La Bande de la belle Alliette

XVIII

Il nous faut maintenant retourner à Alliette,que nous avons laissée évanouie aux pieds de Soufflard, qui venaitde lui annoncer l’assassinat de la marchande.

Elle ne tarda pas à reprendre ses sens.

Fille d’énergie avant tout, la blonde, cachantau fond de son cœur la douleur que lui causait son involontaireparjure à l’Écureuil, songea tout d’abord, bien qu’il lui inspirâtune profonde horreur, à sauver celui qui avait été soncompagnon.

– As-tu été vu ? luidemanda-t-elle.

– Ceux qui peuvent m’avoir vu ne mereconnaîtront pas après ma barbe coupée, répondit Soufflard, envidant sur la cheminée ses poches pleines d’argent volé.

– En es-tu bien sûr ?

– La fille de la femme m’a seulement vude dos dans l’escalier, ainsi je…

Soufflard s’arrêta au milieu de sa phrase.

– Oui, J’ai changé ma figure, mais onpeut avoir le signalement de mes vêtements… Je dois aller enacheter d’autres.

– Impossible ! à cette heure lecrime est connu, ce serait donner l’éveil à quelque marchand quinous lancerait la police aux trousses.

– Je ne puis garder cette redingoteensanglantée. Il faut la faire disparaître et la remplacer.

– J’ai conservé la reconnaissance decelle de Micaud, nous la dégagerons du Mont-de-Piété.

– Chut ! fit tout à coup Soufflard,on monte l’escalier.

Chez les gens qui, comme ce dernier, setrouvent sous le coup d’une profonde terreur d’être pris, tous lessens acquièrent une extrême sensibilité.

Depuis le crime commis, le bandit éprouvaitcette crainte de tous les instants ; aussi il entendit le pasléger de celui qui montait l’escalier.

On gratta à la porte, en même temps qu’unevoix souffla :

– Le moucheron.

Soufflard courut ouvrir.

– Je viens vous dire de la part del’oncle que ce n’est pas le vrai moment d’aller vous promener auxTuileries. – La Bicherelle, en passant tout à l’heure devant lapréfectance, a vu tout un troupeau de roussesquipartait, le nez au vent. Filez, il n’est que temps.

Alliette avait un peu réfléchi.

– Dis donc, môme, veux-tu jouer desjambes pour nous ?

– Tout de suite.

Elle lui présenta de l’argent et unereconnaissance.

– Tu vas courir au Mont de la rue de laHarpe et nous apporter la redingote de Micaud.

À ces mots, la figure du gamin s’illumina toutà coup d’un rapide éclair de contentement.

Il sauta sur le papier et disparut dansl’escalier en disant :

– Dans dix minutes, je vousl’apporte.

Alliette fit les paquets à la hâte, pendantque Soufflard descendait chez le maître du garni payer le loyer etannoncer son départ.

Puis, ils attendirent le moucheron.

– Il avait demandé dix minutes, et il y adéjà plus d’une demi-heure, dit Soufflard, brûlant d’impatience dequitter ce logis où la police, instruite par quelque révélation,pouvait venir le relancer.

Enfin le moucheron arriva.

– Figurez-vous, dit-il, que ces imbécilesdu Mont l’avaient déchirée, j’ai été obligé d’aller la fairerecoudre chez un portier-tailleur du voisinage.

Soufflard endossa vite cette redingote faited’une étoffe qu’on appelait à cette époque tête de nègre.

– Il faut brûler l’autre, dit-il.

– De quoi ? brûler ! fit legamin, donnez-la moi, je l’offrirai en cadeau à maman Vollard, quien fera ses choux gras.

– Non, dit Alliette, ce vêtement peutnous compromettre, nous devons l’anéantir. Soufflard a raison, ilfaut la brûler.

– Avec ça que vous avez le temps demoisir ici ? Est-ce que vous croyez que la police va vous ylaisser mourir de vieillesse ? demanda le gamin.

– Oui, partons, dit Soufflardimpatient.

Alliette hésitait encore.

Le moucheron lui prit le vêtement desmains.

– Quand je vous dit que maman Vollards’en charge ; laissez-la donc, madame Alliette.

– Partons, partons, répéta Soufflardagité par la crainte qui ne le quittait plus.

– Dis bien à ta mère qu’elle lave le sangqui couvre les revers.

– Soyez donc tranquille ; dès cesoir elle sera propre comme l’œil et la mère l’aura vendue à unprêtre.

– Alors, en route ! fitAlliette.

Soufflard s’élança dans l’escalier. Alliettele suivait pâle et résignée. Après avoir eu un instant l’espoir desortir du bourbier, elle comprenait que, maintenant, elle glissaitsur la dernière pente. Elle se perdait volontairement pour chercherà soustraire à l’échafaud la tête de son compagnon.

La redingote roulée sous le bras, le moucheronles suivait en arrêtant un regard moqueur sur le vêtement de Micaudque Soufflard avait endossé.

Vingt minutes après, Alliette et Soufflardétaient réfugiés dans un garni de la rued’Orléans-Saint-Marcel.

Pour la première fois l’assassin eut un momentde trêve à ses angoisses.

– Ils ne viendront pas nous chercher ici,tous ces chiens damnés de police ! s’écria-t-il.

– Qui sait ? murmura Alliette enpensant à l’Écureuil que, malgré l’amour qui la mordait au cœur,elle redoutait de voir arriver.

De son côté, le moucheron avait couru chez samère :

– V’là une redingote à Soufflard dont lacouleur craint l’air, lui dit-il, un rien exposée, elle peuts’abîmer.

La Vollard prit le vêtement et le palpa.

Ses doigts sentirent la raideur que donnait aurevers le sang desséché.

Elle comprit aussitôt :

– Joliment défraîchie, ce Soufflard estun vrai massacreur de toilette.

– Il faut la faire circuler, ditAlfred.

– Sois tranquille, l’enfant. Je vaisd’abord la déraidir de son empois.

Et prenant une croûte de pain dur, la vieille,s’en servant comme d’une râpe, en frotta l’étoffe dont s’échappaune poussière rouge.

– Maintenant, dit-elle, comme j’attendsla visite de la rousse d’un instant à l’autre, je croisqu’elle ne sera jamais mieux cachée qu’au clou.

– Jolie idée ! dit le moucheron.

– Viens-tu avec moi, petit ?

– Zut ! fit le fils respectueux,plus souvent que je vais m’accrocher à ton jupon quand il y a dessaucisses, du pivois[24] et toutle tremblement à déguster avec l’oncle.

Et le gamin prit sa course pour rejoindreLesage que, trois jours plus tard, il devait involontairementlivrer en entraînant Lévy à sa suite.

En revenant du Mont-de-Piété, la Vollard eutla pensée de brûler la reconnaissance.

– Ma foi, non, se dit-elle, dans sixmois, les rousses ne nous embêteront plus avec leur niaiserie de larue du Temple ; Ils fermeront l’œil et je trouverai à lavendre.

Elle fourra le papier dans un vieux basqu’elle enfouit sous le tas de loques qui servait de lit.

– Ils n’iront pas chercher là, sedit-elle.

Puis elle s’étendit sur un amas de puantesguenilles, en ajoutant :

– Bonne nuit, ma petite Vollard.

Le lecteur a vu quel fut son réveil et combienelle avait eu tort de compter sans la finesse et le zèle del’Écureuil qui avait déniché le bas contenant lareconnaissance.

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