Roland Furieux – Tome 2

Chant XLIV

ARGUMENT. – Les cinq guerriers se lientd’une fraternelle amitié. Renaud, tenant Roger en grande estime, etsur les conseils de l’ermite, lui promet la main de sa sœurBradamante. De là, ils s’en vont à Marseille, où arrive en mêmetemps Astolphe, qui a licencié son armée de Nubiens, et rendu saflotte à son premier état de feuilles. Les paladins et Sobrin sontmagnifiquement accueillis par Charles dans Paris, mais la joiegénérale est troublée par le refus du duc Aymon et de sa femmeBéatrice de consentir à l’union de Roger et de Bradamante, celle-ciayant été déjà fiancée par eux à Léon, fils de l’empereur desGrecs. Roger prend ses armes et, plein de haine contre Léon, il setransporte au camp des Bulgares qui sont en guerre avec les Grecs.Il défait ces derniers, puis va loger dans une hôtellerie qu’ilignore être située sur les terres de l’empire grec. Il y estdénoncé comme l’auteur du désastre éprouvé par les Grecs.

 

Souvent dans les pauvres demeures et sous letoit des petits, au milieu des calamités et des disgrâces, les âmesse lient plus étroitement d’amitié qu’au sein des cours et despalais splendides, d’où les richesses envieuses et les intriguespleines d’embûches et de soupçons ont complètement banni lacharité, et où l’on ne voit jamais qu’amitié feinte.

De là vient que les conventions et les traitésentre les princes et seigneurs sont si fragiles. Aujourd’hui, rois,papes et empereurs font alliance ; demain, ils seront ennemismortels. Ils n’ont en effet que l’apparence extérieure del’amitié ; leurs cœurs, leurs âmes ne battent pas à l’unisson.Peu leur importe d’avoir tort ou raison ; ils ne considèrentuniquement que leur intérêt.

Cependant, bien qu’ils soient peu capablesd’amitié, habitués qu’ils sont à tout traiter avec dissimulation,les choses graves aussi bien que les choses légères, si la fortuneacerbe et félonne les a par hasard rassemblés dans un lieu modeste,ils éprouvent en peu de temps les bienfaits de l’amitié, ce qui neleur était jamais arrivé pendant de longues années.

Le saint vieillard eut bien moins de peine àenserrer d’un nœud d’amitié solide les hôtes de sa pauvre demeure,que s’ils eussent été à la cour d’un roi. Le lien dont il les unitfut tellement fort, qu’il ne se brisa qu’à leur mort. Le vieillardles trouva tous bons, et put comparer la blancheur de leur âme à lablancheur extérieure des cygnes.

Il les trouva tous affables et courtois, etfort éloignés de ce vice, dont je viens de vous parler, habituel àceux qui ne disent jamais leur pensée véritable, mais vont toujoursdissimulant. Le souvenir de toutes les offenses qu’ils avaient puse faire jusque-là les uns les autres fut effacé entre eux, et ilsauraient eu la même mère, qu’ils n’auraient pu s’aimer tousdavantage.

Par-dessus tous les autres, le seigneur deMontauban était celui qui comblait le plus Roger de louanges et decaresses. Non seulement il avait déjà éprouvé les armes à la mainsa force et sa vaillance, mais il le trouvait affable et bon plusque chevalier qui fût au monde. Il n’ignorait pas surtout qu’il luiavait de grandes obligations.

Il savait qu’il avait délivré d’un grave périlRichardet surpris la nuit par le roi d’Espagne dans le lit de safille ; il savait aussi, comme je vous l’ai déjà raconté,qu’il avait tiré les deux fils du duc de Beuves des mains desSarrasins et des malandrins aux ordres du Mayençais Bertolas.

Cette dette lui faisait un devoir de l’aimeret de l’honorer, et il avait un vrai chagrin de ne pas avoir pu lefaire déjà quand ils étaient l’un à la cour du roi d’Afrique,l’autre au service du roi Charles. Maintenant qu’il l’a retrouvé,et qu’il est devenu chrétien, Renaud est heureux de faire ce qu’iln’a pu faire encore.

Le paladin courtois combla Roger d’offres etde caresses. L’ermite avisé saisit avec empressement l’occasion decette affection naissante ; il leur dit : « Il resteencore quelque chose à faire entre vous, et j’espère l’obtenir sansdifficulté, maintenant que vous êtes amis. Les liens doivent encorese resserrer entre vous,

» Afin que de deux races illustres, etqui n’ont pas leur égale dans le monde, naisse une lignée qui jetteencore plus d’éclat que le soleil quand il poursuit son cours, etqui, brillant toujours d’un lustre de plus en plus vif, durera –selon ce que Dieu, qui ne veut rien vous celer, me le dévoile –tant que les cieux rouleront dans leur orbite habituel. »

Le saint vieillard poursuit son discours, etfait si bien qu’il persuade à Renaud de donner Bradamante à Roger,bien que ni l’un ni l’autre ne l’en ait prié. Olivier et le princed’Anglante louent beaucoup ce projet ; ils espèrent qu’Aymonet Charles l’approuveront ; ils ajoutent que l’intérêt de laFrance entière l’exige.

Ils parlaient ainsi, ignorant qu’Aymon, avecl’assentiment du fils de Pépin, avait écouté ces jours derniers lespropositions de l’empereur grec Constantin, qui lui avait faitdemander la main de sa fille pour son fils Léon, héritier de sesvastes États. Le jeune homme, ayant entendu parler de la vaillancede Bradamante, s’en était épris sans l’avoir vue.

Aymon avait répondu qu’il ne pouvait pasconclure seul cette affaire, et qu’il voulait auparavant en parlerà son fils Renaud, alors absent de la cour. Il ne mettait pas endoute que Renaud ne se montrât flatté d’une telle alliance ;cependant, à cause de la déférence profonde qu’il lui portait, ilne voulait rien résoudre sans lui.

Pendant ce temps, Renaud loin de son père, etignorant la démarche de l’empereur d’Orient, promit sa sœur àRoger, sur les instances de l’ermite, et après avoir pris l’avis deRoland et de ses autres compagnons. Il croit que cette alliance nepeut qu’être très agréable à Aymon.

Pendant tout ce jour-là, et une grande partiedu jour suivant, ils restèrent auprès du sage anachorète, oubliantpresque de regagner leur navire, bien que le vent fût propice àleur voyage. Mais le nocher, qu’un tel retard commençait àinquiéter, leur ayant envoyé messager sur messager pour presserleur départ, force leur fut enfin de se séparer de l’ermite.

Roger, qui avait passé tout le temps de sonexil sans mettre les pieds hors de l’écueil, prit congé du maîtrevénérable qui lui avait enseigné la vraie Foi. Roland lui ceignitlui-même son épée, et lui rendit les armes d’Hector, ainsi que lebon Frontin, autant pour lui donner un témoignage de son amitié,que parce qu’on lui avait appris que ces objets avaient appartenuauparavant à Roger.

Et bien qu’il eût des droits plus légitimessur l’épée enchantée, attendu qu’il l’avait jadis enlevée au risquede grands périls, dans le redoutable jardin de Falérine, tandisqu’elle avait été simplement cédée à Roger en même temps queFrontin par celui qui la lui avait dérobée, il la lui donnavolontiers avec les autres armes, quand celui-ci la luidemanda.

Ayant reçu la bénédiction du saint vieillard,ils retournèrent enfin au navire, et mirent les rames à l’eau etles voiles au vent. Le temps leur fut si favorable, qu’ils n’eurentbesoin ni de vœux ni de prières pour aborder au port de Marseille.Ils doivent y rester assez longtemps pour que j’aie moi-même letemps d’y conduire le glorieux duc Astolphe.

Quand Astolphe eut appris la victoiresanglante et douloureuse de Roland, il comprit que la Francepourrait désormais être à l’abri des attaques de l’Afrique, et ilsongea à renvoyer le roi des Nubiens, avec son armée, par le mêmechemin qu’il avait suivi pour venir avec elle assiéger Biserte.

Le fils d’Ogier avait déjà renvoyé en Afriquela flotte avec laquelle il avait mis en pièces l’armée païenne.Astolphe avait alors produit un nouveau miracle. Aussitôt quel’armée mauresque eut quitté les navires, le duc remit chaquecarène, chaque proue et chaque poupe dans son premier état,c’est-à-dire qu’il les changea en feuilles. Puis vint le vent quiles emporta dans les airs comme une chose légère, et les fitpromptement disparaître.

Qui à pied et qui à cheval, tous les escadronsnubiens quittèrent l’Afrique. Mais auparavant, Astolphe remerciavivement Sénapes de lui être venu en aide de sa personne et avectoutes ses forces. Astolphe lui donna à emporter le terrible ventd’Austral, renfermé dans l’outre.

Je veux parler du vent du midi qui d’habitudesoulève avec une telle rage les sables du désert, qu’il les fait sedresser comme des vagues jusqu’au ciel où il fait monter une finepoussière. Il le leur donna prisonnier dans l’outre, afin qu’ilsl’emportassent avec eux, et qu’il ne pût leur nuire. Une foisarrivés dans leurs pays, ils pourraient rendre la liberté à leurprisonnier.

Turpin raconte comment, arrivés aux défilés del’Atlas, tous les chevaux des Nubiens redevinrent en un instant desrochers, de sorte que l’armée dut s’en retourner comme elle étaitvenue. Mais il est temps désormais qu’Astolphe passe en France. Dèsqu’il eut pourvu à la sûreté des principales villes du pays maure,il fit déployer les ailes de l’hippogriffe.

D’un battement d’ailes il vola enSardaigne ; de Sardaigne, il passa en Corse ; puis ilplana sur la mer, appuyant légèrement à main gauche. Il arrêtaenfin la course de sa légère monture sur les bords marécageux de lariche Provence, où il fit ce que le saint évangéliste lui avaitrecommandé au sujet de l’hippogriffe.

Le saint évangéliste lui avait ordonné, unefois arrivé en Provence, de ne plus lui faire sentir l’éperon, etde ne pas le soumettre plus longtemps à la selle et au frein, maisde lui donner la liberté. Déjà, depuis son retour du divin lieu quis’enrichit de tout ce que nous perdons, Astolphe avait vu son corperdre tous ses sons rauques, du moment où il avait quitté leparadis terrestre pour rentrer dans un air plus lourd, et devenirmuet.

Astolphe vint à Marseille, juste le jour del’arrivée de Roland, d’Olivier, du sire de Montauban, du braveSobrin et du non moins brave Roger. Le souvenir de leur compagnondéfunt empêchait les paladins de se réjouir de leur victoire commeils auraient dû le faire.

Charles avait reçu, de Sicile, avis de la mortdes deux rois, et de la prise de Sobrin. Il avait appris aussi laperte de Brandimart, ainsi que le retour de Roger. Il avait le cœurjoyeux, et éprouvait un grand soulagement de sentir ses épaulesallégées du grand poids qui les avait fait si longtemps ployer.

Pour faire honneur aux cinq guerriers, lemeilleur appui du saint empire, Charles convoqua sur les bords dela Saône toute la noblesse du royaume, à la tête de laquelle ilvoulut les recevoir. Il sortit hors des murs, avec sa plus bellebannière, entouré de rois et de ducs, et accompagné de son épousequi était escortée d’une suite nombreuse de belles et noblesdamoiselles.

L’empereur aborda d’un air joyeux et ouvertles paladins, leurs amis et leurs parents. La noblesse et le peupleles comblèrent de marques de respect et de sympathie ; et l’onacclamait les noms de Montgraine et de Clermont. Après les premiersembrassements, Renaud, Roland et Olivier présentèrent Roger à leurmaître.

Ils lui racontèrent qu’il était fils de Rogerde Risa, et l’égal de son père par la vaillance. Nos escadronsconnaissaient du reste sa force et son courage. En ce momentparurent Bradamante et Marphise, les deux nobles et bellescompagnes. Marphise courut embrasser son frère Roger ; l’autredamoiselle l’aborda avec plus de retenue.

L’empereur fit remonter à cheval Roger qui enétait descendu par respect, et le fit marcher à ses côtés, nelaissant échapper aucune occasion de l’honorer. Il savait bienqu’il s’était rangé à la vraie Foi ; il en avait eul’assurance par les chevaliers dès leur arrivée.

Ils rentrèrent tous ensemble dans la ville oùles attendait un véritable triomphe ; les rues étaientjonchées de verdure, et tendues de riches tapis ; une pluie defleurs retombait de toutes parts sur les vainqueurs, jetées àpleines mains par les dames et les damoiselles, du haut des balconset des fenêtres.

À chaque carrefour, des chœurs célébraientleur gloire ; ils passèrent sous des arcs de triomphe et destrophées improvisés, où était représentée la prise de Biserte,ainsi que d’autres faits d’armes. En d’autres endroits, on avaitdressé des théâtres en plein vent où l’on se livrait à divers jeuxde mimique et de spectacles variés ; partout se voyait cetteinscription : Aux libérateurs de l’empire !

Ce fut au son des trompettes retentissantes,des clairons, et de toutes sortes d’instruments, au milieu desrires et des applaudissements, de la joie et de la faveur du peupledont le cortège avait peine à percer la foule, que le magnanimeempereur descendit au palais. Là, pendant plusieurs jours, lestournois, les spectacles, les danses et les banquets partagèrentles loisirs de l’illustre compagnie.

Un jour Renaud fit savoir à son père sonintention de donner sa sœur à Roger. Il lui dit qu’il lui en avaitfait la promesse en présence de Roland et d’Olivier, qui étaientcomme lui d’avis qu’on ne pouvait trouver, en fait de noblesse derace et de vaillance, une alliance non seulement égale, maismeilleure.

Aymon écouta son fils avec quelquedédain ; il s’étonna de ce qu’il eût osé marier sa fille sansen conférer avec lui. Il lui dit qu’il avait décidé qu’elle seraitla femme du fils de Constantin, et non de Roger, lequel nonseulement ne possédait pas de royaume, mais n’avait chose au mondedont il pût dire : Ceci est à moi. Il ajouta qu’il prisait peula noblesse et le courage sans la richesse.

Béatrix, la femme d’Aymon, blâma biendavantage son fils, et le traita d’insolent. Elle s’opposaouvertement et secrètement à ce que Bradamante devînt la femme deRoger, car elle poussait de tout son pouvoir à en faire uneimpératrice du Levant. Renaud, de son côté, s’obstinait, ne voulantpas manquer d’un iota à sa parole.

La mère, qui croyait que sa magnanime fillen’aurait d’autre volonté que la sienne, l’engage à dire hautementqu’elle aimerait mieux mourir que de devenir la femme d’un pauvrechevalier ; elle ne la reconnaîtrait plus jamais pour safille, si elle supportait l’injure que lui fait son frère. Qu’ellene craigne donc pas de dire non, et qu’elle se rassure ;Renaud ne pourra la forcer.

Bradamante se tait ; elle n’ose pascontredire sa mère, car elle a pour elle un tel respect, qu’elle nepourrait songer un instant à lui désobéir. D’un autre côté, il luisemblerait commettre un crime si elle avait l’air de consentir à cequ’elle ne veut pas faire. Elle ne veut pas parce qu’elle ne peutpas. Aymon lui a enlevé le pouvoir de disposer peu ou prou d’ellemême.

Elle n’ose ni dire non, ni se montrersatisfaite. Elle se contente de soupirer sans répondre. Mais quandelle est seule, et que personne ne peut la voir, ses yeux répandentdes torrents de larmes. Elle se frappe la poitrine, et déchire sabelle chevelure blonde, et se parle ainsi tout enpleurant :

« Hélas ! puis-je vouloir lecontraire de celle qui doit posséder tout pouvoir sur mavolonté ? J’aurais la volonté de ma mère en si petite estime,que je la ferais passer après ma propre volonté ? Ah !quelle faute plus grave une damoiselle peut-elle commettre ?quel blâme plus grand peut-elle encourir, que de prendre un maricontre la volonté de ceux auxquels elle doit obéissance ?

» Ah ! malheureuse ! la piétéfiliale pourra-t-elle m’amener à t’abandonner, ô mon Roger, etfaire que je me livre à de nouvelles espérances, à de nouveauxdésirs, à un nouvel amour ? Ou bien, oubliant le respect et lasoumission que les bons fils doivent aux bons parents, ne dois-jeconsidérer que mon bien, que ma joie, que mon affection ?

» Je connais, hélas ! ce que j’ai àfaire ; je sais quel est le devoir d’une honnête fille ;je le sais, mais à quoi cela me sert-il, si la raison a moins depouvoir que mes sens ; si Amour la repousse et lui imposesilence ; s’il ne me laisse pas disposer de moi autrement queselon son bon plaisir, et s’il ne me laisse dire ou faire que selonce qu’il fait ou dit lui-même ?

» Je suis la fille d’Aymon et deBéatrice, et je suis malheureuse, esclave d’Amour. Si je viens àfaillir, je puis espérer trouver pardon et pitié auprès de mesparents. Mais si j’offense l’Amour, qui pourra détourner de moi sajuste fureur ? Voudra-t-il seulement écouter une seule de mesexcuses, et ne me fera-t-il pas promptement mourir ?

» Hélas ! j’ai longtemps cherché àamener Roger à la vraie Foi, et je l’y ai enfin amené. Mais à quoicela me sert-il, si ma bonne action ne profite qu’aux autres ?Ainsi l’abeille renouvelle chaque année son miel, mais non pourelle, car elle n’en jouit jamais. Mais je mourrai plutôt que deprendre pour mari un autre que Roger.

» Si je n’obéis pas à mon père, ni à mamère, j’obéirai à mon frère qui est beaucoup plus sage qu’eux, carl’âge n’a pas affaibli sa raison. Il y a encore Roland qui approuveRenaud. Je les ai l’un et l’autre pour moi. Le monde les honore etles craint plus que tous nos autres chevaliers ensemble.

» Si chacun les regarde comme la fleur,comme la gloire et la splendeur de la maison de Clermont ; sichacun les met autant au-dessus de tous que le front est supérieurau pied, pourquoi souffrirais-je qu’Aymon disposât de moi, plutôtque Renaud et le comte ? Je ne dois pas y consentir ;d’autant plus que tout n’est encore qu’un projet avec le prince deGrèce, tandis que j’ai été promise à Roger. »

Si la dame s’afflige et se tourmente, l’espritde Roger n’est pas plus tranquille. Bien que la nouvelle ne soitpas encore connue dans la ville, elle n’est pas un secret pour lui.Il s’en prend à la fortune qui s’oppose à son bonheur. Elle ne luia cependant donné ni richesse, ni royaume, alors qu’elle s’estmontrée si large envers des milliers de gens indignes de sesfaveurs.

De tous les autres biens que la nature donneou que l’on acquiert par le travail, il se voit aussi bien partagéque qui que ce soit au monde. Sa beauté l’emporte sur toutes lesautres ; il est rare qu’il trouve quelqu’un capable derésister à sa force ; à nul autre que lui n’est dû le prix dela magnanimité et de la grandeur d’âme.

Mais le vulgaire, qui est en somme l’arbitredes honneurs, les refuse ou les donne comme il lui plait. Et sousce nom de vulgaire je ne veux excepter personne, si ce n’est leshommes de bon sens, car ce n’est pas d’eux que les papes, les roiset les empereurs obtiennent leur sceptre. Mais la prudence et lebon sens sont des grâces que le ciel n’accorde qu’à peu degens.

Le vulgaire, pour dire toute ma pensée, quin’honore absolument que la richesse, ne voit rien de plus admirableau monde ; il n’estime, il n’apprécie aucune autre chose, nila beauté, ni la vaillance, ni la force corporelle, ni l’adresse,ni la vertu, ni l’esprit, ni la bonté, et plus encore dans le casdont il s’agit ici que le reste du temps.

Roger disait : « Bien qu’Aymon soitdisposé à faire de sa fille une impératrice, la chose ne sera pasterminée de sitôt avec Léon. J’ai bien encore un an devant moi.J’espère d’ici là avoir détrôné Léon et son père, et quand je leuraurai pris leur couronne, je ne serai plus un gendre indigned’Aymon.

» Mais si, comme il l’a dit, il donnesans retard sa fille au fils de Constantin ; s’il n’a aucunégard pour la promesse qui m’a été faite par Renaud et par soncousin Roland, promesse faite en présence du saint vieillard, dumarquis Olivier et du roi Sobrin, que ferai-je ? Souffrirai-jeune si grave offense, ou mourrai-je plutôt que de lasouffrir ?

» Hélas ! que ferai-je ? Est-cecontre le père de Bradamante que je me vengerai de cetoutrage ? Je ne vois pas que je sois prêt à le faire, et jesuis à me demander si je serai sage ou fou en le tentant. Maissupposons que je mette à mort l’inique vieillard et toute safamille, non seulement cela ne m’avancera pas beaucoup, mais celasera au contraire un nouvel obstacle à mon désir.

» Mon intention a toujours été et esttoujours de me faire aimer par ma belle dame, et non de me rendreodieux à ses yeux. Mais si je tue Aymon, ou si je trame quelquechose contre son frère ou les siens, ne lui donnerai-je pas ledroit de me traiter d’ennemi, et de ne plus vouloir être mafemme ? Que dois-je donc faire ? Dois-je souffrir cemariage ? Ah ! non, par Dieu ! plutôtmourir !

» Mais je ne veux pas mourir ; ilest bien plus juste que ce soit ce Léon qui meure, lui qui est venutroubler toute ma joie. Je veux qu’il meure, lui et son injustepère. La belle Hélène n’aura pas coûté autant à son amant troyen,ni Proserpine à Pirithoüs, que mon ressentiment ne coûtera au pèreet au fils.

» Est-il possible, ô ma vie, qu’il net’en coûte rien d’abandonner ton Roger pour ce Grec ? Ton pèrepourra-t-il te décider à l’accepter, même quand il aurait tous tesfrères pour lui ? Mais je tremble que tu préfères contenterAymon plutôt que moi, et qu’il te paraisse plus agréable d’avoir unCésar pour mari, qu’un simple chevalier.

» Quoi ! il serait possible qu’unnom royal, qu’un titre d’impératrice, que la grandeur et la pompedes cours en vinssent à corrompre assez l’âme élevée, la grandevaillance, la haute vertu de ma Bradamante, pour que j’aie àcraindre qu’elle manque à sa promesse, à sa foi donnée ?Hésiterait-elle à rompre avec Aymon, plutôt que de démentir cequ’elle m’a juré ? »

Roger se parlait ainsi souvent à lui-même, etparfois il parlait assez haut pour que ses paroles fussententendues par ceux qui passaient près de lui. De sorte que plusd’une fois elles furent rapportées à celle pour qui il souffrait sicruellement, et Bradamante ne souffrait pas moins de l’entendreainsi se plaindre, que de ses propres tourments.

Mais ce qui l’afflige encore plus que ladouleur de Roger, c’est d’apprendre les craintes qu’il a d’êtreabandonné par elle pour ce prince grec. Afin de le réconforter, etpour lui enlever cette erreur de l’esprit, elle lui faittransmettre ces paroles par une de ses fidèles suivantes :

« Roger, telle j’ai toujours été, telleje veux être jusqu’à la mort et au delà, s’il est possible.Qu’Amour me soit favorable ou ennemi, que la Fortune m’élève oum’abaisse sur sa roue, ma fidélité sera comme l’écueil battu detous côtés par les vents et la mer ; jamais la bonace ou latempête ne pourront l’ébranler ; elle restera éternellementdebout.

» Le ciseau de plomb ou la lime pourronttailler le diamant en formes variées, avant que les coups de laFortune, ou que la colère de l’Amour, aient dompté mon cœurconstant, et l’on verra les fleuves troublés et bruyants remontervers leur source au sommet des Alpes, avant que mes pensées, quoiqu’il arrive de bon ou de mauvais, aient changé de direction.

» C’est à vous, Roger, que j’ai donné lesouverain empire sur mon âme, et cet empire est plus fort qu’on necroit. Quant à moi, je sais bien que jamais foi plus sincère ne futjurée à l’avènement d’un prince ; je sais bien que roi niempereur au monde ne peut compter sur une plus grandefidélité ; vous n’avez pas besoin de faire creuser un fossé,ni de faire élever des tours, pour être sûr que personne ne viendravous l’enlever.

» Sans que vous ayez à payer des gardienspour la défendre, elle résistera à tous les assauts. Il n’y a pasde richesse capable de la faire capituler, et un cœur noble nes’achète pas à vil prix. Je ne connais pas de couronne royale surlaquelle je voulusse seulement abaisser mes yeux, ni de beautéassez puissante sur mon âme, pour me plaire plus que la vôtre.

» Vous n’avez pas à craindre que mon cœurpuisse recevoir une nouvelle image. La vôtre y est si profondémentgravée, qu’elle ne peut en être effacée. Je n’ai pas un cœur decire, et j’en ai donné la preuve. Amour peut le frapper cent foispour une, avant d’en enlever une parcelle, alors que votre image yest peinte.

» L’ivoire, les pierreries et les pierresqui résistent le mieux à la taille peuvent être brisés, mais nepeuvent recevoir une autre forme que celle qu’ils ont primitivementreçue. Mon cœur est aussi résistant que le marbre, et le fer nepeut l’entamer. Amour le briserait plutôt que d’y graver d’autreimage que la vôtre. »

Elle ajoutait à ces douces protestationsd’autres paroles pleines d’amour, d’assurances de fidélité, et denature à le réconforter et à le rendre mille fois à la vie s’ill’eût perdue mille fois. Mais au moment où ses espérancessemblaient devoir toucher au port, elles furent ressaisies par unenouvelle tempête plus impétueuse et plus sombre, et rejetées aularge, loin du rivage.

Bradamante, désireuse de faire encore plusqu’elle n’a dit, et rappelant dans son cœur sa fermeté habituelle,laisse de côté tout respect des convenances. Elle se présente unjour à Charles, et dit : « Si jamais j’ai accompliquelque action qui ait paru bonne et utile à Votre Majesté, je laprie de ne pas me refuser une grâce.

» Et avant que je lui exprime plusexpressément ce que je désire d’elle, je veux qu’elle m’engage saparole royale de m’accorder cette grâce ; elle verra ensuitecombien ma demande est juste et loyale. » Charles luirépondit : « Ô jeune fille que j’aime, ta vertu doit tefaire obtenir ce que tu demandes. Je jure de te satisfaire, quandbien même tu me demanderais la moitié de mon royaume. »

« La grâce que je réclame de VotreAltesse – dit la damoiselle – c’est de ne pas permettre qu’on memarie à quiconque n’aura pas montré qu’il est plus vaillant que moisous les armes. Celui qui me voudra pour femme, devra d’abord semesurer avec moi, l’épée ou la lance à la main. Le premier qui mevaincra, m’obtiendra ; quant à ceux qui seront vaincus, ilsiront chercher compagne ailleurs. »

L’empereur, le visage joyeux, répond que lademande est bien digne d’elle. Il lui dit de se rassurer, qu’ilsera fait comme elle le désire. Cette entrevue ayant eu lieu enpublic, le bruit ne tarde pas à s’en répandre, et parvient le jourmême aux oreilles de Béatrix et du vieux Aymon.

Tous deux sont saisis d’une grandeindignation, d’une grande colère contre leur fille ; ilsvoient bien, par cette demande, qu’elle songe plus à Roger qu’àLéon. Aussi, pour l’empêcher de mettre son projet à exécution, ilsusèrent de ruse pour l’entraîner loin de la cour, et laconduisirent avec eux à Rochefort.

C’était une forteresse que Charles avaitdonnée quelques jours auparavant au duc Aymon, et située entrePerpignan et Carcassonne, sur un point important du littoral. Là,ils la retinrent prisonnière, dans l’intention de l’envoyer au boutde quelque temps dans le Levant. De cette façon, qu’elle le voulûtou non, elle serait forcée de renoncer à Roger et de prendreLéon.

La vaillante dame, qui n’était pas moinsmodeste que forte et courageuse, bien qu’il n’y eût pas de gardesautour d’elle pour l’empêcher de franchir les portes du castel, setenait soumise aux ordres de son père. Mais elle était fermementrésolue à souffrir la prison et la mort, à supporter toutes lestortures, plutôt que de renoncer à Roger.

Renaud, qui voit que sa sœur lui a été enlevéedes mains par ruse, et qui comprend qu’il ne pourra plus disposerd’elle, et que c’est en vain qu’il aura engagé sa promesse à Roger,se plaint à son père, et lui adresse de vifs reproches, oubliantjusqu’au respect filial. Mais Aymon se soucie peu de ses paroles,et veut disposer de sa fille selon sa volonté.

Roger, informé de tout cela, craint de perdresa dame, et de la voir tomber, par force ou autrement, au pouvoirde Léon, si ce dernier reste plus longtemps vivant. Sans en parlerà personne, il prend la résolution de le faire périr, et d’Augustequ’il est déjà, de le rendre Divin. Si rien ne vient tromper sonespoir, il compte enlever, à son père et à lui, la vie et le trônetout ensemble.

Il se revêt des armes qui ont appartenu jadisau Troyen Hector, et tout récemment à Mandricard. Il fait mettre laselle au brave Frontin, et change lui-même de cimier, d’écu et desoubreveste. Il répugne à prendre, pour tenter cette entreprise,l’aigle blanche sur fond d’azur. Il fait mettre sur son écu unelicorne, blanche comme lys, sur champ de gueule.

Parmi ses écuyers, il choisit le plus fidèle,et ne veut pas permettre que d’autres l’accompagnent. Il lui faitjurer de ne jamais révéler à qui que ce soit qu’il est Roger. Ilpasse la Meuse et le Rhin, franchit l’Autriche et la Hongrie, etchevauche le long de la rive droite du Danube, jusqu’à ce qu’ilsoit arrivé à Belgrade.

Il descend le fleuve jusqu’à l’endroit où laSarre vient s’y jeter pour se précipiter avec lui dans la mer. Là,il aperçoit de nombreuses troupes campées sous des tentes où flottel’étendard impérial. C’est l’armée de Constantin qui veut reprendreBelgrade que les Bulgares lui ont enlevée. Constantin commande enpersonne ; il a près de lui son fils, et la plus grande partiedes forces de l’empire grec.

L’armée des Bulgares occupe Belgrade ;une partie est campée hors la ville, sur la colline dont le piedest baigné par le fleuve, et fait front aux troupes grecques. Lesdeux armées vont boire dans la Sarre. Au moment où Roger arriva,les Grecs s’apprêtaient à jeter un pont sur le fleuve, et lesBulgares se tenaient prêts à les en empêcher. Une escarmouche trèsvive était engagée entre les deux armées.

Les Grecs étaient quatre contre un, et avaientdes bateaux et des ponts pour jeter sur la rivière. Ils avaientfait semblant de vouloir passer de force sur la rive gauche.Pendant ce temps, Léon, se dissimulant, avait remonté le fleuve,après avoir fait un grand détour, avait jeté des ponts à la hâte,et était passé sur l’autre rive.

À la tête d’une nombreuse troupe de gens àpied et à cheval – il n’en avait guère moins de vingt mille – ilavait redescendu la rivière, et était tombé impétueusement sur leflanc des ennemis. Aussitôt que l’empereur voit paraître son filssur la rive gauche du fleuve, il fait à son tour jeter des ponts etdes bateaux, et passe de l’autre côté avec toute son armée.

Vatran, roi des Bulgares, guerrier prudent etcourageux, s’efforce en vain de repousser une attaque si imprévue.Soudain, Léon, le saisissant dans sa robuste main, le fait tomberde cheval, et comme il ne veut pas se rendre prisonnier, il est tuéde mille coups d’épée.

Jusque-là, les Bulgares avaient tenu tête àl’ennemi ; mais quand ils se virent privés de leur chef ;quand ils se sentirent pressés de toutes parts, ils se hâtèrent detourner les épaules au lieu du visage. Roger qui s’avançait mêléaux Grecs, et qui voit cette défaite, sans plus réfléchir, sedispose à secourir les Bulgares, par la seule raison qu’il haitConstantin et plus encore Léon.

Il éperonne Frontin, qui semble courir commele vent, et dépasse tous les autres cavaliers. Il arrive parmi lesfuyards qui, délaissant la plaine, se réfugiaient sur la colline.Il en arrête un grand nombre, les fait revenir contre l’ennemi, et,baissant sa lance, il fond sur les Grecs avec un air si terrible,que Mars et Jupiter en tremblent jusque dans les profondeurs duciel.

Il aperçoit en avant de tous un chevalier,dont les riches vêtements tout brodés d’or et de soie annoncent unprince illustre. C’était le neveu de Constantin, par sa sœur, et ilne lui était pas moins cher que son fils. Roger brise son écu etson haubert comme du verre et sa lance ressort d’une palme derrièreson dos.

Il le laisse mort, et tire Balisarde. Il seprécipite sur la troupe la plus rapprochée ; il frappeindifféremment tout ce qui se trouve devant lui ; à l’un iltranche, à l’autre il fend la tête ; il plonge son épée dansla poitrine de celui-ci, dans le flanc de celui-là, dans la gorgede cet autre. Il taille les bustes, les bras, les mains, lesépaules, et le sang, comme un ruisseau, court dans la vallée.

À la vue des coups qu’il porte, personne nelui oppose plus la moindre résistance, tellement chacun en estépouvanté. Aussi la face du combat change soudain. Les Bulgares,retrouvant leur ardeur, cessent de fuir et donnent la chasse auxGrecs. En un moment le désordre est au comble parmi ces derniers,et l’on voit fuir leurs étendards.

Léon, César-Auguste, voyant les siens fuir,s’était réfugié sur une éminence du haut de laquelle il pouvaittout voir. Triste et surpris, il arrête ses regards sur lechevalier qui avait occis tant de ses gens, qu’à lui seul, ilaurait détruit tout le camp. Bien qu’il soit la cause de sondésastre, il ne peut s’empêcher de l’admirer, et de lui accorder leprix de vaillance.

À son enseigne, à sa soubreveste, à ses armesbrillantes et enrichies d’or, il comprend bien que si ce guerrierest venu en aide à ses ennemis, ce n’est point par intérêt poureux. Cloué par l’admiration, il regarde ses gestes surhumains, etparfois il pense que Dieu, si souvent offensé par les Grecs, adétaché de ses chœurs célestes un ange chargé de les châtier.

En homme de cœur généreux et élevé, loin de leprendre en haine comme beaucoup d’autres l’auraient fait à saplace, il s’enthousiasme de sa vaillance ; il regretterait dele voir blesser ; il aimerait mieux voir mourir six des siens,ou perdre une partie de son royaume, que de voir tomber un si dignechevalier.

De même que l’enfant, lorsque sa mère irritéele bat et le repousse loin d’elle, ne va pas demander appui à sasœur ni à son père, mais revient à sa mère et l’embrasse doucement,ainsi Léon, bien que Roger lui ait anéanti ses premiers escadrons,et menace d’anéantir les autres, ne peut le haïr, car la hautevaillance du chevalier l’invite bien plus à l’aimer que sesfunestes exploits ne le portent à le haïr.

Mais si Léon admire Roger et se sent porté àl’aimer, il ne me paraît pas qu’il soit payé de retour, car Rogerle hait et ne désire qu’une chose, lui donner la mort de sa main.Il le cherche longtemps des yeux, et demande à chacun de le luimontrer ; mais le Grec, en homme avisé et prudent, ne sehasarde pas à l’affronter.

Léon, pour ne pas laisser périr complètementses gens, fait sonner la retraite ; il envoie un message àl’empereur pour le prier de faire repasser le fleuve, alors que laretraite n’est pas encore coupée. Lui-même, avec tous ceux qu’ilpeut rassembler, se hâte de regagner le pont sur lequel il étaitpassé.

De nombreux prisonniers restèrent au pouvoirdes Bulgares, sans compter les morts qui couvraient la collinejusqu’au fleuve. L’armée des Grecs y serait restée tout entière, sile fleuve n’avait servi à protéger leur retraite. Un grand nombretombèrent de dessus les ponts, et se noyèrent ; beaucoup, sansretourner la tête, s’en allèrent jusqu’à ce qu’ils eurent trouvé legué. Beaucoup furent conduits prisonniers à Belgrade.

Ainsi finit la bataille de ce jour, dès lecommencement de laquelle les Bulgares, après la perte de leur chef,auraient éprouvé une honteuse défaite, si le guerrier à la licorneblanche peinte sur son écu n’avait vaincu pour eux. Tous seprécipitent sur ses pas ; tous reconnaissent qu’ils luidoivent la victoire, et ils lui font joyeuse fête.

L’un le salue, l’autre se prosterne devantlui ; celui-ci lui baise la main, celui-là lui baise le pied.Chacun cherche à se rapprocher le plus possible de lui, et s’estimeheureux de le voir de près et de le toucher, car il leur semblevoir et toucher un être divin et surnaturel. Tous le prient, avecdes cris qui montent jusqu’au ciel, d’être leur roi, leurcapitaine, leur chef.

Roger leur répond de choisir pour leurcapitaine et pour leur roi celui d’entre eux qui leur conviendra lemieux ; quant à lui il ne veut ni bâton de commandement nisceptre ; il ne veut pas non plus entrer dans Belgrade. Cequ’il veut, c’est poursuivre Léon Auguste, avant qu’il se soitéloigné davantage, et qu’il ait repassé le gué. Il ne veut pointperdre sa trace, qu’il ne l’ait rejoint et mis à mort.

Il est venu de plus de mille milles pour celaseul, et non pour autre chose. Après leur avoir dit cela, il quittel’armée, et prend sans retard le chemin par lequel Léon cherche àregagner le pont, dans la crainte que le passage ne lui soitintercepté. Roger marche sur ses traces avec une telle rapidité,qu’il part sans prévenir et sans attendre son écuyer.

Léon a une telle avance dans sa fuite – carc’est bien plutôt une fuite qu’une retraite – qu’il trouve lepassage ouvert et libre. Une fois passé, il rompt le pont et brûleles bateaux. Roger n’arrive qu’après le coucher du soleil, et nesait où se loger. Il continue sa route, à la clarté de la lune,mais il ne trouve ni castel, ni villa.

Ne sachant où s’arrêter, il chemine toute lanuit sans quitter un seul instant les arçons. Au lever du jour, ilaperçoit à main gauche une cité où il se propose de s’arrêter toutela journée, afin de laisser reposer son bon Frontin, à qui il afait faire, sans le laisser se reposer, ou sans lui retirer labride, un si grand nombre de milles dans la nuit.

Le gouverneur de cette cité était Ungiard,sujet de Constantin qui l’aimait beaucoup. En prévision de cetteguerre, il avait rassemblé un grand nombre de cavaliers et defantassins. L’entrée de la ville n’étant point interdite auxétrangers, Roger y pénètre, et la trouve si à son gré, qu’il estimen’avoir pas besoin de pousser plus avant pour trouver un endroitmeilleur et plus commode.

Vers le soir, arrive à la même auberge que luiun chevalier de Romanie qui avait assisté à la terrible bataille oùRoger était venu en aide aux Bulgares, et qui avait eu grand’peineà s’échapper de ses mains. Il avait éprouvé une telle épouvante,qu’il en tremblait encore, et qu’il croyait voir partout lechevalier de la licorne.

À peine a-t-il vu l’écu, qu’il reconnaît lechevalier qui porte cette devise pour celui qui a causé la défaitedes Grecs, et qui leur a tué tant de monde. Il court au palais, etréclame une audience du gouverneur pour une communicationimportante. Il est introduit sur-le-champ, et il dit ce que je meréserve de vous dire dans l’autre chant.

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