La Bande de la belle Alliette

XIX

L’assassinat avait eu lieu le 5 juin.

Depuis ce temps, la police cherchaitSoufflard, et plus d’un mois s’était écoulé sans avoir pu découvrirsa trace.

Le pauvre l’Écureuil desséchait sur pied. Ilétait rongé par l’impatience de trouver le coupable, et, en mêmetemps, par cet amour qu’il faisait de vains efforts pourchasser.

Tout en méprisant Alliette, il avait le plusviolent désir de la rencontrer.

Tous les jours, il se rendait auxMadelonnettes, où Micaud avait été transféré.

Un mot de ce dernier suffisait pour amenerl’arrestation de Soufflard, mais Micaud refusait de dire cemot.

Suivant la recommandation de l’Écureuil,c’était en vain qu’on lui donnait de l’agrément,c’est-à-dire qu’on lui faisait subir toutes ces vexations, à l’aidedesquelles, à cette époque, on cherchait à obtenir desrévélations.

Suppression de tabac, presque privation desommeil, nourriture salée accompagnée de très peu d’eau, refus depromenade au préau, Micaud résistait à la veille, à la soif, àl’ennui et ne voulait pas desserrer les dents.

Enfin un beau jour, l’Écureuil arriva dans sacellule :

– Ami Micaud, lui dit-il, je vous apporteune bonne nouvelle. On a reçu l’ordre de vous laisser fumer, boireet promener tout à l’aise.

– Ah ! ces messieurs de la justiceont enfin perdu l’espoir de me faire parler ? demanda Micaudqui se sentait inquiet de cette latitude qui lui était tout à couprendue.

– Ils n’en ont plus besoin, répondit lepolicier du ton le plus indifférent.

– Et pourquoi ?

– Parce qu’il paraît que ce que tu neveux pas dire, maître cachottier, un autre va nous le conter toutau long.

Micaud eut un petit frisson.

– Qui donc ?

– Lemeunier, qui a demandé aujourd’hui àêtre conduit au juge d’instruction. J’ai reçu l’ordre de venir lechercher.

Micaud voulait se faire payer ses précieusesrévélations par une promesse formelle d’indulgence à l’heure del’arrêt. Il comprit combien sa dénonciation perdrait d’importanceen arrivant seconde.

Il donna dans le piége de l’agent.

En croyant la situation compromise pour lui,il se décida à parler.

– Euh ! euh ! fit-il, Lemeunierdoit savoir bien peu de choses.

– Ah ! bah ! tu sais leproverbe ? À défaut de grives… S’il ne nous indique paspositivement le gîte, il nous mettra au moins sur la trace.

– Et si je consentais à parler, mepromettriez-vous de laisser Lemeunier dans son coin ?

– Tiens, Micaud, je te vois venir ;tu veux abuser de ma crédulité et de l’intérêt que je te porte.Mais, cette fois, je résisterai ; car tu me lanternerais, etaprès ce temps-là, Lemeunier, vexé de n’avoir pas été entendu, nevoudrait plus parler.

L’Écureuil se dirigea vers la porte.

– Non, ajouta-t-il, je m’en vais pour nepas me laisser enjôler.

Il frappa. Un geôlier, qui attendait dans lecouloir, lui ouvrit la porte.

– Mais je vais parler, dit Micaud.

L’Écureuil était sur le pas de la porte ;il sortit en répliquant :

– Oui, tu me conterais encore desblagues. Je préfère aller trouver Lemeunier. Il fera bon pour luid’avoir parlé le premier.

L’Écureuil avança dans le couloir.

Micaud, en le voyant partir, bondit vers lui,mais le geôlier lui ferma la porte.

Micaud s’élança au guichet.

– L’Écureuil, revenez. Je dirai lavérité, cria-t-il d’une voix étranglée.

L’Écureuil suivit le couloir enrépétant :

– Non, je préfère écouter Lemeunier.

Micaud entendit le bruit des pas quis’éloignaient.

Désespéré, il se pencha au guichet encriant :

– Soufflard demeure rue deSeine !

L’Écureuil revint en riant :

– Hein ! ami Micaud, quand je disaisque tu me conterais des mensonges ? Depuis cinq semaines, il adéménagé de cette maison devant laquelle nous avons tendu unesouricière inutile.

Micaud ignorait cette circonstance. Au lieu deperdre son temps à le dire, il continua :

– Alors, il est à son logis de la rueDauphine.

L’Écureuil apprenait cela, mais ilrépondit :

– Connu !

– Ou bien, alors, rue des Noyers, ajoutavite Micaud.

Le policier continua son jeu :

– Connu ! connu ! répéta-t-il,nous avons trouvé partout visage de bois.

Pendant que l’Écureuil se casait dans lamémoire ces adresses surprises à Micaud, celui-ci s’était affaisséen disant :

– Je suis perdu ! je n’en sais pasplus long.

– Allons, je vais retrouver Lemeunier,répéta le policier en reprenant sa route.

– Attendez encore ! cria Micaudd’une voix suppliante, attendez que je me souvienne !

La frayeur lui ressuscita un souvenir.

– Si Soufflard n’est à aucun de cesdomiciles, il doit être caché rue d’Orléans-Saint-Marcel, dans lamaison d’un menuisier, un ancien libéré qui a voulu redevenirhonnête en travaillant et que Soufflard fait chanteren lemenaçant de conter son passé à ses voisins qui l’estiment.

Cette fois, l’Écureuil comprit que Micaudavait vraiment dit tout ce qu’il savait.

– Ah ! voilà quelque chose d’un peuneuf, dit-il, en faisant un geste au geôlier, qui lui rouvrit laporte.

Il pénétra dans la cellule, et regarda Micaudbien en face :

– Maintenant, ne blaguons plus, monbonhomme, écoute un bon conseil et profites-en, car il n’est quetemps. Ce soir, Soufflard sera arrêté, grâce à toi. Si tu veuxtirer parti de la chose, je t’engage à écrire toute ta petitehistoire au juge d’instruction.

– Oui, oui, balbutia Micaud, étouffé parla joie de penser qu’il arriverait premier dénonciateur.

Une heure après, l’Écureuil, accompagnéd’autres agents, se présentait rue des Noyers.

Puis rue Dauphine.

Après ces deux visites inutiles, il prit lechemin de la rue d’Orléans-Saint-Marcel.

La nuit tombait quand il arriva devant lamaison du menuisier.

On pénétrait dans cette maison de la rued’Orléans-Saint-Marcel par une allée longeant la boutique dumenuisier qui occupait seule le rez-de-chaussée.

L’Écureuil fit éloigner ses agents et entrachez le menuisier, qui, après le départ de ses ouvriers, veillaiten réparant une caisse à fleurs.

– Soufflard est-il là-haut ? demandabrusquement le policier.

À ce nom, l’homme blêmit et, sans oserregarder son interlocuteur, il répondit :

– Je ne connais pas ce nom.

Un imperceptible tremblement agitait tout lecorps de l’ancien forçat qui avait demandé sa réhabilitation autravail. Il avait deviné tout de suite l’agent de police, et lemalheureux se voyait perdu par l’hospitalité que Soufflard luiavait imposée.

L’Écureuil comprit ses craintes et vints’asseoir sur l’établi.

– Tranquillise-toi, vieux, dit-ildoucement, je sais que Soufflard te fait chanter avec devieilles histoires. Je te jure que tu ne seras compromis en rien etque tu pourras continuer ta vie de travail.

Deux grosses larmes de reconnaissance vinrentmouiller les yeux du menuisier, en même temps qu’un gros soupir desatisfaction lui allégeait la poitrine.

L’Écureuil lui tendit la main qu’il saisitavec empressement.

– Je suis un ami, dit le policier, etpour te le prouver, je vais te débarrasser d’un locataire dont levoisinage doit rudement te peser sur les épaules.

– Oh ! oui, fit le travailleur avecune intonation qui n’avait rien de flatteur pour Soufflard.

– À quel étage ? demanda sanstransition l’agent.

– Au second, mais en ce moment il estsorti et ne rentrera qu’à la nuit pleine.

– Bien ! Je vais préparer mes hommespour le cueillir au retour, s’écria l’Écureuil, qui le quitta sanspenser qu’il avait à compléter ses renseignements.

Il laissa deux agents dans la rue pour veillersur la rentrée du meurtrier. L’un d’eux devait se promener enflâneur à quelques pas de la maison. L’autre, du nom de Balestrino,alla se poster de l’autre côté de la rue, en manches de chemisecomme un voisin qui prend l’air. Aussitôt Soufflard rentré dans lamaison, ils devaient se jeter à sa suite, fermer la porte del’allée, et monter derrière lui, pendant que l’Écureuil et Lévyl’attendraient en haut de l’escalier. – Soufflard se trouveraitalors pris entre deux feux.

Ses hommes ainsi disposés, l’Écureuil, suivide Lévy, pénétra dans la maison, et ils montèrent s’asseoir sur lesmarches du troisième étage, attendant le coup de sifflet qui devaitleur signaler l’approche de l’assassin.

La nuit, qui commençait à tomber à leurarrivée dans la maison, se faisait plus épaisse.

Si on nous demande pourquoi Soufflard, qui sesavait pourchassé à outrance, était ainsi sorti, nous répondronsque cinq criminels, sur dix que poursuit la police, échapperaientaux recherches, s’ils avaient la force de rester au gîte qu’ils sesont choisi. Mais, à peine cachés, la terreur et l’anxiétés’emparent d’eux et, pour savoir des nouvelles, ils vont rôder dansles endroits mêmes où ils savent souvent qu’on les cherche. Voilàpourquoi Soufflard s’était écarté de la retraite qu’il croyait luioffrir un abri sûr.

Les agents gardaient toujours leur poste.

Une heure se passa dans l’attente.

– Si, par hasard, le menuisier n’avaitpas vu rentrer notre homme, se dit l’Écureuil, il ne serait pasdrôle de faire ainsi le pied de grue, pendant qu’il s’étaleraittranquillement dans son lit.

– Il faut nous assurer s’il n’est pasdans sa chambre, répliqua Lévy.

– Reste-là, je vais écouter à laporte.

Et, doucement, sur la pointe du pied,franchissant les quelques marches qui le séparaient du palier, ilvint appliquer son oreille sur la porte.

Il lui sembla entendre un bruit.

Il écouta plus attentivement encore.

Le bruit continuait dans la chambre et, sousla porte filtrait un rayon de lumière. À coup sûr Soufflard étaitrentré avant leur arrivée.

Frapper à la porte, c’était lui donner letemps de prendre une arme et de se mettre en défense. – Il fallaitle surprendre en tombant sur lui rapide comme la foudre.

L’Écureuil examina bien la porte et laserrure. Comme dans toutes les masures de ce genre, c’était de lapacotille qui ne pouvait offrir aucune résistance biensérieuse.

Il tira de sa poche une paire de pistoletsdont il arma chacune de ses mains.

Puis soulevant un genou, il l’appuya sansbruit à la hauteur de la serrure et, avec cette force herculéennedont il était doué, il donna une subite poussée et fit éclater laferrure de la porte, qui s’ouvrit brusquement.

En même temps qu’un cri de frayeur luirépondait de l’intérieur, l’Écureuil bondissait dans la chambre sespistolets aux poings.

– Soufflard, je t’arr…

Il n’acheva pas sa phrase et resta bouchebéante en reconnaissant l’habitant du logis.

L’Écureuil se trouvait devant Alliette.

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