Les Sept Femmes de la Barbe-Bleue et autres contes merveilleux

XIV UN HOMME HEUREUX

Après avoir toute année vainement parcouru leroyaume, Quatrefeuilles et Saint-Sylvain se rendirent au château deFontblande où le roi s’était fait transporter pour jouir de lafraîcheur des bois. Ils le trouvèrent dans un état de prostrationdont s’alarmait la Cour.

Les invités ne logeaient pas dans ce châteaude Fontblande, qui n’était guère qu’un pavillon de chasse. Lesecrétaire des commandements et le premier écuyer avaient prislogis au village et, chaque jour, ils se rendaient sous bois auprèsdu souverain. Durant le trajet ils rencontraient sou vent un petithomme qui logeait dans un grand platane creux de la forêt. Il senommait Mousque et n’était pas beau avec sa face camuse, sespommettes saillantes et son large nez aux narines toutes rondes.Mais ses dents carrées que ses lèvres rouges découvraient dans unrire fréquent, donnaient de l’éclat et de l’agrément à sa figuresauvage. Comment s’était-il emparé du grand platane creux, personnene le savait ; mais il s’y était fait une chambre bien propre,et munie de tout ce qui lui était nécessaire. A vrai dire il luifallait peu. Il vivait de la forêt et de l’étang, et vivait trèsbien. On lui pardonnait l’irrégularité de sa condition parce qu’ilrendait des services et savait plaire. Quand les dames du châteause promenaient en voiture dans la forêt, il leur offrait, dans descorbeilles d’osier, qu’il avait lui même tressées, des rayons demiel, des fraises Les bois ou le fruit amer et sucré du cerisierdes oiseaux. Il était toujours prêt à donner un coup d’épaule auxcharrois embourbés et aidait à rentrer les foins quand le tempsmenaçait. Sans se fatiguer, il en faisait plus qu’un autre. Saforce et son agilité étaient extraordinaires. Il brisait de sesmains la mâchoire d’un loup, attrapait un lièvre à la course etgrimpait aux arbres comme un chat. Il faisait pour amuser lesenfants des flûtes de roseau, des petits moulins à vent et desfontaines d’Hiéron.

Quatrefeuilles et Saint-Sylvain entendaientsouvent dire, dans le village : « Heureux commeMousque. » Ce proverbe frappa leur esprit et un jour, passantsous le grand platane creux, ils virent Mousque qui jouait avec unjeune mopse et paraissait aussi content que le chien. Ilss’avisèrent de lui demander s’il était heureux.

Mousque ne put répondre, faute d’avoirréfléchi sur le bonheur. Ils lui apprirent en gros et simplement ceque c’était. Et, après y avoir songé un moment, il répondit qu’ill’avait.

A cette réponse, Saint-Sylvain s’écriaimpétueusement :

– Mousque, nous te procurerons tout ce que tupeux désirer, de l’or, un palais, des sabots neufs, tout ce que tuvoudras ; donne-nous ta chemise. Sa bonne figure exprima nonle regret et la déception, qu’il était bien incapabled’éprouver ; mais une grande surprise. Il fit signe qu’il nepouvait donner ce qu’on lui demandait. Il n’avait pas dechemise.

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