AGATHA CHRISTIE LE BAL DE LA VICTOIRE

LE MYSTÈRE DES CORNOUAILLES

— Mrs. Pengelley, annonça notre logeuse avant de se retirer discrètement.

Bien des gens qu’on ne se serait jamais attendu à voir entreprendre pareille, démarche, venaient consulter Poirot, mais, à mon avis, la femme qui se tenait d’un air intimidé sur le seuil de la pièce, tripotant d’une main nerveuse son boa, était bien le genre de personne dont la visite surprenait le plus. Elle était si totalement insignifiante ! Maigre et terne, âgée d’une cinquantaine d’années, elle était vêtue d’un manteau et d’une jupe garnis de soutaches, portait une chaîne en or autour du cou, et un chapeau particulièrement laid surmontait ses cheveux gris. Dans une petite ville de province, on croise tous les jours dans la rue une centaine de Mrs. Pengelley.

Poirot s’avança vers elle et l’accueillit aimablement, conscient de son embarras.

— Veuillez vous asseoir, Madame, je vous en prie. Mon collaborateur, le capitaine Hastings.

Mrs. Pengelley s’assit en murmurant d’une voix mal assurée :

— Êtes-vous M. Poirot, le détective ?

— Pour vous servir, Madame.

Mais notre visiteuse était toujours muette. Elle soupira, se tordit les mains et s’empourpra de plus en plus.

— Puis-je faire quelque chose pour vous, Madame ?

— Eh bien, je pensais… enfin… voyez-vous…

— Continuez, Madame ; je vous en prie, continuez.

Mrs. Pengelley, ainsi encouragée, se ressaisit.

— Voilà, Monsieur Poirot… Je ne veux pas avoir affaire à la police. Non pour rien au monde, je n’irais trouver la police ! Et, cependant, quelque chose me préoccupe affreusement. Mais je ne sais pas si je devrais…

Elle se tut brusquement.

— Je n’ai rien à voir avec la police, lui dit Poirot. J’enquête strictement à titre privé.

Ce dernier mot retint l’attention de Mrs. Pengelley.

— Privé… c’est ce qu’il me faut. Je ne veux pas que cela s’ébruite ou qu’on en parle dans les journaux. Ils ont une façon si ignoble de dire les choses… après ça, la famille ne peut plus jamais marcher la tête droite. Et ce n’est pas comme si j’avais une certitude… C’est simplement une pensée horrible qui m’est venue, mais je ne peux plus la chasser de mon esprit. (Elle se tut un instant pour reprendre son souffle.) Et, aussi bien, je suis affreusement injuste envers ce pauvre Edward. De tels soupçons sont ignobles de la part d’une épouse. Mais, de nos jours, on lit tant d’histoires atroces de ce genre dans les journaux.

— Si je puis me permettre… est-ce de votre mari que vous voulez parler ?

— Oui.

— Et vous le soupçonnez de… quoi, au juste ?

— Je n’ose même pas le dire, Monsieur Poirot. Mais c’est vrai qu’on raconte des histoires de ce genre dans les journaux… et ces malheureux qui ne se doutent même de rien !

Je commençais à désespérer d’entendre un jour la brave femme en venir au fait, mais la patience de Poirot ne semblait pas se laisser entamer par la terrible épreuve qui lui était imposée.

— Parlez sans crainte, Madame. Pensez à la joie qui sera la vôtre si nous arrivons à prouver que vos soupçons ne sont pas justifiés.

— C’est vrai… tout vaut mieux que cette pénible incertitude. Oh ! Monsieur Poirot, j’ai l’horrible sentiment qu’on est en train de m’empoisonner.

— Qu’est-ce qui vous fait penser cela ?

Sa réticence l’abandonnant enfin, Mrs. Pengelley se lança dans une description détaillée de symptômes qui auraient davantage intéressé son médecin traitant.

— Douleurs et nausées après les repas, dites-vous ? murmura Poirot d’un air songeur. Vous êtes sans doute suivie par un médecin, Madame ? Qu’en pense-t-il ?

— Il dit qu’il s’agit d’une gastrite aiguë, Monsieur Poirot. Mais je vois bien qu’il est perplexe ; d’ailleurs, il modifie sans cesse le traitement, mais rien n’y fait.

— Lui avez-vous parlé de vos… craintes ?

— Non, bien sûr, Monsieur Poirot. Cela risquerait de s’ébruiter. Et peut-être s’agit-il bien d’une gastrite. N’empêche qu’il est très étrange que, chaque fois qu’Edward s’absente pour le week-end, je me sente de nouveau parfaitement bien. Même Fréda l’a remarqué… ma nièce, Monsieur Poirot. Et puis, il y a cette bouteille de désherbant qui n’a jamais servi, au dire du jardinier, mais qui est pourtant à moitié vide.

Mrs. Pengelley jeta un regard implorant à Poirot. Il lui sourit d’un air rassurant, puis il prit un bloc-notes et un crayon.

— Soyons précis, Madame. Vous et votre mari demeurez donc… ? Où habitez-vous ?

— À Polgarwith, une petite bourgade des Cornouailles.

— Vous y vivez depuis longtemps ?

— Quatorze ans.

— Et votre famille se compose de vous-même et de votre mari ? Pas d’enfants ?

— Non.

— Mais une nièce, avez-vous dit, je crois ?

— Oui, Fréda Stanton, la fille de l’unique sœur de mon mari. Elle a vécu avec nous ces huit dernières années… jusqu’à il y a une semaine.

— Ah ah ! Et que s’est-il passé il y a une semaine ?

— Depuis quelque temps, les choses n’allaient plus très bien. Je ne sais pas ce qui lui a pris. Elle est devenue grossière et impertinente, et d’une humeur épouvantable ; et, pour finir, un jour, elle a piqué une terrible colère et a fait ses valises pour aller s’installer seule, quelque part en ville. Je ne l’ai pas revue depuis. Il vaut mieux la laisser reprendre ses esprits ; c’est ce que dit M. Radnor.

— Qui est M. Radnor ?

Mrs. Pengelley parut de nouveau quelque peu gênée.

— Oh ! c’est… c’est simplement un ami. Un jeune homme très sympathique.

— Y a-t-il quoi que ce soit entre votre nièce et lui ?

— Non, absolument rien, répondit Mrs. Pengelley d’un ton catégorique.

Poirot changea de sujet.

— Vous et votre mari êtes, je présume, assez aisés ?

— Oui. Nous avons des revenus confortables.

— L’argent, est-ce le vôtre ou celui de votre mari ?

— Oh ! tout est à Edward. Moi, je ne possède rien.

— Voyez-vous, Madame, pour être efficaces, il nous faut être brutaux. Il nous faut chercher un motif. Votre mari ne vous empoisonnerait pas juste pour passer le temps ! Voyez-vous une raison particulière pour laquelle il pourrait souhaiter se débarrasser de vous ?

— Il y a bien cette petite garce blonde qui travaille pour lui, dit Mrs. Pengelley en élevant la voix. Mon mari est dentiste, Monsieur Poirot, et il s’est mis dans la tête qu’il lui fallait absolument une jolie fille coiffée court et en blouse blanche pour marquer ses rendez-vous et lui préparer ses plombages. J’ai entendu dire qu’il s’en est passé de belles, bien qu’évidemment, il me jure ses grands dieux qu’il n’en est rien.

— Cette bouteille de désherbant, Madame… qui l’a achetée ?

— Mon mari ; il y a environ un an.

— Pour en revenir à votre nièce, a-t-elle des revenus personnels ?

— Une rente de cinquante livres par an, je crois. Mais elle serait assez contente de revenir s’occuper de la maison et d’Edward si je le quittais.

— Vous avez donc envisagé de le quitter ?

— Je n’ai pas l’intention de le laisser n’en faire qu’à sa guise. Les femmes ne sont plus les esclaves opprimées qu’elles étaient autrefois, Monsieur Poirot.

— Je vous félicite de cet esprit d’indépendance, Madame. Mais, revenons-en aux choses pratiques. Comptez-vous retourner à Polgarwith aujourd’hui ?

— Oui. Je ne suis venue que pour la journée. Le train était à six heures, ce matin, et il repart à cinq heures de l’après-midi.

— Bien. Je n’ai rien de très important à faire en ce moment. Je puis donc me consacrer entièrement à cette enquête. Demain, je serai à Polgarwith. Nous pourrions dire que mon ami Hastings que voilà est un de vos parents éloignés, le fils de votre cousin par alliance. Quant à moi, je serais son ami étranger un peu excentrique. Entre-temps, Madame, ne mangez que les aliments préparés par vous-même ou sous votre surveillance. Vous avez une domestique en qui vous avez confiance ?

— Jessie est une très brave fille.

— À demain, donc, Madame, et courage !

Poirot raccompagna Mrs. Pengelley jusqu’à la porte et s’inclina, puis il revint d’un air pensif à son fauteuil. Sa concentration n’était pas si grande, cependant, car il ne manqua pas de remarquer à terre deux minuscules brins de plumes arrachées par la femme à son boa dans son agitation. Il les ramassa consciencieusement et alla les déposer dans la corbeille à papiers.

— Que pensez-vous de tout cela, Hastings ?

— Une sale histoire, dirai-je.

— Oui, si les soupçons de cette femme sont fondés. Mais le sont-ils vraiment ? Malheur au mari qui achète un flacon de désherbant, de nos jours ! Si sa femme souffre d’une gastrite et est un peu hystérique, cela suffit à mettre le feu aux poudres.

— Vous pensez que ce n’est rien de plus que cela ?

— Ah ! Voilà !… Je ne sais vraiment pas, Hastings. Mais cette affaire, m’intéresse ; elle m’intéresse même énormément. Car, voyez-vous, ce genre d’histoire n’est pas nouveau ; d’où l’hypothèse de l’hystérie. Pourtant, Mrs. Pengelley ne me donne pas l’impression d’être une hystérique. Oui, si je ne me trompe, nous nous trouvons en face d’une tragédie humaine des plus poignantes. Dites-moi, Hastings, quels sont, selon vous, les sentiments de Mrs. Pengelley à l’égard de son mari ?

— La loyauté luttant contre la peur, répondis-je.

— Pourtant, d’ordinaire, une femme accusera n’importe qui au monde… mais pas son mari. Elle continuera de croire en lui contre vents et marées.

— L’existence de « l’autre femme » ne complique-t-elle pas la situation ?

— Si. La jalousie peut très bien transformer l’affection en haine. Mais la haine pousserait Mrs. Pengelley à faire appel à la police ; pas à moi. Elle chercherait à déclencher un scandale. Non, non, faisons un peu travailler notre matière grise. Pourquoi est-elle venue me trouver. Pour obtenir la preuve que ses soupçons ne sont pas fondés ?… Ou pour s’assurer qu’ils le sont bien ? Il y a là quelque chose qui m’échappe ; un facteur inconnu. Notre Mrs. Pengelley ne serait-elle pas une magnifique comédienne ?… Non, elle était sincère. J’en jurerais ; et c’est la raison pour laquelle cette affaire m’intéresse. Regardez les horaires des trains pour Polgarwith, voulez-vous ?

Le train le plus pratique était celui qui partait de Paddington à une heure cinquante de l’après-midi et arrivait à Polgarwith un peu après sept heures du soir. Le voyage fut sans histoire et je dus interrompre mon agréable petit somme pour sauter sur le quai désert de la petite gare. Nous allâmes déposer nos sacs au Duchy Hotel et, après un léger repas, Poirot proposa une petite visite à ma prétendue cousine.

La maison des Pengelley était située un peu en retrait de la rue, dont elle était séparée par un petit jardin de curé. Une agréable odeur de giroflée et de réséda flottait dans l’air et il semblait difficile d’associer l’idée de violence à ce charme désuet. Poirot sonna et frappa à la porte. Puis, comme personne ne répondait, il sonna de nouveau. Cette fois, au bout d’un moment, une domestique échevelée vint nous ouvrir. Elle avait les yeux rouges et reniflait bruyamment.

— Nous voudrions voir Mrs. Pengelley, lui expliqua Poirot. Pouvons-nous entrer ?

La domestique nous dévisagea longuement. Puis, avec un franc-parler inhabituel chez une employée de maison, elle nous dit :

— Vous n’êtes donc pas au courant ? Elle est morte. Ça s’est passé ce soir ; il y a environ une demi-heure.

Nous restâmes un moment médusés.

— De quoi est-elle morte ? lui demandai-je enfin.

— Il y en a qui pourraient le dire, répondit-elle en jetant un rapide coup d’œil par-dessus son épaule. Si c’était pas qu’il faut que quelqu’un reste dans la maison pour veiller Madame, je ferais ma valise et je partirais ce soir même. Mais je ne veux pas la laisser comme ça avec personne pour la veiller. Ce n’est pas à moi de dire quoi que ce soit et je ne dirai rien… mais tout le monde est au courant. Toute la ville en parle. Et si Mr. Radnor n’écrit pas au Ministre de l’Intérieur, quelqu’un d’autre s’en chargera. Le docteur peut bien dire ce qu’il veut. Est-ce que j’ai pas vu de mes propres yeux le patron prendre le flacon de désherbant sur l’étagère, ce soir même ? Et est-ce qu’il a pas sursauté quand il s’est retourné et m’a vue en train de le regarder ? Et l’assiette de Madame qui était sur la table, prête à lui être apportée ! Pas un autre morceau de nourriture ne passera mes lèvres tant que je serai dans cette maison ! Même si je dois en mourir.

— Où habite le médecin qui soignait votre patronne ?

— Le docteur Adams ? Au coin de la rue, dans High Street. La deuxième maison sur la droite.

Poirot se détourna brusquement. Il était très pâle.

— Pour une fille qui ne devait rien dire, elle s’est montrée plutôt loquace, remarquai-je.

Poirot frappa la paume de sa main de son poing fermé.

— Un imbécile ! Un criminel imbécile, voilà ce que je suis, Hastings ! Je me suis vanté de pouvoir faire fonctionner ma matière grise et j’ai perdu une vie humaine, une vie qui était venue chercher le salut auprès de moi. Je n’aurais jamais cru qu’il arriverait quelque chose en si peu de temps. Que Dieu me pardonne ! En fait, je ne pensais même pas qu’il se passerait quoi que ce soit. L’histoire de cette femme me paraissait si peu vraisemblable… Nous voilà arrivés chez le docteur. Voyons ce qu’il va nous dire.

Le docteur Adams était le type même du brave médecin de campagne au visage rougeaud qu’on décrit dans les romans. Il nous reçut poliment, mais, dès que nous eûmes mentionné le but de notre visite, son visage déjà rouge devint cramoisi.

— Des âneries ! Ce sont des âneries qu’on raconte ! N’étais-je pas là pour la soigner ? Une gastrite, une simple gastrite. Cette ville est un nid de commères ; toutes ces vieilles colporteuses de ragots se réunissent et inventent. Dieu sait quoi. Elles passent leur temps à lire ces torchons de journaux à scandale et il faut absolument que quelqu’un de leur ville soit victime d’un empoisonnement. Elles voient un flacon de désherbant sur une étagère et hop ! voilà leur imagination qui galope ! Je connais Edward Pengelley… il n’empoisonnerait pas le chien de sa belle-mère. Et pourquoi irait-il empoisonner sa femme ? Pouvez-vous me le dire ?

— Il y a peut-être une chose, docteur, que vous ne savez pas.

Très rapidement, Poirot lui relata la visite de Mrs. Pengelley. On ne pouvait pas se montrer plus surpris que le brave homme. Les yeux lui sortaient presque de la tête.

— Bon sang de bonsoir ! éructa-t-il. La pauvre femme devait être folle ! Pourquoi ne m’a-t-elle rien dit ? C’était bien la première chose à faire.

— Pour que vous vous moquiez de ses craintes ?

— Pas du tout. Pas du tout. Je pense avoir l’esprit assez ouvert.

Poirot le regarda et sourit. Le brave médecin était apparemment plus troublé qu’il ne voulait l’admettre. Quand nous eûmes quitté sa maison, Poirot éclata de rire.

— Il est aussi têtu qu’une mule, celui-là. Il a décrété qu’il s’agissait d’une gastrite ; il ne peut donc s’agir que d’une gastrite ! N’empêche qu’il est dans ses petits souliers.

— Que faisons-nous à présent ?

— Nous rentrons à l’auberge pour passer une nuit épouvantable dans l’un de vos lits de province, mon ami.

La qualité de la literie en Angleterre est vraiment déplorable !

— Et demain ? demandai-je.

— Rien à faire. Nous n’avons plus qu’à rentrer à Londres et attendre la suite des événements.

— Ce n’est pas très excitant, dis-je, déçu. Et supposons qu’il n’y ait pas de suite ?

— Il y en aura une ; je vous le promets. Notre bon vieux docteur peut délivrer autant de permis d’inhumer qu’il le veut, il ne pourra pas empêcher des centaines de langues d’aller bon train. Et elles ne marcheront pas inutilement, vous pouvez me croire !

Notre train partait à onze heures le lendemain matin. Avant de nous mettre en route pour la gare, Poirot exprima le désir d’aller rendre visite à miss Fréda Stanton, la nièce dont nous avait parlé la malheureuse Mrs. Pengelley. Nous trouvâmes sans trop de difficulté la maison où elle avait emménagé. En sa compagnie se trouvait un grand jeune homme brun qu’elle nous présenta non sans quelque embarras comme étant Mr. Jacob Radnor.

Miss Fréda Stanton était une ravissante jeune fille au type cornouaillais, avec ses cheveux et ses yeux noirs et ses joues roses. Dans ces mêmes yeux noirs brillait un éclat qui traduisait une nature qu’il ne devait pas faire bon contrarier.

— Pauvre tante, murmura-t-elle lorsque Poirot se fut présenté et lui eut exposé la raison de sa visite. C’est affreusement triste. Depuis ce matin, je regrette de ne pas m’être montrée plus gentille et plus patiente avec elle.

— Tu en as pas mal supporté, Fréda, intervint Radnor.

— Oui, Jacob, mais j’ai un fichu caractère, je le sais. Après tout, ce n’était que sottise de la part de ma tante. J’aurais dû me contenter d’en rire et ne pas y prêter attention. Bien sûr, cette idée que mon oncle l’empoisonnait était absurde. C’est vrai qu’elle se sentait plus mal chaque fois qu’il lui servait quelque chose à manger ; mais je suis certaine que c’était psychologique. Elle s’attendait à éprouver des malaises et elle les éprouvait.

— Quelle était la cause exacte de votre mésentente, Mademoiselle ?

Miss Stanton jeta un petit coup d’œil hésitant en direction de Radnor. Celui-ci comprit aussitôt.

— Il faut que je me sauve, Fréda. À ce soir. Au revoir, Messieurs ; vous vous apprêtez à aller à la gare, je suppose ?

Poirot acquiesça et Radnor prit congé.

— Vous êtes fiancés, n’est-ce pas ? demanda Poirot à la jeune fille avec un petit sourire malicieux.

Fréda Stanton rougit et admit que c’était vrai, en effet.

— Et c’est bien pour cette raison que ma tante et moi nous heurtions toujours, ajouta-t-elle.

— Elle n’approuvait pas ce mariage ?

— Oh ! ce n’est pas tellement ça. Mais, voyez-vous, elle…

La jeune fille s’interrompit.

— Oui ? lui dit Poirot d’un ton encourageant.

— C’est une chose horrible à dire, maintenant qu’elle est morte. Mais vous ne comprendrez jamais si je ne vous explique pas la situation. Ma tante était follement amoureuse de Jacob.

— Vraiment ?

— Oui. N’est-ce pas ridicule ? Elle avait cinquante ans passés et il n’en a même pas trente ! Mais c’était ainsi. Elle était folle de lui. J’ai finalement été obligée de lui dire que c’était moi qu’il courtisait… et elle a fait une scène terrible. Elle n’en croyait pas un mot et m’a traitée de façon si grossière et injurieuse qu’il n’est pas étonnant que je me sois moi-même emportée. J’en ai discuté avec Jacob et nous avons pensé que le mieux à faire était que je quitte la maison pendant quelque temps, jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé ses esprits. Pauvre tante… je supposé qu’elle n’avait plus toute sa tête.

— C’est ce qu’il semblerait, en effet. Merci, Mademoiselle, de m’avoir si bien expliqué la situation.

Je fus un peu surpris de voir que Radnor nous attendait dans la rue.

— Je crois deviner ce que Fréda vous a dit, déclara-t-il. C’était une fâcheuse histoire, fort embarrassante pour moi, comme vous pouvez l’imaginer. Inutile de vous dire que je n’y suis pour rien. Au début, cela m’a fait plaisir parce que je m’imaginais que la vieille femme cherchait à me faciliter les choses auprès de Fréda. Tout cela était absurde… et extrêmement déplaisant.

— Quand comptez-vous vous marier, miss Stanton et vous ?

— Très bientôt, je l’espère. Monsieur Poirot, je vais être franc avec vous. J’en sais un peu plus long que Fréda. Elle croit son oncle innocent. Moi, je n’en suis pas si sûr. Mais je puis vous dire une chose : je n’irai pas raconter ce que je sais. Inutile de réveiller le chat qui dort. Je ne tiens pas à voir l’oncle de ma femme jugé et pendu pour meurtre.

— Pourquoi me dites-vous tout cela ?

— Parce que j’ai entendu parler de vous, et je sais que vous êtes un homme astucieux. Il se peut que vous découvriez des preuves de sa culpabilité. Mais, je vous le demande, à quoi cela servirait-il ? On ne peut plus rien pour la pauvre femme et elle aurait été la dernière personne à vouloir le scandale ; à cette seule idée, elle se retournerait dans sa tombe !

— Vous avez sans doute raison sur ce point. Vous voulez donc que… je garde le silence ?

— C’est cela, oui. J’avoue franchement que c’est un point de vue égoïste. Mais j’ai ma vie à faire… et ma petite boutique de tailleur commence à bien marcher.

— La plupart d’entre nous sommes des égoïstes, Mr. Radnor. Mais nous ne sommes pas tous prêts à l’admettre aussi facilement. Je ferai ce que vous me demandez… mais je vous le dis franchement : vous ne parviendrez pas à étouffer l’affaire.

— Pourquoi donc ?

Poirot leva un doigt. C’était un jour de marché et nous étions justement à proximité du marché couvert, d’où s’échappait un bourdonnement confus.

— La voix du peuple, voilà pourquoi, Mr. Radnor… Bon, à présent, nous devons courir, si nous ne voulons pas manquer notre train.

— Très intéressant, vous ne trouvez pas, Hastings ? me demanda Poirot tandis que le train quittait la gare.

Il avait sorti un petit peigne de sa poche, ainsi qu’une glace microscopique, et il peignait soigneusement ses moustaches dont la symétrie avait été légèrement dérangée par notre course folle.

— C’est peut-être votre avis, répondis-je, maussade. Mais pour moi, tout cela est plutôt sordide et désagréable. Il n’y a même aucun mystère.

— Je suis d’accord avec vous ; il n’y a pas le moindre mystère.

— Je suppose que nous devons croire l’histoire extraordinaire que nous a racontée la jeune fille à propos de la toquade de sa tante ? Pour ma part, c’est le seul point qui me laisse perplexe. Cette femme avait l’air si respectable…

— Il n’y a rien d’extraordinaire à cela ; c’est une chose tout à fait courante. Si vous lisez attentivement les journaux, vous verrez qu’il arrive souvent qu’une femme respectable de cet âge quitte son mari après vingt ans de mariage et abandonne parfois même de nombreux enfants pour unir sa vie à celle d’un homme beaucoup plus jeune qu’elle. Vous admirez les femmes, Hastings ; vous vous prosternez devant toutes celles qui sont jolies et ont le bon goût de vous sourire ; mais vous n’entendez absolument rien à la psychologie féminine. À l’automne de sa vie arrive toujours un moment de folie où une femme aspire à vivre une aventure romanesque… avant qu’il ne soit trop tard. Et elle ne fait certainement pas exception à la règle parce qu’elle est l’épouse d’un respectable dentiste de province !

— Et vous pensez…

— Qu’un homme intelligent peut profiter d’un tel moment.

— Je ne trouve pas Pengelley si intelligent. Il a toute la ville sur le dos. Et, cependant, je suppose que vous avez raison. Les deux seuls à savoir quelque chose, Radnor et le docteur, veulent tous deux étouffer l’affaire. Il a tout de même réussi cela. J’aurais bien aimé le voir, ce type.

— Rien ne vous en empêche. Retournez là-bas par le premier train et inventez-vous une rage de dents.

Je dévisageai Poirot avec attention.

— J’aimerais bien savoir ce que vous trouvez de si intéressant dans cette affaire.

— Mon intérêt a été éveillé par une réflexion très juste de votre part, Hastings. Après notre entretien avec la domestique, vous avez remarqué que pour quelqu’un qui ne devait rien dire, elle nous en avait dit beaucoup.

— Ah ! m’exclamai-je d’un air sceptique avant d’en revenir à ma première critique : mais je me demande bien pourquoi vous n’avez pas essayé de voir Pengelley.

— Mon ami, je lui donne tout juste trois mois. Après cela, je le verrai pendant aussi longtemps que je voudrai… dans le box des accusés.

Pour une fois, je pensais que les pronostics de Poirot se révéleraient inexacts. Le temps passait et il n’y avait aucune nouvelle. D’autres affaires nous occupaient et j’avais presque oublié cette malheureuse histoire lorsqu’un entrefilet dans le journal disant que le ministère de l’Intérieur avait donné l’ordre d’exhumer le corps de Mrs. Pengelley, vint me la rappeler.

Quelques jours plus tard, on ne parlait plus dans les journaux que du « mystère des Cornouailles ». Apparemment, la rumeur ne s’était jamais éteinte et, lorsqu’avaient été annoncées les fiançailles du veuf avec Miss Marks, sa secrétaire, les bavardages avaient repris de plus belle. Finalement, les habitants de la ville avaient envoyé une pétition au ministère de l’Intérieur et le corps avait été exhumé ; on y avait découvert une importante quantité d’arsenic. Mr Pengelley avait été arrêté et accusé du meurtre de sa femme.

Poirot et moi allâmes assister à l’instruction. Les témoignages furent tels qu’on aurait pu s’y attendre. Le docteur Adams reconnut que les symptômes d’un empoisonnement à l’arsenic pouvaient être confondus avec ceux d’une gastrite. L’expert du ministère de l’Intérieur fit part de ses conclusions. La domestique, Jessie, donna avec volubilité une foule de renseignements dont la plupart furent rejetés mais qui renforcèrent néanmoins les présomptions qui pesaient sur le prévenu. Fréda Stanton témoigna que sa tante se sentait plus mal à chaque fois qu’elle mangeait des aliments préparés par son mari. Jacob Radnor raconta comment il était arrivé à l’improviste le jour de la mort de Mrs. Pengelley et avait surpris Pengelley en train de replacer le flacon de désherbant sur l’étagère de l’office, alors que l’assiette de Mrs. Pengelley se trouvait sur la table à proximité. Puis ce fut au tour de miss Marks, la blonde secrétaire, d’être appelée à la barre ; elle fondit en larmes et reconnut qu’elle et son employeur avaient eu des « relations amoureuses » et qu’il lui avait promis de l’épouser s’il arrivait un jour quelque chose à sa femme. Pengelley réserva sa défense et il fut renvoyé devant la cour d’assises.

Jacob Radnor nous raccompagna à pied jusqu’à notre hôtel.

— Vous voyez, Mr. Radnor, lui dit Poirot, j’avais raison. La voix du peuple a parlé… et avec assurance. Il était écrit que cette affaire ne pourrait pas être étouffée.

— Vous aviez raison, en effet, soupira Radnor. Pensez-vous qu’il ait une chance de s’en tirer ?

— Ma foi, il a réservé sa défense. Peut-être a-t-il quelque révélation à faire. Entrez avec nous, voulez-vous ?

Radnor accepta l’invitation. Je commandai deux whiskies et un chocolat chaud. Cette dernière commande provoqua une certaine consternation chez le serveur et je doutai fort que Poirot se vît jamais servir son chocolat.

— Bien sûr, poursuivit ce dernier, j’ai une assez grande expérience de ce genre d’affaires. Et je ne vois qu’une seule issue pour notre ami.

— Laquelle ?

— Que vous signiez ce papier.

Avec la rapidité d’un prestidigitateur, il fit apparaître une feuille de papier écrite.

— Qu’est-ce que c’est ? lui demanda Radnor.

— Une confession selon laquelle vous reconnaissez avoir toué Mrs. Pengelley.

Il y eut un instant de silence, puis Radnor éclata de rire.

— Vous êtes fou ?

— Non, non, mon ami, je ne suis pas fou. Vous êtes venu vous installer ici ; vous avez monté une petite affaire ; mais vous manquiez d’argent. Mr. Pengelley était riche. Vous avez rencontré sa nièce et vous avez eu l’heur de lui plaire. Mais la petite rente qu’il aurait pu lui servir après son mariage ne vous suffisait pas. Il vous fallait vous débarrasser et de l’oncle et de la tante ; alors, la jeune fille hériterait de tout l’argent, puisqu’elle était leur seule parente. Comme vous vous y êtes bien pris ! Vous avez fait la cour à cette quinquagénaire sans méfiance jusqu’à ce qu’elle soit devenue votre esclave. Vous avez fait naître dans son esprit des soupçons sur son mari. Elle a découvert tout d’abord qu’il la trompait, puis vous l’avez convaincue qu’il cherchait à l’empoisonner. Vous étiez souvent fourré chez elle ; il vous était très facile de mettre vous-même de l’arsenic dans sa nourriture. Mais vous preniez soin de ne jamais le faire quand son mari était absent. Étant femme, elle n’a pas gardé ses soupçons pour elle. Elle en a parlé à sa nièce ; et sans doute aussi à des amies. La seule difficulté pour vous consistait à entretenir des rapports avec les deux femmes séparément, et même cela n’était pas si difficile qu’on pourrait le croire. Vous expliquiez à la tante que, pour ne point éveiller les soupçons de son mari, vous deviez faire semblant de courtiser sa nièce. Quant à celle-ci, il ne fallait pas grand-chose pour la convaincre ; elle n’aurait jamais considéré sérieusement sa tante comme une rivale.

« Mais Mrs. Pengelley s’est décidée, sans vous consulter, à venir me trouver. Si elle pouvait obtenir la certitude que son mari cherchait à l’empoisonner, elle se sentirait le droit de le quitter et d’unir sa vie à la vôtre, ce qu’elle pensait que vous attendiez d’elle. Mais cela ne vous arrangeait pas du tout. Vous ne vouliez pas d’un détective au milieu… C’est alors que se présente le moment propice. Vous vous trouvez là quand Mr. Pengelley prépare une assiette de potage pour sa femme et vous y introduisez une dose mortelle de poison. Le reste est assez simple. Apparemment soucieux d’étouffer le scandale, vous jetez au contraire insidieusement le trouble dans les esprits. Seulement voilà ! C’était compter sans Hercule Poirot, mon jeune ami.

Radnor était d’une pâleur mortelle, mais il s’efforçait encore de le prendre de haut.

— Très intéressant et ingénieux, mais pourquoi me raconter tout cela ?

— Parce que, Monsieur, je représente, non pas la loi, mais Mrs. Pengelley. Par égard pour elle, je vous donne une chance de vous enfuir. Signez ce papier et vous aurez vingt-quatre heures d’avance… vingt-quatre heures avant que je ne le remette entre les mains de la police.

Radnor hésitait…

— Vous n’avez aucune preuve.

— Non ? Je suis Hercule Poirot, ne l’oubliez pas. Regardez par la fenêtre, Monsieur. Il y a deux hommes dans la rue. Ils ont l’ordre de ne pas vous perdre de vue.

Radnor s’approcha à grands pas de la fenêtre et écarta légèrement l’un des stores. Il recula alors avec un juron.

— Vous voyez, Monsieur ? Signez… c’est votre seule chance.

— Quelle garantie ai-je…

— Que je tiendrai ma promesse ? La parole d’Hercule Poirot, tout simplement. Alors, vous signez ? Bien. Hastings, veuillez être assez aimable pour remonter à moitié le store de gauche. C’est le signal pour nos deux hommes qu’ils peuvent laisser partir Mr. Radnor sans le molester.

Blanc de rage, Radnor se précipita hors de la pièce en jurant à voix basse. Poirot hocha doucement la tête.

— Un poltron ! Je le savais.

— Il me semble, Poirot, que vous avez agi d’une façon inadmissible, m’écriai-je, furieux. Vous dites toujours qu’il ne faut pas faire de sentiment. Et voilà que vous laissez échapper un dangereux criminel par pure sensiblerie.

— Ce n’était pas de la sensiblerie, c’était du bon sens, répliqua Poirot. Ne voyez-vous pas, mon ami, que nous n’avons pas l’ombre d’une preuve contre lui ? Vais-je me dresser devant douze solides Cornouaillais et leur dire que, moi, Hercule Poirot, je sais la vérité ? Ils me riraient au nez. La seule chance que nous avions était de lui faire peur et d’obtenir une confession de cette façon. Ces deux badauds que j’avais remarqués au-dehors se sont trouvés là au bon moment. Redescendez le store, Hastings, voulez-vous ? Il n’y avait en fait aucune raison de le remonter. Cela faisait partie de ma petite mise en scène.

« Bien, bien. À présent, nous devons tenir notre promesse. Vingt-quatre heures, ai-je dit ? Un jour de plus pour ce pauvre Mr. Pengelley… mais, au fond, il ne l’a pas volé, car, souvenez-vous, il a trompé sa femme. Je suis un ardent défenseur de la vie de famille, comme vous le savez. Ah ! ma foi, vingt-quatre heures… Et après ça ? J’ai une très grande confiance en Scotland Yard. Ils retrouveront Radnor, mon ami ; ils le retrouveront.

L’ENLÈVEMENT DE JOHNNIE

— Vous devriez comprendre les sentiments d’une mère, répétait Mrs. Waverly pour la sixième fois peut-être.

Elle fixait Poirot d’un regard implorant. Mon ami, toujours plein de compassion pour les mères en détresse, fit un geste rassurant.

— Mais oui, mais oui, je comprends parfaitement. Ayez confiance en Papa Poirot.

— La police…, commença Mr. Waverly.

Sa femme l’interrompit aussitôt.

— Je ne veux plus entendre parler de la police. Nous leur avons fait confiance et regarde ce qui est arrivé ! Après tout le bien que j’ai entendu dire de M. Poirot et les résultats merveilleux qu’il a obtenus, je suis sûre qu’il pourra nous aider. Les sentiments d’une mère…

D’un geste éloquent, Poirot l’empêcha de se répéter une nouvelle fois. L’émotion de Mrs. Waverly était manifestement sincère, mais, chose curieuse, celle-ci avait en même temps un air dur et décidé. Lorsque j’appris par la suite qu’elle était la fille d’un riche industriel de l’acier qui, d’une place de commis, s’était élevé à son rang actuel, je compris de qui elle tenait certains traits de son caractère.

Mr. Waverly, quant à lui, était un homme robuste à la face rubiconde et joviale ; Il se tenait assis, les jambes écartées, et avait tout à fait l’allure d’un propriétaire terrien.

— Je suppose que vous êtes au courant de cette affaire, Monsieur Poirot ?

La question était superflue. Depuis quelques jours, en effet, les journaux ne parlaient que de l’extraordinaire enlèvement du petit Johnnie Waverly, âgé de trois ans, fils unique et héritier de Marcus Waverly, châtelain de Waverly Court, dans le Surrey, et descendant d’une des plus vieilles familles d’Angleterre.

— J’en connais les grandes lignes, certes, mais racontez-moi tout depuis le début, Monsieur, je vous prie. Et en détail, si vous le voulez bien.

— Je dirai que l’histoire a commencé il y a une dizaine de jours quand j’ai reçu une lettre anonyme – quel procédé infect ! – absolument abracadabrante. L’auteur avait l’impudence d’exiger le versement d’une somme de vingt-cinq mille livres – vingt-cinq mille livres, Monsieur Poirot ! – faute de quoi, il menaçait de kidnapper Johnnie. J’ai évidemment jeté la lettre dans la corbeille à papiers sans y prêter plus d’attention. Je pensais qu’il s’agissait d’une farce idiote. Cinq jours plus tard, j’en recevais une autre, qui disait : Si vous ne payez pas, votre fils sera kidnappé le vingt-neuf. Nous étions le vingt-sept. Ada était inquiète, mais, pour ma part, je me refusais à prendre cette menace au sérieux. Bon sang ! nous sommes en Angleterre ! Personne ici ne kidnappe des enfants pour obtenir une rançon !

— Ce n’est pas une pratique très courante, en effet, reconnut Poirot. Continuez, Monsieur.

— Ada n’arrêtait pas de me harceler, alors – non sans me sentir un peu ridicule – je suis allé exposer l’affaire à la police. Ils n’ont pas pris cette histoire très au sérieux, pensant, comme moi, qu’il s’agissait de quelque canular. Le vingt-huit, cependant, je recevais une troisième lettre : Vous n’avez pas payé. Votre fils sera enlevé demain, le vingt-neuf, à midi Cela vous coûtera cinquante mille livres pour le récupérer. Je suis alors retourné à Scotland Yard, où, cette fois, ils ont paru plus impressionnés. Convaincus, à présent, que les lettres émanaient d’un déséquilibré et que, vraisemblablement, il tenterait quelque chose à l’heure dite, ils m’ont assuré qu’ils allaient prendre toutes les dispositions nécessaires. L’inspecteur McNeil et un détachement de policiers iraient à Waverly le lendemain et prendraient la direction des opérations.

« Je suis donc rentré chez moi rassuré. Malgré tout, nous avions le sentiment d’être déjà en état de siège. J’ai donné ordre de ne laisser entrer aucun inconnu et j’ai interdit à tout le monde de sortir. La soirée s’est déroulée sans incident, mais, le lendemain matin, ma femme ne se sentait vraiment pas bien. Alarmé par son état, j’ai fait venir le Dr Dakers, qui est resté perplexe devant les symptômes. Bien qu’il hésitât à affirmer qu’elle avait été empoisonnée, je voyais bien qu’il en était convaincu. Il m’a assuré que la vie d’Ada n’était pas en danger, mais il m’a dit qu’il lui faudrait un jour ou deux pour se remettre d’aplomb. Imaginez ma stupéfaction lorsque je suis retourné dans ma chambre : un bout de papier était épinglé à mon oreiller ! L’écriture était la même que sur les autres, mais, cette fois, il n’y avait que deux mots : À midi.

« J’avoue, Monsieur Poirot, qu’à ce moment-là, j’ai vu rouge. Il y avait un complice dans la maison ! L’un des domestiques ! Je les ai tous fait monter et les ai violemment apostrophés. Mais aucun d’eux n’a voulu parler. C’est Miss Collins, la dame de compagnie de ma femme, qui m’a informé qu’elle avait vu la nurse de Johnnie descendre l’allée furtivement, tôt le matin. Je l’ai interrogée et elle a fondu en larmes. Elle a reconnu avoir laissé l’enfant avec la domestique attachée à la nursery et s’être esquivée un moment pour aller retrouver un ami… un homme. C’est du beau ! En tout cas, elle a nié avoir épinglé le mot à mon oreiller. Il se peut qu’elle ait dit la vérité ; je ne sais pas. Mais je ne voulais pas prendre le risque que la propre nurse de mon enfant fasse partie du complot. L’un des domestiques était impliqué ; ça, j’en étais sûr. Finalement, j’étais dans une telle rage que j’ai mis tout le monde à la porte, la nurse et les autres. Je leur ai donné une heure pour faire leurs valises et quitter la maison.

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