Chéri-Bibi et Cécily – Premières Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

VIII – Chéri-Bibi au chevet de lamarquise, sa mère

Ce n’est point sans une certaine anxiété queChéri-Bibi s’était rendu auprès de la vieille dame. C’était lapremière entrevue qu’il allait avoir avec sa mère. Il l’avaittoujours redoutée.

La marquise, avec l’entêtement des vieillardsqui pardonnent difficilement l’outrage fait à leurs cheveux blancs,avait refusé jusqu’alors de revoir son fils, bien que celui-ci luieût permis à nouveau, après le départ de la Belle Dieppoise, devenir se réinstaller au château du Touchais où elle désiraitmourir. Elle n’avait point cédé non plus aux prières de sabelle-fille qui lui représentait Maxime comme étant changé du toutau tout et bien à son avantage.

Même à l’occasion de la naissance du petitJacques, elle ne se laissa point attendrir par les supplications deCécily.

« Plus tard, disait-elle, plus tard, nousverrons s’il est digne de notre pitié ; l’expérience nousrenseignera sur la valeur de ces beaux sentiments dont vous meparlez et auxquels je ne puis encore croire. Ce n’est point du jourau lendemain que je puis oublier qu’il m’a chassée de chezmoi !

– Vous y voilà revenue, ma mère, insistaitCécily.

– Jusqu’au jour où il lui plaira d’y installerà nouveau une de ses créatures ! » répliquait ladouairière avec une dureté qui glaçait le cœur de sabelle-fille.

La vérité était que la vieille dame attendaitun mouvement spontané de son fils, une démarche qu’il lui devaitaprès les affronts passés, une tentative personnelle deréconciliation où elle le voyait à ses pieds, lui demandant pardonde toutes les fautes de sa jeunesse.

Tant qu’il ne se serait point de lui-mêmerésolu à cette humiliation nécessaire, elle penserait que Cécily setrompait sur les véritables sentiments de son époux. Et commeChéri-Bibi n’était point pressé d’aller embrasser les genoux deMme du Touchais mère, bien au contraire fuyait toutes lesoccasions de la rencontrer, la situation n’avait pas changé depuisun an.

Il fallait ce jour-là que la marquise fût bienmalade pour que Cécily eût fait dire à son mari de se rendre auchâteau du Touchais. Chéri-Bibi s’était dirigé vers l’augustedemeure de ses aïeux à pas comptés. Il se rappelait avoir lu dansson enfance des histoires dans lesquelles des mères aveugles ne setrompaient point sur l’identité de leur progéniture. Si marquis duTouchais qu’il fût devenu, il ne l’était peut-être pas assez pourtromper une vieille maman qui y voyait encore assez clair.

Cependant, il ne pouvait éluder l’épreuve. Ils’en consolait à l’avance avec cette pensée que si la marquiseétait la première à flairer l’incroyable phénomène, on latraiterait tout de suite de folle. Enfin il s’en remettait à sabonne étoile qui depuis un an brillait au firmament avec un éclatde première grandeur. Et il lui apparut tout d’abord qu’il n’avaitpoint tort d’espérer, car ayant rencontré dans le parc sœurSainte-Marie-des-Anges qui allait chercher un prêtre, celle-ci luidit :

« Hâtez-vous, monsieur le marquis,Mme la marquise est bien bas. Elle ne reconnaît pluspersonne…

– Allons, tant mieux ! » pensaChéri-Bibi.

Et il adressa un sourire enchanté à la bonnesœur, qui s’enfuit comme si elle avait vu le démon.

Il pénétra dans le salon sans avoir rencontréun domestique, mais il fut rejoint presque aussitôt par la vieilleReine, la dame de compagnie de la douairière, qui était aussi pâleque devait l’être la mourante.

Chaque fois qu’il apercevait Reine, Chéri-Bibine pouvait s’empêcher naturellement de se rappeler le récit de sasœur, sur le Bayard. Il se disait : « C’estelle, cette Reine, qui sait tout ! C’est par elle que l’onconnaîtra un jour la vérité sur l’assassinat du vieux marquis,c’est par elle que j’apprendrai qui est l’homme au chapeau gris,celui qui, avant de tuer le marquis avec le couteau de Chéri-Bibi,avait jeté le père Bourrelier du haut de la falaise, après luiavoir enlevé ce couteau que, bien innocemment, le pauvre Chéri-Bibiavait planté dans le dos ! » Ainsi pensait Chéri-Bibi,chaque fois qu’il rencontrait, par les chemins de Puys, lasilhouette furtive de Reine, laquelle le fuyait d’ailleurs,aussitôt qu’elle l’apercevait.

Par elle, il espérait bien un jour se vengerde l’inconnu qui avait été la cause initiale de tous ses malheurs.S’il n’avait point jusqu’à ce jour poursuivi plus âprement cedessein, c’est que le parfait bonheur du nouveau marquis duTouchais avait complètement relégué au second plan la vengeance deChéri-Bibi. Il s’avança vivement vers Reine. La bonne femme recula,en poussant un cri.

« Qu’est-ce que vous avez ? demandaChéri-Bibi ; est-ce que je vous fait peur ? »

Reine pâlit davantage encore si possible etc’est toute tremblante que, sans répondre à la question, elle luidit :

« M. le docteur Walter prieM. le marquis de ne point monter tout de suite dans la chambrede Mme la marquise. Il espère sauver Mme la marquise,mais il faut lui éviter tout émotion. »

Ces quelques mots, pourtant bien simples,furent prononcés d’une voix presque expirante. Et c’est ens’appuyant aux meubles que la vieille Reine quitta le salon, aprèsavoir jeté un singulier regard au fils de la mourante.

« Encore une qui ne pardonne point lesvilenies du marquis du Touchais ! pensa Chéri-Bibi.Décidément, il me faudra bien de la vertu pour effacer tous sespéchés. Mais je me sens, avec l’amour de Cécily, la force d’unsaint, et j’aurai cette Reine comme les autres ! Pourvu que cedocteur Walter ne rende point à mon honorable mère une trop grandelucidité. C’est tout ce qui me reste aujourd’hui à demander à laProvidence ! »

Tout au fond de sa pensée, il maudissait leretour de ce docteur de malheur qu’il ne connaissait point, quiavait quitté le pays dans le moment même que lui, Chéri-Bibi, yarrivait, et qui réapparaissait juste à temps pour accomplir lemiracle de sauver peut-être sa mère dont le trépas aurait si bienarrangé ses affaires.

Mais il ne s’avouait point une aussi vilainepensée. Il la trouvait indigne du mari de Cécily. Il arpenta lesalon, laissant faire les événements qui le gâtaient siheureusement depuis quelque temps.

Les mains derrière le dos, il s’arrêtaitparfois pour contempler une peinture, un vieux tableau. Il y avaitlà quelques-uns de ses ancêtres. Il n’était point fâché de faireleur connaissance. Il leur adressait des sourires ou desgrognements, selon que leur visage lui plaisait ou lui déplaisait.Ainsi arriva-t-il devant le portrait de son père, le marquis duTouchais, mort assassiné, soi-disant, par Chéri-Bibi.

Il ne put retenir une exclamation.

Sous le portrait et sur le cadre – objets quela marquise douairière avait emportés avec elle et rapportés auchâteau, lors de sa réinstallation – dans un écrin de velours, oùil était retenu par des fils d’or, se trouvait le couteau, lecouteau de boucher dont était mort le marquis.

Chéri-Bibi le reconnaissait bien. Ah !c’était bien son couteau ! l’arme fatale qui l’avait faitconduire jadis en cour d’assises, et condamner comme unassassin !

On avait respecté sur l’acier les taches derouille, qui n’étaient autres que des taches de sang du marquis.Que de souvenirs se rattachaient à cet objet tragique ! Quelleévocation du passé pour Chéri-Bibi !

Il ne pouvait encore en détacher ses regards,quand on vint le chercher pour le conduire au chevet de lamourante.

Il eut cette consolation d’apprendre d’unefemme de chambre qu’elle allait plus mal, malgré tous les effortsdu docteur Walter.

Quand il pénétra dans la chambre, où régnaitune douce pénombre, il vit Cécily à genoux auprès du lit. Reine setrouvait debout, à côté du docteur, au pied de la couche où lamarquise semblait déjà dormir de son dernier sommeil.

La vieille dame de compagnie sanglotait dansson mouchoir. Quant au docteur, il contemplait la malade ensilence, semblant attendre quelque chose qui ne se produisaitpas.

Ce médecin était un homme assez grand, mince,jeune encore, d’allure anglaise, avec sa lèvre rasée et ses favorisroux. Il ne prêta aucune attention à Chéri-Bibi quand celui-cientra.

Chéri-Bibi, jugeant au silence effrayant de lamalade qu’elle était quasi morte et par conséquent qu’il nerisquait rien, se jeta à genoux, à côté de Cécily, prit la mainpendante de la marquise, y déposa un baiser filial et dit, d’unevoix mouillée :

« Ma mère ! »

Or, comme si la moribonde n’attendait que cemot pour revenir à la vie, elle poussa un profond soupir, rouvritles yeux, fixa son fils, et soudain, retrouvant des forces que l’oncroyait évanouies pour toujours, elle lui retira sa main et luimontra la porte.

« Va-t’en ! » fit-elle dans unsouffle.

Aussitôt la voix du docteur Walter se fitentendre.

« Elle est sauvée »,prononça-t-il.

Mais, à ces mots, qui eussent dû remplir d’unejoie ineffable M. du Touchais fils, celui-ci releva une têted’épouvante, et, les yeux hagards, fixa l’homme qui se tenait aupied du lit, tandis que ses lèvres murmuraient pour lui seul, dansune indicible horreur :

« Le Kanak ! »

Et Chéri-Bibi s’évanouit tout comme unautre.

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