Sébastien Roch

Chapitre 3

 

 

Depuis sa maladie, Sébastien, à forced’ingéniosité, avait pu éviter les rendez-vous, le soir, sur lesbancs de l’allée des Rouvraies. Il avait d’abord prétexté de safaiblesse, de sa santé qui ne se rétablissait pas ; puis, dupeu de liberté que lui laissait son père, maintenant. Margueriten’avait pas osé insister devant la première raison ; elles’offensa de la seconde. Est-ce que sa mère lui laissait de laliberté à elle ? Et ne trouvait-elle pas le moyen des’échapper de la maison, bravant les dangers, surmontant tous lesobstacles ? Bien qu’il fît en sorte de ne jamais rester seulavec elle, Marguerite, avec une merveilleuse adresse, savaitprofiter d’un éclair de répit, d’une seconde où sa mère tournait latête pour lancer à Sébastien un mot, le plus souvent de prière,quelquefois de menace. Mais il paraissait ne pas entendre. Elleétait surexcitée, fébrile ; un feu sombre dévorait ses deuxprunelles qui semblaient s’agrandir encore : « Je ne saispas ce qu’a Marguerite, soupirait Mme Lecautel… Je latrouve moins bien depuis quelque temps, je la trouve étrange. MonDieu, pourvu que cela ne recommence pas ! » Uneaprès-midi qu’elle était demeurée silencieuse, inerte, le frontbarré de plis durs, un inutile ouvrage de tapisserie sur sesgenoux, elle se leva tout d’un coup de sa chaise, pinça au brasSébastien et le souffleta. Ensuite, criant, trépignant le parquet,elle fondit en larmes. Mme Lecautel emporta sa fille, lacoucha, la dorlota :

– Marguerite… ma petiteMarguerite !… Je t’en prie, ne sois pas comme ça !… Tu meferais mourir de chagrin.

Et, toute la journée, Marguerite ne put direque ces mots :

– Je le déteste !… je ledéteste !… je le déteste !

Sébastien eut la pensée de tout avouer, nonpar remords, non par intérêt pour Marguerite, mais uniquement afinde se délivrer de cette obsession qui lui était un supplice. Ilrecula, de semaine en semaine, l’instant de cette confidence.Enfin, un jour il se décida, et il dit :

– Il faut que je vous avoue une chosegrave, Mme Lecautel… une chose qui me tourmente depuislongtemps…

– Avouez, mon cher enfant… Eh bien,quelle est donc cette chose grave ?

– C’est… c’est…

Il s’arrêta, subitement effrayé de ce qu’ilallait révéler, et il réfléchit que ce serait odieux de donner unepareille douleur à cette mère.

– Ce n’est rien, fit-il… Plustard !

Mme Lecautel était habituée auxfaçons de Sébastien ; elle connaissait le décousu de sessentiments, les soubresauts de ses idées. Elle ne s’étonna pas, secontenta de sourire d’un sourire attristé :

– Je vois bien que cette chose graven’est pas bien grave… Ah ! que vous êtes singulier, mon pauvreSébastien !

Il espaça ses visites. Mais Marguerite luiécrivit des lettres, d’une écriture déguisée, méconnaissable, deslettres brèves, impératives, auxquelles il ne répondait, lorsqu’illa revoyait, ni par un geste, ni par un coup d’œil complice. Unefois, en le reconduisant, elle lui demanda :

– Tu as reçu mes lettres ?… Pourquoine me dis-tu rien ?

Sébastien joua l’étonnement,protesta :

– Des lettres ?… Quelleslettres ?… Tu m’as écrit ?… Non, je n’ai pas reçu teslettres.

– Tu mens…

– Je t’assure !… Alors, c’est monpère qui les garde…

– Ton père ! ton père !… Çan’est pas vrai !

– Et qui viendra les rapporter à ta mère,tu verras, Marguerite… C’est de la folie pure…

– Eh bien, tant mieux… Il viendra… J’aimemieux ça !

Ces lettres, en effet, avaient intrigué M.Roch qui, chaque matin, attendait le facteur sur la route. En lesremettant à son fils, il l’observait de coin.

– Hé ! hé !… mongaillard ! faisait-il !… Voilà une lettre, si je ne metrompe…

Souvent il ajoutait, d’un airmalicieux :

– Hier, j’ai rencontré les Champier…Oui !… oui !… Mme Champier m’a parlé detoi !… Hé !… hé !… Mme Champier… Enfin çala regarde, quoique…

Au fond, M. Roch, malgré ses idées de hautemoralité, eût été flatté que son fils entretînt des relationssecrètes et coupables avec Mme Champier, la bourgeoisela plus élégante et la mieux cotée de Pervenchères.

Sébastien était inquiet de toutes ces audacesde Marguerite. Il changea de tactique vis-à-vis d’elle et crutl’endormir un peu par de la douceur et des apparences d’amour.Maintenant, il se montrait plus empressé, la regardait d’un regardplus tendre, prenait quelquefois sa main à la dérobée, l’attirait àlui, la serrait contre sa poitrine, dans le couloir, lorsqu’il s’enallait. Marguerite s’abandonnait, émue, vaincue, sans force. Elledisait :

– Je te verrai bientôt là-bas,dis ?

– Oui !… oui !… bientôt…Demain, je te le dirai demain…

– Pense donc !… Il y a silongtemps…

Et Sébastien soupirait d’une voixcaressante :

– Si longtemps ! oh oui !…

Elle redevenait plus souple, heureuse,confiante et gaie. Sa mère était contente de revoir les couleursroses reparaître aux joues de sa fille et les enfantillages drôlesranimer ses joies assoupies. Elle disait à Sébastien :« Dieu merci, je crois que c’est passé !… N’est-ce pasqu’elle va mieux. »

Cela dura ainsi pour Marguerite, avec desalternatives de révolte et de soumission, pour Sébastien avec, tourà tour, des angoisses d’amour idéal et de dégoût physique, jusqu’àcette journée de juillet, où tous les deux, ils se trouvèrent faceà face, dans le champ de blé, près de la source de Saint-Jacques.Ce jour-là, cette minute-là, au ton impérieux dont avait parléMarguerite, à la façon brève et sans discussion possible, dont elleavait dit : « Je veux !… Je veux !… Jeveux ! » il comprit que, désormais, elle ne secontenterait plus du leurre des promesses sans cesse reculées, nide l’aumône menteuse de ces caresses dilatoires. Il fallait prendreun définitif parti : ou rompre brutalement une situationinacceptable et lourde de rancœurs ; ou recommencerl’existence nocturne et les tristesses du rendez-vous, là-bas, surle mélancolique banc de l’allée des Rouvraies. Par un reste depitié qui subsistait au fond des sensations, même les pluspénibles, issues de Marguerite, et aussi par une crainte de ce quipouvait en résulter de fâcheux et de compliqué, il n’avait pas oséassumer la responsabilité d’une rupture. De nouveau, il s’étaitrésigné aux exigences de cette petite créature insatiable et folle.Il était donc rentré chez lui, après la promenade, mécontent,s’accusant de lâcheté, en proie à un immense et tenaillant ennui.Comme il faisait chaque fois qu’il était assailli par despréoccupations insolites ou désagréables, il s’étendit sur son lit,les jambes écartées, les mains croisées sous la nuque. Mais il neput demeurer longtemps en cette position, qui le calmaitd’ordinaire. Un besoin de mouvement l’obligea bien vite à seremettre debout. Pareil à un fauve dans sa cage, il marcha, marcha,tourna, tourna, en son étroite chambre, bousculant les meubles,heurtant les chaises à coups de pied. Soudain, il se rappela queles nuits étaient claires, brillantes de lune, et que c’étaitl’époque où les couples amoureux et enlacés promenaient leurs rutsdans les champs, à l’orée des bois, sur les routes poussiéreuses etles sentes herbues. Quelque chose de mauvais gronda en lui, et ilcria :

– Chienne ! chienne !chienne !

La nuit arriva plus vite qu’il l’eût souhaité.Il lui sembla que les minutes, si lentes toujours, dévoraient lesheures.

Lorsqu’il se dirigea vers l’allée, la lune, eneffet, resplendissait dans un ciel très pur, très pâle, d’unepâleur froide et lactée. De grandes ombres bleues, transversales,balayaient la route, toute blanche ; et les arbres, violentssur la lumière, conservaient des couleurs vertes, d’un vertseulement assombri et criblé de paillettes argentées. Les champs,les coteaux et, dans les champs et sur les coteaux, les maisonséparses, enveloppées d’un léger mystère, avaient presque leuraspect diurne.

À l’entrée de l’allée, appuyée contre untremble, Marguerite, en avance, surveillait la route. Elle avaitencore sa robe de toile écrue, serrée à la taille par un rubanrouge ; sur la tête et sur les épaules, une sorte de châle, ensoie blanche, qui luisait sous la lune. Et les troncs des trembles,nets et blancs, fuyaient comme une barrière haute et blanchie, enune perspective profonde, avec de l’ombre entre eux, de l’ombretransparente et trouée d’astrales clartés. Dès qu’elle aperçutSébastien, Marguerite courut au-devant de lui, et sans prononcerune parole, l’étreignit, collant son corps contre le sien,exhaussant ses lèvres jusqu’aux siennes. Mais lui se dégagea.

– Tout à l’heure !… tout àl’heure !… dit-il.

Et, sur un ton de dur reproche :

– C’est sans doute pour qu’on te voiemieux que tu as gardé cette robe qu’on aperçoit d’un kilomètre, etce châle qui brille comme un casque ?

– C’est pour arriver plus vite,Sébastien, répondit Marguerite, dont cet accueil brutal avaitarrêté, glacé l’élan d’amour… Et qui donc peut nous voir, à cetteheure ?

– Qui ?… qui ?… Tout le monde,parbleu !… Ne restons pas là !…

Ils gagnèrent le banc, sans parler, ets’assirent. Marguerite sentait des larmes monter en elle, deslarmes douloureuses, qui ne s’échappaient pas, semblaient obstruerses veines, sa poitrine, sa gorge, son cerveau, et qui emplissaientses oreilles d’un bruit d’eau bouillonnante. Pourtant elle eut laforce de demander :

– Je t’ai fait de la peine,Sébastien ?

Celui-ci, bourru, répondit :

– Ce n’est pas que tu m’aies fait de lapeine… Mais enfin, voyons, que veux-tu ?

Elle se pencha sur son épaule.

– Pourquoi me parles-tu d’un tonméchant ?… Avec cette vilaine voix ?… Ce que jeveux ?… Mais c’est toi que je veux… C’est te sentir, teprendre la main, à mon aise, sans personne entre nous deux, quinous voie et nous dérange… C’est être là, comme nous sommes…Sébastien, mon Sébastien, mon petit Sébastien !

Elle suffoquait, sa voix s’affaiblissait,laissant aux sanglots qui l’oppressaient ses claires sonorités.

– Ce que je veux ?… reprit-elle aveceffort… Vois-tu, cela me brûle de ne pas t’avoir, cela m’étouffe.La nuit, je ne dors plus… Je deviens folle, folle… si tusavais !… Mais tu ne comprends pas… tu ne comprends rien… situ savais. Souvent le soir, quand mère est endormie… souvent jesuis sortie de ma chambre où j’étouffe, de la maison où je meurs…et j’ai couru comme si tu m’attendais !… J’ai rôdé autour dechez toi. Il y avait toujours de la lumière aux fenêtres de tachambre… Que faisais-tu ?… Et je t’ai appelé… et j’ai lancédes grains de sable, de petits cailloux contre ces fenêtres que jene pouvais atteindre… Si la grille avait été ouverte… oui… je croisque je serais entrée… Et je suis venue m’asseoir ici, pendant desheures, des heures !… Sébastien, dis-moi quelque chose…prends-moi dans tes bras… Sébastien, je t’en prie, pourquoi ne meparles-tu pas ?

Sébastien demeurait silencieux et sombre.

À mesure qu’elle parlait, qu’elle disait sesattentions toujours déçues, ses espoirs jamais réalisés, sessouffrances, ses irritations, ses rêves, ses élans qui, bien desfois, la poussaient vers lui, si fort qu’elle pouvait à peineréprimer le besoin de le prendre, de l’embrasser, même devant samère ; à mesure qu’il sentait pénétrer, plus avant, dans sapeau, la chaleur de cette chair de femme, il avait davantagehorreur de cette voix qu’il eût voulu étouffer, davantage horreurde cet intolérable contact, auquel il eût voulu se soustraire, àtout prix. Ce qu’elle avait été pour lui, les enthousiasmes, lespensées, les réflexions, les pitiés qui lui étaient venus d’elle,il les oubliait dans l’actuel dégoût de ce sexe qui s’acharnait etsemblait multiplier sur son corps les picotements de mille sangsuesvoraces. Il regarda, d’un regard atroce, Marguerite, dont levisage, tout pâle de lune, pâle de la pâleur qu’ont les morts,était incliné sur son épaule, et il frissonna. Il frissonna, cardes profondeurs de son être, obscures et de lui-même ignorées, uninstinct réveillé montait, grandissait, le conquérait, un instinctfarouche et puissant, dont pour la première fois, il subissaitl’effroyable suggestion. Ce n’était plus seulement de la répulsionphysique qu’il éprouvait, en cette minute, c’était une haine, plusqu’une haine, une sorte de justice, monstrueuse et fatale,amplifiée jusqu’au crime, qui le précipitait dans un vertige aveccette frêle enfant, non pas au gouffre de l’amour, mais au gouffredu meurtre. Lui, si doux, lui à qui le meurtre d’un oiseau faisaitmal, lui qui ne pouvait, sans une défaillance, supporter la vued’une plaie, d’une flaque de sang, instantanément il admettait lapossibilité de Marguerite renversée sous lui, les os broyés, lafigure sanglante, râlant. Le vertige s’accélérait ; l’ivresserouge gagnait son cerveau, mettait en mouvement ses membres pour labesogne homicide. Il se recula vivement, d’un bond. Et ses doigtsse crispèrent sur sa cuisse avec de sinistres refermements. La lunecontinuait sa marche astrale. Une brise légère s’était levée,agitait les feuillages des trembles, dont le dessous argentéluisait.

– Je t’en prie, dis-moi quelque chose,supplia Marguerite qui, vivement aussi, se rapprocha de Sébastien…Prends-moi dans tes bras… Pourquoi t’en vas-tu ?

– Tais-toi… tais-toi !

– Est-ce que je ne suis pas assezgentille ? Je voudrais être si gentille que tu ne mequitterais jamais… Ah oui, je rêve que nous partons ensemble…Veux-tu que nous partions, dis ?

– Tais-toi !… tais-toi !

Il lui saisit les mains, le poignet, le bras,les serra d’une force à les broyer, à en faire jaillir le sang. Etsa main courut aux épaules, s’arrêta, attirée et frémissante, aubord de la gorge.

– Oui, c’est là que ça me monte,quelquefois… que ça m’étouffe… Caresse-moi.

Marguerite se livrait, tendait tout son corpsà cette meurtrière étreinte qu’elle croyait être de l’amour, etdont elle ne ressentait même pas la douleur, fondue dans la voluptéinfinie qui s’emparait d’elle.

– Oui, oui, caresse-moi encore… Et puis,embrasse-moi… C’est vrai, ça, tout le monde s’embrasse… Il n’y aque moi !

– Tais-toi !… tais-toi !

Mais elle ne se taisait pas… Elle serapprochait encore, se collait, toute, contre lui, l’enlaçait,disait :

– Prends-moi, comme Jean prend sa femme…Je les vois souvent, le soir, de ma chambre, quand ils se couchent…Ils s’embrassent, ils se caressent… Si tu savais !… Si tuvoyais !… Ah ! c’est si gentil !

Subitement, à cette vision évoquée, les doigtsde Sébastien se détendirent, et l’affreuse étreinte s’acheva encaresse. Il dit, d’une voix rauque encore, maisaffaiblie :

– Alors, tu les vois, quand ils secouchent, c’est vrai ?

– Oui, je les vois.

– Et que font-ils ?… Raconte-moi,raconte-moi, tout.

Et tandis que Marguerite parlait, ill’écoutait haletant, et lui-même faisait appel à tous ses souvenirsde luxure, de voluptés déformées, de rêves pervertis. Il lesappelait de très loin, des ombres anciennes, du fond de cettechambre de collège, où le Jésuite l’avait pris, du fond de cedortoir où s’était continuée et achevée, dans le silence des nuits,dans la clarté tremblante des lampes, l’œuvre de démoralisation quile mettait aujourd’hui, sur ce banc, entre un abîme de sang et unabîme de boue.

– Et toi ?… Qu’est-ce que ça te faitde les voir ?

– Moi ?… Ça me donne envie.

Il accumulait l’ordure sur elle et sur lui, laforçant à se souiller de ses propres paroles. Et le désir violentde cette chair qu’il avait condamnée, montait en lui, plein debrûlures et de morsures, un désir où il y avait du meurtre encore,mais du meurtre qui ne voulait plus la mort, et qui, pourtant, seruait à la possession, comme le couteau de l’assassin se rue à lagorge de la victime. Il ne cessait de l’interroger, exigeait desimages plus nettes, des évocations plus précises d’eux quis’embrassaient et d’elle qui les regardait. Marguerite disait leshabits jetés, les nudités, les enlacements sur le lit ; et luil’attirait, l’écrasait contre sa poitrine. Sa main parcourait toutson corps, scandant les mots abominables, dévêtant des coins dechair, où elle s’attardait.

– Est-ce cela qu’ils font ?

Et Marguerite, d’une voix pâmée, grave en mêmetemps, et qui restait presque candide, soupirait :

– Oui !… oui !… c’estgentil !

Leurs caresses se mêlèrent. Gauchement,brutalement, il la posséda.

… Ce fut, d’abord, comme un étonnement, commeune crainte du réel, retrouvé après un mauvais rêve. Durantquelques secondes, il eut la méfiance de ce ciel lacté, au-dessusde lui, et des blancs troncs des trembles s’enfonçant, pareils àdes fantômes, dans la claire nuit de l’allée. Puis il se sentitbrisé, et triste affreusement. Marguerite était près de lui, surlui, les deux bras autour de son cou, et qui disait d’une voixdouce, d’une voix lasse, d’une voix heureuse :

– Sébastien !… Mon gentil petitSébastien !

Il n’éprouvait plus de colère, plus de dégoût,plus rien que de la détresse. Les folies qui venaient de luimontrer, par de si horribles lueurs, les fonds immondes de son âme,s’étaient en allées. Cependant, il fut presque surpris que ce fûtMarguerite qui fût là, et qui parlât. Sa pensée était ailleurs,était loin. Elle était là-bas !… Elle était dans l’embrasurede la fenêtre du dortoir ; elle était sur les grèves, dans lesbois de pins, charmée d’une voix qui se confondait avec celles dela mer et du vent ; elle était dans la chambre où voletait,capricieux et léger, le tison rouge de la cigarette, et elle laregrettait. La regrettait-il ?… Il s’y complaisait et ne lamaudissait plus. Et de ne plus la maudire en cette minute,n’était-ce pas la regretter ? Il dénoua doucement les bras deMarguerite, et doucement, avec des gestes fragiles, il se dégageade son embrassement.

– Oh ! pourquoi ne me laisses-tu pasainsi ? soupira-t-elle… Est-ce que je te fatigue ?

– Non, tu ne me fatigues pas,Marguerite…

– Eh bien, alors, pourquoi ? Je suissi bien, chéri !

Sa voix était pure comme un chant d’oiseaumatinal. On eût dit que rien de mauvais n’avait passé en elle. Etcette voix d’enfant, cette voix comme en ont les ondes qui courent,émut Sébastien. Il fut envahi d’une grande pitié d’elle, d’unegrande pitié de lui, une si grande pitié d’elle et de lui,condamnés à des souffrances dissemblables, à de pareilles hontes,qu’il fut tout à coup secoué d’un frisson et fondit en larmes.

– Tu pleures ? s’écria Marguerite…Tu crois que je ne t’aime plus ?

– Non, non…, ce n’est pas cela !… Tune peux pas savoir… Pauvre petite !…

– Alors, tu ne m’aimes plus ?

Il la saisit dans ses bras, la tint longtempsserrée dans une étreinte chaste.

– Je t’aime, pauvre petite !…prononça-t-il. Et pourquoi ne t’ai-je pas toujours aimée de cetamour ?… Je suis bien malheureux, va !… bien malheureux…parce que je devine toutes les souffrances que tu portes en toi… etque c’est de ces souffrances-là que je t’aime maintenant…

Il pencha sa tête sur l’épaule de la jeunefille, chercha ses mains, murmura :

– Ne me dis plus rien… ne me parle pas…Oh ! comme ton cœur bat…

Marguerite, un peu effrayée, voulutbalbutier :

– Sébastien ! mon petitSébastien…

Mais Sébastien répéta :

– Ne me parle pas…

Marguerite obéit et pencha sa tête, elleaussi, sur la tête de Sébastien. Il lui sembla que c’était un petitenfant qu’elle avait à bercer, à endormir. Et comme elle ne voulaitpas parler haut, de peur d’effaroucher le sommeil, elle murmuraitintérieurement des chansons de nourrice, redevenue tout à faitpetite fille, ravie de la protection que Sébastien était venu luidemander, et croyant jouer à la maman avec sa poupée, commeautrefois.

– Dodo !… fais dodo !… monchéri.

Et elle-même, bercée par ses propres chansons,elle s’engourdit peu à peu, ferma les yeux et s’endormit, dans unronronnement, d’un sommeil calme, enfantin.

Sébastien ne dormait pas. Il éprouvait, danssa détresse, une sensation de bien-être physique, à se reposerainsi, sur l’épaule de Marguerite, près de ce cœur apaisé, dont ilcomptait les battements. Et les larmes qu’il versait encore luiétaient presque douces. Il resta de la sorte, pelotonné contreelle, sans bouger, longtemps. Dans ce silence tout plein de bruitslégers, dans cette molle clarté lunaire, les images mauvaisess’évanouissaient l’une après l’autre, et des pensées luiarrivaient, tristes toujours, mais non plus dénuées d’espoirs.C’était quelque chose de vague et de paisible, une lente reconquêtede son cerveau, un lent retour de ses sens aux perceptionspacifiques, une halte de son cœur endolori dans de la fraîcheur etde la pureté, avec des horizons moins fermés et plus limpides. Il yretrouvait, dans ce vague, des impressions anciennes d’enthousiasmeet de bonté, des formes charmantes, des dévouements, des sonorités,des parfums, des désirs nobles, des ascensions dans la lumière, etun amour, un amour infini de la souffrance et de la misèrehumaines. Cela se levait du fond de son être, de son être généreuxet bon – cela se levait, frémissait et s’envolait, ainsi que, deschamps fleuris et des bruyères ensoleillées, se lèvent ets’envolent les troupes d’oiseaux chanteurs. Perdu dans le vague desa rédemption future, il ne s’apercevait pas que les minutes et queles heures s’écoulaient.

Les heures, les minutes s’écoulaient, et,lentement, par souvenirs successifs, toute son existence luiapparaissait, depuis les jours sans trouble où il allait à l’école,jusqu’à cette douloureuse nuit où il était là, pleurant surl’épaule de Marguerite. Jamais il n’avait mieux senti combien elleavait été vide, inutile et coupable, combien elle était menacée parl’infiltration continue de son vice, qui le laissait, sansrésistance, sans force, la proie de toutes les turpitudes mentales,de tous les désordres du sentiment. Il en avait horreur et ilpensait : « J’ai vingt ans, et je n’ai rien fait encore.Pourtant chacun travaille, fournit sa tâche, si humble qu’ellesoit. Et moi, je n’ai pas travaillé, je n’ai pas fourni ma tâche.Je n’ai fait que me traîner comme un malade d’une route à l’autre,d’une chambre à l’autre, affaissé, criminel. J’ai été lâche, lâcheenvers moi-même, lâche envers les autres, lâche envers cette pauvreenfant qui est là, lâche envers toute la vie qui se désole de moninactivité et de mes folies… Vais-je donc perdre ma jeunesse, commej’ai perdu mon adolescence ? Non, non, il ne faut pas que celasoit ! » Il imaginait des apostolats grandioses etincertains, mêlés à il ne savait quelles merveilleuses conquêtesd’art, plus incertaines encore ; et cela lui paraissait facileet nécessaire. « Je veux aimer les pauvres gens, se disait-il,ne plus les repousser de ma vie, comme Kerdaniel et les autresm’ont repoussé de la leur… Je veux les aimer et les rendre heureux…J’entrerai dans leurs maisons, je m’assoirai à leurs tables vides,et je les instruirai et je les réconforterai, et je leur parleraicomme à mes frères en douleur. Je veux… » Il voulait tout cequi est grand, sublime, rédempteur et vague, ne cherchant pas àapprofondir, ni à préciser ces chimériques rêves quirafraîchissaient son âme, comme l’haleine de Marguerite endormierafraîchissaient son front.

La lune s’apâlissait ; une lueur rosemontait au ciel oriental, annonçant les approches du matin.Marguerite dormait toujours. Sébastien, inquiet de l’aubenaissante, la réveilla :

– Marguerite !… Il faut rentrer…Voici le jour qui vient.

Sur la route, au bout de l’allée, on entendaitdes rumeurs de voix et le pas lourd des travailleurs champêtres serendant à l’ouvrage.

– Entends-tu, Marguerite !… C’est lejour !

Du fond de la nuit claire, la brise humide etplus fraîche des premières gouttes de rosée apportait unbourdonnement confus, le léger et universel froissement des êtreset des choses qui s’étirent, se secouent et vont se réveiller. Etles branches hautes des trembles commençaient à se teinter de rose,perceptible à peine.

– Marguerite ! Marguerite !…C’est le jour.

Elle parut étonnée d’abord, du ciel, desarbres, des blancheurs nocturnes, de lui qui parlait ; puis,toute frissonnante de froid, poussant un petit cri d’oiseau quisalue l’aurore, elle se jeta dans les bras de Sébastien.

– Le jour ! fit-elle… Déjà ?…Qu’est-ce que ça fait ?… Restons encore un peu…

– C’est impossible ! Dans uninstant, le jour va paraître… Vois, la lune s’efface, les formesrenaissent et les bûcherons se hâtent vers la forêt !…Marguerite !

Elle l’étreignit passionnément et ditencore :

– Eh bien ? Qu’est-ce que çafait ?…

– Mais tu ne comprends donc pas que, toutà l’heure, le jour va grandir, et que l’on te verra,Marguerite.

– Eh bien !… Qu’est-ce que çafait ? Embrasse-moi.

Sébastien se leva, ramassa le châle de soieblanche qui traînait à terre, enveloppa Marguerite, qui tremblaitde froid.

– Rentrons vite ! supplia-t-il… Tues toute glacée… tes cheveux sont humides…

Elle répondit, d’une voix attristée :

– Non !… c’est de partir que j’aifroid. Oh ! vilain !

Elle se leva aussi, se pendit au bras deSébastien.

– Maintenant, promets-moi unechose ! Oh ! promets-la moi !… C’est que nousviendrons tous les soirs !… Promets !

Sébastien ne voulut pas lui faire de la peine,ni l’irriter, car il connaissait ses soudaines mutineries, sessauts brusques de la joie à la colère, de la soumission à larévolte, du rire aux sanglots.

– Je te le promets, Marguerite.

– Vrai ?… tous… tous lessoirs ?… Embrasse-moi encore.

Il la serra contre sa poitrine, dans un éland’immense et impuissante pitié.

La lueur rose grandissait, plus rose,envahissait le firmament.

Les étoiles avaient des vacillations de lampesqui s’éteignent.

– Eh bien, rentrons ! ditMarguerite.

Un homme passait sur la route en sifflant. Ilsdurent attendre que les pas se fussent éloignés. Puis ilss’engagèrent dans les petits chemins de traverse qui contournent lebourg. Alerte et vive, Marguerite gazouillait :

– Tu ne sais pas à quoi je pense ?…Eh bien, je voudrais qu’on nous vît tous les deux !… Parceque, tu comprends, nous n’aurions plus besoin de nous cacher, etque moi j’irais habiter avec toi, ou toi avec moi !… C’est çaqui serait gentil, tout le temps à s’embrasser, tout letemps !…

S’arrêtant brusquement, rieuse etdrôle :

– Tu sais que tu m’as fait très, trèsmal ?…

Et comme Sébastien, ne comprenant pas,l’interrogeait, elle lui prit la tête, la baisa.

– Oh ! chéri !… chéri !…chéri… que je t’aime !

Il la quitta à l’entrée d’une venelle sombrequi conduisait à la poste ; et jusqu’à ce qu’il ne l’entendîtplus bondir sur les cailloux, il resta là, suivant ce rêve quifuyait, et dont il ne voyait plus qu’une ombre, perdue dans del’ombre, et, dans cette ombre, un bout d’étoffe plus pâle, quibientôt disparut.

Sébastien rentra chez lui, l’âme troublée deremords pesants. Il ne voulut point se coucher, ouvrit sa fenêtre,et il regarda le jour paraître, éclater. Il était malheureux, etcependant, brisé par les violentes secousses de cette nuit, il nepensait à rien.

Vers huit heures, M. Roch entra dans sachambre. Il était très pâle et tenait à la main un journal déplié.Il ne s’aperçut point que le lit de son fils n’avait pas étédéfait ; et il s’affaissa sur une chaise en poussant unsoupir :

– La guerre est déclarée !… C’estfini ! Tiens ! lis !

Et, tendant le journal à Sébastien, ilmurmura :

– Deux mille quatre cents francs !…Avoir payé deux mille quatre cents francs ! C’est trop forttout de même !… Non ! c’est trop fort !… Et pourrien !

Tandis que Sébastien, un peu plus pâle aussi,et tremblant, parcourait le journal, M. Roch glissa vers lui unregard oblique, un regard de dur reproche par lequel il semblaitfaire le compte de tout l’argent que lui avait coûté son fils… pourrien !

Le soir, Sébastien écrivit :

 

« Une partie de la journée, j’ai rôdé parle bourg. Les esprits sont surexcités. Chacun se tient sur le pasdes portes, commentant la nouvelle.

La plupart ignorent le peuple que nous allonscombattre : j’entends des phrases comme celles-ci :

– C’est y cor des Russes ou ben desAnglais qui nous en veulent ?

En général, on est consterné et triste, maisrésigné. Pourtant, une bande de jeunes gens ont parcouru les rues,drapeau en tête et chantant. On les a dispersés et ils se sontrépandus dans les cafés, où ils ont hurlé jusqu’au soir. Pourquoichantent-ils ? Ils n’en savent rien ; ils ne le saventpas plus que ne le savait mon petit conscrit qui avait tiré unmauvais numéro, et qui chantait à tue-tête, lui aussi, alors qu’ilaurait dû pleurer. J’ai remarqué que le sentiments patriotique est,de tous les sentiments qui agitent les foules, le plus irraisonnéet le plus grossier : cela finit toujours par des gens saouls…Quant à moi, je n’ai pas osé aller chez MmeLecautel ; j’ai craint que Marguerite ne se trahît, et j’aipensé que ce serait une complication inutile et ennuyeuse. Faut-ille dire ?… Marguerite, depuis le moment où mon père entra dansma chambre, n’est plus dans mes préoccupations qu’une choselointaine, presque oubliée, indifférente. Mon esprit est assaillipar d’autres idées. Ce que j’éprouve devant ce fait : laguerre ! Cela est simple et net : de la révolte et de lapeur. Je ne puis me faire à l’idée d’un homme courant sur la bouched’un canon, ou tendant sa poitrine aux baïonnettes, sans savoir cequi le pousse. Et il ne sait jamais. Ce courage-là – dont je suisincapable – me paraît en outre une chose très absurde, inférieureet grossière, et j’imagine que, dans la vie normale, on enfermeraitl’homme qui l’aurait, au plus profond d’un cabanon. Bien des fois,j’ai songé à la guerre ; bien des fois, j’ai essayé de me lareprésenter. Je fermais les yeux et j’appelais à moi des images demassacre. Mes impressions n’ont jamais varié : je me suisrévolté et j’ai eu peur, peur non seulement pour moi, mais pourtous les autres en qui j’ai tressailli. Malgré l’habitude, malgrél’éducation, je ne sens pas du tout l’héroïsme militaire comme unevertu, je le sens comme une variété plus dangereuse et autrementdésolante du banditisme et de l’assassinat. Je comprends que l’onse batte, que l’on se tue, entre gens d’un même pays, pourconquérir une liberté et un droit : le droit à vivre, àmanger, à penser ; je ne comprends pas que l’on se batte entregens qui n’ont aucun rapport entre eux, aucun intérêt commun, etqui ne peuvent se haïr puisqu’ils ne se connaissent point. J’ai luqu’il y avait des lois supérieures de la vie, que la guerre étaitune de ces lois, et qu’elle était nécessaire pour maintenirl’équilibre entre les peuples, et pour diffuser lacivilisation ; ma raison ne peut s’élever jusqu’à cetteconception. Les épidémies et le mariage me semblent bien suffisantspour empêcher le pullulement humain. La guerre ne détruit que cequ’il y a, dans les peuples, de jeune, de fort et de bienvivant ; elle ne tue que l’espoir de l’humanité.

Je vais partir et me battre. Et je ne saismême pas pourquoi je vais partir et me battre. On me diraseulement : « Tue et fais-toi tuer, le reste nousregarde ! » Eh bien, non, je ne tuerai pas. Je me feraituer peut-être. Mais moi, je ne tuerai pas. Et je m’en irai, dansles batailles, mon fusil sur l’épaule, intact de plomb, et viergede poudre. Je ne tuerai pas…

Mon père me navre. Le pauvre homme a un genrede comique qui me jette en d’inexprimables tristesses. Il n’estplus affaissé comme il l’était ce matin, lorsqu’il m’apporta lefatal journal. Je crois qu’il a oublié, à peu près, les deux millequatre cents francs que je lui coûte. Du moins, il ne m’en a plusreparlé, il ne me les a plus reprochés. Une agitationextraordinaire le mène. Il ne tient plus en place, redevientmajestueux et éloquent même avec moi. Il a vite compris que laguerre déclarée allait lui donner des responsabilités nouvelles,l’investir d’une plus haute autorité, ajouter à ses fonctionsciviles quelque chose de militaire qui déchaîne son amour-propre.Il parle déjà de convoquer la garde nationale, de passer en revueles pompiers. Et il a décidé que le conseil municipal siégerait enpermanence. Avec une joie qui déborde de ses paroles, de sesgestes, de son regard, il s’apprête aux réquisitions, auxinstructions, aux arrêtés patriotiques, aux conférences avec lesofficiers supérieurs de la garde mobile, toutes choses qui lepassionnent et le grandissent démesurément. En même temps, ilrassure les gens, il a l’air de leur dire : « Quecraignez-vous, puisque je suis là ? » Enfin, il a faitlire, par le tambour de ville, dans les rues, une sorte d’ordre dujour, tout à fait admirable et qui rappelait les proclamations deNapoléon Ier.

Le soir, au dîner, il m’a dit :

– Peut-être qu’à l’heure qu’il est, nousavons déjà franchi le Rhin ! nous allons mener cette campagnerondement, va !… D’abord, la Prusse !… Qu’est-ce quec’est ? Ça n’est pas un peuple, ce que j’appelle… Ça n’estrien du tout !

M. Champier, le notaire, est venu, trèsenthousiaste… Il s’est versé un plein verre d’eau-de-vie, ethaussant les épaules :

– Bismarck !… Pu… uut !… Nousle fusillerons !…

Et j’ai un remords, un remords qui mepoursuit, maintenant. Mme Lecautel et Marguerite, versdeux heures, ont sonné à la grille de la maison. Je les ai vues etj’ai dit à la mère Cébron de leur répondre qu’il « n’y avaitpersonne ». Elles sont reparties, Marguerite très pâle,regardant les fenêtres de ma chambre de ses yeux obstinés,Mme Lecautel, très triste sous son châle noir, un peuvoûtée. Je les aime – ah ! je les aime toutes les deux – et jene me sens plus le courage de les revoir… »

……  …  …  …  …  …  …  …

Deux jours après, Sébastien recevait l’ordrede se rendre à Mortagne, où allait se former le bataillon de lagarde mobile, dont il faisait partie. M. Roch voulut accompagnerson fils.

– Et je verrai le sous-préfet !dit-il. Je conférerai avec lui… Je conférerai aussi avec toncommandant… Ne te désole pas ! Je suis sûr qu’à cette heure oùnous sommes, notre armée est déjà victorieuse sur toute laligne !… D’ailleurs, il faut que chacun fasse sondevoir ! Je fais bien le mien, moi, qui suis unvieillard ! Sapristi… la France est la France, quediable !

Il lui demanda ensuite :

– Ne te manque-t-il rien ?… As-tufait tes adieux à tout le monde ?… MmeLecautel ?…

Sébastien rougit. Il sentit combien, de lesfuir, en un pareil événement, était absurde et méchant, et, le cœurbrisé de sa lâcheté, il répondit :

– Oui, mon père.

Sébastien resta un mois entier à Mortagne, àfaire l’exercice, à s’entraîner pour la campagne prochaine. La vieactive et purement physique, la fatigue continue des longuesmarches et des incessantes manœuvres, sans changer le cours de sesidées, le ralentirent beaucoup et lui redonnèrent un peu plus decalme d’esprit. Il n’avait plus le temps de penser. Son père venaitle voir chaque dimanche, passait la journée avec lui. L’exaltationde M. Roch était bien tombée. La défaite si brusque, lessuccessives catastrophes l’avaient accablé et commençaient àl’inquiéter sérieusement pour Sébastien. Il ne parlait plus de« s’organiser », songeait au contraire à abandonner lamairie, devenue lourde de responsabilités de toutes sortes.

La dernière semaine, il ne quitta pasMortagne ; on le vit qui rôdait toujours autour du champ demanœuvres, ou bien posté dans les rues et sur les routes, quiregardait défiler le bataillon.

– Te manque-t-il quelque chose ?As-tu assez de flanelle ? interrogeait-il souvent, anxieux ettendre ; sapristi, je ne veux pas qu’on puisse dire que monfils n’a pas ce qu’il lui faut…

Un jour il lui demanda :

– Mais qu’est-ce que tu as fait àMme Lecautel ?… Elle n’est pas contente de toi… Ilparaît que tu n’es pas allé lui dire adieu ?… Tu sais que lapetite Marguerite est très malade ?

– Marguerite ? s’écria Sébastien quisentit un remords lancinant monter en lui.

– Elle est très malade… reprit M. Roch…Elle a la fièvre… elle tousse, déménage… Sa mère est aux centcoups… Enfin elle est très mal… ce n’est pas bien… tu aurais dûleur dire adieu !…

Malgré ses appréhensions de la guerre,Sébastien fut presque heureux de partir. Il trouvait son père troptendre, Marguerite trop près de lui ; et tout celal’amollissait.

Son bataillon alla rejoindre, par étapes, unebrigade en formation au Mans.

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