Présentation des Haïdoucs – Les Récits d’Adrien Zograffi – Volume III

RÉPLIQUE DU HAÏDOUC

Je voudrais répondre à ce jeune homme, si fierde son origine et qui ne veut défendre que la liberté deshaïdoucs.

Pauvres esclaves ! Je plains leur sort.Ils ne trouveront donc pas même appui chez les défenseurs de tousles opprimés ? Et dire qu’ils adorent Dieu et prient pour toutle monde : pour les maîtres, qui les écrasent, pour leshaïdoucs, qui les méprisent. Il est alors bien vrai que seul lecœur de l’esclave connaît la générosité, que lui seul saitpardonner !

Après toute une semaine de labeur forcené,l’esclave peut encore, le dimanche, rire, chanter, danser. Aprèstoute une vie d’espoirs déçus sur la terre, il sait se consoler enespérant une vie meilleure dans le ciel. La rancune et la haine nel’empoisonnent pas beaucoup ; comme le chien, un mot tendre dumaître, et il oublie les coups de verges. Il oublie encore que lesplaines sont possédées par les seigneurs, les forêts par leshaïdoucs, et que c’est lui qui fournit aux uns et aux autres blé etchair à plaisir.

Vraiment, c’est à se demander ce qu’il leurfaut de plus, aux maîtres pour devenir meilleurs, et aux haïdoucspour savoir pardonner !

 

Voici un jeune fils de la forêt qui se pare dunom de haïdouc, mais qui eût pu tout aussi bien naître dans unchâteau. Le codrou[74] quilutte jour et nuit avec les orages, avec le lierre et la carie,« le codrou, frère du Roumain » ne lui a rien appris, nide ses luttes ni de sa fraternité, encore moins de sa générosité.Pourquoi alors être fier de cette noble naissance ? Pourquois’enorgueillir de cette mère esclave – qui offre, sans marchander,au persécuté comme au malfaiteur, son ombre et sa chaleur, lanourriture et l’abri sûr –, si c’est pour la couvrir de mépris etl’abandonner aux vandales ? Car la forêt, c’est la grandeesclave qui vit pour créer le bonheur d’un monde ingrat : àses multiples offrandes, les réponses ne sont que des ingratitudes,depuis l’enfant qui rompt la jeune pousse, la bête qui broute sesbourgeons, jusqu’à ses hôtes ailés qui la couvrent de fiente et auciel qui lui envoie la foudre. Et cependant, pareille à ce troupeauhumain haï par Jérémie, elle ne cesse pas un instant de lutter avecla vie hostile qui la saccage, n’arrête jamais d’adorer ce Dieuplus aimable envers les poux qu’envers la plus grandiose de sesœuvres.

C’est ainsi : alors que la ronce s’armed’innombrables épines pour défendre son inutilité et sa misérableexistence, la forêt, soumise à sa mission sur la terre, accomplitson destin ; mais pendant que la hache la frappe à la racine,son faîte chante ses derniers hymnes au soleil.

*

Jérémie ! Le haïdouc qui te parlemaintenant est le bâtard d’une esclave, progéniture d’un fils denoble (car tu ne sais peut-être pas que les nobles sont des hommescomme nous : ils font partout).

Eh bien, je me suis refusé à servir lesnobles, j’ai gagné la forêt à l’âge de dix ans, et voici cinquanteans que j’y vis. Je me suis battu sous les ordres du haïdouc Jianu,j’ai servi le grand pandour Tudor Vladimiresco pour finir paréchouer dans la bande de Cosma, ton père. Tous les trois ont étédes tyrans, et moi, leur esclave. Il est vrai que leur tyrannie futnoble, mais mon esclavage n’en fut pas moins dur. Qu’on soit pendupar Tudor ou par l’archonte Samourakis, on est toujours pendu. Et,vois-tu, je me suis plié, j’ai enduré fréquemment des injusticescriantes. Je l’ai fait parce que c’était pour « uneidée ». Je l’ai fait encore parce que… j’avais peur. Je medisais : ça va mal avec le mal, mais ça pourrait être pissans le mal. N’oublie pas que je suis né d’une mère esclave etles esclaves sont lâches. Mais comment voudrais-tu qu’ils fussentbraves ? Depuis des siècles ils ont la peur dans le sang,depuis des siècles on les fouette et on les pend, tantôt les Tudor,tantôt les archontes.

Tu comprends, mon petit vaillant : que cesoit plaine ou que ce soit codrou, partout il y a des maîtres quirègnent.

 

La nuit, lourde de brouillard, tombaitmollement sur le Vallon obscur. Dans la « Grotte auxOurs » on ne distinguait plus les visages deshaïdoucs.

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