Clair de Lune

Chapitre 2Un Coup d’état

Paris venait d’apprendre le désastre de Sedan. La Républiqueétait proclamée. La France entière haletait au début de cettedémence qui dura jusqu’après la Commune. On jouait au soldat d’unbout à l’autre du pays.

Des bonnetiers étaient colonels faisant fonction degénéraux ; des revolvers et des poignards s’étalaient autourde gros ventres pacifiques enveloppés de ceintures rouges ; depetits bourgeois devenus guerriers d’occasion commandaient desbataillons de volontaires braillards et juraient comme descharretiers pour se donner de la prestance.

Le seul fait de tenir des armes, de manier des fusils à systèmeaffolait ces gens qui n’avaient jusqu’ici manié que des balances,et les rendait, sans aucune raison, redoutables au premier venu. Onexécutait des innocents pour prouver qu’on savait tuer ; onfusillait, en rôdant par les campagnes vierges encore de Prussiens,les chiens errants, les vaches ruminant en paix, les chevauxmalades pâturant dans les herbages.

Chacun se croyait appelé à jouer un grand rôle militaire. Lescafés des moindres villages, pleins de commerçants en uniforme,ressemblaient à des casernes ou à des ambulances.

Le bourg de Canneville ignorait encore les affolantes nouvellesde l’armée et de la capitale ; mais une extrême agitation leremuait depuis un mois, les partis adverses se trouvaient face àface.

Le maire, M. le vicomte de Varnetot, petit homme maigre, vieuxdéjà, légitimiste rallié à l’Empire depuis peu, par ambition, avaitvu surgir un adversaire déterminé dans le docteur Massarel, groshomme sanguin, chef du parti républicain dans l’arrondissement,vénérable de la loge maçonnique du chef-lieu, président de laSociété d’agriculture et du banquet des pompiers, et organisateurde la milice rurale qui devait sauver la contrée.

En quinze jours, il avait trouvé le moyen de décider à ladéfense du pays soixante-trois volontaires mariés et pères defamille, paysans prudents et marchands du bourg, et il lesexerçait, chaque matin, sur la place de la mairie.

Quand le maire, par hasard, venait au bâtiment communal, lecommandant Massarel, bardé de pistolets, passant fièrement, lesabre en main, devant le front de sa troupe, faisait hurler à sonmonde : « Vive la patrie ! » Et ce cri, on l’avait remarqué,agitait le petit vicomte, qui voyait là sans doute une menace, undéfi, en même temps qu’un souvenir odieux de la grandeRévolution.

Le 5 septembre au matin, le docteur en uniforme, son revolversur sa table, donnait une consultation à un couple de vieuxcampagnards, dont l’un, le mari, atteint de varices depuis septans, avait attendu que sa femme en eût aussi pour venir trouver lemédecin, quand le facteur apporta le journal.

M. Massarel l’ouvrit, pâlit, se dressa brusquement, et, levantles bras au ciel dans un geste d’exaltation, il se mit à vociférerde toute sa voix devant les deux ruraux affolés :

– Vive la République ! vive la République ! vive laRépublique !

Puis il retomba sur son fauteuil, défaillant d’émotion.

Et comme le paysan reprenait : « Ça a commencé par des fourmisqui me couraient censément le long des jambes », le docteurMassarel s’écria :

– Fichez-moi la paix ; j’ai bien le temps de m’occuper devos bêtises. La République est proclamée, l’Empereur estprisonnier, la France est sauvée. Vive la République ! Etcourant à la porte, il beugla : Céleste, vite, Céleste !

La bonne épouvantée accourut ; il bredouillait tant ilparlait rapidement.

– Mes bottes, mon sabre, ma cartouchière et le poignard espagnolqui est sur ma table de nuit : dépêche-toi !

Comme le paysan obstiné, profitant d’un instant de silence,continuait :

– Ça a devenu comme des poches qui me faisaient mal enmarchant.

Le médecin exaspéré hurla :

– Fichez-moi donc la paix, nom d’un chien, si vous vous étiezlavé les pieds, ça ne serait pas arrivé.

Puis, le saisissant au collet, il lui jeta dans la figure :

– Tu ne sens donc pas que nous sommes en république, triplebrute ?

Mais le sentiment professionnel le calma tout aussitôt, et ilpoussa dehors le ménage abasourdi, en répétant :

– Revenez demain, revenez demain, mes amis. Je n’ai pas le tempsaujourd’hui.

Tout en s’équipant des pieds à la tête, il donna de nouveau unesérie d’ordres urgents à sa bonne :

– Cours chez le lieutenant Picart et chez le sous-lieutenantPommel, et dis-leur que je les attends ici immédiatement.Envoie-moi aussi Torchebeuf avec son tambour, vite, vite !

Et quand Céleste fut sortie, il se recueillit, se préparant àsurmonter les difficultés de la situation.

Les trois hommes arrivèrent ensemble, en vêtement de travail. Lecommandant, qui s’attendait à les voir en tenue, eut unsursaut.

– Vous ne savez donc rien, sacrebleu ? L’Empereur estprisonnier, la République est proclamée. Il faut agir. Ma positionest délicate, je dirai plus, périlleuse.

Il réfléchit quelques secondes devant les visages ahuris de sessubordonnés, puis reprit :

– Il faut agir et ne pas hésiter ; les minutes valent desheures dans des instants pareils. Tout dépend de la promptitude desdécisions. Vous, Picart, allez trouver le curé et sommez-le desonner le tocsin pour réunir la population que je vais prévenir.Vous, Torchebeuf, battez le rappel dans toute la commune jusqu’auxhameaux de la Cerisaie et de Salmare pour rassembler la milice enarmes sur la place. Vous, Pommel, revêtez promptement votreuniforme, rien que la tunique et le képi. Nous allons occuperensemble la mairie et sommer M. de Varnetot de me remettre sespouvoirs. C’est compris ?

– Oui.

– Exécutez, et promptement. Je vous accompagne jusque chez vous,Pommel, puisque nous opérons ensemble.

Cinq minutes plus tard, le commandant et son subalterne, armésjusqu’aux dents, apparaissaient sur la place juste au moment où lepetit vicomte de Varnetot, les jambes guêtrées comme pour unepartie de chasse, son Lefaucheux[1] surl’épaule, débouchait à pas rapides par l’autre rue, suivi de sestrois gardes en tunique verte, le couteau sur la cuisse et le fusilen bandoulière. Pendant que le docteur s’arrêtait, stupéfait, lesquatre hommes pénétrèrent dans la mairie dont la porte se refermaderrière eux. – Nous sommes devancés, murmura le médecin, il fautmaintenant attendre du renfort. Rien à faire pour le quart d’heure.Le lieutenant Picart reparut : – Le curé a refusé d’obéir,dit-il ; il s’est même enfermé dans l’église avec le bedeau etle suisse. Et, de l’autre côté de la place, en face de la mairieblanche et close, l’église, muette et noire, montrait sa grandeporte de chêne garnie de ferrures de fer. Alors, comme leshabitants intrigués mettaient le nez aux fenêtres ou sortaient surle seuil des maisons, le tambour soudain roula, et Torchebeufapparut, battant avec fureur les trois coups précipités du rappel.Il traversa la place au pas gymnastique, puis disparut dans lechemin des champs. Le commandant tira son sabre, s’avança seul, àmoitié distance environ entre les deux bâtiments où s’étaitbarricadé l’ennemi et, agitant son arme au-dessus de sa tête, ilmugit de toute la force de ses poumons : – Vive laRépublique ! Mort aux traîtres ! Puis, il se replia versses officiers. Le boucher, le boulanger et le pharmacien, inquiets,accrochèrent leurs volets et fermèrent leurs boutiques. Seull’épicier demeura ouvert. Cependant les hommes de la milicearrivaient peu à peu, vêtus diversement et tous coiffés d’un képinoir à galon rouge, le képi constituant tout l’uniforme du corps.Ils étaient armés de leurs vieux fusils rouillés, ces vieux fusilspendus depuis trente ans sur les cheminées des cuisines, et ilsressemblaient assez à un détachement de gardes champêtres.Lorsqu’il en eut une trentaine autour de lui, le commandant, enquelques mots, les mit au fait des événements ; puis, setournant vers son état-major : « Maintenant, agissons », dit-il.Les habitants se rassemblaient, examinaient et devisaient. Ledocteur eut vite arrêté son plan de campagne : – Lieutenant Picart,vous allez vous avancer sous les fenêtres de cette mairie et sommerM. de Varnetot, au nom de la République, de me remettre la maisonde ville. Mais le lieutenant, un maître maçon, refusa : – Vous êtesencore un malin, vous. Pour me faire flanquer un coup de fusilmerci. Ils tirent bien, ceux qui sont là-dedans, vous savez. Faitesvos commissions vous-même. Le commandant devint rouge. – Je vousordonne d’y aller au nom de la discipline. Le lieutenant se révolta: – Plus souvent que je me ferai casser la figure sans savoirpourquoi. Les notables, rassemblés en un groupe voisin, se mirent àrire. Un d’eux cria : – T’as raison, Picart, c’est pasl’moment ! Le docteur, alors, murmura : – Lâches ! Et,déposant son sabre et son revolver aux mains d’un soldat, ils’avança d’un pas lent, l’œil fixé sur les fenêtres, s’attendant àen voir sortir un canon de fusil braqué sur lui. Comme il n’étaitqu’à quelques pas du bâtiment, les portes des deux extrémitésdonnant entrée dans les deux écoles s’ouvrirent, et un flot depetits êtres, garçons par-ci, filles par-là, s’en échappèrent et semirent à jouer sur la grande place vide, piaillant, comme untroupeau d’oies, autour du docteur, qui ne pouvait se faireentendre. Aussitôt les derniers élèves sortis, les deux portess’étaient refermées. Le gros des marmots enfin se dispersa, et lecommandant appela d’une voix forte : – Monsieur de Varnetot ?Une fenêtre du premier étage s’ouvrit. M. de Varnetot parut. Lecommandant reprit : – Monsieur, vous savez les grands événementsqui viennent de changer la face du gouvernement. Celui que vousreprésentiez n’est plus. Celui que je représente monte au pouvoir.En ces circonstances douloureuses, mais décisives, je viens vousdemander, au nom de la nouvelle République, de remettre en mesmains les fonctions dont vous avez été investi par le précédentpouvoir. M. de Varnetot répondit : – Monsieur le docteur, je suismaire de Canneville, nommé par l’autorité compétente, et jeresterai maire de Canneville tant que je n’aurai pas été révoqué etremplacé par un arrêté de mes supérieurs. Maire, je suis chez moidans la mairie, et j’y reste. Au surplus, essayez de m’en fairesortir. Et il referma la fenêtre. Le commandant retourna vers satroupe. Mais, avant de s’expliquer, toisant du haut en bas lelieutenant Picart : – Vous êtes un crâne, vous, un fameux lapin, lahonte de l’armée. Je vous casse de votre grade. Le lieutenantrépondit : – Je m’en fiche un peu. Et il alla se mêler au groupemurmurant des habitants. Alors le docteur hésita. Que faire ?Donner l’assaut ? Mais ses hommes marcheraient-ils ? Etpuis, en avait-il le droit ? Une idée l’illumina. Il courut autélégraphe dont le bureau faisait face à la mairie, de l’autre côtéde la place. Et il expédia trois dépêches : À MM. les membres dugouvernement républicain, à Paris ; À M. le nouveau préfetrépublicain de la Seine-Inférieure, à Rouen ; À M. le nouveausous-préfet républicain de Dieppe. Il exposait la situation, disaitle danger couru par la commune demeurée aux mains de l’ancien mairemonarchiste, offrait ses services dévoués, demandait des ordres etsignait en faisant suivre son nom de tous ses titres. Puis ilrevint vers son corps d’armée et, tirant dix francs de sa poche : «Tenez, mes amis, allez manger et boire un coup ; laissezseulement ici un détachement de dix hommes pour que personne nesorte de la mairie. » Mais l’ex-lieutenant Picart, qui causait avecl’horloger, entendit ; il se mit à ricaner et prononça : «Pardi, s’ils sortent, ce sera une occasion d’entrer. Sans ça, je nevous vois pas encore là-dedans, moi ! » Le docteur ne réponditpas, et il alla déjeuner. Dans l’après-midi, il disposa des postestout autour de la commune, comme si elle était menacée d’unesurprise. Il passa plusieurs fois devant les portes de la maison deville et de l’église sans rien remarquer de suspect ; onaurait cru vides ces deux bâtiments. Le boucher, le boulanger et lepharmacien rouvrirent leurs boutiques. On jasait beaucoup dans leslogis. Si l’Empereur était prisonnier, il y avait quelque traîtriselà-dessous. On ne savait pas au juste laquelle des républiquesétait revenue. La nuit tomba. Vers neuf heures, le docteurs’approcha seul, sans bruit, de l’entrée du bâtiment communal,persuadé que son adversaire était parti se coucher ; et, commeil se disposait à enfoncer la porte à coups de pioche, une voixforte, celle d’un garde, demanda tout à coup : – Qui va là ?Et M. Massarel battit en retraite à toutes jambes. Le jour se levasans que rien fût changé dans la situation. La milice en armesoccupait la place. Tous les habitants s’étaient réunis autour decette troupe, attendant une solution. Ceux des villages voisinsarrivaient pour voir. Alors, le docteur, comprenant qu’il jouait saréputation, résolut d’en finir d’une manière ou d’une autre ;et il allait prendre une résolution quelconque, énergiqueassurément, quand la porte du télégraphe s’ouvrit et la petiteservante de la directrice parut, tenant à la main deux papiers.Elle se dirigea d’abord vers le commandant et lui remit une desdépêches ; puis, traversant le milieu désert de la place,intimidée par tous les yeux fixés sur elle, baissant la tête ettrottant menu, elle alla frapper doucement à la maison barricadéecomme si elle eût ignoré qu’un parti armé s’y cachait. L’huiss’entrebâilla ; une main d’homme reçut le message, et lafillette revint, toute rouge, prête à pleurer, d’être dévisagéeainsi par le pays entier. Le docteur demanda d’une voix vibrante :– Un peu de silence, s’il vous plaît. Et comme le populaire s’étaittu, il reprit fièrement : – Voici la communication que je reçois dugouvernement. Et, élevant sa dépêche, il lut : « Ancien mairerévoqué. Veuillez aviser au plus pressé. Recevrez instructionsultérieures. « Pour le sous-préfet, « SAPIN, conseiller. » Iltriomphait ; son cœur battait de joie ; ses mainstremblaient ; mais Picart, son ancien subalterne, lui criad’un groupe voisin : – C’est bon, tout ça ; mais si les autresne sortent pas, ça vous fait une belle jambe, votre papier. Et M.Massarel pâlit. Si les autres ne sortaient pas, en effet, ilfallait aller de l’avant maintenant. C’était non seulement sondroit, mais aussi son devoir. Et il regardait anxieusement lamairie, espérant qu’il allait voir la porte s’ouvrir et sonadversaire se replier. La porte restait fermée. Que faire ? Lafoule augmentait, se serrait autour de la milice. On riait. Uneréflexion surtout torturait le médecin. S’il donnait l’assaut, ilfaudrait marcher à la tête de ses hommes ; et comme, lui mort,toute contestation cesserait, c’était sur lui, sur lui seul quetireraient M. de Varnetot et ses trois gardes. Et ils tiraientbien, très bien ; Picart venait encore de le lui répéter. Maisune idée l’illumina et, se tournant vers Pommel : – Allez viteprier le pharmacien de me prêter une serviette et un bâton. Lelieutenant se précipita. Il allait faire un drapeau parlementaire,un drapeau blanc dont la vue réjouirait peut-être le cœurlégitimiste de l’ancien maire. Pommel revint avec le linge demandéet un manche à balai. Au moyen de ficelles, on organisa cetétendard que M. Massarel saisit à deux mains ; et il s’avançade nouveau vers la mairie en le tenant devant lui. Lorsqu’il fut enface de la porte, il appela encore : « Monsieur de Varnetot. » Laporte s’ouvrit soudain, et M. de Varnetot apparut sur le seuil avecses trois gardes. Le docteur recula par un mouvementinstinctif ; puis, il salua courtoisement son ennemi etprononça, étranglé par l’émotion : « Je viens, Monsieur, vouscommuniquer les instructions que j’ai reçues. » Le gentilhomme,sans lui rendre son salut, répondit : « Je me retire, Monsieur,mais sachez bien que ce n’est ni par crainte, ni par obéissance àl’odieux gouvernement qui usurpe le pouvoir. »Et, appuyant surchaque mot, il déclara : « Je ne veux pas avoir l’air de servir unseul jour la République. Voilà tout. » Massarel, interdit, nerépondit rien ; et M. de Varnetot, se mettant en marche d’unpas rapide, disparut au coin de la place, suivi toujours de sonescorte. Alors le docteur, éperdu d’orgueil, revint vers la foule.Dès qu’il fut assez près pour se faire entendre, il cria : «Hurrah ! hurrah ! La République triomphe sur toute laligne. » Aucune émotion ne se manifesta. Le médecin reprit : « Lepeuple est libre, vous êtes libres, indépendants. Soyezfiers ! » Les villageois inertes le regardaient sans qu’aucunegloire illuminât leurs yeux. À son tour, il les contempla, indignéde leur indifférence, cherchant ce qu’il pourrait dire, ce qu’ilpourrait faire pour frapper un grand coup, électriser ce paysplacide, remplir sa mission d’initiateur. Mais une inspirationl’envahit et, se tournant vers Pommel : « Lieutenant, allezchercher le buste de l’ex-empereur qui est dans la salle desdélibérations du conseil municipal, et apportez-le avec une chaise.» Et bientôt l’homme reparut portant sur l’épaule droite leBonaparte de plâtre, et tenant de la main gauche une chaise depaille. M. Massarel vint au-devant de lui, prit la chaise, la posapar terre, plaça dessus le buste blanc, puis se reculant dequelques pas, l’interpella d’une voix sonore : « Tyran, tyran, tevoici tombé, tombé dans la boue, tombé dans la fange. La patrieexpirante râlait sous ta botte. Le Destin vengeur t’a frappé. Ladéfaite et la honte se sont attachées à toi ; tu tombesvaincu, prisonnier du Prussien ; et, sur les ruines de tonempire croulant, la jeune et radieuse République se dresse,ramassant ton épée brisée… » Il attendait des applaudissements.Aucun cri, aucun battement de mains n’éclata. Les paysans effarésse taisaient ; et le buste aux moustaches pointues quidépassaient les joues de chaque côté, le buste immobile et bienpeigné comme une enseigne de coiffeur, semblait regarder M.Massarel avec son sourire de plâtre, un sourire ineffaçable etmoqueur. Ils demeuraient ainsi face à face, Napoléon sur sa chaise,le médecin debout, à trois pas de lui. Une colère saisit lecommandant. Mais que faire ? que faire pour émouvoir ce peupleet gagner définitivement cette victoire de l’opinion ? Samain, par hasard, se posa sur son ventre, et il rencontra, sous saceinture rouge, la crosse de son revolver. Aucune inspiration,aucune parole ne lui venaient plus. Alors, il tira son arme, fitdeux pas et, à bout portant, foudroya l’ancien monarque. La ballecreusa dans le front un petit trou noir, pareil à une tache,presque rien. L’effet était manqué. M. Massarel tira un secondcoup, qui fit un second trou, puis un troisième, puis, sanss’arrêter, il lâcha les trois derniers. Le front de Napoléon volaiten poussière blanche, mais les yeux, le nez et les fines pointesdes moustaches restaient intacts. Alors, exaspéré, le docteurrenversa la chaise d’un coup de poing et, appuyant un pied sur lereste du buste, dans une posture de triomphateur, il se tourna versle public abasourdi en vociférant : « Périssent ainsi tous lestraîtres ! » Mais comme aucun enthousiasme ne se manifestaitencore, comme les spectateurs semblaient stupides d’étonnement, lecommandant cria aux hommes de la milice : « Vous pouvez maintenantregagner vos foyers. » Et il se dirigea lui-même à grands pas verssa maison, comme s’il eût fui. Sa bonne, dès qu’il parut, lui ditque des malades l’attendaient depuis plus de trois heures dans soncabinet. Il y courut. C’étaient les deux paysans aux varices,revenus dès l’aube, obstinés et patients. Et le vieux aussitôtreprit son explication : « Ça a commencé par des fourmis qui mecouraient censément le long des jambes… »

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