La Bande de la belle Alliette

XX

Alliette comprit tout à l’instant. Elle devinaque c’en était fait de Soufflard ; qu’il allait tomber dansles mains de la police qui cernait la maison. Cette heure de lajustice, elle l’attendait depuis longtemps, sachant fort bien quela prise de Soufflard serait aussi le moment de sa proprearrestation ; mais elle avait espéré que la fatalité nevoudrait pas que ce fût la main de celui qu’elle aimait qui seposât sur son épaule.

Debout, agitée d’une douloureuse surprise,elle regardait l’agent d’un œil égaré et répétaitmachinalement :

– Vous, ce sera vous !

Le policier l’avait bien maudite depuis ungrand mois, mais à la vue de cette magnifique créature qu’iladorait, il frémit en pensant aussi que c’était lui quil’arrêterait et il oublia son devoir.

– Fuis, Alliette lui cria-t-il, il en esttemps encore, mes hommes n’ont ordre que d’arrêter Soufflard.

– Sera-t-il sauvé, lui ?

– Fuis, je t’en supplie, Alliette !répéta l’Écureuil évitant de répondre à la demande.

Alliette secoua la tête :

– Non, fit-elle, nous serons perdus ousauvés ensemble.

Une chandelle, placée sur la cheminée,éclairait seule cette étroite chambre. La chaleur du jour avait étéétouffante, et Alliette, surprise par l’agent, n’avait qu’un légerpeignoir passé par-dessus sa chemise.

– Fuis, répéta de nouveau l’Écureuil.

– Alliette n’a jamais abandonné uncompagnon en péril, répondit-elle.

Le brave policier éperdu ne pouvait trouverque ce seul mot : Fuis ! fuis !

Alliette le regardait émue :

– Sauve-le, si tu m’aimes.

– Lui ! non, il a versé le sang.

– Sauve-le, si tu m’aimes, dit-elleencore.

– Non, j’ai vu sa victime, non !répondit le policier, se raidissant contre le charme de cette voixde sirène qui suppliait, et lui redisait encore :

– Sauve-le, si tu m’aimes.

– Non, non ! j’ai vu la pauvrefamille en larmes agenouillée devant le cadavre ; non !je ne le sauverai pas…

– Tu me perds en même temps,l’Écureuil !

Un violent frisson de terreur parcourut toutle corps du policier qui balbutia !

– Fuis donc, car je ne le sauveraipas.

– Écoute, dit Alliette, personne nepourra jamais t’accuser de faiblesse. Tu vois cette lumière ?Laisse-la moi approcher de cette fenêtre que tu gardes, etSoufflard, prévenu par ce signal, n’entrera pas.

– Non, pas de pitié pourl’assassin !

D’un geste prompt, Alliette fit sauter lebouton du col de son peignoir et sortit ses beaux bras du vêtementqui s’abattit sur ses hanches.

Ses épaules apparaissaient nues etmagnifiques.

Le policier arrêtait sur elle un œilfasciné.

– Cette lumière à la fenêtre et Soufflardne montera pas, répéta Alliette.

– Non ! non ! balbutia l’agentéperdu.

Le peignoir glissa aux pieds d’Alliette.

– Et il ne rentrera pas de la nuit,continua la belle blonde.

– Non, non ! murmura le bravegarçon, rendu à demi fou d’amour.

– Et nous resterons seuls,poursuivit-elle.

L’Écureuil n’avait plus la force deparler ; il secoua négativement la tête.

– Et tu dis que tu m’aimes !continua Alliette !

Le malheureux l’Écureuil, torturé de désirs,eut la force de fermer les yeux en disant :

– Alliette, grâce ! ne me tentepas.

Alliette prit alors la lumière et marcha versla fenêtre.

L’Écureuil, vaincu, ne fit pas un geste pourl’arrêter au passage.

À l’instant même, retentit le long coup desifflet qui annonçait l’approche de Soufflard.

À ce signal, l’énergie revint àl’Écureuil ; mais n’osant repousser de la fenêtre cette femmepresque nue qui passait devant lui, il baissa vivement la tête etsouffla la lumière.

Les deux amants restèrent dansl’obscurité.

On entendait dans la rue les pas se rapprocherde la maison.

– J’ai tout fait pour le sauver, n’est-ilpas vrai, l’Écureuil ? demanda Alliette.

– Et tu t’es perdue avec lui,malheureusement.

– Je le devais.

Puis elle ajouta d’une voix émue :

– Me le pardonnes-tu ?

L’Écureuil, sans lui répondre, la chercha dansl’ombre où elle se rhabillait et l’embrassa.

À ce moment, la porte de la maison, referméepar Soufflard qui entrait, sonna lourdement.

Puis rouverte par les agents, munis de la clefdu menuisier, elle retomba encore.

Alors dans l’escalier retentit le bruit d’unelutte accompagnée de jurons.

Et quand les trois agents amenèrent Soufflarddans la chambre, ils trouvèrent l’Écureuil gardant à vue Allietteassise dans un coin de la chambre, éclairée à nouveau.

Le bandit était pâle et brisé par sarésistance, mais il avait encore son audace.

– Et dire que je n’ai pas eu le temps debutter un de ces quatre chiens maudits !

En cinq secondes, il fut solidement lié.

L’Écureuil sentit son cœur se serrer quand ilvit l’agent Balestrino mettre les menottes à Alliette.

– Allons ! en route, saleengeance ! hurla Soufflard.

Il sortit le premier entre deux agents.

Lévy et l’Écureuil attendirent Alliette.

Elle se leva, et, en passant devant le pauvrepolicier tout blême, elle le fixa un instant.

– Veux-tu fuir ? lui souffla toutbas l’agent.

– Non, fit-elle, j’ai fait mon devoirpour celui que je n’aimais pas, ce n’est point pour compromettrecelui que j’aime.

Et elle suivit Soufflard.

Une heure après, l’assassin était écroué à laForce, et la porte de la prison de Saint-Lazare se refermait surAlliette.

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