Littérature et philosophie mêlées de Victor Hugo

SATIRIQUES ET MORALISTES
Celui qui, tourmenté du généreux démon de la satire, prétend dire des vérités dures à son siècle, doit, pour mieux terrasser le vice, attaquer en face l’homme vicieux ; pour le flétrir, il doit le nommer ; mais il ne peut acquérir ce droit qu’en se nommant lui-même. De cette manière il s’assure en quelque sorte la victoire ; car, plus son ennemi est puissant, plus il se montre courageux, lui, et la puis- sance recule toujours devant le courage. D’ailleurs, la vérité veut être dite à haute voix, et une médisance anonyme est peut-être plus honteuse qu’une calomnie si- gnée. Il n’en est pas de même du moraliste paisible qui ne se mêle dans la société que pour en observer en silence les ridicules et les travers, le tout à l’avantage de l’humanité. S’il examine les individus en particulier, il ne critique que l’espèce en général. L’étude à laquelle il se livre est donc absolument innocente, puisqu’il cherche à guérir tout le monde sans blesser personne. Cependant pour remplir avec fruit son utile fonction, sa première précaution doit être de garder l’inco- gnito. Quelque bonne opinion que nous ayons de nous-mêmes, il y a toujours en nous une certaine conscience qui nous fait considérer comme hostile la démarche de tout homme qui vient scruter notre caractère. Cette conscience est celle de

: : :L’endroit que l’on sent faible et qu’on veut se cacher.

Aussi, si nous sommes forcés de vivre avec celui que nous regarderons comme un importun surveillant, nous envelopperons nos actions d’un voile de dissimu- lation, et il perdra toutes ses peines. Si, au contraire, nous pouvons l’éviter, nous le ferons fuir de tout le monde, en le dénonçant comme un fâcheux. Le philosophe observateur, à la manière des acteurs anciens, ne peut remplir son rôle s’il ne porte un masque. Nous recevrons fort mal le maladroit qui nous dira : Je viens compter vos défauts et étudier vos vices. Il faut, comme dit Horace, qu’il mette du foin à ses cornes, autrement nous crierons tous haro ! Et celui qui se charge d’exploiter le domaine du ridicule, toujours si vaste en France, doit se glisser plutôt que se présenter dans la société, remarquer tout sans se faire remarquer lui-même, et ne jamais oublier ce vers de Mahomet :

: : :Mon empire est détruit si l’homme est reconnu.

Il ne faut pas juger Voltaire sur ses comédies, Boileau sur ses odes pindariques, ou Rousseau sur ses allégories marotiques. Le critique ne doit pas s’emparer mé- chamment des faiblesses que présentent souvent les plus beaux talents, de même que l’histoire ne doit point abuser des petitesses qui se rencontrent dans presque tous les grands caractères. Louis XIV se serait cru déshonoré si son valet de chambre l’eût vu sans perruque ; Turenne, seul dans l’obscurité, tremblait comme un en- fant ; et l’on sait que César avait peur de verser en montant sur son char de triomphe.

En 1676, Corneille, l’homme que les siècles n’oublieront pas, était oublié de ses contemporains, lorsque Louis XIV fit représenter à Versailles plusieurs de ses tra- gédies. Ce souvenir du roi excita la reconnaissance du grand homme, la veine de Corneille se ranima, et le dernier cri de joie du vieillard fut peut-être un des plus beaux chants du poëte, Est-il vrai, grand monarque, et puis-je me vanter Que tu prennes plaisir à me ressusciter ? Qu’au bout de quarante ans, Cinna, Pompée, Horace, Reviennent à la mode et retrouvent leur place, Et que l’heureux brillant de mes jeunes rivaux N’ôte point leur vieux lustre à mes premiers travaux ?

Tel Sophocle à cent ans charmait encore Athènes, Tel bouillonnait encor son vieux sang dans ses veines, Diraient-ils à l’envi, lorsque Oedipe aux abois De ses juges pour lui gagna toutes les voix. Je n’irai pas si loin, et, si mes quinze lustres Font encor quelque peine aux modernes illustres, S’il en est de fâcheux jusqu’à s’en chagriner, Je n’aurai pas longtemps à les importuner. Quoi que je m’en pro- mette, ils n’en ont rien à craindre C’est le dernier éclat d’un feu prêt à s’éteindre ; Au moment d’expirer il tâche d’éblouir, Et ne frappe les yeux que pour s’évanouir.

Ces vers m’ont toujours profondément ému. Corneille, aigri par l’envie, rebuté par l’indifférence, y laisse entrevoir toute la fière mélancolie de sa grande âme. Il sentait sa force, et il n’en était que plus amer pour lui de se voir méconnu. Ce mâle génie avait reçu à un haut degré de la nature la conscience de lui-même. Qu’on juge cependant à quel point les attaques réitérées de ses Zoïles durent influer sur ses idées pour l’amener à dire avec une sorte de conviction :

: : :Sed neque Godaeis accedat musa tropaeis, : : :Nec Capellanum fas mihi velle sequi.

De pareils vers, écrits sérieusement par Corneille, sont une bien sanglante épi- gramme contre son siècle.

SUR ANDRÉ DE CHÉNIER
: : : :1819.

Un livre de poésie vient de paraître, et, quoique l’auteur soit mort, les critiques pleuvent. Peu d’ouvrages ont été plus rudement traités par les connaisseurs que ce livre. Il ne s’agit pas cependant de torturer un vivant, de décourager un jeune homme, d’éteindre un talent naissant, de tuer un avenir, de ternir une aurore. Non, cette fois, la critique, chose étrange, s’acharne sur un cercueil ! Pourquoi ? En voici la raison en deux mots : c’est que c’est bien un poëte mort, il est vrai, mais c’est aussi une poésie nouvelle qui vient de naître. Le tombeau du poëte n’obtient pas grâce pour le berceau de sa muse.

Pour nous, nous laisserons à d’autres le triste courage de triompher de ce jeune lion arrêté au milieu de ses forces. Qu’on invective ce style incorrect et parfois bar- bare, ces idées vagues et incohérentes, cette effervescence d’imagination, rêves tumultueux du talent qui s’éveille ; cette manie de mutiler la phrase, et, pour ainsi dire, de la tailler à la grecque ; les mots dérivés des langues anciennes employés dans toute l’étendue de leur acception maternelle ; des coupes bizarres, etc. Cha- cun de ces défauts du poëte est peut-être le germe d’un perfectionnement pour la poésie. En tout cas, ces défauts ne sont point dangereux, et il s’agit de rendre justice à un homme qui n’a point joui de sa gloire. Qui osera lui reprocher ses imperfections lorsque la hache révolutionnaire repose encore toute sanglante au milieu de ses travaux inachevés ?

Si d’ailleurs l’on vient à considérer quel fut celui dont nous recueillons aujour- d’hui l’héritage, nous ne pensons pas que le sourire effleure facilement les lèvres. On verra ce jeune homme, d’un caractère noble et modeste, enclin à toutes les douces affections de l’âme, ami de l’étude, enthousiaste de la nature. En ce même temps, la révolution est imminente, la renaissance des siècles antiques est pro- clamée, Chénier devait être trompé, il le fut. Jeunes gens, qui de nous n’aurait point voulu l’être ? Il suit le fantôme, il se mêle à tout ce peuple qui marche avec une ivresse délirante par le chemin des abîmes. Plus tard on ouvrit les yeux, les hommes égarés tournèrent la tête, il n’était plus temps pour revenir en arrière, il était encore temps pour mourir avec honneur. Plus heureux que son frère, Chénier vint désavouer son siècle sur l’échafaud.

Il s’était présenté pour défendre Louis XVI, et, quand le martyr fut envoyé au ciel, il rédigea cette lettre par laquelle la dernière ressource de l’appel au peuple fut en vain offerte à la conscience des bourreaux.

Cet homme si digne de sympathie n’eut pas le temps de devenir un poëte par- fait ; mais, en parcourant les fragments qu’il nous a laissés, on rencontre des dé- tails qui font oublier tout ce qui lui manque. Nous allons en signaler quelques-uns. Voyons d’abord le tableau de Thésée tuant un centaure :

Il va fendre sa tête ; Soudain le fils d’Égée, invincible, sanglant, L’aperçoit, à l’autel prend un chêne brûlant, Sur sa croupe indomptée, avec un cri terrible, S’élance, va saisir sa chevelure horrible, L’entraîne, et quand sa bouche ouverte avec effort Crie, il y plonge ensemble et la flamme et la mort.

Ce morceau présente ce qui constitue l’originalité des poëtes anciens, la tri- vialité dans la grandeur. D’ailleurs, l’action est vive, toutes les circonstances sont bien saisies et les épithètes sont pittoresques. Que lui manquer-t-il ? Une coupe élégante ? Nous préférons cependant une pareille « barbarie »à ces vers qui n’ont d’autre mérite qu’une irréprochable médiocrité.

Il y a dans Ovide :

Nec dicere Rhaetus Plura sinit, rutilasque ferox per aperta loquentis Condidit ora viri, perque os in pectore flammas.

C’est ainsi que Chénier imite. En maître. Il avait dit des serviles imitateurs :

La nuit vient, le corps reste, et son ombre s’enfuit.

Voyez encore ces vers de l’apothéose d’Hercule :

Il monte, sous ses pieds Étend du vieux lion la dépouille héroïque, Et, l’oeil au ciel, la main sur la massue antique, Attend sa récompense et l’heure d’être un dieu. Le vent souffle et mugit, le bûcher tout en feu Brille autour du héros, et la flamme rapide Porte aux palais divins l’âme du grand Alcide.

Nous préférons cette image à celle d’Ovide, qui peint Hercule étendu sur son bûcher, avec un visage aussi calme que s’il était couché sur le lit des festins. Re- marquons seulement que l’image d’Ovide est païenne, celle d’André de Chénier est chrétienne.

Veut-on maintenant des vers bien faits, des vers où brille le mérite de la diffi- culté vaincue ? tournons la page, car, pour citer, on n’a guère que l’embarras du choix :

Toujours ce souvenir m’attendrit et me touche, Quand, lui-même, appliquant la flûte sur ma bouche, Riant et m’asseyant près de lui, sur son coeur, M’appelait son rival et déjà son vainqueur ; Il façonnait ma lèvre inhabile et peu sûre A souf- fler une haleine harmonieuse et pure, Et ses savantes mains, prenant mes jeunes doigts, Les levaient, les baissaient, recommençaient vingt fois, Leur enseignant ainsi, quoique faibles encore, A fermer tour à tour les trous du buis sonore.

Veut-on des images gracieuses ?

J’étais un faible enfant, qu’elle était grande et belle ; Elle me souriait et m’ap- pelait près d’elle ; Debout sur ses genoux, mon innocente main Parcourait ses cheveux, son visage, son sein ; Et sa main, quelquefois aimable et caressante, Fei- gnait de châtier mon enfance imprudente. C’est devant ses amants, auprès d’elle confus, Que la fière beauté me caressait le plus. Que de fois (mais, hélas ! que sent- on à cet âge ?) Que de fois ses baisers ont pressé mon visage ! Et les bergers di- saient, me voyant triomphant : Oh ! que de biens perdus ! O trop heureux enfant !

Les idylles de Chénier sont la partie la moins travaillée de ses ouvrages, et ce- pendant nous connaissons peu de poëmes dans la langue française dont la lecture soit plus attachante ; cela tient à cette vérité de détails, à cette abondance d’images qui caractérisent la poésie antique. On a observé que telle églogue de Virgile pour- rait fournir des sujets à toute une galerie de tableaux.

Mais c’est surtout dans l’élégie qu’éclate le talent d’André de Chénier. C’est là qu’il est original, c’est là qu’il laisse tous ses rivaux en arrière. Peut-être l’habitude de l’antiquité nous égare, peut-être avons-nous lu avec trop de complaisance les premiers essais d’un poëte malheureux ; cependant nous osons croire, et nous ne craignons pas de le dire, que, malgré tous ses défauts, André de Chénier sera re- gardé parmi nous comme le père et le modèle de la véritable élégie. C’est ici qu’on est saisi d’un profond regret, en voyant combien ce jeune talent marchait déjà de lui-même vers un perfectionnement rapide. En effet, élevé au milieu des muses antiques, il ne lui manquait que la familiarité de sa langue ; d’ailleurs, il n’était dépourvu ni de sens ni de lecture, et encore moins de ce goût qui n’est que l’ins- tinct du vrai beau. Aussi voit-on ses défauts faire rapidement place à des beautés hardies, et, s’il se débarrasse encore quelquefois des entraves grammaticales, ce n’est plus guère qu’à la manière de La Fontaine, pour donner à son style plus de mouvement, de grâce et d’énergie. Nous citerons ces vers :

Et c’est Glycère, amis, chez qui la table est prête ! Et la belle Amélie est aussi de la fête ! Et Rose, qui jamais ne lasse les désirs, Et dont la danse molle aiguillonne aux plaisirs !

J’y consens, avec vous je suis prêt à m’y rendre, Allons ! Mais si Camille, ô dieux ! vient à l’apprendre ! Quel orage suivra ce banquet tant vanté, S’il faut qu’à son oreille un mot en soit porté ! Oh ! vous ne savez pas jusqu’où va son empire. Si j’ai loué des yeux, une bouche, un sourire, Ou si, près d’une belle assis en un repas, Nos lèvres en riant ont murmuré tout bas, Elle a tout vu. Bientôt cris, reproches, injure, Un mot, un geste, un rien, tout était un parjure. « Chacun, pour cette belle avait vu mes égards ; « Je lui parlais des yeux, je cherchais ses regards. »Et puis des pleurs, des pleurs… que Memnon sur sa cendre A sa mère immortelle en a moins fait répandre ! Que dis-je ? sa colère ose en venir aux coups…

Et ceux-ci, où éclatent, à un égal degré, la variété des coupes et la vivacité des tournures :

Une amante moins belle aime mieux, et du moins, Humble et timide, à plaire elle est pleine de soins ; Elle est tendre, elle a peur de pleurer votre absence ; Fidèle, peu d’amants attaquent sa constance ; Et son égale humeur, sa facile gaîté, L’habi- tude, à son front tiennent lieu de beauté. Mais celle qui partout fait conquête nou- velle, Celle qu’on ne voit point sans dire : Qu’elle est belle ! Insulte en son triomphe aux soupirs de l’amour. Souveraine au milieu d’une tremblante cour, Dans son lé- ger caprice inégale et soudaine, Tendre et bonne aujourd’hui, demain froide et hautaine, Si quelqu’un se dérobe à ses enchantements, Qu’est-ce enfin qu’un de moins dans un peuple d’amants ? On brigue ses regards, elle s’aime et s’admire, Et ne connaît d’amour que celui qu’elle inspire.

En général, quelle que soit l’inégalité du style de Chénier, il est peu de pages dans lesquelles on ne rencontre des images pareilles à celle-ci :

Oh ! si tu la voyais, cette belle coupable, Rougir, et s’accuser, et se justifier, Sans implorer sa grâce et sans s’humilier ! Pourtant, de l’obtenir doucement inquiète, Et, les cheveux épars, immobile, muette, Les bras, la gorge nue, en un mol aban- don, Tourner sur toi des yeux qui demandent pardon, Crois qu’abjurant soudain le reproche farouche, Tes baisers porteraient le pardon sur sa bouche !

Voici encore un morceau d’un genre différent, aussi énergique que celui-là est gracieux. On croirait lire des vers de quelqu’un de nos vieux poëtes :

Souvent las d’être esclave et de boire la lie De ce calice amer que l’on nomme la vie, Las du mépris des sots qui suit la pauvreté, Je regarde la tombe, asile sou- haité ! Je souris à la mort volontaire et prochaine. Je me prie en pleurant d’oser rompre ma chaîne. Le fer libérateur qui percerait mon sein Déjà frappe mes yeux et frémit sous ma main ; Et puis mon coeur s’écoute et s’ouvre à la faiblesse ; Mes parents, mes amis, l’avenir, ma jeunesse, Mes écrits imparfaits ; car, à ses propres yeux, L’homme sait se cacher d’un voile spécieux… A quelque noir destin qu’elle soit asservie, D’une étreinte invincible il embrasse la vie, Et va chercher bien loin, plutôt que de mourir, Quelque prétexte ami de vivre et de souffrir. Il a souffert, il souffre, aveugle d’espérance, Il se traîne au tombeau de souffrance en souffrance, Et la mort, de nos maux ce remède si doux, Lui semble un nouveau mal, le plus cruel de tous !

Il est hors de doute que si Chénier avait vécu, il se serait placé un jour au rang des premiers poëtes lyriques. Jusque dans ses essais informes on trouve déjà tout le mérite du genre, la verve, l’entraînement, et cette fierté d’idées d’un homme qui pense par lui-même ; d’ailleurs, partout la même flexibilité de style ; là des images gracieuses, ici des détails rendus avec la plus énergique trivialité. Ses odes à la manière antique, écrites en latin, seraient citées comme des modèles d’élévation et d’énergie ; encore, toutes latines qu’elles sont, il n’est point rare d’y trouver des strophes dont aucun poëte français ne désavouerait la teinte ferme et originale.

Vain espoir ! inutile soin ! Ramper est des humains l’ambition commune ; C’est leur plaisir, c’est leur besoin. Voir fatigue leurs yeux, juger les importune. Ils laissent juger la fortune, Qui fait juste celui qu’elle fait tout-puissant. Ce n’est point la vertu, c’est la seule victoire Qui donne et l’honneur et la gloire. Teint du sang des vaincus, tout glaive est innocent.

Et plus loin :

C’est bien. Fais-toi justice, ô peuple souverain ! Dit cette cour lâche et hardie. Ils avaient dit : C’est bien, quand, la lyre à la main, L’incestueux chanteur, ivre de sang romain, Applaudissait à l’incendie.

Il n’y aura point d’opinion mixte sur André de Chénier. Il faut jeter le livre ou se résoudre à le relire souvent ; ses vers ne veulent pas être jugés, mais sentis. Ils survivront à bien d’autres qui aujourd’hui paraissent meilleurs. Peut-être, comme le disait naïvement La Harpe, peut-être parce qu’ils renferment en effet quelque chose. En général, en lisant Chénier, substituez aux termes qui vous choquent leurs équivalents latins, il sera rare que vous ne rencontriez pas de beaux vers. D’ailleurs, vous trouverez dans Chénier la manière franche et large des anciens ; rarement de vaines antithèses, plus souvent des pensées nouvelles, des peintures vivantes, partout l’empreinte de cette sensibilité profonde sans laquelle il n’est point de génie, et qui est peut-être le génie elle-même. Qu’est-ce, en effet, qu’un poëte ? Un homme qui sent fortement, exprimant ses sensations dans une langue expressive. La poésie, ce n’est presque que sentiment.

Il y a déjà dans la nouvelle génération née avec ce siècle des commencements de grands poëtes.

Attendez quelques années encore.

Les fils des dents du dragon n’avaient pas besoin d’être entièrement sortis de la terre pour qu’on reconnût en eux des guerriers ; et, lorsque vous aviez vu seule- ment les gantelets d’Érix, vous pouviez juger les forces de l’athlète.

A UN TRADUCTEUR D’HOMÈRE
Les grands poëtes sont comme les grandes montagnes, ils ont beaucoup d’échos. Leurs chants sont répétés dans toutes les langues, parce que leurs noms se trouvent dans toutes les bouches. Homère a dû, plus que tout autre, à son immense renom- mée le privilège ou le malheur d’une foule d’interprètes. Chez tous les peuples, d’impuissants copistes et d’insipides traducteurs ont défiguré ses poëmes ; et de- puis Accius Labeo, qui s’écriait :

: :Crudum manduces Priamum Priamique puellos ; : : : :« Mange tout crus Priam et ses enfants » ;

jusqu’à ce brave contemporain de Marot qui faisait dire au chantre d’Achille :

: :Lors, face à face, on vit ces deux grands ducs : :Piteusement sur la terre éten- dus ;

depuis le siècle du grammairien Zoïle jusqu’à nos jours, il est impossible de calculer le nombre des pygmées qui ont tour à tour essayé de soulever la massue d’Hercule.

Croyez-moi, ne vous mêlez pas à ces nains. Votre traduction est encore en por- tefeuille ; vous êtes bien heureux d’être à temps pour la brûler.

Une traduction d’Homère en vers français ! c’est monstrueux et insoutenable, monsieur. Je vous affirme, en toute conscience, que je suis indigné de votre tra- duction.

Je ne la lirai certes pas. Je veux en être quitte pour la peur. Je déclare qu’une traduction en vers de n’importe qui, par n’importe qui, me semble chose absurde, impossible et chimérique. Et j’en sais quelque chose, moi, qui ai rimé en fran- çais (ce que j’ai caché soigneusement jusqu’à ce jour) quatre ou cinq mille vers d’Horace, de Lucain et de Virgile ; moi, qui sais tout ce qui se perd d’un hexamètre qu’on transvase dans un alexandrin.

Mais Homère, monsieur ! traduire Homère !

Savez-vous bien que la seule simplicité d’Homère a, de tout temps, été l’écueil des traducteurs ? Madame Dacier l’a changée en platitude ; Lamotte-Houdard, en sécheresse ; Bitaubé, en fadaise. François Porto dit qu’il faudrait être un second Homère pour louer dignement le premier. Qui faudrait-il donc être pour le tra- duire ?

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