La Bande de la belle Alliette

IV

Pendant que le pauvre Lévy laissait échappersa proie, son chef, le galant et sensible l’Écureuil, était bel etbien en train de devenir amoureux de la magnifique créature dont ils’était fait le cavalier servant.

Ils étaient à peine sortis de la rue de laBûcherie, que la petite main qu’il tenait sous son bras l’arrêtadoucement.

– Avant d’abuser de votre complaisance,monsieur, je dois vous avertir que je demeure bien loin.

– Quand ce serait au bout de Paris…

– Précisément, c’est au Gros-Caillou.

– J’y ai justement affaire et je comptaisprendre une voiture.

Après une courte hésitation, la jeune femmeconsentit à monter dans un fiacre que l’agent avait arrêté aupassage.

– Fichtre ! se dit l’Écureuilextasié qui, au moment de l’escalade du marchepied, venait de voirun ravissant petit pied et un bas de jambe divinement moulé.

Le tendre agent perdait la tête. Jamais dansla foule de ses conquêtes, le don Juan de la Préfecture n’avaittrouvé pareil gibier.

Dans la voiture, la belle blonde se tintpudiquement serrée dans son coin. L’émotion rendait l’agent timideet lui paralysait même la mémoire, car il n’en put décrocher uneseule de ces longues et brûlantes tirades, apprises par cœur dansle Parfait Secrétaire des Amants, avec lesquelles ilfascinait ses victimes habituelles.

Il ne trouva que des questions banales et,quand la voiture fut arrivée au terme de sa course, le hardiLovelace n’avait pas encore prononcé un mot d’amour.

Il savait seulement que la jeune fille,orpheline de parents morts dans la misère après avoir été riches,vivait de son travail de brodeuse dans une modeste chambre de lamaison devant laquelle le cocher venait d’arrêter ses chevaux.

La jeune fille descendit la première, tira uneclé de la poche de son tablier et ouvrit la porte.

L’Écureuil touchait à peine terre, au sortirde la voiture, qu’elle lui dit de cette mélodieuse voix quichatouillait si doucement l’oreille du policier :

– Je n’oublierai jamais le service quevous avez rendu à une pauvre fille sans protecteur.

Et avant que l’amoureux pût la retenir, elledisparut derrière la porte, qui se ferma sur le nez de l’agentstupéfait.

– Chou-blanc ! mon bourgeois, luicria la voix moqueuse du cocher, riant de la mine effarée de sonclient resté immobile devant cette porte qui, en se refermant,interrompait net une aventure qu’il se promettait si belle.

Après avoir payé le cocher qui partit,l’Écureuil revint devant la porte. Nous l’avons dit, c’était ungaillard opiniâtre qui lâchait difficilement prise.

– Cela ne peut finir ainsi,grommela-t-il, je sens que je suis fou de cette femme, Je veux larevoir. Allons, décidément, il faut que j’entre.

Il souleva deux fois le vieux marteau en ferrouillé qui pendait à la porte, et il écouta. Il entendit àl’intérieur un grincement de serrures et de gonds.

– On vient, pensa l’Écureuil ; jevais me précipiter pour que ma belle, effarouchée en me voyant,n’ait pas le temps de me fermer la porte une seconde fois sur lenez.

Au même moment la porte s’ouvrit et l’agents’élança.

L’entrée donnait sur un corridor quis’éclairait seulement par la porte.

À peine l’Écureuil eut-il le pied dans lecouloir, que la porte fut vivement refermée et qu’il se trouva dansl’obscurité avant d’avoir pu voir qui lui avait ouvert.

– Sapristi ! se dit-il, j’entre dansun four.

Le malheureux n’avait pas fini sa phrase qu’ilrecevait en pleine poitrine une vigoureuse poussée qui lui fitperdre l’équilibre et le fit reculer de trois pas. Tout à coup leterrain manqua sous ses pas, il roula sur les marches d’un escalierraide et s’étala meurtri sur un sol mou et humide.

On venait de précipiter l’agent dans une cavequi s’ouvrait sur l’un des côtés du couloir. Le bruit d’une lourdeporte et de verrous tirés lui montra qu’on l’enfermait dans ce noircaveau sans le moindre soupirail.

L’agent était réellement brave.

Il se releva moulu, et non effrayé.

– Pris au traquenard ! se dit-il.Ah ! Il a une jolie poigne, celui qui m’a fait débouler dansce pot à l’encre ; je l’en félicite. Quel peut être cegaillard-là ? – À coup sûr, c’est quelque amant jaloux, quim’aura vu ramener la belle blonde… Un amant, non, son air est tropcandide pour lui supposer un amant… c’est plutôt un soupirant ou unfiancé rageur… mais vigoureux. Quelle poigne ! – Cela commencebien… J’aurai de l’agrément à courtiser cette blonde pour peu quecela continue sur cet air-là. – Voyons où je suis.

Pendant ce monologue, l’Écureuil avait marchéjusqu’à ce qu’il fût arrêté par un mur. Il le suivit en tâtant lapierre.

– Bien je suis dans une cave entièrementvide… Ah ! voici un angle… continuons… un autre… qu’est-ce quecela ?

Il venait de heurter du pied la premièremarche de l’escalier qu’il avait si brusquement descendu sur ledos. Il le monta en comptant vingt-sept marches. Alors, il sentitsous sa main, le bois d’une porte, bois dur et épais, car ilrésonna sourdement sous un coup sec de son doigt. – Il cherchavainement à l’ébranler, mais la ferrure était bonne.

À ce moment, le prisonnier entendit dans lecouloir un bruit de pas nombreux, puis une voix quidisait :

– Dans une demi-heure, vous descendrezrelever le mort.

– Bigre ! pensa l’Écureuil, on vientm’assassiner ! allons ! Jusqu’à ce jour, les blondesm’avaient mieux réussi que cela. J’avais bien raison de dire quec’était un fiancé rageur.

Il redescendit vite l’escalier pour gagner àtâtons un coin où il pût mieux se défendre.

Puis il tira son couteau et attendit.

La porte s’ouvrit lourdement.

– Passe, Micaud, fit la même voix.

– Micaud. Voici un nom bon à me rappeler,si j’en reviens, se dit l’agent.

On entendit un homme descendre l’escalier.

– Maintenant, à mon tour, ajouta lavoix.

– Il paraît qu’ils sont deux ; jevais avoir double besogne, pensa l’Écureuil en serrant plus fortson couteau.

Le pas du second homme sonna sur lesmarches.

Arrivé au bas, il cria :

– Eh ! là-haut, vous autres !allez-vous-en et laissez-nous nous amuser un peu gentiment pendantune demi-heure.

– Me trouer la carcasse, il appelle celas’amuser gentiment… Mazette ! il aurait bien pu me consulteravant, se disait l’Écureuil dans son coin ; heureusement queje suis de la nature du pélican : quand on l’attaque, il sedéfend. – Sapristi ! voilà une blonde qui va me revenir cher…Il est vrai que c’est un vrai régal de préfet de police.

En agent dévoué, l’Écureuil ne voyait rienau-dessus de son chef, et il croyait faire ainsi le plus bel élogede la blonde.

Au milieu de l’obscurité, la voixreprit :

– Ainsi, Micaud, nos conditions sont bienarrêtées ! On étouffera tous cris pouvant attendrir lescamarades.

– Oui, fit Micaud.

– Pieds, poings, dents, couteau, tout estbon ?

– Convenu !

– Et on finira sans scrupule l’ennemi àterre ?

– Sans scrupule.

– Alors, comme ta voix m’indique où tu esen ce moment, fais dix pas à droite ou à gauche dans l’obscurité,et puis défends bien ta peau.

– Tiens, tiens, pensa l’Écureuil, ilparaît que la petite fête ne me regarde en rien ; je ne suisque public. Ça va être drôle !

– Un instant encore, dit Micaud ; ilest bien entendu que si je te tue, les camarades ou Alliette ne tevengeront pas. Sans cela je n’accepte pas le duel.

– Il est trop tard pour reculer. On m’arépété que, tant que j’étais à la Force, tu parlais de me tuer à masortie pour t’avoir enlevé Alliette. Aussitôt libre, je t’ai offertde contenter ton envie. Tu as prétendu que les amis meprotégeraient pendant la lutte et tu as voulu le combat à huisclos, dans l’obscurité pour frapper sans pitié. J’ai accepté.Maintenant, il faut jouer du couteau, mon bonhomme, ou je croiraique tu n’as pas une si grande envie de me tuer que tu ledisais.

– Tu vas le voir, lâche chien que j’ainourri logé et habillé à sa sortie du bagne et qui m’a récompenséen m’enlevant ma maîtresse.

– D’abord Alliette ne t’aimait pas. Tu lafatiguais avec ta stupide jalousie, toi qui lui écrivis un M à lacraie sous la semelle de ses bottines pour voir si elle ne sortaitpas en ton absence.

– Ce n’est pas vrai !

– Je lui ai fait : Psitt ! etelle est venue à mon logis de la rue de Seine.

– Elle t’a suivi par crainte.

– Elle t’a quitté par mépris. Elleprétend que tu laisses trop les camarades marcher en avant.

– Tu mens ! J’ai fait avec Leviel levol Pellerin de la rue des Abattoirs ; 21,000 francs d’un coupde filet. Avec Lemeunier, j’ai dévalisé le peintre de la rue desBoulangers. Tout seul, à Neuilly, J’ai déménagé le général Dupont.N’étais-je pas avec toi pour le bijoutier Laroche de la rueRacine ? 53,000 francs en six mois ?

– Comme on apprend à tout âge, se disaitl’Écureuil, qui, dans son coin, faisait ses efforts pour loger tousces noms en sa mémoire.

– Non, non, reprit Micaud, Alliette net’aime pas.

– Ce n’est pas ce qu’elle m’a dit cematin, répliqua la voix avec une intonation fatuitementrailleuse.

Cette phrase exaspéra Micaud.

– Défends toi, chien maudit !

– Enfin, tu te décides !

Le silence se fit.

Malgré la précaution, prise par lesadversaires, d’étouffer le bruit de leur marche, l’Écureuil lesentendait se chercher dans l’ombre.

Un d’eux vint à lui. Un pas de plus, il allaitl’effleurer, quand, tout à coup, il s’arrêta et attendit.

Au souffle très léger de sa respirationretenue, l’agent devina que cet homme lui tournait le dos.

– Tiens se dit-il, il me vient uneidée !

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