tant d’années, en pensant que j’en seraisprivé jusqu’à la fin de mes jours.

Je croyais l’avoir touché, lorsqu’il se rassittranquillement et me dit :

« Oui, monsieur Florence, c’est trèsbien ; voilà ce que vous souhaitez pour vous ; mais moije souhaite autre chose.

– Qu’est-ce que tu souhaitesdonc ?

– Je souhaite de rester auxChaumes ; et comme j’y suis, à proprement parler je nesouhaite rien du tout.

– Mais, mon cher Georges, lui dis-je,songe donc à tous les désagréments du commerce de bois, depuisl’arrivée de ce M. Lebel ; songe donc qu’auprès de lui,malgré tes moyens et ta fortune, tu n’as l’air de rien ! Voilàce qui me chagrine le plus. Dans deux ou trois ans, en continuanttes études à Nancy, tu reviendrais avec le même grade que lui, tupourrais lui répondre ; au lieu que de cette façon tu courbesle dos ; c’est lui qui fait les procès-verbaux et c’est toiqui les payes ; c’est lui qui donne des ordres et c’est toiqui obéis. »

Il était devenu tout pâle, ses jouesfrémissaient.

« Monsieur Florence, me dit-ilbrusquement, parlons d’autre chose ; je n’aime pas entendreparler de cet homme.

– Alors, lui dis-je, presque intimidé parson coup d’œil, tu ne veux pas écouter ton vieux maître d’école,qui ne parle que pour ton bien ? Tu veux rester dans ce pays,où tes belles qualités, tes heureuses dispositions…

– Oui, dit-il en m’interrompant d’un tondur, je reste ! »

Et ce mot « je reste ! » nesouffrait aucune réponse ; c’était la voix du père Jacquesdans ses moments de colère. Ma femme me regardait en dessous, entirant le fil au hasard, et je voyais dans son regard une grandeprière de ne pas continuer ; aussi croyant avoir accompli mondevoir, je dis seulement :

« C’est pour ton bien, Georges, que jeparlais ; mais puisque tu ne veux plus rien entendre, il nefaut pas m’en vouloir. »

Lui, penché sur sa chaise, regardait dans lacheminée, les yeux fixes. Et tout à coup, comme on se taisait, ilse tourna de mon côté et me dit d’un ton de bonne humeur :

« Voici bientôt le printemps, monsieurFlorence, nous ferons encore plus d’un bon tour dans lamontagne ; j’espère que cette année vous viendrez plussouvent, car vous avez beau dire, vous aimez ce pays autant quemoi…

– Hé ! je ne dis pas le contraire,Georges ; mais à ton âge, dans ta position… Enfin laissonscela !… Et puisque tu restes, eh bien, oui, tu as raison, nousirons plus souvent nous promener ensemble dans la montagne ;je suis toujours content d’être avec toi.

– À la bonne heure, dit-il en riant,voilà ce qui s’appelle parler ! »

Et durant plus d’une demi-heure laconversation roula sur les fleurs de nos montagnes, sur la bellevallée de la Sarre-Rouge, etc. On aurait cru que riend’extraordinaire ne s’était dit.

Vers neuf heures, Georges se levant, aprèsavoir secoué les cendres de sa pipe, me serra la main d’un airamical et s’écria :

« Monsieur Florence, vous êtes lemeilleur homme que je connaisse ! Si jamais je vous faisais dela peine, il faudrait me pardonner, car ce serait malgrémoi. »

Puis, sans attendre ce que j’allais luirépondre, il dit : « Bonsoir, madame Florence ;bonsoir, Juliette, » et sortit.

Alors ma femme, me regardant,murmura :

« Cela s’est bien passé !… mais avecce garçon, il ne faut pas recommencer, Florence, il est encore plusdur que son père. »

Et quoique Juliette ne sût rien, je visqu’elle était aussi comme épouvantée.

« Allons, dis-je en me levant, puisquetout s’est bien passé, il est temps de dormir. La première chose ence monde, c’est de faire son devoir ; quand on ne réussit pas,cela ne vous regarde plus, la conscience est tranquille. »

Et nous allâmes nous coucher.

Le lendemain, jour de la Quadragésime, jen’eus qu’une minute de conversation avec M. Jacques ;j’allais partir pour la grand-messe, ma femme et Juliette étaientdéjà sorties, et j’ouvrais la porte en bas, lorsque M. lemaire, en habit des dimanches, parut sur le seuil.

« Montons, monsieur le maire, lui dis-je,il fait froid dans l’allée.

– Non ! le dernier coup va sonner. –Vous avez vu Georges hier soir ; vous lui avezparlé ?

– Oui, monsieur le maire, pendant plusd’une heure. J’ai dit tout ce qu’on peut dire, je n’ai rienoublié ; j’ai même ajouté plusieurs choses très fortes.

– Et qu’est-ce qu’il a répondu ?Qu’est-ce qu’il veut faire ?

– Il m’a répondu : « C’estassez… je reste ! »

– Il reste !… Etpourquoi ?…

– Il ne donne aucune raison… ça lui plaîtde rester… il aime ce pays… voilà tout !…

– Ah !… » dit le vieux, enregardant à terre d’un air pensif.

Je voyais sur sa figure quelque chose de graveet même de triste. Tout à coup les cloches se mirent àsonner ; alors se réveillant de ses pensées, M. Jacquesme tendit la main en disant :

« Je vous remercie, monsieur Florence, dela peine que vous vous êtes donnée pour moi.

– C’était de bon cœur, monsieur le maire,lui répondis-je ; j’aurais été bien heureux deréussir. »

Et nous sortîmes dans la rue pleine deneige : lui devant, à trente ou quarante pas, et moi derrière,après avoir refermé la maison, comme des étrangers qui suivent lemême chemin.

En entrant à l’église, je l’aperçus déjà dansle banc des Rantzau, à côté de son frère. Je montai prendre maplace à l’orgue et la messe commença.

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