Littérature et philosophie mêlées de Victor Hugo

EN VOYANT LES ENFANTS SORTIR DE L’ÉCOLE
: : : :Juin 1820.

Je ris quand chaque soir de l’école voisine Sort et s’échappe en foule une troupe enfantine, Quand j’entends sur le seuil le sévère mentor Dont les derniers avis les poursuivent encor : -Hâtez-vous, il est tard, vos mères vous attendent ! -Inutiles clameurs que les vents seuls entendent ! Il rentre. Alors la bande, avec des gris ai- gus, Se sépare, oubliant les ordres de l’argus. Les uns courent sans peur, pendant qu’il fait un somme, Simuler des assauts sur le foin du bonhomme ; D’autres jus- qu’en leurs nids surprennent les oiseaux Qui le soir le charmaient, errants sous ses berceaux ; Ou, se glissant sans bruit, vont voir avec mystère S’ils ont laissé des noix au clos du presbytère.

Sans doute vous blâmez tous ces jeux dont je ris ; Mais Montaigne, en songeant qu’il naquit dans Paris, Vantait son air impur, la fange de ses rues ; Montaigne ai- mait Paris jusque dans ses verrues. J’ai passé par l’enfance, et cet âge chéri Plaît, même en ses écarts, à mon coeur attendri. Je ne sais, mais pour moi sa naïve igno- rance Couvre encor ses défauts d’un voile d’innocence. Le lierre des rochers dé- guise le contour, Et tout paraît charmant aux premiers feux du jour.

Age serein où l’âme, étrangère à l’envie, Se prépare en riant aux douleurs de la vie, Prend son penchant pour guide, et, simple en ses transports, Fait le bien sans orgueil et le mal sans remords !

A DES PETITS ENFANTS EN CLASSE
: : : :Juin 1820.

Vous qui, les yeux fixés sur un gros caractère, L’imitez vainement sur l’arène lé- gère, Et voyez chaque fois, malgré vos soins nouveaux, Le cylindre fatal effacer vos travaux, Ce triste passe-temps, mes enfants, c’est la vie. Un jour, vers le bonheur tournant un oeil d’envie, Vous ferez comme moi, sur ce modèle heureux, Bien des projets charmants, bien des plans généreux ; Et puis viendra le sort, dont la main inquiète Détruira dans un jour votre ébauche imparfaite !

Êtres purs et joyeux, meilleurs que nous ne sommes, Enfants, pourquoi faut-il que vous deveniez hommes ? Pourquoi faut-il qu’un jour vous soyez comme nous, Esclaves ou tyrans, enviés ou jaloux ?

Il n’y a plus rien d’original aujourd’hui à pécher contre la grammaire ; beau- coup d’écrivains nous ont lassés de cette originalité-là. Il faut aussi éviter de tirer parti des petits détails, genre qui montre de la recherche et de l’affectation. Il faut laisser ces puérils moyens d’amuser à ces gens qui mettent des intentions dans une virgule et des réflexions dans un trait suspensif, font de l’esprit sur tout et de l’érudition sur rien, et qui, dernièrement encore, à propos de ces piqueurs qui ont alarmé tout Paris, remirent sur la scène les hommes de tous les siècles et de tous les pays, depuis Caligula, qui piquait les mouches, jusqu’à don Quichotte, qui piquait les moines.

Campistron, comme Lagrange-Chancel, avait montré de bonne heure des dis- positions pour la poésie, et cependant ils ne se sont jamais élevés tous les deux au- dessus du médiocre. Il est rare, en effet, que des talents si précoces parviennent jamais à la maturité du génie. C’est une vérité dont nous pouvons tous les jours nous convaincre davantage. Nous voyons des jeunes gens faire à dix-neuf ans ce que Racine n’aurait pas fait à vingt-cinq ; mais à vingt-cinq ils sont arrivés à l’apo- gée de leur talent, et à vingt-huit ans ils ont déjà défait la moitié de leur gloire. On nous objectera que Voltaire aussi avait fait des vers dès son enfance ; mais il est à remarquer que, dès quinze ans, Campistron et Lagrange-Chancel étaient connus dans les salons et considérés comme de petits grands hommes ; tandis qu’au même âge Voltaire était déjà en fuite de chez son père ; et, en général, ce n’est pas dans des cages, fussent-elles dorées, qu’il faut élever les aigles.

Quand un écrivain a pour qualité principale l’originalité, il perd souvent quelque chose à être cité. Ses peintures et ses réflexions, dictées par un esprit organisé d’une façon particulière, veulent être vues à la place où l’auteur les a disposées, précédées de ce qui les amène, suivies de ce qu’elles entraînent. Liées à l’ouvrage, la couleur bien appareillée des parties concourt à l’harmonie de l’ensemble ; dé- tachées du tout, cette même couleur devient disparate et forme une dissonance avec tout ce dont on l’entoure. Le style du critique, qui doit être simple et coulant, et qui est maintes fois plat et commun, présente un contraste choquant avec le style large, hardi et souvent brusque de l’auteur original. Une citation de tel grand poëte ou de tel grand écrivain, encadrée dans la prose luisante, récurée et bour- geoise de tel critique, c’est un effet pareil à celui que ferait une figure de Michel- Ange au milieu des casseroles trompe-l’oeil de M. Drolling.

Il est difficile de ne point avoir de prévention contre cette manie, aujourd’hui si commune à nos auteurs, de réunir des imaginations toujours diverses et souvent contraires pour concourir au même ouvrage. Cowley, pressé par le marquis de Twickenham de s’adjoindre dans ses travaux je ne sais quel poëte obscur, répon- dit à Sa Seigneurie qu’un âne et un cheval traîneraient mal un chariot. Deux au- teurs perdent souvent, en le mettant en commun, tout le talent qu’ils pourraient avoir chacun séparément. Il est impossible que deux têtes humaines conçoivent le même sujet absolument de la même manière ; et l’absolue unité de la conception est la première qualité d’un ouvrage. Autrement les idées des divers collaborateurs se heurtent sans se lier, et il résulte de l’ensemble une discordance inévitable qui choque sans qu’on s’en rende raison. Les auteurs excellents, anciens et modernes, ont toujours travaillé seuls, et voilà pourquoi ils sont excellents.

UN FEUILLETON

Décembre 1820. THÉATRE-FRANÇAIS JEAN DE BOURGOGNE
Tragédie en cinq actes.

C’est un inconvénient des sujets historiques d’embarrasser l’intelligence de notre savant parterre. Il arrive devant la toile sans rien connaître des événements qui vont se passer sous ses yeux, et auxquels ne l’initie qu’assez superficiellement une exposition toujours mal écoutée ou mal entendue. C’est dans le journal du lende- main que les spectateurs iront le plus souvent chercher de quelle race sortait le héros, à quelle famille appartenait l’héroïne, sur quel pays régnait le tyran, désap- pointés si le critique n’éclaire pas leur ignorance, et ne leur dit pas, comme au valet Hector, de quel pays était le galant homme Sénèque.

Nous nous dispenserons toutefois d’obéir à l’usage, d’abord parce que long- temps avant que nous ne nous mêlassions de régenter les théâtres, les petits pré- cis historiques des feuilletons nous avaient toujours paru fort ennuyeux ; ensuite parce que nous ne pouvons décemment nous flatter de réussir mieux au métier d’historien que tant de critiques plus habiles que nous, nos devanciers ; et, sur ce, fort de l’avis de Barnes, qu’il suffît, pour gagner une cause, de trouver deux rai- sons, bonnes ou mauvaises, nous passons à Jean de Bourgogne.

Dès les premières scènes de cette pièce, nous voyons se dessiner trois princi- paux caractères, ce qui nous donne deux actions distinctes, ou, si l’on veut, deux faits en question différents, savoir : la question entre le dauphin et le duc de Bour- gogne, ou la France sera-t-elle sauvée ? et la question entre le duc de Bourgogne et Valentine de Milan, ou la mort du duc d’Orléans sera-t-elle vengée ? A cette in- advertance de diviser ainsi l’attention du spectateur en présentant deux héros à son affection, l’auteur a joint le tort beaucoup plus grand de ne pas réunir les deux affections qui en résultent en un seul et même intérêt. En effet, s’il nous montre le dauphin prêt à tout sacrifier pour sauver la France, il nous montre en même temps la duchesse prête à tout sacrifier, même la France, pour sauver son mari ; il suit de là que le spectateur, qui s’intéresse à l’une des deux actions, ne s’intéresse pas à l’autre, et réciproquement, de telle sorte que la moitié de la pièce est frappée de mort. Cette combinaison est d’autant plus malheureuse, qu’elle ne paraissait nul- lement nécessaire. Dès que l’auteur voulait commencer sa pièce par rappeler les crimes de Jean de Bourgogne, idée juste et tragique, il n’avait pas besoin de l’inter- vention personnelle de la duchesse d’Orléans ; une lettre eût suffi, et le spectateur se serait trouvé transporté tout de suite au milieu des scènes animées du second acte, seul point véritable de la pièce où commence l’action.

Lorsque nous disons que l’action commence, nous sentons avec peine que nous nous servons d’une expression impropre ; c’est paraît devoir commencer que nous devrions dire. En effet, la tragédie nouvelle, estimable sous d’autres rapports, n’est encore, quant au plan, qu’une pièce comme tant d’autres, une tragédie sans ac- tion, une sorte de lanterne magique où tous les personnages courent les uns après les autres sans pouvoir jamais s’atteindre.

Ainsi, lorsque le dauphin est à délibérer dans son conseil sur l’accusation por- tée contre le duc de Bourgogne, tout à coup celui-ci se présente, et, loin de se justifier, déclare la guerre à son souverain. Voilà une situation ; mais que produit- elle ? Rien. Les deux partis se séparent avec des menaces réciproques. Cependant Tanneguy-Duchâtel est là qui doit assassiner le prince un jour et qui devrait, ce semble, profiter de l’occasion. Et de deux choses l’une : ou le duc de Bourgogne a les moyens de s’emparer de la personne de son maître, et alors pourquoi ne le fait-il pas ? ou il n’en a pas le pouvoir, et alors pourquoi vient-il s’exposer, par une bravade inutile, aux suites d’un premier mouvement, incalculables dans tout autre personnage qu’un héros aussi patient que le dauphin ?

Et plus loin encore, nous retrouvons la même situation, mais dégagée de tout ce qui peut la rendre décisive. On vient annoncer au dauphin que le duc de Bour- gogne est maître de Paris et qu’il marche sur le palais. Voilà le dauphin en péril, comment fera-t-il pour en sortir ? Rien de plus simple ; il sort par une porte et le duc de Bourgogne entre par l’autre. Mais, dira l’auteur, le dauphin se laisse entraî- ner. Et voilà justement le malheur, les grands caractères doivent toujours agir par eux-mêmes, autrement était-ce la peine de nous annoncer des géants, si aupara- vant vous aviez pris soin de leur attacher les jambes ?

Cependant le duc de Bourgogne, resté seul, se garde bien de poursuivre le dau- phin, ce qui le mettrait dans la nécessité d’être vainqueur ou d’être vaincu. Il s’amuse à composer avec les Armagnacs, à rabattre les prétentions des anglais, et même à offrir des places au chancelier. Puis il part pour Montereau. Tout à coup on apprend qu’il y a accepté une entrevue avec le dauphin et qu’il y a été assas- siné. Il est évident que, si le commencement de la pièce nous a fait voir de grands événements ne produisant que de petits résultats, la balance se rétablit bien au dernier acte, et qu’il est difficile de voir un événement plus important produit par une cause plus légère et plus inattendue.

Nous venons d’exposer en peu de mots le plan de Jean de Bourgogne, dégagé de toutes les scènes épisodiques ; il nous reste à examiner comment un auteur, qui est loin de manquer de talent, a pu être conduit à travailler sur un canevas aussi imparfait.

Le malheur de l’auteur vient d’avoir confondu les deux espèces de tragédie, la tragédie de sentiments et la tragédie d’événements. Il suffit, pour s’en convaincre, d’établir entre ses deux héros quelques-uns des rapports naturels de frère à frère ou de père à fils ; nous allons voir disparaître toutes les difformités de son action. Par exemple, qu’un fils accusé d’un crime déclare la guerre à son père, doit-on être étonné que les deux personnages, eussent-ils la faculté de s’exterminer mu- tuellement, se séparent avec de simples menaces ? Y a-t-il rien de honteux dans la fuite d’un père devant un fils rebelle ? Et si ce fils périt assassiné malgré les ordres du père, la situation de celui-ci en sera-t-elle moins noble et moins touchante ? Nous venons, sans nous en apercevoir, de retracer l’aventure de David et d’Absa- lon, l’une des plus tragiques qui soient dans les livres saints.

Dans le cas actuel, dès que l’auteur voulait nous représenter la mort du duc de Bourgogne, il fallait choisir entre les deux hypothèses d’un meurtre fortuit ou d’un assassinat prémédité. La première était impraticable, puisqu’une tragédie doit avoir un commencement, une fin et un milieu. En admettant la seconde, il fallait, dès les premières scènes, poser la question tragique : le duc sera-t-il assas- siné, ou ne le sera-t-il pas ? et faire naître l’intérêt de la lutte des circonstances qui le détournent de sa perte ou qui l’y entraînent. Mais, dans la tragédie telle qu’elle est faite, le spectateur, conduit d’incidents en incidents vers la catastrophe, sans que rien lie la catastrophe aux incidents, aperçoit à peine çà et là quelques intentions dramatiques, quelques combinaisons théâtrales qui font naufrage au milieu du flux et du reflux des épisodes.

Walter Scott cache son nom sous le nom de Jedediah Cleisbotham. Je ne vois pas pourquoi on l’en blâme.

Si un sot parvient à la célébrité, il ne lâche plus deux pages de son écriture sans les protéger de son nom, espérant que sa réputation fera celle de son livre, tandis que souvent celle de son livre défait la sienne. L’homme de mérite, dès qu’il est ar- rivé à la gloire, évite quelquefois de décorer de son nom les nouveaux écrits qu’il livre au public. Il a assez d’orgueil pour savoir que son nom influerait sur l’opi- nion, et assez de modestie pour ne le pas vouloir. Il aime à redevenir ignoré, pour se ménager, en quelque sorte, une nouvelle gloire. Il y a quelque chose du fan- faron dans ces guerriers d’Homère qui préludaient au combat en déclinant leurs noms et leurs généalogies ; ce sont des héros plus vrais, ces chevaliers français qui combattaient la visière baissée, et ne découvraient le visage qu’après que le bras avait été reconnu.

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