Sébastien Roch

Chapitre 5

 

 

Sébastien s’était promis de ne plus s’englueraux apparentes et trompeuses bienveillances des maîtres. Uninstinct de méfiance personnelle, s’ajoutant à cette règlegénérale, l’avait d’abord éloigné du Père de Kern, malgré lesbontés notoires de celui-ci et malgré l’excessive liberté où il lelaissait désormais. Comme autrefois, il n’avait plus besoin de segarantir avec ses livres, de s’emmurer derrière ses dictionnaires,pour se livrer à sa passion grandissante du dessin et de la poésie.Cette passion, qui lui avait valu tant de punitions de toute sorte,le Père de Kern la tolérait aujourd’hui et visiblementl’encourageait. Et cet encouragement, qui était ce qu’il avait leplus désiré, Sébastien se montrait heureux d’en profiter, mais iln’en jouissait pas dans toute la sécurité, dans toute l’expansionnaïve de sa conscience, ainsi qu’il l’eût fait avec le Père deMarel. Il éprouvait, au contraire, vis-à-vis du Père de Kern, uneinquiétude permanente et irraisonnée, très vague ; vis-à-visde soi, quelque chose d’aigu et de persécuteur comme un remords.Remords de quoi ? Il eût été fort embarrassé pourl’expliquer.

Pendant les heures d’étude, il ne pouvaitlever les yeux de son pupitre sans rencontrer le regard du Père,posé sur lui, un regard singulier, mêlé de sourires et delangueurs, qui le mettait mal à l’aise quelquefois. Ce n’étaitpoint ce regard seul qui le gênait, c’était ce regard et tout cequi l’entourait : une peau trop blanche, des gestes trop las,un corps de félin qui, en remuant, semblait se caresser aux anglesde la chaire, au dossier de la chaise, avec de lents mouvements dechat. Qu’était ce regard ? Que voulait ce regard, trouble etbrûlé, qui filtrait de douteuses lueurs entre des paupièreslégèrement bridées et meurtries d’une grande ombre ? Ce regardqui passait indifférent par-dessus les têtes et les dos courbés surles devoirs, pour s’attacher à lui, uniquement, obstinément ?Ce regard si peu pareil aux autres, et si plein d’arrière-pensées,secrètes et louches ? Souvent, il détournait les yeux de ceregard qui finissait par le fasciner, l’amollir, l’engourdir desomnolences lourdes ; qui substituait à sa volonté desvolontés étrangères, insinuait dans son esprit d’énervantessuggestions, dans sa chair d’irritantes fièvres, d’un caractèrenouveau, presque douloureux, où sa raison s’effarait. Entre ceregard et lui, il échafaudait des murs de livres, développait descahiers, croyant en arrêter le magnétisme, en briser lerayonnement. Mais ne le voyant plus, il le sentait davantagepesant, hardi ou frôleur, multipliant sur sa peau d’humidesfrissons, d’exaspérés chatouillements, où il retrouvait un peu desétranges sensations épidermiques que lui versaient les mains deMarguerite, lorsqu’elle le caressait. Oh ! ces mains, auxveines réticulées, aux souples articulations, ces mains délectableset suppliciantes, promeneuses d’extase et de torture, dont lecontact était de feu, de glace et de déchirement ! Et, en mêmetemps que ces mains, ce souffle ardent imprégné d’une âpre odeur dejeune fauve ; et, près de ces mains, cette chevelure sombreaux reflets de gouffre, cette chevelure d’où s’exhalaient desparfums sauvages et des poisons amers ! Oui, ce regard étaitpareil à ces mains ; il évoquait les mêmes choses terribles etdéfendues… Mais pourquoi ? Cela l’épouvantait et l’attiraittout ensemble. En ces moments, incapable de fixer son attention surun travail quelconque, ni sur un dessin, ni sur un vers, ni sur unlivre, gêné par l’idée que ce regard obsesseur l’enveloppait d’unelumière spéciale qui le désignait à la malveillance de sescamarades, il demandait à sortir, croyant regagner un peu de calme,dehors. Et, sûr de l’impunité, il prolongeait, quelquefois, durantun quart d’heure, ses absences de l’étude, à rôder dans une petitecour voisine, où s’étiolait un magnolia aux fleurs pâles.

Le Père de Kern le rechercha, flatta sesgoûts, surexcita ses enthousiasmes et Sébastien fut vite conquispar la douceur de cette voix, au timbre musical d’une suavitéprenante. Ses préventions qui, d’ailleurs, n’étaient que deconfuses presciences, d’indéterminés avertissements, disparurent,et en dépit de ses résolutions à rester le maître de son cœur, ils’abandonna entièrement au Père de Kern, comme il s’était abandonnéà tous ceux qui lui avaient parlé doucement, avec des voixchantantes et claires. Sébastien ne pensait, n’agissait, ne vivait,en un mot, que par la sensibilité : la vie nerveuse etsensuelle était, en lui, suraiguisée jusqu’à la maladie, jusqu’audéséquilibre physique. Tout l’impressionnait plus que les autres,et l’impressionnait à la fois, dans ses facultés perceptives lesplus différentes. Il suffisait qu’un seul de ses sens fût affectépour que tous les autres participassent à la sensation, en laquadruplant, en la prolongeant, chacun dans sa fonction propre.C’est ainsi qu’un son éveillait, en lui, simultanément, avec lesphénomènes directs de sonorité, des idées correspondantes decouleur, d’odeur, de forme et de tact, par lesquelles il entraitvéritablement dans le monde intellectuel et la vie sentimentale. Lavoix humaine avait une particulière puissance – une toute-puissance– sur son appareil cérébral et, de là, réagissait impérieusementsur sa volonté. Suivant qu’il en recevait des impressions agréablesou désagréables, il aimait ou détestait, il se donnait ou serefusait, sans trouver, en sa raison, un contrepoids mental à cetacte passif. Il se donna donc au Père de Kern, dont la voix avaitvaincu le regard. Et ce fut, durant quelques semaines, une joieintense, profonde, sans trouble, une joie comme il ne se rappelaitpas en avoir éprouvé, jamais, de meilleure et de si forte. Le Pères’institua son éducateur dans les choses qu’il aimait. Il étaitplein de science, possédait toutes les qualités qui rendentdélicieuses les leçons et font qu’on s’y attache par un doubleplaisir. Il lui révéla les beautés de la littérature dont sescahiers ne lui avaient laissé que des aperçus imparfaits, desimages tronquées, et surtout le désir ardent de savoir. Délaissantles auteurs du XVIIe siècle, et leur pompe glaçante etleur solennité compassée, il lui fit connaître et aimer Sophocle,Dante, Shakespeare. Avec un charme clair, exquis, passionné, ilracontait leurs immortelles œuvres, et les expliquait. Il récitades vers de Victor Hugo, de Lamartine, d’Alfred de Vigny, deThéophile Gautier, lut des pages de Chateaubriand. Et ces vers etces proses avaient, dans sa bouche, des musiques engourdissantes,des harmonies encore inentendues, de surnaturelles pénétrations.Sébastien, en les écoutant, se sentait comme bercé dans d’étrangeshamacs, le front rafraîchi par des souffles parfumés d’éventails,tandis que, devant lui, à l’infini, se déroulaient des paysages derêve, vaporeux et nacrés, des forêts vermeilles, hantées de figuresde femmes, d’ombres tentatrices, d’âmes plaintives, d’amoureusesfleurs, de voluptés errantes et tristes. Contrairement au Père deMarel dont la nature sanguine ne se plaisait qu’aux gaietésrobustes, aux dilatantes farces qui fendent la bouche jusqu’auxoreilles, le Père de Kern inclinait vers les mélancolies tendres,les pénitentes ivresses, les étreintes aériennes, les mysticismesdésespérés, où l’idée de l’amour s’accompagne de l’idée de la mort,toutes choses à la fois immatérielles et charnelles, quicorrespondaient avec ce qu’il y avait d’imprécis, de généreux etd’éperdu dans l’âme de Sébastien, petite âme trop fragile, tropdélicate pour supporter sans ravages le choc électrique de cesnuées, et la dépravante émanation de ces poisons. Le Père ne sebornait pas là. Chaque jour, il donnait, à son impatient élève, desvers à apprendre, des devoirs à écrire, dans lesquels celui-cidevait résumer ses impressions sur tout ce qu’il avait lu,expliquer pourquoi telle chose lui semblait belle. Sébastien selivrait à ces quotidiennes besognes avec un zèle emporté, que sonprofesseur était obligé, souvent, de modérer ; et, en relisantces pages maladroites, ces incorrectes phrases, où parmi lesnécessaires emphases, parmi les imitations et les obscurités,brillaient, çà et là, les étranges lueurs d’un esprit spontané quis’annonçait irrégulier et poétique, le Père de Kern souriait d’unsourire énigmatique et possesseur.

Sachant combien il aimait le dessin, il luiparla aussi des grands peintres, l’enflamma en lui contant lamiraculeuse vie de Léonard de Vinci, de Raphaël, du Corrège, leurintimité avec les souverains et les papes, leurs triomphesdivinisés. À chaque entrevue, à chaque causerie, c’était un voilede plus soulevé sur quelque passionnant mystère, une hardiessenouvelle à pénétrer plus avant dans le domaine des chosesdéfendues. Sébastien, avidement, buvait ces récits d’une époqueretentissante et merveilleuse, où l’art, l’héroïsme, la piété, lecrime s’embellissaient d’adorables figures de femmes, où l’amourétait partout, aussi bien sous le pourpoint des artistes que sousla tiare des papes, où l’on mourait pour un sourire, où l’on sedamnait pour un baiser.

– Pourquoi ne nous apprend-on pas cela àla classe ? demandait-il, un peu effrayé… Ce sont donc despéchés ?

– On peut tout apprendre, on peut toutfaire aussi, quand on aime le bon Dieu et la Sainte Vierge,répondait évasivement le Père de Kern.

Et, caressant son élève de ses mains blanches,aux doigts souples et longs, il ajoutait :

– Si vous continuez à être bien gentil,je vous apprendrai des choses plus belles encore…

Ces conversations avaient lieu dans la cour,pendant les récréations ; aux promenades, durant les haltessur les grèves ensoleillées, ou sous l’ombre des bois depins ; et, chaque soir, après le coucher des élèves, dansl’embrasure d’une fenêtre ouverte du dortoir, où, tous les deux,ils restaient jusqu’à la nuit tombée, le Père parlant à voix basse,lui, écoutant, ravi. On était au mois de juin. Les soirsévaporaient, à travers le crépuscule, leur rêve charmant ; desodeurs montaient des jardins, des prairies, des bois, vagabondes etlégères, et, derrière les massifs assombris du parc qui, lentement,s’anuitait, le soleil, disparu, ne laissait de ses flammes desoufre et de pourpre que de toutes petites nuées mauves, moiréesd’or, se fondant une à une en l’immense espace qui s’étoilait.

Alors Sébastien rentrait en sa cellule, un peuénervé de ces récits, la tête meurtrie par ce continuel fracasd’images enfiévrées et de verbes révélateurs. Le crâne brûlant, ildemeurait de longues minutes avant de s’endormir, repassant en samémoire ce qu’il avait entendu et appris, s’efforçant dereconstituer la triomphale beauté de ces hommes plus beaux que desdieux, l’inconcevable splendeur de ces choses, plus splendides queles rêves. Son esprit, surexcité par les galops de son pouls,s’envolait vers des pays lointains, vers d’incertainesépoques ; il se voyait acclamé par des foules parées etfleuries ; ou bien, juché au haut d’énormes échafaudages, dansles cathédrales sonores, dans les vestibules des palais en fête, ilcouvrait les murs de madones extasiées, de christs douloureux, sousle regard des belles femmes qui tendaient vers lui leurs bras nuset leurs lèvres pâmées d’amour.

Un jour, son professeur le mena à labibliothèque des Pères. Il lui fit d’abord admirer les vitrinesremplies de livres, antiques in-folio reliés de très vieillesbasanes, mais cela n’intéressa pas Sébastien, tous ces dos alignésde volumes sur lesquels s’étalaient de rébarbatifs titres latins.Et puis l’odeur de colle forte et de vieux papiers, qui flottaitdans cette atmosphère, l’affadit. Il préféra regarder un Christ encroix, mauvaise copie d’Alonso Cano, qui occupait le mur du fondentre deux toiles de l’École espagnole, écaillées, craquelées, etdont le noir avait presque dévoré les couleurs primitives. Ils’étonna d’apprendre que ces tableaux étaient de Ribera, dont lePère lui avait parlé avec tant d’enthousiasme. Un petit frère, auxyeux louches, à la tête rasée, comme un forçat, qui balayait leparquet, à l’autre bout de la bibliothèque, avait disparu,discrètement. Ils étaient seuls, tous les deux, dans la vastepièce. Le Père de Kern ouvrit une armoire, en retira un carton,qu’il déploya sur une table. C’était une suite d’anciennesestampes, reproduisant des tableaux célèbres de la Renaissance… untriomphe de la Vierge, une Marie-Madeleine prostrée aux pieds duChrist, et les baisant… Le Père commentait chaque estampe. Peu àpeu, il s’était rapproché de Sébastien, si près que son souffle semêlait au souffle de l’enfant.

– Tenez, voyez cet ange, dit-il… Il vousressemble… Il est joli comme vous…

Sa voix tremblait. En tournant les gravures,ses doigts avaient des mouvements saccadés, et son visage étaitplus pâle.

Sébastien se sentit mal à l’aise, prétexta quel’odeur l’incommodait et désira sortir. Il venait de recevoir, avecun frisson, entre les paupières bridées, ce regard lourd qui, silongtemps, avait pesé sur lui.

La nuit suivante, il se réveilla en sursaut,au milieu d’un rêve pénible… des diables qui l’emportaient dansleurs bras velus. Et ouvrant les yeux, il vit penché sur son lit,une ombre, une grande ombre toute noire. Et cette ombre, c’était lePère de Kern. La pâle lumière des lampes baissées qui rampait auplafond, l’éclairait à peine ; à peine si elle découpait surla cloison le contour perdu de sa silhouette familière. Pourtant,il le reconnut, à ce regard inoubliable qui, maintenant, fulguraitdans la nuit. La couverture défaite était rejetée vers le pied dulit ; et ses jambes étaient nues. Sébastien s’effraya, poussaun cri, mit devant lui ses mains, en bouclier, comme pour sedéfendre contre il ne savait quel danger imminent.

– N’ayez pas peur, mon enfant, lui dit lePère, d’une voix douce et murmurée… C’est moi… Je vous ai entenduvous plaindre, et j’ai craint que vous ne fussiez malade… Alors, jesuis venu… Vous rêviez, sans doute ?… Allons, remettez-vous…Voyez comme vous êtes agité…

Il ramena la couverture sur les épaules dupetit, reborda le lit avec une vigilance maternelle.

– Allons… remettez-vous… etdormez !… Mon cher enfant !…

Ces deux incidents frappèrent beaucoupSébastien et réveillèrent de nouveau sa méfiance endormie. Pourquoil’approche du Père de Kern lui causait-elle un embarras si violent,une sorte d’instinctive et bizarre répugnance, un rétractement dela peau, une peur de vertige, quelque chose d’anormal et de pareilaux sensations étourdissantes que lui donnait la vue d’un gouffre,du haut d’une falaise ? Pourquoi était-il venu, la nuit, danssa cellule ? Pourquoi était-il penché sur son lit ? Laraison qu’il avait prétextée ne lui semblait pas naturelle ;elle sonnait faux. Il était venu avec une intention qu’il n’avaitpas dite, qu’il ne pouvait peut-être pas avouer. Maislaquelle ?… Sébastien était resté chaste, à peu près ignorantdes impuretés de l’âme humaine. Le vice l’avait à peine effleuré,en passant près de lui. Ce qu’il en savait, ou plutôt, ce qu’il endevinait, c’est à confesse, par les flétrissantes questions du PèreMonsal, que cela avait pris, en son esprit, un corps indécis, uneinquiétante et dangereuse forme, dont s’alarmaient sa candeur et savirginale naïveté ! Et puis, çà et là, quelques motsorduriers, entendus dans les conversations, entre élèves, maisrarement, excitaient sa curiosité qui demeurait insatisfaite, caril n’osait demander à personne, pas même à Bolorec, unrenseignement à ce sujet, dans la crainte de mal faire, et d’êtredénoncé. Toutefois l’explication de Bolorec, au sujet du renvoi dedeux camarades, s’était ancrée dans sa mémoire : « Dessaletés comme quand on fait des enfants. » Il y pensaitsouvent, essayant de comprendre, et ne pouvant adapter cette idéed’enfants aux rapports inconnus, aux saletés secrètes de deuxjeunes garçons.

Ce qu’il savait, par le simple instinct de lavie et la seule divination du sexe, c’est qu’il existait entre leshommes et les femmes des rapprochements mystérieux, nécessaires etqu’on appelait l’amour. L’amour, l’impérissable amour, les poètesle chantaient, avec quels divins embrasements ! L’amourrevenait, sans cesse, triste et béni, dans ces vers qu’il apprenaitet qu’il récitait et qu’il aimait comme la plus adorable desmusiques. C’étaient toujours des baisers, des étreintes, deschevelures éparses, des bras nus se refermant sur des corpspâmés ; mais ces baisers ne baisaient que des souffles, cesétreintes n’étreignaient que d’incorporelles images ; ceschevelures se transformaient en d’intangibles rayons, ces brasn’enlaçaient que des âmes. Bien que ces vers évoquassent en réalitéle triomphe des chairs heureuses, l’amour restait en lui à l’étatd’immatérielle joie, d’ivresse mentale, de céleste délire. C’étaitl’amour qui avait fait l’Assomption de la Vierge. Jésus en étaitmort, et, sur sa croix, saignant, déchiré, il en gardait la clartééternelle et immarcescible.

L’amour, c’était encore ce trouble ravissant,cette indicible émotion qu’il avait ressentie aux caresses deMarguerite, purifiées par l’absence ; à la fugitive vision desdemoiselles Le Toulic, et à ses envolements de tendresse vers lescréatures chimériques et mortes dont lui parlait le Père deKern ; c’était, en quelque sorte, l’expansion généreuse detoutes ses facultés, de toutes ses sensibilités, vers la beauté etvers la souffrance. Il n’en concevait pas la brutalitéphysique ; malgré les bouillonnements de son adolescence, ilen ignorait l’âpre et farouche lutte sexuelle.

Alors pourquoi se mêlait-il, à son intimitéavec le Père de Kern, de vagues effrois d’un autre amour, d’unimpossible et salissant amour, puisque l’amour c’était la femme quile personnifiait. Pourquoi ne pouvait-il, dans le calme de soncœur, se livrer à lui, tout entier, sans redouter une terrible etdécisive catastrophe, que son ignorance ne définissait pas et dontl’avertissait son instinct ? Par quelle déviation cérébrale,au moyen de quel corrupteur pressentiment, cette idée d’un crimeinsoupçonné, et pourtant inévitable, était-elle entrée en sonimagination et s’y cramponnait au point qu’il n’avait plus la forcede l’en chasser ? Il se raisonna, se dit qu’il était victimed’une erreur, d’une folie. Rien, dans la conduite du Père, nejustifiait une appréhension pareille. Celui-ci s’était prisd’affection, d’intérêt pour lui ; il dirigeait son esprit dansune voie qu’il avait, longtemps, rêvé de suivre. Fallait-il donclui en vouloir ? Il le trouvait joli, s’inquiétait de le voirmalade. Quel crime à cela ? Était-ce donc défendu de semontrer bon ?… Et pour mieux se rassurer, il se rappela que lePère de Kern avait la réputation d’un prêtre très pieux, presqued’un saint. Il portait un cilice, disait-on, et se flagellait.C’est pourquoi il était si pâle parfois, et que ses yeux, souvent,brillaient d’une étrange flamme mystique, dans un grand cerne desouffrance.

En dépit de ces raisonnements, le doutedemeurait, indéracinable. Le lendemain de cette nuit, où le Pèrelui était apparu, il l’évita pendant les récréations et revint àBolorec avec une ostentation manifeste et gamine. Bolorec ne parlapas. Il sculptait un lézard et scandait de mouvements de têterythmiques des airs de chansons intérieures. Aux questions que luiadressa Sébastien, il ne répondit que par des monosyllabes bougonset des haussements d’épaules. Le soir, prétextant uneindisposition, Sébastien refusa de venir dans l’embrasure de lafenêtre. Mais, derrière ses rideaux, par un mince écartement, il semit à observer le Père de Kern. Celui-ci avait repris sa placeaccoutumée. Accoudé contre le barreau de la fenêtre, il regardaitla nuit s’avancer et tomber sur le parc, sur les jardins, noyer lescours d’une ombre transparente, cette belle nuit où d’ordinaires’envolaient de si douces paroles et de si attachantes histoires.Il parut à Sébastien qu’il avait l’air plus grave et paraissaitfâché, non pas fâché, peut-être, mais si triste ! Son cœurs’émut. Il s’accusa d’ingratitude, eut la pensée d’aller à lui, delui demander pardon. Quand la nuit fut venue tout à fait, le Pèrereferma la fenêtre, et, d’un pas lent, glissé, il longea la rangéedes lits. Tout dormait. Sébastien vit son ombre passer et repassersur les rideaux ; il entendit le bruit de sa soutane et letintement de son chapelet. Puis il n’entendit plus rien que laconfuse rumeur des souffles ; il ne vit plus rien que laclarté des lampes vigilantes. Et il s’assoupit.

Sébastien ne tarda pas à s’apercevoir que lasociété de Bolorec ne lui suffisait plus. Les autres élèves luisemblaient ennuyeux et grossiers, ils se moquaient de sesexaltations poétiques. Un vide s’était fait tout à coup dans savie. Quelque chose lui manquait véritablement, quelque chosed’essentiel, d’irremplaçable, comme le pain pour qui est affamé. Etla tristesse, une tristesse d’autant plus pénible à porter qu’elleétait plus lourde de regrets, l’envahissait de nouveau. Il avaitbesoin d’une protection, d’une intelligence, d’une voix qui versâtsur son esprit, sur son cœur, le baume des paroles enchanteresseset consolatrices. Cette protection, cette intelligence, cette voixqu’il avait appelées, elles étaient venues à lui, inespérément àlui, si longtemps dédaigné de tout le monde, et voilà qu’il lesrepoussait, maintenant, sollicité par de sottes et coupablescraintes qu’il lui était d’ailleurs difficile de préciser. Depuisqu’il se trouvait moins souvent en contact moins intime avec lePère de Kern, celui-ci ne l’effrayait plus. Au contraire, Sébastiens’étonnait, s’attendrissait de voir qu’il demeurait le même à sonégard. Il aurait pu se venger de cette vilaine ingratitude. Ehbien ! non. Rien n’était changé aux bienveillantes allures dece prêtre admirable et doux. Aucune des libertés spéciales, desgracieuses privautés dont Sébastien jouissait, ce saint homme neles lui avait retirées ; et, dans ses yeux, dont le regardredevenait normal, il n’y avait ni sévérité, ni colère ; iln’y avait que la souffrance, une souffrance lumineuse et volontairecomme celle qui brille sur les visages décharnés des martyrs.Sébastien l’observait, ému, repentant, l’âme affligée de remords.Oui, il devait porter un cilice, se tuer de macérations, déchirerson corps aux pointes de fer des disciplines. Cela se voyait à lalenteur douloureuse de sa marche, à la douloureuse flexion de sataille, à la douloureuse lividité de sa peau. Tout ce qui avaitinquiété Sébastien dans les attitudes du Père, tout ce qui l’avaitéloigné de sa personne, il n’y reconnaissait plus que desexpressions de douleur. Et, dans un accès de gratitude exaltée etpénitente, pour tout ce que le Jésuite lui avait, si généreusement,donné de sa science, de son émotion, pour tout ce qu’il avaitéveillé en lui de beau, de noble, d’ardent, il aurait voulu écarterles plis de sa soutane, et panser les marques rouges de sapoitrine, et baiser ses plaies saignantes. Enfin, une penséeégoïste l’accabla. Si le Père de Kern refusait de lui continuer sesleçons, s’il allait lui dire : « Vous n’avez pas euconfiance en moi, vous êtes indigne de mes bontés », ilretomberait dans ses anciens dégoûts, dans ce même abandon moral oùil avait végété, si misérablement opprimé par les maîtres, vaincupar les choses, la proie de cette éducation étouffante, qui faisaitla nuit en son cerveau. Un jour que le Père, à la promenade, lisaitson bréviaire, à l’écart, sous les arbres, Sébastien osa l’aborder,et, contrit, les joues rouges, les yeux baissés :

– Pardonnez-moi, mon Père, bégaya-t-il…J’ai été méchant… Je ne le ferai plus.

Le Père regarda Sébastien d’un regard aigu quientra en lui, comme une vrille. Et il dit simplement, d’une voixqui avait la suavité triste d’un soupir :

– Que je vous ai plaint, monenfant !… oh ! mon cher enfant !

Après un silence, haletant :

– Mais Dieu m’a entendu, puisque vousvous repentez…

Il ferma son bréviaire et se mit à marcherlentement, éloignant d’un joli geste les branches trop basses quibarraient le passage. Sébastien se tenait à ses côtés, timide,vaincu, la tête penchée vers le sol, où tremblaient des gouttes desoleil.

– Ne parlons plus de cela, jamais,n’est-ce pas, mon cher enfant ?… dit le Père. Nous devonsoublier les offenses… nous devons même les aimer, comme les aimaJésus, puisqu’elles nous rendent plus chers les repentirs, et sidoux les pardons !…

Il ajouta d’un ton ineffable qui secouaSébastien jusqu’au plus profond de ses moelles :

– Ô petite âme inquiète, dans laquelle jelis !…

Sébastien n’osa lever les yeux sur le Père. Illui semblait qu’en marchant, ses pieds ne courbaient pas la pointedes herbes et qu’il avançait dans la lumière, si haut, si grand, sisurhumain, que son front touchait le ciel.

Les causeries quotidiennes, les leçonsreprirent leurs cours interrompu. Tous les deux, le soir, ilsrevinrent dans l’embrasure de la fenêtre, et le petit Sébastiengoûta un plaisir plus vif à ces rencontres coutumières, auxquellesla nuit prêtait un double mystère de fête religieuse et derendez-vous défendu.

Le Père de Kern déploya toute sa grâceinventive à rendre ses leçons indestructiblement attachantes. Parle mot qui persuade et qui caresse, par l’éloquence évocatrice del’idée, il savait expliquer, fixer en inoubliables images leschoses les plus abstraites, et donner aux personnages les pluslointains du passé un caractère de séduisante contemporanéité quiles faisait plus visibles, plus proches, presque familiers.Sébastien s’étonna de s’intéresser passionnément à des détails del’histoire qui l’avaient ennuyé, à la classe, à cause de leurrebutante sécheresse et qui, dans les leçons du Père, revêtaient unattrait de conte, une beauté parée de poésie. Tout revivait, touts’animait, sous sa parole, qui avait une puissance de suggestionincomparable. Son indulgence était extrême, sa pitié amollissanteet universelle. Ses enthousiasmes précis, mesurés, octroyaienttoujours une large place au rêve adventice. Il était dangereux plusencore par ce qu’il taisait et laissait deviner, que par ce qu’ildisait réellement. Cependant les mots « amour »,« péché » revenaient sans cesse sur ses lèvres, avec desinflexions lentes, comme s’il eût aimé à s’y attarder. Le mot« péché » surtout, à la façon dont il le prononçait, etl’entourait, semblait une fleur étrange qui attire par le dangermême de son parfum ; et, bien qu’il en montrât l’horreur, endes dégoûts captieux, l’horreur en restait désirable etcharmante.

– Vous êtes, maintenant, un petit homme,disait-il à Sébastien. Il faut vous habituer à regarder en face lepéché. On l’évite mieux, en le connaissant davantage.

Il descendait à des confidences personnelles,parlait de sa vie qui, longtemps, avait été livrée au péché. Pourquelques plaisirs maudits, que de remords et qued’expiations ! Y aurait-il jamais assez de prières, poureffacer la trace des fanges anciennes ?

– Si je vous confie ces chosesabominables, mon cher enfant, murmurait-il en serrant les mains deSébastien d’une étreinte tremblée, c’est que je voudrais tant vouspréserver du péché ! Ah ! si vous saviez comme il s’offreà nous, les mains pleines de fleurs, les lèvres pleines desourires… Si vous saviez comme il a de belles chairs, d’enivrantsparfums, pour nous tenter, pour nous perdre, et quelles séductionssont les siennes ! Que de fois j’ai frissonné pourvous !… Lorsque je vous voyais avec Kerral ou quelque autre devos camarades, cela m’était une torture. Je me demandais :« Que se disent-ils ? Que se font-ils ? » Sivous vous égariez, à la promenade, je me disais encore :« Où sont-ils ? » Et j’avais l’anxiété de voussurprendre, cachés derrière une haie, ou blottis dans l’ombre d’unrocher… Comme j’ai veillé sur vous la nuit, cher enfant !Ah ! les nuits sont tristes ! Elles me désolent. Lapassion y rôde, le péché y rampe. Et j’en connais tant de cespauvres petits êtres dont le cœur est gangrené, et qui se murmurentdes paroles brûlantes qui font rougir la sainte Vierge et pleurerJésus. Ayez confiance en moi, ouvrez-moi tout votre cœur. Ne mecachez ni une mauvaise pensée, ni une action impure… Si vous avezcommis le péché maudit, ne craignez pas de vous épancher en moi…C’est si bon de crier ses fautes !… Et Jésus a tant demiséricordieuse indulgence, tant de pardons pour les petites âmes,comme la vôtre !

Il le pressait d’avouer d’imaginairestentations, d’imaginaires impuretés, précisant ses questions,demeurées, jusqu’ici, timides et vagues. Lui aussi, il avait étéperverti, au collège, par un camarade qu’il aimait ! Oh !quelle honte !… et plus tard !… Avec des rougeurs, desembarras pudiques, de sanctifiantes humilités, il contaitl’intérieur de sa famille, révélait des détails intimes, poignants…Une mère morte, adultère, à l’étranger… un père débauché,installant des concubines dans sa propre maison… une sœur mariéequi le recevait chez elle, demi-nue, au milieu de chiffons odorantset de dentelles, l’initiait à toutes les perversités de l’amourhumain… La première, elle l’avait poussé dans les bras d’une femmequi avait achevé l’œuvre de dépravation commencée, si jeune, aucollège !… C’est ainsi qu’il avait dégringolé tous les degrésdu vice, qu’il s’était roulé dans l’enfer des plaisirs défendus…Enfin, Dieu avait eu pitié de lui… Un soir, en pleine orgie, ilavait été miraculeusement touché de la grâce.

– Et, depuis, cher enfant, je vis dansl’amour, le véritable amour, l’immense amour de Jésus. Ah !les fous qui vont demander à la créature humaine les courtesivresses, les brèves extases, quand elles sont infinies,inexprimables, celles que donne la possession divine du corps deJésus ! S’oublier en lui, se fondre en lui ! Promener,sur ce corps adorable, ses lèvres repentantes, coller sa bouche auxblessures béantes de ces flancs douloureux, baiser ces membresbrisés, sentir contre sa chair mortelle l’embrasement de cettechair céleste !… Où donc trouver des délices comparables àcelles-là ? Où donc rêver de pareils bonheurs, des bonheursqui ne finissent jamais, et que la mort elle-même est impuissante àrompre ?…

 

Et, peu à peu, Sébastien entrait dans uneatmosphère énervante et voluptueuse où, sous le voile de l’amourdivin qui masque toutes les exaltations charnelles, toutes lessensualités irritées, toutes les dépravations organiques quimontent du sexe vierge au cerveau déjà souillé, il perdait, de jouren jour, d’heure en heure, sans le sentir, sans le voir,l’orientation de son équilibre moral, la santé de son esprit,l’honnêteté de son instinct. Il ne résista pas, il ne put pasrésister à la démoralisation de sa petite âme, habilement saturéede poésies, chloroformée d’idéal, vaincue par la dissolvante, parla dévirilisante morphine des tendresses inétreignables. Et cetravail sourd, continu, envahisseur, le Père de Kern en renditcomplices le soleil, les brumes, la mer, les soirs languides, lesnuits stellaires, toute la nature soumise, comme une vieillematrone, aux concupiscences monstrueuses d’un homme. Tous les deux,elle et lui, ne s’adressèrent pas directement aux organesinférieurs de l’enfant, ils ne tentèrent pas d’exciter les appétitsgrossiers qui dorment au fond des cœur les plus purs. Ce fut parles plus belles, par les plus nobles qualités, par la générosité deson intelligence, par la confiance de son idéal qu’ils insinuèrent,goutte à goutte, le mortel poison. Le moment était bien choisi pource viol d’une âme délicate et passionnée, sensitive à l’excès,environnée d’embûches tentatrices, attaquée dans les racines mêmesde la vie intellectuelle. Sous l’obsession de ces causeries, sousla persécution de ces rêves corrupteurs, Sébastien sentait naîtreen lui et s’agiter des troubles physiques d’un caractère anormalqui l’inquiétait, comme un symptôme de grave maladie. Une pousséede sang plus chaud gonflait et brûlait ses veines ; unedistension de ses muscles stimulait sa chair exaspérée ; ilavait les vertiges, les syncopes, les spasmes nocturnes, lesérotiques digestions par quoi s’annoncent, chez les naturesprécoces, les premières commotions de la puberté.

 

Ce soir-là, les élèves s’étaient tous rendus àconfesse. On devait, le lendemain, communier dès le réveil, et s’enaller ensuite, en pèlerinage, à Sainte-Anne d’Auray ; unpèlerinage annuel impatiemment désiré comme une partie de plaisir.Neuf heures sonnaient à l’horloge, quand Sébastien, avec quelquescompagnons retardataires, revint de la chapelle et entra dans ledortoir. Le Père de Kern était assis près de la fenêtre ouverte, uncoude nonchalamment posé sur l’appui, songeur. La journée avait étéaccablante ; des souffles chauds, étouffants, passaient dansl’atmosphère, chargée d’orage. Au ciel, de gros nuagess’amoncelaient, voilant la lune ; le vent s’était levé,secouait les arbres du parc qui grondaient, sourdement, ainsiqu’une mer déferlant, au loin. Le Père de Kern arrêta Sébastien quivint se mettre à sa place accoutumée.

– Je pensais à vous, mon cher enfant, luidit-il, lorsque les autres élèves eurent rejoint leur cellule… Vouscommuniez demain ?… C’est un grand jour… Oh ! je merappelle votre première communion… Qu’elle fut touchante !… Dece moment je me suis intéressé à vous, je vous ai aimé… vous êtessi peu pareil aux autres qui sont ici !… À chaque instant jedécouvre en vous des qualités exceptionnelles que je m’efforce dedévelopper, de diriger… Je vous parle comme je ne parlerais àaucun, parce que vous comprenez, vous sentez des choses que pas unseul de vos camarades ne sent, ni ne comprend… Si je pouvais êtretout à fait votre professeur, il me semble que je ferais de vousquelque chose… quelque chose de très grand… J’y ai pensé souvent…Ah ! comme je le voudrais…

Il soupira et regarda la nuit tourmentée, leciel houleux où chevauchaient d’énormes vagues sombres, que la luneilluminait, en dessous et aux bords, d’éclatantes lueursmétalliques. Après une songerie de quelques minutes, il repritd’une voix qui s’attrista :

– Seulement, vous n’avez pas confiance enmoi… Vous me considérez comme un maître, alors que je suis votreami, mon cher enfant… l’ami de votre cœur, de votre intelligence,l’ami de tout ce que vous rêvez et de tout ce qui est en vous,ignoré de vous-même et connu de moi. Ah ! comme celam’afflige !

Il se tut. Le dortoir était redevenusilencieux. Un coup de vent, plus violent que les autres, se leva,ébranlant le toit au-dessus d’eux. Des ardoises arrachées volèrentet tombèrent dans la cour. Le Père de Kern ferma la fenêtre.

– Venez avec moi ! fit-il.

Il longea la rangée des cellules, sortit dudortoir, descendit des escaliers, s’engagea dans des couloirsfaiblement éclairés d’une clarté de lampe agonisante, traversa descouloirs sombres où la lune dessinait, en blancheurs tristes, surles dalles, les rectangles des fenêtres et l’ombre des meneaux.Sébastien, sans raisonner, le suivit. Où allaient-ils ainsi, danscette louche, vacillante lumière, dans cette ombre claustrale, sipleine de silence, dans cette solitude, où leurs pas, à peine,s’entendaient ? Il ne se le demanda même point.

– Marchez plus doucement !recommanda le Père, qui, avec précaution, l’œil inquiet, l’oreilleguetteuse, avançait sur la pointe des pieds, rasant les murs.

Sébastien essaya de conformer ses mouvements àceux de son guide. Aucune pensée mauvaise ne lui venait, aucunepeur. Il s’étonnait seulement, d’un étonnement vague, qui n’étaitpas sans plaisir, de parcourir, à cette heure nocturne, ces coinsdu collège, qu’il ne connaissait point, ces tortueux escaliers, cescorridors aux angles brusques, ces paliers lugubres où, dansl’ombre plus dense, des lampions fumeux remuaient des lueurs decrime. Enfin, ils s’arrêtèrent devant une porte que le prêtreouvrir sans bruit.

– Entrez, dit-il.

Comme Sébastien, un peu tremblant maintenant,hésitait, le Père de Kern le prit par la main, l’entraîna dans dunoir et referma la porte, qu’il verrouilla soigneusement. Sébastienavait senti dans la sienne cette main moite et qui tremblait, elleaussi. Il frissonna. Et, à ce moment même, il eut la peur, – unepeur angoissante, horrible, – la peur de toutes ces marchesdescendues, de tous ces couloirs traversés, de toutes ces livideslumières, de toutes ces ombres inconnues, et de ce noir surtoutdans lequel il était, seul, avec cet homme. D’abord il ne vit rienqu’un jour blafard, lamellé, sinistrement projeté sur le plancheret sur le plafond par une fenêtre aux persiennes closes. Ce jourétait funèbre ; il reflétait une pâleur opaque, une blancheurmorte de linge. Autour de ce jour, où l’ombre du Père passait etrepassait, c’était la nuit, une nuit hallucinante, pas si profonde,cependant, que ses yeux, s’habituant à l’obscurité, n’ydistinguassent des objets vagues, des profils perdus de meubles,des formes inachevées et, dans le fond, contre quelque chose quiressemblait à un mur, quelque chose d’horizontal, de rigide et delong, qui ressemblait à un sépulcre. Pourquoi était-il là ?Quelle force diabolique l’avait poussé à venir là, à suivre lePère, sans savoir, sans rien demander, sans rien pressentir ?Pourquoi, si ses intentions étaient avouables, le Père avait-ilmontré cette inquiétude d’une rencontre ? Pourquoi cecheminement prudent, effacé, de maraudeur qui craint d’être surpriset de criminel qui va au crime ?… Qu’allait-il doncs’accomplir d’effrayant ? Des histoires tragiques de meurtre,d’égorgement, assaillirent son esprit. Il s’affola. Il crutentrevoir de terrifiantes faces d’assassins, des mainsétrangleuses, des couteaux levés. Au plafond, dans le carré dujour, l’ombre du Père oscilla comme un pendu. Et le vent s’étaittu. Il ne percevait plus qu’un bruit sourd, lointain, sanglotant,un bruit inexprimable de plaintes étouffées… Le Père ne parlaitpas. Il allait et venait, à peine visible. Mais sa présenceemplissait cette nuit d’une surnaturelle terreur… Sa présence serévélait à des heurts, à des chocs, à des glissements quilaissaient après eux, d’étranges résonances… Sébastien entendit desgrincements de serrures, des vibrations de cristal, une multitudede sons dont la cause, en ce lieu, l’épouvantait… Quepréparait-il ? Quel supplice ? Quelle torture ?…Quelle mort ? Il pensa aux promenades de Pen-Boc’h, à la mer,à Bolorec ; se cramponna désespérément à des idées riantes,des visions calmes ; s’accrocha à tout ce qui pouvait l’aimer,à tout ce qui pouvait le défendre : son père, MmeLecautel, Marguerite. Mais ces évocations fuyaient,disparaissaient, une à une, pareilles aux oiseaux effrayés qui selèvent des haies épaisses et s’en vont en poussant des cris… Ilsuffoquait. Une sueur froide mouillait sa peau ; ses jambesflageolaient.

– Mon Père !… Mon Père !implora-t-il.

– Parlez plus bas, mon enfant… Onpourrait nous entendre.

Cette voix, dans ces ténèbres, avait quelquechose de si inaccoutumé, un son si bref, si étranglé, qu’elleredoubla l’effroi de Sébastien… On pourrait l’entendre ?… Maisil voulait qu’on l’entendît… Ah ! si l’on pouvaitl’entendre !… Il cria plus fort :

– Mon Père ! Je vous en prie… Jevous en supplie… Ramenez-moi, là-bas, au dortoir… Ramenez-moi…

– Mais taisez-vous donc, petitmalheureux… Que craignez-vous ?

Le Père était près de lui, cherchait sa main…Il murmura, à voix basse.

– Calmez-vous, mon cher enfant, et n’ayezpas peur. Pourquoi faut-il que vous ayez toujours peur demoi !… Qu’ai-je donc fait, pour cela ?… Allons !…Allons !…

Il l’attira doucement, dans le fond de lachambre, le fit asseoir sur le bord du lit…

– Comme vous tremblez !… Pauvrepetit !… Tenez, buvez un peu. Cela vous fera du bien.

Et présentant à ses lèvres un verre plein d’unbreuvage fort et parfumé, il répéta :

– Comme vous tremblez !

Lorsque Sébastien eut avalé quelques gorgéesde liqueur, le Père frotta une allumette contre sa soutane, allumaune cigarette. À la lueur courte et brillante, l’enfant entrevitune chambre claire, propre, austère, des meubles de bois blanc, aumilieu du mur blanchi, en face de lui, un crucifix, et çà et là depieuses images. La netteté de la chambre, grave comme une cellulede moine, l’apparition protectrice d’objets religieux diminuèrentses appréhensions. Mais la cigarette, dont l’odorante fuméeemplissait la chambre, l’étonna, substitua à ses épouvantes de toutà l’heure une curiosité presque amusée, très intriguée surtout.

Le Père s’assit près de lui, demeura quelquessecondes sans parler ; et Sébastien, moins inquiet, aspiral’odeur du tabac à pleines narines, et suivit le point brillant dela cigarette, qui voletait, dans l’ombre revenue, capricieuse,ainsi qu’une luisante mouche.

– Êtes-vous plus calme, maintenant ?demanda le Père de Kern, d’une voix si doucement chuchotée, qu’ellerompit à peine le silence de la chambre…

Et soupirant, sur un ton d’affectueuxreproche.

– Pourquoi n’avez-vous pas confiance enmoi ?… Ne vous ai-je pas prouvé mille fois et de millemanières, que je vous aimais ?… Qu’est-ce qui vous fait peur,mon enfant ?… Dites-le moi… Cette obscurité, n’est-cepas ? Cela, sans doute, a frappé votre imagination nerveuse…Pauvre petit cœur que j’aime, jusque dans ses faiblesses… Maisn’est-ce pas, au contraire, une chose charmante que cetteobscurité ?… Et les paroles qu’on dit n’y sont-elles pas plusbelles, murmurées si bas, qu’on croirait qu’elles reviennent detrès loin, de l’au-delà !… Vous vous y habituerez, mon cherenfant, car nous viendrons ici souvent. Et comme vous aimerez cetteretraite si tranquille, loin des autres, loin de tout bruit… Jevous dirai des vers, je vous raconterai les belles légendes del’histoire. Vous verrez comme c’est exquis, la nuit, cette solitudede chapelle, cette paix de forêt que rien ne trouble… où tout seranime, où tout revit, où tout se colore aussi des couleursmagnifiques du mystère et du rêve !… Combien de fois, lorsquej’étais triste, désespéré, lorsqu’il me semblait que le cœur deJésus se retirait de moi, combien de fois me suis-je réfugié danscette chambre !… Si vous saviez, mon cher enfant, comme j’y aiprié !… Quelles larmes heureuses j’y ai versées ! C’estlà où Jésus m’apparaît le mieux, là où je touche sa réelle chair,aimée de la douleur… là, où l’extase de l’adorer est sansfin !… Oh ! mon cher enfant, si vous saviez… !

Il s’était rapproché de Sébastien, sa maindans celle de l’enfant. Sa voix était devenue haletante. Les motsn’arrivaient plus qu’entrecoupés de tremblements nerveux etd’efforts gutturaux. Il répéta :

– Oh !… oui !… que j’y ai…prié !…

Malgré son trouble, Sébastien ne pouvaits’empêcher de remarquer malicieusement que cette piété exaltée, queces ardentes extases divines s’accordaient difficilement avec leplaisir, plus laïque, de fumer des cigarettes et de boire desverres de liqueur. Et l’agitation insolite du Père, le frôlement deses jambes, cette main surtout, l’inquiéta. Cette main courait surson corps, d’abord effleurante et timide, ensuite impatiente ethardie. Elle tâtonnait, enlaçait, étreignait.

……  …  …  …  …  …  …  …

Maintenant Sébastien était au bord du lit, àmoitié dévêtu, les jambes pendantes, anéanti, seul. Seul ?…Oui. Il tâta, de la main, autour de lui, le vide ; il tâta, dela main, autour de lui, les couvertures défaites. Il était seul.Dans ses membres, il ressentait comme un brisement, sur ses joues,comme une brûlure douloureuse. Son cerveau était meurtri, et lourd,lourd affreusement, si lourd qu’il ne pouvait pas le porter. Il yavait dans ses souvenirs une interruption, une cassure brusque,violente, terrible. Rêvait-il ? Mais non, il ne rêvait pas. Ilne rêvait pas, car le Père aussi était là. Il était là, dansl’ombre, furetant. Sa silhouette passait et repassait, noire,agile, infernale, dans le rectangle de jour livide qui s’étaitobliquement allongé, sur le plancher, et coupait la pièce, en toutesa largeur, d’une blancheur morne de suaire. Et c’étaient les mêmesheurts, les mêmes chocs, les mêmes glissements, que lorsqu’il étaitentré là… depuis combien de temps ? Au loin, très loin,assourdi par des interpositions de murs, le vent râlait sesobscures, ses monotones plaintes.

– Buvez un peu, mon enfant, cela vousfera du bien…

Le son de cette voix le fit sursauter.Cependant, il tendit avidement ses lèvres au verre qu’on luioffrait. Il avait une soif ardente, une soif inextinguible. Il butquelques gorgées.

– Merci ! dit-il, machinalement.

Puis il entendit les mêmes grincements deserrures, les mêmes vibrations de cristal. Puis il vit la chambres’éclairer à la lueur d’une allumette, le Père allumer unecigarette, le petit tison rouge brûler et danser dans l’ombre. Ilétait sans haine, parce qu’il était sans pensée. De ce qui venaitde s’accomplir d’abominable, de ce crime – le plus lâche, le plusodieux de tous les crimes –, de ce meurtre d’une âme d’enfant,aucune impression morale ne subsistait dans son esprit. Iléprouvait une lassitude aux vertèbres, une soif qui lui desséchaitla gorge, un accablement général de ses membres et de toute sachair, qui ne laissait d’activité à aucune autre perception de lasensibilité ; mais pas une souffrance intérieure. S’apercevantqu’il se trouvait, en partie, dévêtu, il remit de l’ordre dans seshabits, et ne bougea plus. Il aurait voulu boire. Des bruits desources chantaient à ses oreilles ; des fontaines d’eau clairese montraient, en de frais paysages, sous des branches pendantes etdes lianes fleuries ; il respirait des parfums d’herbemouillée ; se penchait sur des margelles de puits. Il auraitvoulu aussi s’étendre sur le lit comme sur de la mousse, et dormirlongtemps ; il aurait voulu surtout ne pas voir cette clartépâle de lune qui coupait, en deux, la pièce, et rester, dansl’ombre, toujours. L’idée de retraverser ces couloirs, de gravirces escaliers, ces lumières louches, le dortoir, lui furent unennui.

Le Père vint s’asseoir, près de lui. Sébastiensentit la pesanteur de ce corps contre le sien. Il ne se reculapas.

– Laissez-moi, mon Père, dit-il…Laissez-moi.

Il y avait de la tristesse dans sa voix, maisnon point de l’épouvante ni du dégoût. Le Père s’enhardit.

– Laissez-moi ! Oh, je vous en prie,laissez-moi.

Il osait parler, à cause des ténèbres qui lesenveloppaient tous les deux et qui lui cachaient ce visage, ceregard. Mais il comprenait qu’il serait demeuré sans voix, dans lalumière, que la vue de cet homme lui serait désormais insoutenable,qu’il ne pourrait plus lever les yeux sur lui, qu’il mourrait dehonte. La pensée d’être maintenant obsédé par cette présencecontinue, par l’image persécutrice et sans cesse vivante, et àtoute minute évoquée, de sa souillure, la certitude de ne plus sesoustraire, jamais, à cette hantise, ni pendant l’étude, ni pendantles récréations et les promenades, ni au dortoir, où l’ombre duprêtre, sur les rideaux de la cellule, viendrait lui rappelerl’indélébile horreur de cette nuit, chaque soir, tout celal’accabla. Oh ! pourquoi n’avoir pas écouté sespressentiments ? Pourquoi s’être laissé reprendre, malgré soninstinct divinateur, aux paroles berceuses de cet homme, à sesconseils empoisonnés, à ses poésies, à ses tendresses qui masquentle crime ? Et ce qui l’irritait, c’était de n’avoir contre cecriminel aucune haine ! Il ne lui en voulait pas ; ils’en voulait à soi-même de sa confiance absurde et complice.

– Voyons, mon enfant, dit le Père. Ilfaut rentrer.

Et, cyniquement, de sa main tâtonnante,s’assurant que les vêtements de Sébastien étaient en ordre, ildemanda :

– Avez-vous rajusté vos habits ?

– Non, non, laissez-moi… Je ne veux pasrentrer… Ne me touchez pas… Oui, j’ai rajusté mes habits.

– Nous ne pouvons pas rester ici pluslongtemps… Il est tard, déjà !…

– Non, non… laissez-moi !

– Sébastien, mon enfant, mon cher enfant,comprenez donc que c’est impossible…

– Je comprends, je comprends… Je veuxrester… Laissez-moi !

Un silence se fit. Le Père s’était levé,arpentait la chambre, soucieux. Il n’avait pas prévu cetterésistance obstinée d’enfant, cet irréductible entêtement contrelequel il se butait, et qui pouvait être sa perte. Il eut la visionnette, rapide, des ennuis, des dégoûts, des scandales qui enseraient l’inévitable conséquence : les peines disciplinaires,l’exil lointain, ou l’insoumission qui le rejetterait dans lesmarges fangeuses de la vie. Que faire, pourtant, si Sébastienrefusait de s’en aller ? Le raisonnement n’arrivait plus à cetesprit ébranlé par une commotion cérébrale, si intense, qu’elleavait brisé, en lui, le sentiment le plus persistant de l’homme,celui de la défense personnelle. Employer la force ? Il n’yfallait pas songer non plus. Les cris, la lutte, c’eût été pireencore que cette exaspérante inertie. Puis, il se reprochaitamèrement cette aventure où il n’avait pas goûté les joiespromises : « Je l’aurais cru mieux préparé, se dit-il.J’aurais dû attendre. » L’avenir aussi l’inquiétait :« Que je le ramène !… Oui, mais demain ? Ce petitimbécile est bien capable de me livrer en se livrantsoi-même. » Combien, attirés par lui, étaient venus, en cettechambre, les uns déjà pourris, les autres candides encore, et quin’avaient pas fait ces déplorables manières ! Il se plut uninstant à revoir passer, en cette ombre obscène où s’obstinaitSébastien, sur ce lit impur où la honte le retenait cramponné, lafile des petits martyrs pollués, des petites créatures dévirginées,ses proies étonnées, dociles ou douloureuses, tout de suitevaincues par la peur, ou soumises par le plaisir. Et si le matinallait les surprendre, là, tous les deux, leur couper laretraite ! Il pensa combien le meurtre serait doux, s’iln’était impossible en cette circonstance, dans ce lieu, et quelsoulagement il en éprouverait, s’il ne fallait rendre compte decette petite existence obscure et misérable, de cette larve humaineen qui n’éclorait même pas la fleur du vice qu’il aimait.

Le Père de Kern revint auprès de Sébastien. Ildit simplement, d’un ton impérieux de maître qui rappelle son élèveau devoir oublié :

– Vous savez que vous communiez demainmatin.

L’effet de cette phrase fut électrique.Sébastien se dressa debout, frissonnant. C’est vrai, il devaitcommunier le lendemain, dans quelques heures. Il ne le pouvaitplus, maintenant. Tous les autres iraient, graves, pieux, les mainsjointes sur la poitrine, tous les autres iraient à la Sainte-Table.Lui seul, comme un maudit, resterait à sa place, désigné au méprisuniversel, sa face portant l’empreinte ineffaçable de son infamie,tout son corps exhalant une odeur d’enfer. De nouveau, ils’affaissa sur le lit, et, les yeux pleins de larmes, ilmurmura :

– Mais je ne veux plus !…

– Et qui vous en empêche ?…interrogea le Père.

– Après ce que vous… Après ce que je…Après ce péché… ?

– Eh bien, mon cher enfant, ne suis-jepas là ?… Ne puis-je entendre votre confession ?…

– Vous ! s’écria Sébastien dans unsoulèvement d’horreur… Vous !…

La voix du Père redevint caressante et lente,humiliée et triste.

– Oui, moi… Je suis prêtre… J’ai lepouvoir de vous absoudre… même indigne, même coupable, mêmecriminel… Le caractère sacré qui fait que je puis vous rendre, simisérable que je sois, la paix de la conscience et l’orgueilleusepureté de votre corps, la candeur de votre petite âme d’ange, je nel’ai point perdu… Moi, qui suis retombé dans l’enfer, je puis vousredonner le paradis… Écoutez-moi… Tout à l’heure… là, je ne sais cequi a égaré ma raison… j’ai obéi à quelles suggestions defolie ?… Je l’ignore… Dieu m’est témoin que mes intentionsétaient nobles… C’est affreux, ces rechutes soudaines des passionsqu’on croit abolies, et vaincues par des années de prières et derepentir !…

Il s’agenouilla, posa son front sur les genouxde Sébastien, et poursuivit :

– Je ne veux pas diminuer mesresponsabilités, amoindrir mon crime. Non. Je suis un monstre…Pourtant ayez un peu pitié de moi, de moi qui suis à vos pieds,vous demandant pardon… Vous, rien ne vous a touché, rien ne vous asali parce que vous êtes un enfant, mais moi ! Pour rachetermon âme, pour effacer ce crime… – et pourrais-je la racheter, cetteâme, et pourrais-je l’effacer, ce crime ?… – quelles longuesexpiations ! Cette chair que j’ai souillée, cette chair où,malgré les jeûnes, les prières, les supplices, le péché dormaitencore, il faudra que je la déchire, que je l’arrache fibre àfibre, avec mes ongles, avec…

Sébastien vit des instruments de supplice,l’épouvante des chairs tenaillées, des os broyés, desruissellements de sang, et saisi d’horreur et de pitié, ils’écria :

– Mon Père !… Non… Non… Je ne veuxpas que vous fassiez cela à cause de moi… Je ne veux pas… Je neveux pas…

– Il le faut, mon cher enfant, réponditle Père de Kern, d’un ton résigné… Et ce supplice me sera doux, etje bénirai ces tortures, si vous m’avez pardonné, et permis, parune absolution de vos fautes, qui sont miennes, hélas ! derendre à votre âme la pureté et la paix. Ce que je vous demande,c’est demain, à la communion, de prier pour moi.

Sébastien se leva, résolu. Il ne souffraitplus. Une ivresse était dans son cœur, une force était dans sesmembres, et il aurait voulu que des lumières éclatantes, desembrasements d’église, tout d’un coup, incendiassent la chambre deleurs exorables clartés. À son tour, il s’agenouilla, fervent, auxpieds du Père, et, se frappant la poitrine, baigné de larmes, sûrde racheter une âme et d’apaiser la colère de Dieu, il seconfessa.

– Mon Père, je m’accuse d’avoir commis lepéché d’impureté ; je m’accuse d’avoir pris un plaisircoupable. Je m’accuse…

Et, tandis que le Père, étendant ses mainsbénissantes, ces mains qui, tout à l’heure, dans l’ombre, hideuseset profanatrices, avaient, à jamais, sali l’âme d’un enfant,murmurait : « Absolvo te », ilpensa :

– Au moins, de cette façon, il n’ira pasbavarder avec le Père Monsal.

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