AGATHA CHRISTIE LE BAL DE LA VICTOIRE

— Le monte-plats ? dit Pat. Oh si ! Mais ce n’est qu’une sorte de panier métallique. Attendez un peu… Je sais. Pourquoi ne pas emprunter l’élévateur à charbon ?

— Ça, c’est une idée, dit Donovan.

Mildred émit une hypothèse décourageante.

— Il sera fermé à clé, déclara-t-elle. Au niveau de la cuisine de Pat, je veux dire. De l’intérieur.

Mais cette hypothèse fut aussitôt contrée.

— C’est ce que tu crois, lui dit Donovan.

— Pas chez Pat, renchérit. Jimmy. Elle ne ferme jamais rien à clé.

— Je ne pense pas qu’il soit verrouillé, en effet, déclara Pat. J’ai sorti la poubelle ce matin ; je suis sûre que je ne l’ai pas refermé à clé et je ne pense pas m’en être approchée depuis.

— Bon, dit Donovan. Cela va nous être très utile ce soir, mais, malgré tout, jeune Pat, permets-moi de faire remarquer que cette négligence te met à la merci des cambrioleurs toutes les nuits.

Pat ne prêta aucune attention à ces remontrances.

— Venez, cria-t-elle en s’élançant dans l’escalier.

Les autres la suivirent. Pat fit traverser un sombre recoin apparemment plein à craquer de voitures d’enfant, poussa la porte qui donnait sous la cage d’escalier et les guida jusqu’au monte-charge situé sur la droite. Une poubelle était posée dessus. Donovan l’en retira et sauta lestement à sa place sur la plate-forme. Il fronça alors le nez.

— Ça ne sent pas très bon, remarqua-t-il. Mais tant pis ! Dois-je me lancer seul dans cette aventure ou quelqu’un m’accompagne-t-il ?

— Je viens avec toi, lui dit Jimmy.

Il monta à côté de Donovan.

— Tu crois que cet élévateur supportera mon poids, ajouta-t-il d’un ton inquiet.

— Tu ne peux pas peser plus qu’une tonne de charbon, répondit Fat qui n’avait jamais été particulièrement douée en matière de poids et mesures.

— Et, de toute façon, nous aurons bientôt la réponse, déclara gaiement Donovan en tirant sur la corde.

Ils disparurent dans un horrible grincement de poulies.

— Ces engins font un bruit épouvantable, remarqua Jimmy tandis qu’ils s’élevaient dans le noir. Que vont penser les occupants des autres appartements ?

— Que ce sont des fantômes ou des cambrioleurs, je suppose, répondit Donovan. Tirer sur cette corde est épuisant. Le concierge des Friars Mansions a plus de travail que je ne le pensais. Dis donc, mon vieux Jimmy, est-ce que tu as compté les étages ?

— Ah mon Dieu ! Non. J’ai oublié.

— Heureusement, moi, je l’ai fait. Nous passons en ce moment devant le troisième. Au prochain, nous y sommes.

— Et c’est là que nous allons découvrir, je suppose, que Pat avait en fin de compte mis le verrou.

Mais ces craintes n’étaient pas fondées. La porte en bois s’ouvrit à la première poussée, et Donovan et Jimmy pénétrèrent dans la cuisine de Pat où il faisait un noir d’encre.

— Il nous aurait fallu une torche pour cette folle expédition nocturne, remarqua Donovan. Si je connais bien Pat, tout doit être par terre et nous aurons piétiné toute la vaisselle avant que j’aie pu atteindre l’interrupteur. Ne bouge pas, Jimmy, tant que je n’aurai pas allumé.

Il avança précautionneusement lâcha un juron parce qu’il s’était cogné la hanche sur un coin de la table de la cuisine et atteignit enfin l’interrupteur. Un instant plus tard, un autre juron s’éleva dans l’obscurité.

— Que se passe-t-il ? demanda Jimmy.

— La lumière ne marche pas. L’ampoule doit être grillée. Attends une seconde. Je vais allumer dans le salon.

Celui-ci était situé juste en face, de l’autre côté du corridor. Jimmy entendit Donovan sortir de la cuisine et de nouveaux jurons étouffés lui parvinrent. Il traversa à son tour la pièce en tâtonnant.

— Qu’y a-t-il ?

— Je ne sais pas. On croirait que les pièces sont ensorcelées la nuit. Tout semble avoir changé de place. On rencontre des tables et des chaises là où on s’y attend le moins. Zut ! Encore une !

À ce moment-là, heureusement, Jimmy trouva l’interrupteur et l’actionna. Un instant plus tard, les deux jeunes gens se regardaient, muets de stupeur.

La pièce n’était pas le salon de Pat. Ils s’étaient trompés d’appartement.

Tout d’abord, ce salon-là était dix fois plus encombré de mobilier que celui de Pat, ce qui expliquait le profond trouble de Donovan chaque fois qu’il heurtait violemment une chaise ou une table. Au centre de la pièce se trouvait une grande table ronde couverte d’une nappe en reps et un aspidistra trônait devant la fenêtre. C’était en fait le genre de salon qui laissait deviner un propriétaire avec lequel il ne devait pas être facile de s’expliquer ; les jeunes gens en étaient convaincus. Dans un silence atterré, ils contemplaient la table sur laquelle était posé un petit paquet de lettres.

— Mrs. Ernestine Grant, souffla Donovan en les prenant et en lisant le nom écrit dessus. Oh ! Mon Dieu ! Crois-tu qu’elle nous ait entendus ?

— C’est un miracle qu’elle ne t’ait pas entendu, toi, répondit Jimmy. Entre tes jurons et la façon dont tu as bousculé le mobilier… Viens. Pour l’amour du ciel, sortons vite d’ici.

Ils éteignirent vivement la lumière et reprirent en tâtonnant le chemin de l’élévateur. Lorsqu’ils eurent regagné l’abri de ses profondeurs sans autre incident, Jimmy poussa un soupir de soulagement.

— J’aime les femmes qui ont le sommeil lourd, dit-il d’un ton approbateur. Mrs. Ernestine Grant a du moins cette qualité.

— Je comprends à présent, dit Donovan. Pourquoi nous nous sommes trompés d’étage, je veux dire. C’est parce que nous sommes partis du sous-sol.

Il tira sur la corde et l’élévateur s’élança vers le haut.

— Cette fois-ci, nous y sommes.

— Je le souhaite ardemment, dit Jimmy en débouchant de nouveau dans l’obscurité. Mes nerfs ne supporteraient pas un autre choc de ce genre.

Mais aucune autre épreuve nerveuse ne lui fut imposée. Dès qu’ils eurent allumé, la cuisine de Pat apparut aux deux jeunes gens et, un instant plus tard, ils ouvraient la porte de l’appartement et faisaient entrer les deux jeunes filles, qui attendaient à l’extérieur.

— Vous en avez mis du temps ! maugréa Pat. Ça fait des heures qu’on attend, Mildred et moi.

— Il nous est arrivé une sacrée aventure, répondit Donovan. Nous aurions pu être emmenés au poste de police comme de vulgaires malfaiteurs.

Pat était entrée dans le salon, où elle avait donné de la lumière et laissé tomber son châle sur le canapé. Elle écouta avec un vif intérêt le récit fait par Donovan de son aventure.

— Heureusement qu’elle ne vous a pas surpris, commenta-t-elle. Je suis sûre que c’est une vieille ronchon. J’ai trouvé un mot d’elle ce matin ; elle voulait me voir… pour se plaindre ; sans doute de mon piano. Les gens qui n’aiment pas entendre jouer du piano au-dessus de leur tête ne devraient pas venir vivre dans un immeuble. Mais dis donc, Donovan, tu t’es blessé à la main. Elle est toute tachée de sang. Va la laver sous le robinet.

Donovan considéra sa main d’un air surpris. Il sortit docilement de la pièce et, un instant plus tard, il appela Jimmy.

— Oui ? répondit l’autre. Qu’y a-t-il ? Tu ne t’es pas gravement blessé, au moins ?

— Je ne me suis pas blessé du tout.

La voix de Donovan avait une intonation si bizarre que Jimmy lui jeta un regard surpris. Donovan tendit sa main lavée et Jimmy n’y vit effectivement pas la moindre marque ou coupure.

— C’est étrange, dit-il en fronçant les sourcils. Elle était pourtant pleine de sang. D’où peut-il venir ?

Soudain, il arriva à la conclusion que son ami à l’esprit plus vif avait déjà tirée.

— Bonté divine ! s’exclama-t-il. Ça doit venir de l’appartement du dessous. (Il se tut un instant, réfléchissant à ce qu’impliquaient ses paroles.) Es-tu bien sûr que c’était… euh… du sang ? Pas de la peinture ?

Donovan secoua la tête.

— C’était bel et bien du sang, répondit-il en frissonnant.

Les deux jeunes gens se regardèrent. Ils avaient manifestement eu la même pensée. Ce fut Jimmy qui l’exprima le premier.

— Dis, murmura-t-il d’un air hésitant, crois-tu que nous devrions… euh… redescendre… pour jeter un… un coup d’œil ? Pour voir si tout va bien ; quoi.

— Et les filles ?

— Nous ne leur dirons rien. Pat va mettre son tablier et nous préparer une omelette. Nous serons de retour avant qu’elles aient eu le temps de se demander où nous sommes passés.

— Eh bien… soit, allons-y, répondit Donovan. Je suppose que nous n’avons pas le choix. J’espère que ce n’est rien de grave.

Mais le ton de sa voix manquait de conviction. Ils reprirent l’élévateur à charbon et descendirent à l’étage au-dessous. Ils traversèrent la cuisine sans trop de difficulté et allumèrent de nouveau dans le salon.

— Ce doit être ici, déclara Donovan, que… que je m’en suis collé. Je n’ai touché à rien dans la cuisine.

Il regarda autour de lui. Jimmy en fit autant et tous deux froncèrent les sourcils. Tout paraissait normal et rien dans cette pièce banale et paisible n’évoquait la violence ou les effusions de sang.

Soudain, Jimmy sursauta violemment et saisit le bras de son compagnon.

— Regarde !

Donovan regarda dans la direction qu’il indiquait et, à son tour, il poussa une exclamation. Du bas des lourdes tentures en reps dépassait un pied, un pied de femme chaussé d’un escarpin en vernis mal ajusté.

Jimmy s’approcha des tentures et les écarta vivement. Dans l’embrasure de la fenêtre, un corps de femme recroquevillé gisait à terre, à côté d’une flaque sombre et gluante. La femme était morte, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Jimmy était en train d’essayer de la redresser lorsque Donovan l’arrêta.

— Tu ferais mieux de la laisser là. Il ne faut pas y toucher avant l’arrivée de la police.

— La police ? Ah oui, bien sûr ! Eh bien vrai, Donovan, quelle histoire ! Qui penses-tu que ce soit ? Mrs. Ernestine Grant ?

— On le dirait bien. En tout cas, s’il y a quelqu’un d’autre dans l’appartement, il se tient drôlement tranquille.

— Que faut-il faire ? demanda Jimmy. Courir chercher un agent de police ou téléphoner de chez Pat ?

— Je pense qu’il vaut mieux téléphoner. Viens, autant sortir par la porte d’entrée. Nous n’allons pas passer la nuit à monter et descendre dans cet élévateur nauséabond.

Jimmy acquiesça. Juste comme ils passaient la porte, il hésita.

— Écoute, ne crois-tu pas que l’un de nous devrait rester ici – simplement pour surveiller l’appartement – en attendant l’arrivée de la police ?

— Oui. Je pense que tu as raison. Si tu veux bien rester, je vais vite monter téléphoner.

Donovan grimpa quatre à quatre l’escalier et sonna à la porte de l’appartement du dessus. Pat vint lui ouvrir, une Pat ravissante avec ses joues rosies et son petit tablier. Ses yeux s’agrandirent de surprise en le voyant.

— Toi ? Mais comment… Donovan, que se passe-t-il ? Quelque chose ne va pas ?

Il lui prit les deux mains.

— Tout va bien, Pat… seulement nous avons fait une découverte assez désagréable dans l’appartement du dessous. Une femme… morte.

— Oh ! dit-elle avec un petit sursaut. Quelle horreur ! Elle a eu une attaque ?

— Non. On dirait… euh… on dirait plutôt qu’elle a été assassinée.

— Oh, Donovan !

— Je sais. C’est affreux.

Les mains de Patricia étaient toujours dans les siennes. Elle les y avait laissées ; elle se cramponnait même à lui. Chère Pat ; comme il l’aimait ! Et elle ? Avait-elle le moindre sentiment pour lui ? Parfois il le pensait. Parfois aussi il craignait que Jimmy Faulkener… Se souvenant soudain que celui-ci attendait patiemment en bas, il éprouva un sentiment de culpabilité.

— Pat, mon chou, il faut que nous appelions la police.

— Monsieur a raison, dit une voix derrière lui. Entretemps, pendant que nous l’attendons, peut-être pourrais-je me rendre utile ?

Les deux jeunes gens, qui étaient restés sur le seuil de l’appartement, écarquillèrent les yeux en direction du palier. Une vague silhouette se dressait un peu plus haut dans l’escalier. Elle descendit et entra dans leur champ de vision.

Ils virent avec surprise apparaître un petit homme à la fière moustache et à la tête en forme d’œuf. Il était vêtu d’une magnifique robe de chambre et chaussé de pantoufles brodées. Il s’inclina galamment devant Patricia.

— Mademoiselle, dit-il, je suis, comme vous le savez peut-être, le locataire de l’appartement du dessus. J’aime être en hauteur – haut dans les airs – pour avoir la vue sur Londres. J’ai pris l’appartement au nom de Mr. O’Connor. Mais je ne suis pas irlandais. J’ai un autre nom. C’est pourquoi je prends la liberté de vous proposer mes services. Vous permettez ?

D’un geste large, il sortit une carte de visite et la fendit à Pat, qui la lut.

— M. Hercule Poirot. Oh ! s’exclama-t-elle en retenant son souffle. Le célèbre Monsieur Poirot ? Le grand détective ? Et vous êtes réellement prêt à nous aider ?

— C’est mon intention, Mademoiselle. J’ai même failli vous proposer mes services un peu plus tôt dans la soirée.

Pat parut surprise.

— Je vous ai entendus discuter de la façon dont vous pourriez rentrer dans votre appartement. Je suis très adroit pour crocheter les serrures. J’aurais pu sans aucun doute ouvrir votre porte, mais j’ai hésité à vous le proposer. Vous auriez conçu de graves soupçons à mon encontre.

Pat se mit à rire.

— À présent, Monsieur, dit Poirot à Donovan, entrez, je vous prie, et appelez la police. Je vais descendre à l’appartement du dessous.

Pat descendit avec lui. Ils trouvèrent Jimmy en faction et Pat lui expliqua la présence de Poirot. Jimmy, à son tour, relata à Poirot leur aventure, à Donovan et lui. Le détective l’écouta avec attention.

— La porte de l’élévateur n’était pas verrouillée, dites-vous ? Et vous êtes entrés dans la cuisine, mais la lumière ne marchait pas ?

Tout en parlant, il s’était dirigé vers la cuisine. Il en actionna l’interrupteur.

— Tiens ! Voilà qui est curieux ! s’exclama-t-il tandis que la lumière inondait la pièce. Elle fonctionne parfaitement, à présent. Je me demande…

Il leva un doigt pour imposer silence à ses compagnons et tendit l’oreille. Un bruit léger rompit ce silence ; le bruit reconnaissable d’un ronflement.

— Ah ! murmura Poirot. La chambre de bonne.

Il traversa la cuisine sur la pointe des pieds et pénétra dans un petit office sur lequel donnait une porte. Il l’ouvrit et alluma la lumière. La pièce sur je seuil de laquelle il se trouvait était le genre de niche pour chien que prévoyaient les constructeurs d’immeubles pour loger un être humain. La superficie en était presque entièrement occupée par le lit. Dans celui-ci se trouvait une jeune fille aux joues roses étendue sur le dos, la bouche ouverte ; elle ronflait paisiblement.

Poirot éteignit la lumière et referma la porte.

— Elle ne se réveillera pas, dit-il. Nous allons la laisser dormir jusqu’à l’arrivée de la police.

Il retourna ensuite dans le salon. Donovan les avait rejoints.

— La police sera ici dans un instant, annonça-t-il, hors d’haleine. Nous ne devons toucher à rien.

Poirot hocha la tête.

— Nous ne toucherons pas. Nous regarderons ; c’est tout.

Il avança dans la pièce. Mildred était descendue avec Donovan et les quatre jeunes gens, immobiles sur le seuil, observaient le petit homme avec un vif intérêt.

— Il y a une chose, que je ne comprends pas, Monsieur Poirot, dit Donovan. Je ne me suis pas approché de la fenêtre… alors comment ce sang est-il venu sur ma main ?

— Mon jeune ami, la réponse est évidente. De quelle couleur est la nappe ? Rouge, n’est-ce pas ? Et vous avez sans aucun doute posé la main sur la table ?

— Oui. Est-ce…

Donovan s’interrompit.

Poirot hocha la tête. Il était penché au-dessus de la table. De la main, il montra une tache d’un rouge plus sombre.

— C’est ici que le meurtre a été commis, annonça-t-il d’un ton solennel. Le corps a été déplacé par la suite.

Puis il se redressa et regarda lentement autour de lui. Il ne bougea pas, il ne toucha à rien, et, néanmoins, les quatre jeunes gens qui l’observaient avaient le sentiment que chacun des objets de cette pièce à l’air confiné livrait son secret à son œil perçant.

Hercule Poirot hocha la tête d’un air satisfait et laissa échapper un petit soupir.

— Je vois, dit-il.

— Vous voyez quoi ? lui demanda Donovan avec curiosité.

— Je vois, répondit Poirot, ce dont vous vous êtes sans nul doute aperçu vous-même : que la pièce contient beaucoup trop de meubles.

Donovan esquissa un pâle sourire.

— J’ai effectivement bousculé pas mal de choses, reconnut-il. Évidemment, tout était placé différemment de chez Pat et j’étais plutôt désorienté.

— Pas tout, dit Poirot.

Donovan lui jeta un regard interrogateur.

— Je veux dire, reprit Poirot sur un ton d’excuse, que certaines choses sont fixes. Dans un immeuble, la porte, la fenêtre, la cheminée… elles sont à la même place dans les pièces situées les unes au-dessous des autres.

— N’êtes-vous pas en train de couper les cheveux en quatre ? demanda Mildred, qui considérait Poirot d’un œil légèrement désapprobateur.

— Il faut toujours s’exprimer avec la plus grande précision. C’est une de mes… comment dites-vous donc ?… petites manies.

Un bruit de pas se fit entendre dans l’escalier et trois hommes entrèrent. L’un d’eux était un inspecteur de police, l’autre un agent en uniforme et le troisième, le médecin divisionnaire. L’inspecteur reconnut Poirot et le salua avec déférence. Puis il se tourna vers les jeunes gens.

— Je veux une déclaration de chacun d’entre vous, commença-t-il, mais tout d’abord…

Poirot l’interrompit.

— Une petite suggestion. Nous allons retourner à l’appartement du dessus et Mademoiselle ici présente va poursuivre ce qu’elle avait, commencé et nous préparer une omelette. J’adore les omelettes. Ensuite, monsieur l’Inspecteur, lorsque vous en aurez terminé ici, vous viendrez nous rejoindre et vous pourrez nous interroger à loisir.

Cette proposition fut acceptée et Poirot monta avec les jeunes gens.

— Monsieur Poirot, lui dit Pat, je vous trouve formidable. Et je vais vous faire une délicieuse omelette. Je les réussis vraiment à merveille.

— Tant mieux. Jadis, Mademoiselle, j’étais amoureux d’une ravissante jeune fille anglaise qui vous ressemblait beaucoup… Mais hélas !… elle ne savait pas faire la cuisine. Peut-être n’ai-je donc rien à regretter.

Il y avait une légère note de tristesse dans sa voix et Jimmy Faulkener le dévisagea avec curiosité.

Une fois dans l’appartement de Pat, cependant, Poirot s’efforça de se montrer agréable et drôle. L’horrible tragédie de l’étage au-dessous était presque oubliée.

L’omelette avait été consommée et dûment applaudie lorsque les pas de l’inspecteur Rice se firent entendre. Il entra accompagné du médecin, l’agent étant resté en faction en bas.

— Ma foi, Monsieur Poirot, tout paraît très clair ; cette affaire ne présente pas grand intérêt pour vous, encore que nous aurons peut-être du mal à attraper le coupable. Je voudrais simplement savoir comment le corps a été découvert.

Donovan et Jimmy relatèrent à eux deux les événements de la soirée. Après quoi, l’inspecteur se tourna vers Pat avec un air de reproche.

— Vous ne devriez pas laisser votre porte d’élévateur ouverte, Mademoiselle. Vraiment, vous ne devriez pas.

— Je ne le ferai plus, promit Pat en frissonnant. Quelqu’un pourrait entrer et m’assassiner comme cette pauvre femme de l’étage au-dessous.

— Remarquez, ce n’est pas par là qu’on est entré, dit l’inspecteur.

— Vous allez nous raconter ce que vous avez découvert, n’est-ce pas ? lui demanda Poirot.

— Je ne sais pas si je devrais… Mais puisque c’est vous, Monsieur Poirot.

— Précisément, Quant à ces jeunes gens, ils sauront faire preuve de discrétion.

— De toute façon, les journaux ne vont pas tarder à s’emparer de l’histoire, reprit l’inspecteur. Et il n’y a rien de très secret dans cette affaire. La morte est bien Mrs. Grant. J’ai fait monter le concierge pour l’identifier. Une femme d’environ trente-cinq ans. Elle était assise à la table et elle a été tuée d’une balle de pistolet automatique de petit calibre, sans doute par quelqu’un qui était assis en face d’elle. Elle est tombée en avant et c’est comme ça que la nappe a été tachée de sang.

— Mais quelqu’un n’aurait-il pu entendre partir le coup ? demanda Mildred.

— Le pistolet était muni d’un silencieux. Non, on ne pouvait rien entendre. Au fait, avez-vous perçu le hurlement qu’a poussé la domestique quand on lui a annoncé que sa patronne était morte ? Non. Cela vous prouve bien qu’il était peu probable que quelqu’un entende quoi que ce soit.

— La domestique n’a-t-elle rien à dire ? demanda Poirot.

— C’était son soir de sortie. Elle a sa clé. Quand elle est rentrée, vers dix heures, tout était silencieux. Elle a pensé que sa patronne était allée se coucher.

— Elle n’a donc pas jeté un coup d’œil dans le salon ?

— Si, elle y a déposé le courrier qui était arrivé dans la soirée, mais elle n’a rien remarqué d’anormal ; pas plus que Mr. Faulkener et Mr. Bailey. Voyez-vous, l’assassin avait assez bien dissimulé le corps derrière les tentures.

— C’est tout de même curieux qu’il ait fait cela, ne trouvez-vous pas ?

Poirot avait fait cette remarque d’une voix douce, mais quelque chose dans son intonation fit redresser vivement la tête à l’inspecteur.

— Il ne voulait pas que le meurtre soit découvert avant qu’il ait eu le temps de fuir.

— Peut-être, peut-être… Mais poursuivez ce que vous étiez en train de dire.

— La domestique est sortie à cinq heures. Et d’après le médecin, la mort remonta à – environ – quatre ou cinq heures. C’est bien cela ?

Le médecin, qui était un homme peu loquace, se contenta de hocher la tête affirmativement.

« Il est à présent minuit moins le quart. Je pense que l’on peut situer l’heure de la mort de façon assez précise.

L’inspecteur sortit une feuille de papier froissée.

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