Une Histoire de revenants

Chapitre 7L’HOMME NOIR

 

Le pâtour Mathelin attendit uneminute. Comme personne ne devinait, il prit une posesolennelle.

— Nenni donc, ce n’était pas les troisFreux, prononça-t-il lentement ; il y avait deuxhommes et une femme : au milieu était assis un des deuxhommes, tout habillé de noir et que je n’ai pas reconnu parce qu’iltournait le dos. À droite, le cloarec Gabriel lisait despapiers à la lueur de la lampe ; à gauche, madame Genevièvepleurait sous son voile de deuil.

Un grand murmure s’éleva autour de latable ; les uns répétaient le nom de Gabriel, les autres celuide Geneviève. D’autres encore disaient :

— Le troisième ! le troisième !

Mathelin gardait le silence. Bonne personneLécuyer secoua la tête gravement.

— Le troisième ? dit-elle. Les cadets deTreguern revinrent pendant un an à la Pierre-des-Païens. Magrand-mère disait bien souvent que le père du feu comte, l’aïeul deFilhol, se montra pendant douze mois dans l’avenue du manoir. Lecomte lui-même, souvenez-vous…

— Alors, vous pensez que le troisième était ledernier défunt Treguern ? interrompirent plusieurs voix.

— Pourquoi le feu comte Filhol n’aurait-il pasle privilège de sa famille ? murmura Marion ; chacun saitbien qu’il faut un an et un jour à Treguern pour s’endormir dudernier sommeil.

Cette explication cadrait trop bien avec lesidées reçues pour que l’assemblée ne penchât point à l’admettre. Lesilence même du petit Mathelin semblait donner raison à lamétayère. Mais Vincent Féru prit la parole :

— Cet homme dont le pâtour n’a puvoir le visage, dit-il, bien d’autres l’ont rencontré, depuisquelques mois, dans les champs et sur la lande. Moi qui parle, jel’ai trouvé plus d’une fois rôdant autour du manoir.

— Moi aussi, murmura Pelo le vannier.

D’autres encore dirent :

— Moi aussi !

— Et celui-là, continua Vincent Féru, n’estpas Filhol de Treguern. Écoutez : le père de Treguern était unbon seigneur avant de devenir un pauvre homme ; je n’ai riencontre Treguern. Mais vous perdez votre temps, croyez-moi, àvouloir expliquer ce qui se passe autour de nous. Il y en a un quisait le fin mot, et celui-là ne le dira pas.

— Parles-tu de Gabriel, Vincent ?interrompit Marion Lécuyer, dont les sourcils se froncèrent.

— Je m’entends et vous m’entendez, ma commère,cela suffit. Gabriel n’a pas besoin d’aller dans les caves de latour de Kervoz, puisque Gabriel est le maître au manoir. Et, s’iljette la soutane aux orties, comme il aurait dû le faire depuislongtemps, s’il avait eu pour un liard de religion et d’honneur, onvous l’a dit, ce ne sera pas pour Geneviève, mais bien pourMarianne.

— Tu parles bien, Vincent Féru ! s’écriala métayère, en respirant comme si on lui eût ôté un poids dedessus le cœur ; il n’y a point de tache à la robe deGeneviève !

Tous les yeux se portèrent sur Vincent Féru,qui avait fait un vif mouvement de la main.

— J’étais à l’église d’Orlan, dit-il, quandGeneviève vint s’agenouiller à l’autel avec Filhol son fiancé. Jene crois pas qu’il y ait au paradis un plus doux ange ! Dufond de l’âme, je leur souhaitai à tous deux du bonheur.

Il s’arrêta et parut hésiter, puis il repriten changeant de ton :

— J’aimerais mieux dire ceci ailleurs quedevant vous, Marion Lécuyer, car vous êtes une digne femme et vousêtes la fille du vieil Étienne qui donna tous ses enfants àTreguern. Vous aimez les Treguern comme au temps où ils étaient vosmaîtres. Mais il y a onze mois que Filhol est mort…

— Et tu oserais dire ?… commença Marion,suffoquée par la colère.

— Je dis qu’on renvoie bien souvent, à la nuittombante, le seul valet qui ait suivi la mauvaise fortune deTreguern. Je dis que le berceau d’Olympe, la pauvre orpheline deFilhol qui n’a point connu son père, reste bien souvent à la garded’une autre enfant, la petite sœur Laurence, et qu’elles sont làtoutes seules dans ce grand manoir, tandis que Marianne etGeneviève vont où l’esprit du mal les attire.

— Tu mens ! s’écria Marion Lécuyer en seredressant comme un homme.

— Non, je ne mens pas… et pourquoimentirais-je ? Je dis que cet inconnu, l’homme noir, commel’appellent les gens du village…

— Tu mens ! tu mens ! répéta pardeux fois bonne personne Marion, qui avait des larmes plein lesyeux ; et si mon pauvre frère Étienne était au pays, ton sangpaierait tes mensonges, Vincent Féru !

Une plainte sourde se fit entendre du côté del’âtre, et tous les regards se tournèrent vers le soldat, qui avaitsans doute gémi dans son sommeil. Dans le silence qui suivit, onput ouïr le grand bruit de la tempête qui faisait rage audehors.

— Ah dam ! ah dam ! dit le pèreMichelan, revenant avec plaisir au point de départ de laconversation, ce n’est point des temps comme ça qui feront grainerle blé noir ! sûrement et certainement de vraievérité !

Mais Vincent Féru n’était pas de caractère àlaisser ainsi rompre les chiens.

— Bonne personne Marion, dit-il, Étienne,votre jeune frère, était un franc compagnon autrefois. Il pourraitbien me casser la tête si je ne lui rompais point les os ;mais cela n’empêcherait pas qu’à l’heure même où je vous parle, laveuve et la sœur de Treguern sont toutes les deux dehors. Et si lecœur vous en dit, Marion Lécuyer, nous ferons ensemble le tour duclos pour entrer au manoir, que nous trouverons vide, je vous lepromets, sauf la pauvre petite sœur Laurence qui remplace la mèreabsente auprès du berceau d’Olympe abandonnée.

La métayère se leva comme pour accepter ledéfi. Elle était belle de sa colère et de sa pieuse foi enl’honneur de Treguern : vous eussiez bien reconnu la sœur dubrave Étienne. Mais, en ce moment, la porte de la ferme s’ouvrit,et un nouvel arrivant passa le seuil. C’était un pauvre homme vêtud’un casaquin de futaine trop mûre, que la pluie collait à ses os.Il avait les joues toutes pâles sous les mèches grises de sescheveux gris.

— Claude ! s’écria-t-on autour de latable ; le valet du manoir !

Il semblait que le hasard l’eût amené là toutexprès pour décider entre Vincent Féru et Marion Lécuyer, lamétayère. Quand il s’approcha de la table, on vit qu’il avait lefrisson sous ses habits mouillés et que ses lèvres blêmestremblaient.

— Une écuellée de cidre, pour l’amour de Dieu,bonne personne Marion, dit-il d’une voix qui chevrotait, je viensde voir le diable !

Les deux bancs qui flanquaient la tablefaillirent se renverser à la fois par le soubresaut que fit toutel’assemblée. Les mains tremblantes de Claude saisirent un pichet,il but à même, et l’on put entendre ses dents claquer contre lafaïence.

— Seigneur Dieu ! seigneur Dieu !balbutia-t-il en se laissant choir sur une escabelle, qui d’entrenous sera en vie demain matin ?

— Allons ! Claude, mon bonhomme, ditVincent Féru, que t’est-il arrivé ?

Claude tamponna son front baigné de sueur.Tout le monde le regardait, bouche béante.

— Dieu m’assiste ! répliqua le valet dumanoir, dont la cervelle n’avait pas l’air bien solide ; jetournais autour de la Pierre-des-Païens, parce que j’avais vudouairière Le Brec tout debout, sous la pluie, au milieu du cheminqui monte à la lande. Et qui oserait se croiser avec la Le Brec àcette heure de nuit ? Tout à coup Filhol, mon jeune maître,s’est dressé sur la pierre et il a causé avec quelqu’un que je nevoyais pas, mais qu’il appelait Étienne.

— Faudra prier pour le salut de l’âme dusoldat Étienne, dit le vieux Michelan, tandis que Marion Lécuyercouvrait de ses deux mains ses yeux humides. Quand on entend unmort prononcer le nom d’un absent, les parents peuvent bien prendrele deuil.

— Mon pauvre frère ! sanglota MarionLécuyer.

— Pour ma fortune, reprit le bonhomme Claude,je n’aurais pas voulu rester là. J’ai joué des jambes à traverschamps pour aller au moulin de Guillaume, qui est bonne âme et quiouvre volontiers sa porte. Quand je suis arrivé à l’entrée de lalande, j’ai bien entendu des pas de chevaux qui galopaient toutautour de moi ; mais je croyais que c’était ma pauvre tête quidéménageait, car j’avais la grande fièvre et mes oreillestintaient. N’entendais-je pas aussi le moulin de Guillaume quiallait, malgré la fête gardée, qui allait comme si Satan l’eût misen branle !

— Holà ! Claude ! m’a dit unevoix.

« Et Malo de Treguern était tout près demoi sur son cheval efflanqué. Que Dieu m’assiste ! Je me suislaissé choir sur mes genoux.

— Pourquoi n’es-tu pas à ton devoir ? m’ademandé le commandeur Malo. Est-ce ainsi que tu gardes la maison deTreguern ?

J’ai répondu tout tremblant quej’étais :

— On m’a renvoyé, pour cette nuit, de lamaison de Treguern.

— Va vite ! va vite ! s’est écrié lecommandeur Malo. Retourne au manoir. L’esprit du mal est dehors etveut entrer. Va vite ! va vite !

— Claude, interrompit ici la métayère, c’estMarianne de Treguern qui t’a mis pour cette nuit hors du manoir,n’est-ce pas ?

— Non, répliqua le bonhomme, c’est madameGeneviève.

Marion Lécuyer baissa la tête pour éviter leregard triomphant de Vincent Féru.

— Le commandeur Malo, poursuivit Claude, piquale ventre de sa bête, qui franchit les palis d’un saut et se mit àgaloper vers la Tour-de-Kervoz ; il me semblait toujoursentendre la voix répétant au loin : Va vite ! vavite !

« Comme j’essayais de me relever, unautre cheval, lancé à toute course, a passé si près de moi que j’aivu la fumée de ses naseaux. Si Gabriel le cloarec n’étaitpas parti d’hier, je dirais que ce second cavalier était Gabriel.Il a descendu le chemin qui mène au bourg ; puis encore unautre bruit de cheval galopant et un autre cavalier dans lanuit !

— La route du manoir de Treguern ? m’adit celui-là qui avait une voix comme jamais je n’en ai ouï de mavie.

— Je ne sais pas ce que j’ai répondu. Nousétions sous le moulin ; le vent a pris les quatre ailes àrevers et les a arrachées pour les porter à deux cents pas de làsur la lande. Mes oreilles folles entendaient comme des cris àl’intérieur. Le troisième cavalier avait disparu. Alors quelqu’unqui avait la voix de douairière Le Brec a dit dans la nuit :« Tu n’étais pas aux funérailles, tu seras aubaptême ! » Il y a quarante ans que je suis avecTreguern ; j’ai pris le sentier du manoir comme le commandeurMalo me l’avait ordonné. Ici près, au bout de l’avenue, j’aientendu qu’on tirait les barres de la grand-porte.

« Coûte que coûte, me suis-je dit, jeservirai Treguern jusqu’à la dernière heure !

« Et j’ai prie mon élan pour franchir laporte ouverte.

« Est-ce Satan qui voyage par la tempêtesur un cheval noir comme la nuit ? Malo ne m’avait-il pasparlé de l’Esprit du mal ? Qui avait ouvert lagrand-porte ? Je ne peux pas le dire, car il n’y a que desfemmes au manoir, et les barres sont lourdes, même pour la maind’un homme. Un éclair a embrasé le ciel ; j’ai vu ce cavalierqui m’avait interrogé sur la lande, grand comme un géant et toutsombre au milieu de la lumière éblouissante…

— L’Homme noir ! murmura VincentFéru.

Et un frisson courut autour de la table,tandis que toutes les voix effrayées répétaient :

— L’Homme noir !

— Il a passé le seuil, poursuivit le bonhommeClaude, et la porte a retombé au moment où j’allais entrermoi-même. Avant de partir, j’avais détaché les deux dogues ;l’an passé, les deux dogues ont étranglé ce larron qui escalada lesmurailles de la cour ; les deux dogues n’ont pas mêmeaboyé !

— C’est que les deux dogues connaissaientl’Homme noir ! conclut Vincent Féru.

Le pauvre Claude embrassa un autre pichet.

— Moi, je dis, murmura-t-il entre deux rasadescopieuses, que le démon est comme les deux dogues deTreguern : on l’a déchaîné. Il y a des menaces de mort autourde nous, et vous verrez que plus d’un banc sera vide à lagrand-messe de demain dimanche…

………………………………………………………………………………………

La veillée était finie depuis longtemps etl’horloge, dont les rouages grondaient dans son armoire de chênesculpté, avait sonné la demie de onze heures. On entendait encorele vent siffler dans les arbres du pâtis et pleurer par les fentesdes fenêtres, mais la pluie faisait trêve. Les amis et voisinsavaient profité de l’éclaircie pour regagner leurs demeures. Pelole vannier, Mathelin, Vincent Féru et les autres étaient partisavec le père Michelan, qui n’avait pas manqué de leur dire enroute : « Ce n’est pas des temps pareils qui ferontgrainer le blé noir ! »

À l’intérieur de la ferme, les valets et lesservantes s’étaient juchés dans leurs nids respectifs. On avaitdonné au pauvre Claude une bonne place sur la paille de l’étable.Personne n’avait trop songé au soldat sommeillant sur sonescabelle, les pieds dans les cendres éteintes ; l’hospitalitébretonne est ainsi, elle ne refuse point, mais elle offrepeu ; l’hôte a juste ce qu’il demande. Si vous vous endormezau coin du feu dans une ferme morbihannaise, vous ne serez éveilléque par le bruit du travail matinier.

Ce qu’on veut, on le réclame : telle estla règle.

Comme le soldat n’avait rien demandé, on nelui avait rien donné.

Ailleurs, on s’inquiéterait peut-être, à unautre point de vue, d’un homme qui resterait seul à dix pas du litd’une femme, après le départ des voisins et des valets ; mais,dans ce pauvre bon pays, les voleurs sont rares et il n’y a pointde méfiance.

Quand bonne personne Marion Lécuyer fut seule,elle se mit à genoux devant le bahut guilloché qui servait demontoir à sa couche. Elle pria pour la maison de Treguern et pourBon frère Étienne à qui elle avait presque servi de mère. C’étaittout ce qu’elle aimait en ce monde. Hélas ! la maison deTreguern suivait la pente fatale où l’entraînait la destinée, etquant à Étienne qui était à la guerre, la digne Marion avait tropde sang breton dans les veines pour ne pas croire aux tristesprésages. Tant de jeunes gars étaient partis ainsi, beaux et bravescomme Étienne, pour ne jamais revenir !

En faisant sa prière, Marion Lécuyerpleurait.

Elle se releva enfin, essuyant ses paupièresrougies, et, consolée un peu par son oraison fervente, elle tira lacorde qui ouvrait les gros rideaux de son lit. Avant d’y monter,cependant, elle tourna d’instinct un dernier regard vers la placeoù le bleu dormait.

Marion, au moment de faire sa prière, l’avaitlaissé assis sur l’escabelle. Elle le retrouva debout. Soit que lesyeux de la métayère fussent troublés par les larmes, soit que lalueur de la résine n’éclairât point suffisamment la chambre, ellene pouvait distinguer ses traits.

— L’homme, dit-elle avec un commencementd’inquiétude, la faim vous est-elle venue en dormant et vousfaut-il maintenant à souper ?

L’inconnu fit un signe de tête négatif. Larésine en ce moment se prit à pétiller et rendit une lumière plusvive. Les mains de Marion tremblèrent ; elle eut comme unevision.

— J’ai trop pleuré, murmura-t-elle. La fièvreest dans mes yeux !

Puis elle reprit, car la flamme de la résineavait baissé et le visage de l’inconnu rentrait dansl’ombre :

— L’homme, vous faut-il un lit, ou voulez-vousqu’on vous ouvre la porte afin de continuer votre voyage ?

— Je n’ai pas besoin de lit, répondit lesoldat : cette nuit je ne dormirai point ; mais je necontinuerai pas non plus mon voyage, parce que je suis arrivé.

La métayère joignit ses mains froides et lesappuya contre sa poitrine.

— Seigneur Jésus ! murmura-t-elle, est-cequ’ils m’ont rendue folle avec leurs histoires demalheur ?

— Que Dieu vous garde, ma sœur Manon !dit le soldat, qui décrocha la résine et la mit au-devant de sonvisage, vous n’avez pas oublié votre frère !

Les jambes de la bonne femme chancelèrent sousle poids de son corps. Elle tendit ses bras en avant, et le jeunesergent fut obligé de s’élancer pour la soutenir contre sapoitrine.

— Étienne ! disait-elle en le contemplantà travers ses larmes, le fils de notre bien aimée mère ! Béniesoit la sainte Vierge pour avoir exaucé ma prière, car j’ai craintun instant, mon frère, mon frère chéri, de ne plus jamais terevoir !

Étienne la pressait sur son cœur ; ill’appelait sa sœur et sa mère. Les yeux de Marion tombèrent sur lamanche vide qui se rattachait au revers de l’uniforme. Elle baissala tête et ne parla point. Étienne comprit son silence etmurmura :

— Ma sœur, que la volonté de Dieu soitfaite ! Nous n’avons pas le temps de nous occuper de nous.

— C’est vrai ! s’écria la métayère, quile regarda inquiète. Tu m’as dit que tu ne te coucherais pas cettenuit. Pourquoi m’as-tu dit cela ?

— Parce que j’ai entendu, répliqua Étienne,comme on parle maintenant, à la veillée, de ceux qui étaient nosmaîtres.

— Ah ! fit Marion, tu ne dormais donc paslà, sous le manteau de la cheminée ?

— Je veillais, et je n’ai pas perdu uneparole.

Le front pâle du jeune sergent s’étaitredressé.

— Ma sœur ! ma sœur ! dit-il d’unevoix lente et pleine de tristesse, il n’y avait que toi ici pourdéfendre le nom de Treguern !

— Mais maintenant nous serons deux, n’est-cepas ? s’écria la vaillante femme, qui mit le poing sur lahanche avec défi ; et gare aux misérables lâches qui ontattendu la mort de Filhol pour insulter sa veuve !

— Oui, ma sœur, nous serons deux, répondit lejeune sergent ; tant qu’il y aura du sang dans mes veines, cesang-là, jusqu’à la dernière goutte, appartiendra aux enfants deTreguern. Mais ils disaient vrai, les gens de la veillée :Geneviève a donné un fils à Treguern.

Marion Lécuyer recula d’un pas.

— Et c’est toi, s’écria-t-elle, c’est toi quidis cela, Étienne, mon frère !

— Ma sœur, interrompit le jeune sergent, cen’est pas pour mentir que les morts sortent de leurtombe !

La métayère baissa la tête.

— C’est donc bien vrai que le défunt Filholt’a parlé ? murmura-t-elle.

— Filhol m’a parlé. Je vais lui désobéir pourla première fois de ma vie. Je ne me coucherai pas sous votre toit,ma sœur, parce qu’il faut que j’entre, cette nuit, au manoir,malgré la défense de Treguern !

Marion Lécuyer se prit à trembler de tout soncorps.

— Tu ne feras pas cela, mon frère,s’écria-t-elle, tu as bien entendu ce qu’on a dit : l’Hommenoir… l’esprit du mal a franchi le seuil du manoir !

— J’en sais déjà trop, pour ne pas allerjusqu’au fond de ce mystère. Il y a un homme dans la maison deTreguern. Je veux savoir qui est cet homme et ce qu’il fait chez laveuve de mon frère !

— La porte est close, objecta faiblementMarion Lécuyer, on ne l’ouvrira pas.

— L’issue que nous prenions autrefois pourentrer chez Treguern est-elle condamnée ? demanda Étienne.

La bonne femme croisa ses bras sur sapoitrine.

— Si je te priais de rester avec moi cettenuit, murmura-t-elle avec caresses, Étienne, mon cher enfant, merefuserais-tu ?

— Je vous refuserais, ma sœur chérie.

Marion Lécuyer prit elle-même la résine.

— Viens donc, dit-elle, et que Dieu soit avectoi !

Elle passa derrière son lit. Dans la ruelle,il y avait une petite porte qu’elle ouvrit ; elle remit larésine à Étienne, qui la baisa au front et s’engagea dans un étroitcorridor.

Marion Lécuyer referma la porte derrière luiet resta en prières sur le seuil.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer