Une Histoire de revenants

Chapitre 12LA COMTESSE TORQUATI

 

Le baron Brocard, parce qu’il était de Paris,et Mr de Champeaux, parce qu’il venait de province, eurent la mêmepensée et le même sourire.

— Bon ! s’écrièrent-ils tous les deux àla fois : Mr Stéphane va nous fausser compagnie !

— Voilà qui va parler plus haut que lespressentiments, grommela le chevalier de Noisy, et c’est ainsi quecommencent toutes les méchantes aventures !

Stéphane avait changé de couleur en ouvrant lebillet ; la joie pétillait dans ses yeux.

— Excusez-moi, messieurs, dit-il du bout deslèvres.

Et, sans en dire plus long, il piqua des deux.Son beau cheval bondit en avant ; trois secondes après, ilavait disparu au tournant de l’allée.

— Ah ça ! dit Champeaux, il faut avoirpitié de moi, à la fin. J’arrive de ma Normandie, et les choses lesplus simples me font l’effet d’énigmes insolubles. Qu’est-ce quec’est que ce Stéphane, et qu’est-ce que c’est que ceFeuillans ?

Brocard et Noisy se regardèrent comme s’ils sefussent renvoyés mutuellement la charge de répondre à cette doublequestion.

— Quelque métier qu’ils fassent, disaitcependant Champeaux, qui restait sous le coup de son admiration,ils ont diantrement bonne tournure tous les deux !

— Pour vous expliquer en détail ce que c’estque Feuillans, dit le chevalier de Noisy après un silence, ilfaudrait une séance de plusieurs heures… et encore vous ne sauriezque ce qui se dit dans le monde. En gros, Feuillans est un hommetrès à la mode, riche, à ce qu’il paraît, dès à présent, et devantposséder sous peu, à ce qu’on affirme, une fortune absolumentcolossale. On ne sait pas d’où il vient, mais il est accepté encour. Son nom est de ceux qu’on ne discute point, parce qu’il sonnebien aux oreilles profanes et que les adeptes le placentfranchement dans le domaine de la fantaisie. Quelques personnesoisives ont pris la peine de broder un roman sur le mystère de sonexistence. Il a, dit-on, une étoile, comme César et Napoléon.Là-bas, je ne sais où, en Bretagne, au fond de quelque cantonperdu, tout plein de fantasmagories et de légendes, il a faitconstruire un palais que voudraient habiter les fées. Autour de cepalais, il ne possède pas un pouce de terre, mais il attend cettegigantesque fortune que doit lui léguer bientôt son étoile pouracheter vingt lieues carrées de pays…

— C’est un fou ? interrompit Champeaux,qui ouvrit de grands yeux.

— Non pas, assurément !

— C’est un chevalier d’industrie ?

— Ne répétez jamais ce mot qui vous feraitlapider par les plus jolies mains de Paris !

— Alors dans quelle catégorie leplacez-vous ?

— Je le place, répondit Noisy avec son grandsérieux, dans la catégorie des gens qui ont un démon familier. Onne lui connaît aucune fortune et il accomplit au vu et au su detout le monde un véritable tour de force financier. Il a toujoursfait tout ce qu’il a voulu, et le voilà qui va, dit-on, épouserOlympe de Treguern, qui est la reine de beauté de nos salonsparisiens et que le testament de feu Mr le marquis du Castellatfait une des plus riches héritières du vrai monde. Voilà lepositif, personne ne vous en pourrait dire plus long.

— Mais ce tour de force financier ?

— Il est assuré depuis vingt ans auCampbell-Life pour une prime annuelle de cent millefrancs, il a toujours payé et l’assurance arrive à son terme.

Champeaux enfla puis vida ses joues d’un airqui voulait dire : « Ah ! peste ! je voudraisbien être à sa place ! » Puis il demanda :

— Et Stéphane ?

— Oh ! Stéphane, s’écria le baronBrocard, c’est une autre affaire. Puisque nous parlions tout àl’heure du Vampire, et à supposer que Feuillans soit unpetit Vampire, Stéphane est ce blondin, beau comme l’Amour, douéd’un caractère naïf et généreux, qui vient au cinquième actearrêter la victime sur le bord du précipice. On le tue, le blondin,très cruellement, deux ou trois fois, s’il le faut, pour lesnécessités de l’intrigue ; mais il ressuscite toujours afinque la vertu soit récompensée au dénouement. J’ai cru voir à ladernière soirée de la marquise les yeux de la belle Olympe, lafiancée de Feuillans, fixés sur Stéphane…

— Baron, interrompit Noisy le Sec avecgravité, je ne sais pas pourquoi tout l’esprit que vous avez mesonne aujourd’hui faux à l’oreille. Il y a une menace sur ce jeunehomme. Je ne peux pas dire que je le sais, mais je le sens.

— Eh bien ! chevalier, pour vous plaire,je vais fermer les écluses de mon esprit. Aussi bien Stéphane estun charmant garçon que j’aime autant que vous pouvez l’aimer.J’achève donc, en deux mots, son histoire : voici quelquedix-huit mois qu’il est arrivé à Paris de Bretagne. Il avait lajolie figure que vous savez et une centaine de louis dans sonportefeuille. Une lettre de recommandation qu’il apportait luidonna entrée à l’hôtel du Castellat. Je me souviens très bien del’avoir vu dans un coin du salon, immobile et tout embarrassé de sapersonne, contempler la belle Olympe de loin avec une admirationtimide. Un soir, la belle Olympe ne vint point au bal de lamarquise, sa tante : cela lui arrive quelquefois, et cettebelle Olympe, soit dit en passant, n’est pas un des mystères lesmoins piquants de l’hôtel du Castellat, tout rempli de mystères.Notre Stéphane, ce soir-là, se laissa entraîner à une table dejeu : on joue très cher à l’hôtel du Castellat : notreStéphane gagna sans trop s’en rendre compte je ne sais plus quellesomme fabuleuse. Le lendemain, les perdants demandèrent larevanche ; Stéphane s’y prêta galamment ; il gagna deuxfois plus que la veille. Et notez qu’il n’y a qu’une voix pourreconnaître qu’il n’a jamais touché les cartes qu’une seule fois desa propre volonté. Cependant, de revanche en revanche, il s’esttrouvé dans un charmant hôtel des Champs-Élysées, avec une écuriebien montée, cinquante mille écus dans son secrétaire, un train demaison à l’avenant et une réputation de joueur malgré lui qui lepose en petit héros de roman et lui donne une place à part dansnotre monde… Voilà !

Le baron Brocard plaça ce mot en guise depoint final, et nos cavaliers se reprirent à trotter, saluant àdroite et à gauche, humant la poussière à plein gosier, enfin sedivertissant comme de vrais gentlemen.

Il est certain que les oreilles de Stéphane netintaient point pendant qu’on parlait ainsi de lui. Stéphane avaitoublié ses trois compagnons aussi parfaitement que s’il ne lesavait point vus depuis un siècle. Stéphane galopait comme un foudans les allées de traverse pour éventer son front brûlant. Iltenait encore à la main le billet qu’il avait lu d’un seulregard.

Le billet disait : « Quelque chosevous menace, prenez garde. Mon frère et l’avocat de Bretagnearrivent ce soir, huit heures : Messageries de la rue duBouloi. »

Au bas de l’écriture, il y avait un nom :Valérie.

Le baron Brocard n’avait pourtant parlé que dela belle Olympe. Et y avait-il donc dans ces deux lignes de quoifaire Stéphane si joyeux ?

Puisque Champeaux était en train d’interroger,il aurait bien pu demander aussi, ce semble, qui était cette blondecomtesse qui portait un nom italien et dont les cheveux n’avaientcertes point pris leurs reflets sous l’ardent soleil d’Italie.C’était encore une chose à savoir, et la comtesse Torquati valaitbien Mr de Feuillans ou le petit Stéphane.

Sa calèche continuait de suivre la route deBagatelle. Elle faisait sensation ; partout, sur son passage,on voyait les dames chuchoter, et si quelque autre provincial, pluscurieux que Champeaux, demandait l’histoire de cette solitaire,fièrement parée dans sa simplicité, la réponse était toujours lamême :

— C’est la belle-sœur de la marquise duCastellat, c’est la veuve du dernier Treguern ; elle a épouséen secondes noces le comte Torquati.

— Et le comte Torquati ?

— On ne l’a jamais vu.

Le badaud remarquait alors la sombre robe del’attelage, les émaux lugubres de l’écusson qui timbrait lespanneaux de la calèche. Il remarquait que la blonde avait uneceinture noire à sa robe blanche, et sur sa guimpe une croix dejais. C’était, parmi tout ce brillant et sous cette élégance, commeune pointe de deuil qui perçait.

La comtesse Torquati semblait ne point prendregarde à l’attention dont elle était l’objet ; ses yeux étaientà demi-fermés ; la rêverie alanguissait son beau front. Aumoment où ses chevaux traversaient le rond-point, un jeune garçonque nous aurions pu reconnaître pour l’avoir vu déjà accomplir unautre message, vint vers elle en courant et lui dit :

— Elle vous attend devant les fossés de laMuette.

La comtesse Torquati se redressa et ses grandsyeux bleus brillèrent.

— À la Muette ! au galop ! dit-elleà son cocher.

Les deux chevaux noirs, touchés par le fouet,bondirent ; la poussière soulevée dessina un long nuage autravers du rond-point, et les badauds durent chercher quelque autrechose à voir, car l’équipage de la comtesse Torquati n’était déjàplus qu’un point confus dans la perspective de l’allée.

On sait que le caprice de lamode parisienne n’adopte jamais qu’un tout petit coin à la foisdans les lieux qui sont dévolus au plaisir. Le bois de Boulogne estgrand ; la mode y trace ses limites, selon les temps. En 1820,l’allée de Longchamp bornait l’empire de la mode. Personne nes’égarait au sud-ouest du bois, parce que tout le monde savait bienque là on pouvait se promener à l’aise. La Muette allait avoir sonrègne, mais pour le moment elle était aussi loin de Bagatelle quePézenas ou Quimper-Corentin.   Si la fantaisie de labelle comtesse Torquati était de s’égarer vers ces latitudesbiscornues, la foule ne pouvait point la suivre dans cette voie. Aubout de dix minutes, la calèche glissait sur le sable d’une alléedéserte : sans quitter le bois de Boulogne, la comtesse étaità vingt lieues de Paris. Elle vit à travers le feuillage léger desacacias ces opulents panaches de fleurs qui tombaient sur lesfossés de la Muette. Une jeune fille vêtue en amazone et que nousn’eussions point eu de peine à reconnaître traversa au galop lapelouse en agitant le mouchoir qu’elle tenait à la main. Elle entradans le massif situé à gauche de l’enclos de la Muette. La comtesseTorquati ordonna d’arrêter et mit pied à terre.

Le chasseur demanda s’il devait suivremadame la comtesse. Il lui fut répondu que non. Madame la comtessese dirigea vers les fossés, dont elle admira un instant la crêtefleurie, puis elle suivit la pelouse à pas lents et entra dans lemassif où avait disparu la jeune fille. L’instant d’après, nous leseussions retrouvées toutes les deux, la comtesse et la jeune fille,sur l’herbe verte, au pied d’un grand arbre. La comtesse étaitassise : la jeune fille s’agenouillait devant elle et livraitsa tête souriante à ses baisers. La comtesse disait d’une voix quel’émotion faisait trembler :

— Olympe ! Olympe ! que jet’aime et que les heures me semblaient lentes durant tonabsence !

La jeune fille avait rejeté en arrièrele voile qui lui couvrait le visage et montrait maintenantl’exquise beauté de ses traits. Elle paraissait avoir vingt ans àpeine. C’était une brune et l’azur foncé de ses yeux semblait noirquand ses paupières fermées à demi abaissaient la longue frange deleurs cils. Elle tenait les deux mains de la comtesse presséescontre ses lèvres.

— Regarde-moi ! que je te voie biencomme il faut ! murmurait celle-ci, qui avait les larmes auxyeux ; Dieu n’a pas voulu que j’eusse la joie des mères, moiqui ne vis que par mes enfants !

— Si tu le voyais, dit la jeune fille,qui se prêtait, tout heureuse, à ses caresses, comme turemercierais le Ciel !

— C’est vrai, tu arrives de Bretagne. Tul’as vu, toi ! parle-moi de lui bien vite. Est-ilbeau ?

— Il te ressemble.

— Est-il bon ?

— Je te dis qu’il te ressemble, il a tonvisage et ton cœur. Il est bon, il est simple, il est franc. Il estbrave comme un lion, et le frôlement d’une feuille le faisaitfrissonner dans la nuit. Tant de terreurs superstitieuses ont planéau-dessus de son berceau ! Il a entendu tant de fois la voixqui parle sous la Tour-de-Kervoz !

— Sera-t-il assez fort pour porter lenom de son père ? demanda la comtesse, dont le regard sechargea d’inquiétude.

Olympe eut un sourire.

— Aujourd’hui, répliqua-t-elle, ce n’estqu’un pauvre petit paysan. Demain, si vous le voulez tous, ce seraun chevalier !

La comtesse se redressa et mit ses deuxmains sur les épaules de la jeune fille pour la regarder enface.

— Mais tu me parles de lui, dit-elle,comme s’il n’y avait plus ni doute ni mystère. Es-tu donc bien sûrede savoir que c’est lui ?

— J’en suis sûre, dit Olympe, qui baissales yeux.

— Et l’autre ? murmura lacomtesse.

Une nuance rosée vint aux jouesd’Olympe.

— L’autre ? Stéphane ?dit-elle en contenant sa voix. Stéphane aussi est bon et brave. Unefois qu’on accusait Geneviève de Treguern… car il y a desmisérables qui t’accusent, ma mère, il se mit seul contre tous etimposa silence aux calomniateurs. Mais Stéphane n’est pas ton fils,non, non, c’est Tanneguy qui est mon frère !

Un mot se pressait sur les lèvres de lacomtesse Torquati. Elle ne le prononça point.

— Olympe, dit-elle pour détournerl’entretien, les trois hommes, le comte, le marchand de diamants etle docteur sont à Paris, le sais-tu ?

— Je les ai vus, ma mère.

— Dans le fiacre ?

— Dans le fiacre.

— Étaient-ils en même temps que toi àOrlan ?

— Oui… puis ils sont allés en Allemagne,du côté de Cologne.

— Et qu’as-tu fait durant tout ce tempsoù je ne t’ai point vue ?

— J’ai obéi aux troishommes. Le jour de mon arrivée à Redon je trouvai, comme on mel’avait annoncé, le commandeur Malo qui m’attendait sur laGrand-Lande. Il me conduisit chez une vieille femme appelée MarionLécuyer. Quand il lui dit mon nom, elle me baisa les deux mains enpleurant, mais son intelligence, usée par la souffrance, trahit sonbon vouloir, et je ne pus rien tirer d’elle, sinon qu’elle avait euen sa vie ce grand honneur d’être la marraine d’un Treguern.Pendant que je lui parlais, le commandeur me dit à l’oreille :« Hâte-toi, car tu ne la verras qu’une fois ; le voileest là ! »

— Le voile ! répéta la comtessefrémissante ; et la vieille femme mourut, n’est-cepas ?

— Elle mourut avant la fin de lanuit.

La comtesse passa le revers de sa mainsur son front.

— Marion Lécuyer, murmura-t-elle, étaitla sœur aînée d’un serviteur qui nous aimait bien.

— L’homme sans bras ? demandaOlympe.

La comtesse la regarda,étonnée.

— Je croyais ne t’avoir jamais parlé decela ! dit-elle.

— Il se nomme Étienne,continua Olympe, qui semblait suivre la pente de sa rêverie, il futaccusé du meurtre commis au Trou-de-la-Dette dans la nuit du 15août 1800. Je le cherche ; s’il n’a pas rendu son âme à Dieu,je le retrouverai, j’en réponds.

— Mais il était innocent ! s’écriala comtesse, qui se méprit sur le sens de ces paroles.

— N’était-il qu’innocent ? prononçatout bas la jeune fille ; les grandes races doivent êtrereconnaissantes. Je pense que vous vous souvenez tous de ce que cetÉtienne a fait pour Treguern ?

La comtesse garda un instant le silence,puis elle répondit, en baissant les yeux :

— Moi, je m’en souviens, mafille.

— Toi, ma mère chérie, s’écria Olympe encouvrant ses mains de baisers, il faut t’aimer à deux genoux, etc’est toi qui me consoles de mon lot dans la vie ! Je saisbien, que tu es bonne et sainte. Je sais bien que tu te mettraisentre moi et le mal. Mais n’as-tu point un bandeau sur les yeux, mamère ? Les desseins de ces trois hommes dans les mains de quitu m’as placée comme un instrument docile, ma mère, lesconnais-tu ?

Le front de la comtesse s’étaitassombri.

— Les voies de Dieu sont cachées,enfant, murmura-t-elle ; il y a des instruments que laProvidence choisit pour exécuter l’arrêt de la justice.

Olympe secoua la tête.

— Quand Étienne fut accusé de meurtre enl’an 1800, dit-elle, il y eut un jeune avocat qui le défenditgénéreusement, alors que tout le monde l’abandonnait. Cet avocat apris de l’âge, mais il se souvient d’avoir juré autrefois qu’avantde mourir il sonderait le fond de ce mystère.

— Ah ! fit la comtesse vivement,prends garde, Olympe, pauvre enfant ! toi aussi tu as soif desavoir ! toi aussi tu voudrais sonder le fond dumystère !

— C’est vrai, je le voudrais, repartitOlympe.

— Et pour arriver là, ma fille, teferais-tu l’adversaire de ceux à qui tu doisrespect ?

— Mr Privat, dit Olympe au lieu derépondre, n’a de haine que pour le mensonge et le crime.

— Tu l’as donc vu, lui aussi, l’ancienavocat d’Étienne ?

— Oui, ma mère.

— Tu lui as parlé ?

— Souvent et longtemps.

— Prends garde ! répéta lacomtesse, qui était devenue plus pâle.

On eût dit que le regard d’Olympevoulait descendre jusqu’au fond de son cœur.

— Le comte Torquati n’est pas mon père,n’est-ce pas ? demanda-t-elle brusquement.

— Non, répondit la comtesse après unsilence : tu es Treguern.

Puis elle ajouta en appuyant sa têtecontre ses mains :

— L’enfant qui aime bien sa mère nedoute pas d’elle ainsi.

Olympe se jeta à son cou en pleurant.Pendant quelques minutes, ce ne furent que larmes et caresses, puisla comtesse reprit :

— Et le registre desnaissances ?

— Mr Privat m’a menée au presbytèred’Orlan, répondit Olympe, j’ai feuilleté le registre desnaissances. À la date du 16 août 1800, il y a une pagearrachée.

La comtesse croisa ses bras sur sapoitrine.

— À la mairie, poursuivit Olympe, laseule naissance portée au registre, le 16 août de la même année,est celle de Stéphane, père et mère inconnus. On dit là-bas… maisréponds-moi, ma mère ; est-il vrai que la marquise duCastellat, ma tante, chez qui tu veux que je demeure, ait été lafemme de Mr de Feuillans ?

— C’est vrai, dit la comtesse avecrépugnance.

— Comment, alors, put-elle épouser Mr lemarquis du Castellat ?

— Le premier mariage étaitnul.

— Et comment enfin, demanda encoreOlympe, madame la marquise put-elle consentir aux noces projetéesentre ce même Gabriel et notre bien-aiméeLaurence ?

La comtesse hésita, puis elledit :

— Marianne est une malheureuse âme quine s’appartient plus. Elle n’avait pas mauvais cœur, mais elle aété élevée par douairière Le Brec : la femme qui ne croit pasen Dieu.

Elle secoua la tête etajouta :

— La page arrachée, on m’en avait parlédéjà. Douairière Le Brec doit être bien vieille ; avec lesannées, le repentir vient parfois. Si tu l’avaisinterrogée…

— J’ai interrogé douairière Le Brec, ditOlympe. Celle-là ne se repentira jamais. Mais ce n’est pas elle quej’accuse, ma mère. Il y avait en ce temps au presbytère d’Orlan unhomme…

— Gabriel ! interrompit lacomtesse ; celui-là, tu le hais :

— Gabriel ! répéta Olympe, dont lesyeux eurent un éclair, Gabriel que vos amis entourent d’uneprotection mystérieuse, Gabriel à qui on fait une route sansobstacles, Gabriel — Mr de Feuillans ! — à qui on va me dire,bientôt peut-être, de donner ma main. Faudra-t-il encoreobéir ?

La comtesse mit sa joue sur la bouched’Olympe et la fit muette ainsi.

— Folle et révoltée ! dit-elle enessayant de sourire ; on veille sur toi, ne veux-tu riendonner à l’espérance de voir renaître la gloire de tes pères ?Ne peux-tu fermer les yeux et te laisser guider par ceux quit’aiment ?

— Qui m’aiment ! répéta Olympeamèrement, je suis l’esclave de ces trois hommes à qui tu m’asordonné d’obéir. S’il leur fallait mettre le pied sur moi pourpasser, ils m’écraseraient sans remords.

Tout à coup elle se releva.

— Il est tard, dit-elle. Ma mère,n’as-tu plus rien à me demander ?

— Rien, répondit la comtesse, aime-moiet pense à moi !

Olympe donna son front aux lèvres de samère, et, pendant que celle-ci la baisait longuement, elle luidit :

— Si tu n’as plus rien à me demander,moi j’ai encore quelque chose à t’apprendre ; ma mère,prépare-toi à être heureuse : celui que tu aimes le mieux aumonde est tout près de toi !

— Celui que j’aime le mieux au monde,répéta la comtesse émue et tremblante, mon fils ! monTanneguy !

— Dans quelques heures tu le verras, mamère.

Olympe s’échappa des bras de lacomtesse, sauta sur son cheval et galopa vers les Champs-Élysées,où elle tourna l’allée des Veuves.

Nous l’eussions retrouvée, un quartd’heure après, dans la chambre qu’elle occupait à l’hôtel duCastellat, où une fillette à l’air éveillé dégrafait lestement lespencer de son amazone. Cette fillette ressemblait trait pour traitau petit garçon qui avait remis le pli à Stéphane et qui avaitenvoyé la comtesse Torquati devant les fossés du château de laMuette. Une robe de couleur sombre remplaça l’amazone d’Olympe, quidit :

— Vevette, je sors, dans une heure jereviendrai. Que tout soit prêt, mes fleurs, ma robe et mesbijoux : nous aurons juste un quart d’heure pour matoilette.

Olympe sortit par une porte donnant surle jardin, qu’elle traversa, et se trouva bientôt dans une rueétroite descendant à l’allée des Veuves et où se trouvait unevoiture de place. Olympe y monta et dit au cocher :

— Rue du Bouloi, auxMessageries !

La brune commençait à tomber.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer