Hymnes homériques

3. – À Vénus.

Muse redis les travaux de la blonde Vénus,déesse de Chypre : c’est elle qui fait éclore de tendresdésirs dans le sein des dieux, qui soumet à ses lois les mortels,les oiseaux légers habitants de l’air, tous les monstres, et ceuxdu continent et ceux de la mer ; c’est elle, douce Vénuscouronnée de fleurs, c’est elle qui courbe sous ses travaux tout cequi respire.

Mais il est trois divinités inflexibles à sesséductions et dont elle ne peut fléchir le coeur. Minerve aux yeuxd’azur, fille du redoutable Jupiter, repousse les travaux de lablonde Vénus. Ce qu’elle aime, ce sont les guerres, les fatigues deMars, les combats, les batailles, les charmants tissus. La premièreelle enseigna les arts aux mortels, elle leur enseigna à façonnerles chariots et les chars étincelants d’airain. C’est elle qui,dans l’intérieur des palais, apprend aux jeunes vierges à se servirde l’aiguille et forme leurs mains à ces ouvrages délicats.

Vénus au doux sourire n’a pu soumettre àl’amour Diane qui porte des flèches d’or et qui chérit la chassetumultueuse. Elle aime les arcs dont la flèche rapide atteint uneproie sur les hautes montagnes, les lyres, les choeurs des danses,les cris des chasseurs, l’obscurité des profondes forêts et la citédes hommes justes.

Les travaux de Vénus ne sont point agréables àVesta, vierge vénérable, la première enfantée par le rusé Saturne,et la dernière selon les volontés du puissant Jupiter. Apollon etMercure désiraient épouser cette auguste déesse, mais elle nevoulut pas y consentir ; elle s’y refusa constamment, et,touchant la tête du dieu puissant de l’égide, cette déesse fit legrand serment qu’elle a toujours tenu de rester vierge dans tousles temps. Au lieu de cette hyménée, son père la gratifia d’unebelle prérogative : au foyer de la maison elle reçoit toutesles offrandes des prémices ; elle est honorée dans tous lestemples des dieux ; elle est pour les mortels la plus augustedes déesses.

Le coeur de ces divinités a été inflexible àVénus : elle n’a pu les séduire ; aucun autre ne sesoustrait à Vénus, qu’il soit dieu ou mortel. Elle égare même lapensée de Jupiter, roi de la foudre, le plus grand des dieux honorépar les hommes les plus illustres. Elle trompe à son gré cet espritplein de prudence, l’unit à des femmes mortelles et lui faitoublier Junon, sa soeur et son épouse, qui par sa beauté l’emportesur toutes les déesses. C’est cette divinité glorieusequ’enfantèrent Saturne et Rhéa. Jupiter, dans la sagesse de sesconseils, a choisi cette noble épouse, habile dans les plus beauxouvrages.

Cependant Jupiter inspira au coeur de Vénus ledésir ardent de s’unir avec un mortel, pour qu’elle ne fût pasaffranchie des plaisirs terrestres ; car souvent parmi lesimmortels elle se vantait avec un malin sourire d’avoir uni lesdieux à des femmes qui concevaient des fils sujets à la mort, etd’avoir uni des déesses à des hommes. Jupiter inspira donc au coeurde Vénus de vifs désirs pour Anchise, qui pour sa beautéressemblait aux immortels, et qui faisait paître ses troupeaux surle sommet de l’Ida, source d’abondantes fontaines.

À peine la belle Vénus eut-elle aperçu ceberger qu’elle en devint éprise. Le désir le plus ardent s’emparade son âme. Elle prend aussitôt son vol, se dirige à Chypre etpénètre dans le temple parfumé qui s’élève à Paphos. C’est là qu’unautel toujours chargé de parfums s’élève dans un champ réservé pourelle : dès que la déesse est entrée, elle ferme les portesbrillantes ; les Grâces s’empressent de la baigner et deverser sur elle une huile divine, odorante, destinée aux dieuximmortels, et qui ajoute à leur beauté. La déesse du sourire revêtson beau corps d’habits magnifiques, se pare de tous ses bijouxd’or, et abandonnant les retraites embaumées de Chypre, elle sehâte de franchir les hautes régions des nuages pour se rendre àTroie. Elle arrive bientôt sur l’Ida, source d’abondantesfontaines, retraite des bêtes sauvages, et se dirige droit à labergerie à travers les montagnes. Les loups cruels, les lionsacharnés à dévorer leur proie, les ours, les agiles panthères,insatiables de carnage, suivent ses traces d’un aircaressant : son âme s’en réjouit ; elle remplit d’ardeurces monstres sauvages, et tous aussitôt dans la profondeur desvallées vont s’unir à leurs compagnes.

Cependant la déesse arrive près des cabanessolidement bâties : elle aperçoit près des étables et restéseul loin des autres le berger Anchise que sa beauté rendaitsemblable aux dieux. En ce moment tous les bergers faisaient paîtreles boeufs dans de fertiles pâturages. Lui, près des étables, restéseul, errait au hasard en jouant de la lyre. Vénus, la fille deJupiter, s’arrête devant lui : elle prend la taille et laforme d’une jeune vierge, pour qu’en la reconnaissant il ne soitpas effrayé ; le héros est frappé de surprise et d’admirationà la vue de cette beauté, de cette taille et de ses superbesvêtements. Sa tête était couverte d’un voile plus brillant quel’éclat de la flamme ; elle portait des bracelets recourbés etde riches pendants d’oreilles. Autour de son cou s’arrondissaientde superbes colliers d’or ; sur sa poitrine magnifique uneparure admirable à voir brillait comme les rayons de la lune.Anchise est aussitôt pénétré d’amour ; il s’adresse en cestermes à la déesse :

– Salut, ô reine ! Sans doute voushabitez les palais des dieux, que vous soyez Diane ou Latone, ou lablonde Vénus, ou la vénérable Thémis ou Minerve aux yeux d’azur.Peut-être même êtes-vous l’une des Grâces qui vivent avec les dieuxet que nous nommons immortelles. Peut-être êtes-vous l’une desnymphes habitant cette agréable forêt, ou bien l’une de celles quidemeurent sur cette belle montagne aux sources des fleuves, etparmi les humides prairies. Je vous construirai un autel sur untertre élevé dans le bois le plus apparent d’Ida, et dans tous lestemps je vous immolerai de superbes victimes. Soyez donc pleine debienveillance pour moi : faites que je sois un héros illustreparmi les Troyens, que ma postérité soit florissante dans l’avenir,que moi-même je jouisse longtemps encore des lumières du soleil,que comblé de biens parmi les peuples j’arrive au seuil d’unelongue vieillesse.

Vénus, fille de Jupiter, lui répond en cesmots :

– Anchise, le plus illustre des mortels néssur la terre, pourquoi m’égaler aux divinités ? Je ne suispoint une déesse : je suis une mortelle : la mère qui medonna le jour est mortelle aussi ; mon père est l’illustreOtrée ; vous devez le connaître : il règne sur toute laPhrygie aux fortes murailles. Je sais également bien votre langueet la mienne : une Troyenne m’ayant reçue de ma tendre mèrem’éleva dans notre palais et me prodigua ses soins dès ma plustendre enfance. Ainsi, je parle également bien et votre langue etla mienne. Mercure à la baguette d’or vient de m’enlever à unchoeur que conduisait Diane armée de flèches et qui se plaît autumulte de la chasse. Nous étions là plusieurs nymphes et plusieursvierges aux riches dots : nous jouions ensemble en formant ungrand cercle. C’est là que m’a saisi le meurtrier d’Argus : ilm’a conduit à travers les champs cultivés par les mains des hommes,à travers les terres incultes et désertes qu’habitent les bêtessauvages au sein des vallées ténébreuses : mes piedssemblaient ne pas toucher la terre. Il m’a dit que j’étais destinéeà partager la couche d’Anchise, que je serai son épouse fidèle, etque je lui donnerai de beaux enfants : après m’avoir montrévotre demeure et révélé ces oracles, le meurtrier d’Argus estretourné dans l’assemblée des immortels ; moi cependant,j’arrive auprès de vous, guidée par l’inflexible nécessité. Mais jevous en supplie à genoux, Anchise, au nom de Jupiter et de vosillustres parents, car un héros tel que vous n’est pas né demortels obscurs, conduisez-moi vierge et sans avoir goûté l’amourauprès de votre père, de votre mère prudente et de vos frères nésdu même sang que vous, afin qu’ils voient si je suis destinée àfaire une digne épouse. Envoyez aussi un rapide messager chez lesPhrygiens aux nombreux coursiers pour prévenir de vos desseins monpère et ma mère que j’ai laissés dans l’affliction. Ils vousdonneront de l’or en abondance et de somptueux vêtements ;vous recevrez d’eux des présents nombreux et magnifiques. Cesdevoirs accomplis, nous célébrerons un mariage désiré, qui serahonorable aux yeux des hommes et des dieux immortels.

En parlant ainsi, Vénus répand un vif désirdans l’âme du berger. L’amour pénètre le coeur d’Anchise, quirépond par ces mots :

– Si vous êtes une mortelle, si vous êtesissue d’une femme, si, comme vous me le dites, l’illustre Otrée estvotre père, si c’est la volonté de Mercure que vous venez en ceslieux, vous serez dans tous les temps appelée mon épouse : nuldes dieux et des hommes ne m’empêchera de m’unir de suite d’amouravec vous ; Apollon lui-même devrait-il me percer de sesflèches terribles, je consentirais, femme semblables aux déesses,je consentirais après avoir partagé votre couche à descendre dansle sombre royaume de Pluton.

En prononçant ces paroles il saisit la main dela déesse. Vénus au doux sourire se détourne, baisse ses beaux yeuxet se glisse timidement dans la couche superbe. Elle était forméede tapis doux et délicats, des peaux d’ours et de lions rugissantstués sur les hautes montagnes. Tous deux étant montés sur cettecouche, Anchise détache la brillante parure de Vénus, les braceletsarrondis, les boucles d’oreilles et les colliers ; il dénouesa ceinture, enlève à la déesse ses vêtements superbes et les placesur un siège enrichi de clous d’argent. Ainsi, par la volonté desdieux et des destins, un homme sans le savoir reposa dans les brasd’une immortelle.

À l’instant où les pasteurs ramenant despâturages émaillés de fleurs les boeufs et les grasses brebis lesreconduisent à l’étable, Vénus répand sur Anchise le plus doux, leplus profond sommeil et reprend ses vêtements magnifiques. Ainsivêtue, la puissante déesse s’arrête à l’entrée de labergerie : sa tête touche le sommet de la porte ; sonvisage rayonne d’une beauté divine, beauté qui n’appartient qu’àCythérée couronnée de violettes. Elle réveille aussitôt Anchise etlui dit :

– Fils de Dardanus, lève-toi ; pourquoirester ainsi plongé dans le sommeil ? considère mes traits etdis si je te parais telle que j’étais lorsque tes yeux m’ont vuepour la première fois.

À ce discours, Anchise se réveille ; maisdès qu’il aperçoit le cou et les yeux de Vénus, il est saisi decrainte et détourne la vue : puis, se couvrant le visage de satunique, il implore la déesse en ces mots :

– Divinité puissante, dès que je vous ai vueje vous ai reconnue pour une déesse : vous ne m’avez pas ditla vérité ; mais je vous en conjure à genoux, par Jupiter,dieu de l’égide, ne permettez pas que je vive misérable parmi leshommes ; prenez pitié de moi, car la vie n’est pas longue pourl’homme qui s’est uni d’amour aux déesses.

– Anchise, héros plein de gloire, lui répondla fille de Jupiter, rassure-toi ; que ton esprit cesse de setroubler. Tu n’as rien à craindre ni de moi ni des autresdivinités, car tu es aimé des dieux. Un fils te naîtra qui régnerasur les Troyens ; ses enfants engendreront à jamais d’autresenfants. Il portera le nom d’Énée, parce que je souffre une douleurterrible pour avoir reposé dans les bras d’un mortel : ceux deta race seront illustres entre tous : ils égaleront presqueles dieux par l’intelligence et la beauté. Ainsi jadis Jupiterenleva le blond Ganymède à cause de son admirable beauté, pour lemettre au rang des divinités et pour être l’échanson des dieux dansle palais de Jupiter, et depuis il est honoré de toute la célesteassemblée quand il puise le rouge nectar dans un cratère d’or.Cependant Tros, ignorant en quel lieu la tempête avait emporté sonfils, éprouvait un chagrin profond : ses gémissements étaientcontinuels. Jupiter en eut pitié ; il lui donna pour la rançonde son fils des coursiers rapides destinés à porter les dieux. Telfut le présent de Jupiter. Par son ordre, Mercure le messager desdieux, lui annonça en outre que ce fils était pour jamais affranchide la vieillesse et de la mort. Tros, ayant reçu le message deJupiter, cessa de gémir ; son âme ressentit une joie extrême,et dans son bonheur il poussa dans la plaine ses coursiers aussirapides que le vent. De même encore, la brillante Aurore enleva unde vos aïeux, Tithon, semblable aux divinités. Elle se renditensuite auprès du redoutable Jupiter, et lui demanda que son épouxfût immortel et vécût éternellement. Jupiter lui promit de réaliserses désirs. Insensée ! La vénérable Aurore ne songea pas àassurer à son époux une jeunesse éternelle et à lui épargner leschagrins de la vieillesse. Tant qu’il fut à la fleur de l’âge, ilhabita les bords de l’Océan aux extrémités de la terre, â cotéd’Aurore, la fille du matin ; mais quand la blancheur vintargenter ses cheveux et sa barbe épaisse, l’Aurore abandonna lacouche de Tithon ; elle continua cependant, à le nourrir depain et d’ambroisie dans ses demeures, à lui fournir des vêtementsmagnifiques. Mais quand arrivé aux derniers termes de la vieillesseil ne pouvait plus ni mouvoir, ni soulever ses membres, voici leparti qui parut le meilleur à Aurore : elle le plaça dans unechambre dont elle ferma soigneusement les portes : là sa voixne peut presque se faire entendre ; il n’a plus ce qui animaitjadis ses membres agiles.

– Je ne veux donc point te mettre au rang desdieux pour te rendre immortel et te faire vivre à jamais. Mais tantque tu seras comme aujourd’hui dans l’éclat de ta beauté et de lanoble taille, tu seras appelé mon époux, nul chagrin n’obscurciraton esprit plein de sagesse. Enfin le jour viendra où tu serassoumis à la froide vieillesse, triste sort de tous les humains, àla vieillesse importune et pénible que les dieux mêmes ont enhorreur ; alors dans l’assemblée des dieux j’éprouverai àcause de toi une honte éternelle. Auparavant ils craignaient mesdiscours et mes conseils, car je les avais tous soumis, je leuravais inspiré le désir de s’unir à des femmes mortelles ; maisma bouche n’osera plus se glorifier en leur présence, parce quej’ai commis une grande faute, une faute irréparable ; mon âmeest tombée dans l’erreur : je porte un fils dans mon sein pouravoir reposé dans les bras d’un homme. Dès que cet enfant verra lalumière, il sera élevé par les nymphes agrestes aux largestuniques, elles qui habitent cette haute et divine montagne et nesuivent ni les dieux ni les hommes ; cependant elles jouissentd’une longue vie, elles se nourrissent d’ambroisie et forment debelles danses avec les dieux. Les silènes et le clairvoyant Mercures’unissent d’amour avec elles dans les grottes profondes. Quandelles viennent au monde, la terre féconde produit aussitôt les pinset les chênes à la haute chevelure, arbres verdoyants : ilss’élèvent dans leur magnifique vigueur sur les montagnes escarpéesoù ils forment le bois sacré des immortels, et les hommes ne lesfrappent jamais de la cognée. Lorsque vient pour eux la destinée dela mort, ces beaux arbres se desséchant, leur écorce se pourritautour du tronc et leurs branches tombent ; alors la vie lesquitte, ils ne jouissent plus de la clarté du soleil. Telles sontles nymphes qui élèveront mon fils. Quand il atteindra l’âgeheureux de l’adolescence, ces divinités t’amèneront l’enfant pourte le montrer. Cette jeune fleur pénétrera ton âme d’une viveallégresse (il ressemblera aux dieux), et tu conduiras cet enfantbien-aimé dans la superbe ville d’Ilion. Là, si quelqu’unt’interroge et te demande quelle mère le porta dans son sein,souviens-toi de répondre comme je vais te l’ordonner :

– On dit qu’il est né d’une de ces bellesnymphes qui habitent la campagne ombragée des forêts.’

Si dans un moment d’imprudence tu leur disaisque tu t’es uni d’amour à la belle Cythérée, Jupiter, furieux,t’écraserait de sa foudre brillante. Tels sont mes ordres :garde-les dans ton âme, ne me nomme jamais et crains la vengeancedes dieux immortels.

À ces mots elle revole à l’instant dans lescieux élevés.

Salut, ô déesse qui régnez sur la charmantecontrée de Chypre : je vous ai célébrée d’abord et maintenantje vais dire un autre hymne.

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