La Bande de la belle Alliette

IX

Au moment même où on parlait de revenants,Micaud venait d’apparaître sur le seuil de la porte.

Il était toujours en bras de chemise.

Il entra doucement, presque craintif et laface souriante en disant :

– C’est donc ainsi qu’on reçoit uncamarade qui a failli rendre sa petite âme aujourd’hui ?

Avant que l’effroi fût calmé, Micaud étaitarrivé devant Soufflard et lui tendit la main.

– J’ai été vaincu, donc j’avais tort, luidit-il, je n’ai plus de rancune et j’abandonne franchement toutesmes prétentions à l’amour d’Alliette. Veux-tu toutoublier !

– Oui, de grand cœur… s’écria Soufflard,serrant franchement la main qui lui était offerte.

– Ah ! tu as une rude poigne,camarade. Si je n’ai pas été complètement étranglé par toi, c’estque le diable s’en est mêlé.

Un prompt signe d’Alliette arrêta Soufflard,qui ouvrait la bouche pour dira à Micaud combien il était innocentde lui avoir tordu le cou.

Et pendant que Micaud allait s’asseoir à latable, Alliette souffla vite à son amant :

– Méfie-toi, je connais le Micaud, saréconciliation sonne creux.

Les bandits avaient fait place àl’arrivant.

– Dites-donc, papa Micaud, l’envie vousest donc venue de rentrer votre langue ? Vous la tiriez d’unejolie longueur ce matin, dans le caveau, étendu sur le dos. – Fautpas garder cette habitude-là, ça attire les mouches, je vous enpréviens.

– Oui, je suis revenu à moi, grâce àl’heureuse idée de celui qui m’a retiré ma cravate.

Lemeunier prit un air modeste.

– C’est moi, vieux.

– Merci, fanandel.

– Et personne ne s’est présenté aprèsnotre départ ? demanda Alliette d’un ton méfiant.

– Personne, fit Micaud avec aplomb. Enrevenant à moi dans la maison déserte, j’ai eu l’idée que vousdeviez être à la Pomme-d’amour,de la barrière du Maine, ouau Franc-Roulier. J’ai commencé par le mauvais bout, puisje suis venu ici ; de là, mon retard.

Alliette attachait sur Micaud un regardperçant.

Son ancien amoureux ne broncha pas sous cetexamen.

Et, malgré l’émotion énorme qu’il ressentaiten faisant cette question, il demanda de l’air le plusdégagé :

– Ah çà ! dites-moi donc quel est lefarceur qui m’a pris ma redingote ?

– C’est moi, fit Soufflard.

– Toi, s’écria Micaud en lançant surSoufflard un regard mêlé de haine et de stupeur qu’il éteignitaussitôt.

Si court qu’il eût été, ce regard avait étésurpris par Alliette.

Micaud avait retrouvé son calme affecté.

– Et qu’en as-tu fait ?

– En venant ici, je n’avais pas d’argentet je l’ai engagée au Mont-de-Piété.

Micaud pâlit, et ses lèvres qu’il mordit avecrage pour étouffer un cri, se teignirent de sang.

Comme elle l’avait dit à Soufflard, Allietteconnaissait trop bien Micaud pour n’avoir pas deviné que le banditdevait couver quelque projet de vengeance. Mais par quels moyensvoulait-il y parvenir ? Était-ce par le meurtre de son rivalou par une dénonciation à la police ? – bien que lesexplications données par Micaud lui parussent plausibles, la belleblonde sentait instinctivement un piège.

La prudence lui soufflait qu’elle devaitsurveiller Micaud et, devant lui, éviter toute confidence de natureà être exploitée par un dénonciateur.

Malheureusement pour les projets d’Alliette,il lui était impossible, en présence de Micaud, de communiquer sessoupçons à ses complices.

Ce qu’elle avait prévu arriva.

Les bandits, plus confiants qu’elle, allèrentd’eux-mêmes au-devant du projet inconnu de l’ex-amant de lablonde.

– Parbleu ! cria Leviel, tu neresteras pas longtemps en bras de chemise.

– Comment ça ? fit Micaud.

– Avant peu tu pourras facilementremplacer ta redingote, car il paraît que nous allons nager dansl’or, grâce à la Vollard.

– Vraiment ?

– Oui, ajouta Lemeunier, la vieille adéniché un coup superbe. Il n’y a qu’à se baisser et à prendre.

Alliette aurait voulu arrêter la confidence,mais il était trop tard.

– Pas vrai ? la Vollard, criaLemeunier, que tu nous as levé un grinchissage[15] qui doit nous enrichir tous ?

– Tous, non, répliqua la revendeuse, maisles trois ou quatre bons garçons qui mettront la main à la pâte.Seulement, je vous ai prévenu d’une chose.

– Quoi donc ?

– Qu’il ne fallait pas avoir un poil dansla main.

– Il y a donc du tirage[16] ?

– Eh ! eh ! fit la vieille,mieux que ça !

– Ah bah !

– Oui, il y a dix-huit chances sur vingtqu’il faudra répandre du raisiné[17].Seulement, après, on sera bien payé de sa peine.

Soufflard avait écouté sans mot dire lespremières phrases, mais, en entendant la dernière, il se tournavivement vers la Vollard.

On ne saurait imaginer avec quelle tranquilleinsouciance fut échangé un horrible dialogue, en argot, qui voulaitdire :

– Il y a gros à prendre ?

– Un butin de roi.

– Et le sang est nécessaire ?

– Oui, un meurtre.

– Quelle victime, un homme ?

– Non.

– Une femme ?

– Peut-être deux femmes.

– J’en suis.

Alliette n’avait pas quitté Micaud des yeuxpendant les paroles de son amant. Quand ce dernier réclama le droitde participer au meurtre, elle vit un sourire de joie passer surles lèvres de Micaud.

– Il veut perdre Soufflard, se dit-elle.Voir Soufflard chargé d’un meurtre l’a fait sourire… donc, il aintérêt à le trouver compromis et il se vengera par unedénonciation : c’est un mouchard à tuer.

Alliette était une rude femme. Elle venait decondamner Micaud à mort, et Micaud était bien perdu.

Mais lui aussi connaissait son Alliette. Ilcomprenait que sa défiance devait être éveillée, et, sans lever latête, il sentait son regard peser sur lui.

Il faut croire que les soupçons de la blondeétaient injustes, car, à peine Soufflard avait-il annoncé qu’ilvoulait prendre part à l’expédition, que Micaud se tourna vers laVollard en disant :

– J’en suis aussi.

– Toi ! s’écria Alliette, déroutéedans son idée que Micaud avait intérêt à voir Soufflard secompromettre seul.

Micaud avait pris l’air étonné.

– Pourquoi pas, ma belle ?

– Je ne te croyais pas si décidé.

– Nécessité fait loi, reprit Micaud, jene peux pas toujours rester en bras de chemise.

– Mais tu dois avoir un autre vêtementchez toi, demanda Lemeunier.

– Pas l’ombre d’un.

– Allons donc ! blagueur ! criaLeviel. Si tu n’as pas d’autre vêtement, tu as le moyen, même sansvoler, de t’en procurer un autre, car tu dois posséder un rudesac ?

Micaud eut un tressaillement.

– Moi, fit-il, en prenant une figureétonnée.

– Oui, oui, toi. N’aie donc pas l’air derevenir de Pontoise. On ne te voit pas dépenser un sou, et pourtanttu as touché de bonnes parts dans tous nos coups.

Micaud avait pâli, mais il gardait sa figuresurprise.

– Où diable avez-vous pêché que je devaisavoir un sac ?

– Soit ! tu n’es pas àconfesse ; garde ton secret, reprit Lesage.

– Dis donc, panné ? cria lemoucheron.

– Quoi ?

– Me donnes-tu ton magot, si je mets lamain dessus ?

– De grand cœur, galopin.

– Alors, gare à tonSaint-Frusquin !

Micaud fit semblant de partager l’éclat derire général.

– Ainsi donc, Micaud, tu es biendécidé ? demanda Soufflard.

– Parfaitement, j’ai besoin d’argent… nefût-ce que pour retirer ma redingote du Mont-de-Piété.

Après avoir dit ces mots, il ajouta d’un tontranquille :

– À propos, rends-moi donc lareconnaissance.

– Je l’ai remise à Alliette.

Micaud tourna les yeux vers la blonde.

– Donne, ma fille, lui dit-il.

Alliette était prudente. Un pressentimentl’avertit qu’elle ne devait pas se dessaisir du papier.

– Je ne l’ai plus, répondit-elle.

Micaud sembla éprouver une secoussenerveuse.

– Et qu’en as-tu fait ?

– Dame, je te croyais mort et, comme lespapiers sont bavards, j’ai brûlé celui-là.

Il y a gros à parier que le moucheron auraitfortement crié, si son oreille avait été à la place du bouchon queMicaud tenait entre ses doigts quand Alliette lui fit cetteréponse. Le liège s’aplatit subitement sous la pression nerveuseque lui fit subir le gredin dont la figure, pourtant, restaimpassible.

Cependant, Soufflard s’était rapproché de laVollard qui dégustait son verre d’eau sucrée. La bonne dame avaitles digestions difficiles.

– Voyons, la vieille, lui dit-il, Micaudet moi nous nous chargeons de l’affaire. Raconte-moi de quoi ilretourne.

La Vollard secoua la tête.

– Vous n’êtes pas assez de deux.

– Combien t’en faut-il ?

– Au moins trois.

Soufflard fit un geste pour réclamer lesilence de la bande, en ce moment un peu bruyante.

– Il nous faut un troisième,prononça-t-il d’un ton bref.

C’étaient tous de hardis compagnons ;mais l’homme n’est pas parfait : la pensée du meurtre àcommettre les faisait reculer. Aucun ne se souciait de franchir ladistance du bagne à l’échafaud.

Le silence répondit donc à la sinistre demandede Soufflard.

Puis un petit ricanement résonna.

– Ah ! Soufflard, ce n’est pas biende n’avoir pas pensé tout de suite à son camarade Lesage, luicriait ce dernier.

Le trio était trouvé !

– Cela te suffit, la mère ? demandaSoufflard.

– Oui, la chose est faisable avec voustrois, moi et mon petit Alfred.

– Tiens ! je suis donc de lafête ? dit le gamin surpris.

– Oui, mon bijou.

– Alors on me payera le cirque. J’adorevoir une belle femme, debout sur un cheval, qui saute dans descôtelettes en papillote.

– C’est convenu, mon doux trésor, dit latendre maman.

Et après avoir caressé l’espèce d’étrille quiservait de chevelure à son bien-aimé rejeton, la Vollardajouta :

– Maintenant, je vais vous conter lapetite chose en douceur.

Les trois hommes tendirent l’oreille à laconfidence de la Vollard.

La vieille baissa la voix etcommença :

– Le magot à dénicher est rue du Temple,91.

– Bigre ! c’est une rue bienfréquentée, fit Lesage.

– Si tu commences à cracher déjà surl’ouvrage, tu n’es pas au bout de ta peine, toi, dit la Vollard,car non seulement la rue est fréquentée, mais il faut fairel’ouvrage en plein jour.

– Pourquoi pas le soir ?

– Parce que, le soir, il vous faudraitrefroidir trois personnes.

– Au lieu que dans le jour…

– Une… peut-être deux, ça dépend de votrechance. Mais, dans tous les cas, comptez toujours sur une.

– Ne vous amusez pas aux détails, ditSoufflard impatient, nous verrons quand nous y serons. Continue, lavieille.

– Une maison à allée, ajouta laVollard.

– Bon, dit Lesage.

– Il y a des portiers.

– Aïe ! moins bon.

– C’est au troisième étage et la porteest à trois serrures.

– Trois serrures ! s’écria Micaud,il y a donc un bien joli magot derrière.

– Parbleu ! fit le moucheron,crois-tu pas qu’on met trois serrures pour garder enfermé sondernier rhume de cerveau.

– Après ? demanda Soufflard.

– Vous serez là chez de gros marchands duTemple qui passent pour riches. Le mari tient la boutique auTemple, et, dans la maison, il a son magasin, qui est gardé par lafemme. Quand les clients ne trouvent pas ce qu’il leur faut à laboutique, le mari les envoie au magasin de la femme. C’est donc unva-et-vient dans l’escalier qui fait qu’on n’a pas trop à redouterles portiers.

– Donc, la femme est seule ?

– C’est selon. Le ménage a une fillettede quinze ans qui se tient tantôt avec le père, tantôt avec lamère. Je vous le dis, c’est votre chance qui décidera si vous aurezune ou deux femmes à refroidir.

– Et la mère ne sort jamais ?

– Jamais. Un vrai cheval à l’ouvrage.C’est la petite fille qui fait les commissions du ménage.

– Mais le dimanche, cette famille là doitaller se promener ? demanda Lesage.

– Oui, mais alors le dimanche, il n’y aplus le mouvement des acheteurs dans l’escalier, la maison estdéserte et les portiers interrogent les visiteurs qui arrivent…deux vrais cerbères qui vous remouchent des pieds à la tête… Il yaurait moins de danger d’être découverts ensurinant[18] la mèreet la fille.

– Tant pis ! fit Lesage, j’auraismieux aimé travailler le dimanche ; nous aurions pu fairemoins de gâchis. Alors, pendant qu’ils se seraient promenés enfamille, nous aurions trouvé un moyen d’écarter les concierges et,bien gentiment, avec des fausses clefs…

À ces mots de fausses clefs, le moucheron semit à se tordre de rire.

– Qu’as-tu donc ? crapaud, demandaSoufflard.

L’enfant riait tant qu’il n’en pouvaitparler.

La Vollard prit un air pincé.

– Ah ! oui, je vous conseille derire, mossieu Alfred, dit-elle, vous avez vraiment de quoiêtre fier. Croyez-vous que ce polisson rit d’avoir osé porter lamain sur sa pauvre mère.

– Non, non, pas la main, mais le poing,dit le gamin entre deux éclats de rire.

– Pourquoi ?

– Pour avoir… hi, hi… les empreintes… hi,hi, de ces serrures, dit le moucheron en continuant à setordre.

– Comment, s’écria Soufflard, tu as lesfausses clefs, la Vollard ?

– Oui, grâce à moi, dit l’enfant devenuun peu plus calme.

– Conte nous ça… fit Micaud.

– Ah ! non, pas moi, je suis tropmodeste ; demande-le à la mère.

La colère de la Vollard était feinte. Au fond,elle était fière de son fils, et elle ne put résister au désir defaire l’éloge de sa progéniture.

– Figurez-vous donc que je rôdais avec cegarnement dans le Temple, me demandant pour la vingtième foiscomment j’entrerais dans la maison pour prendre les empreintes desserrures. Je ne tenais pas à être vue dans le casino, car j’étaisconnue des portiers et du ménage de marchands.

– Tu as donc habité la maison ?

– Non, mais j’y ai été la porteuse depain pendant douze jours… le temps d’étudier le coup. À cetteépoque, la fillette n’était pas avec ses parents ; elle setrouvait à la campagne, en pension, je ne sais où… Bref, dans lamaison, seule elle ne me connaissait pas. Donc, j’avais dans mapoche ma cire bien molle et bien préparée, et je cherchais toujoursmon moyen de me glisser dans la maison, quand v’là mon gamin qui medit :

– Si au lieu de l’empreinte des serrures,tu avais celle des clefs, est-ce la même chose ?

– Mais c’est cent foismeilleur !

– Bon ! tu prétends que la fille nete connaît pas ?

– Pas plus que le grand Turc.

– Alors, tu vas voir.

Il faut vous dire que du coin où nous étions,nous apercevions de loin la boutique du Temple, où se tenaient lepère et la fille. Voilà mon galopin qui court à un commissionnairedu coin : « Allez donc au Temple, qu’il lui dit, vouschercherez M. Renaud dans la travée des literies, et vousl’avertirez qu’on le demande chez le concierge de la rue Meslay,42, pour lui vendre la literie d’un locataire qui vient de mourir.Accompagnez-le pour l’aider à porter les matelas au retour. »Bête comme une andouille, l’Auvergnat part. De loin, nous le voyonsaborder le marchand, qui bientôt s’éloigne avec lui dans ladirection de la rue Meslay, en laissant sa fille seule dans laboutique. Alors voilà mon moucheron qui me recommence soninterrogatoire.

– Tu dis que la fille va continuellementde son père à sa mère, c’est-à-dire de la boutique aumagasin ?

– Oui, elle est toujours en chemin.

– Donc, puisque en ce moment sa mère, quiest malade au lit, ne peut se lever pour lui ouvrir, elle doitavoir sur elle les clefs de l’appartement ?

– C’est probable.

– Bon, donne la cire.

– La voici.

– Maintenant, baisse-toi.

– Pourquoi faire ?

– Baisse-toi donc.

Donc, je me baisse, et voilà mon galopin quime fourre mon morceau de cire, sous ma robe, dans le dos, entre lesdeux épaules. Moi, je suis chatouilleuse. En le sentant mefarfouiller dans le dos, je me redresse.

– Non, non, qu’il me dit, baisse-toiencore.

– Là ! est-ce bien ?

– Non, encore un peu.

– Comme cela, est-ce assez ?

Alors, au lieu de me répondre, mon gaminrecule d’un pas pour mieux prendre son élan, et il m’administre unviolent coup de poing sur le nez…

À mesure que la Vollard avançait dans sonrécit, le Moucheron avait repris ses éclats de rire. Les autresl’imitèrent en entendant parler du coup de poing envoyé par lecharmant Alfred sur le nez de sa mère.

La Vollard continua son récit :

– Immédiatement le sang me part à flots.Vous devinez mon étonnement ? Je n’en étais pas encorerevenue, que l’enfant m’entraînait déjà du côté de la boutique. Enme voyant ainsi couverte de sang, aussitôt la jeune filles’intéresse à moi :

– Ma pauvre maman ! criait monmorveux, v’là son hémorragie qui la reprend !

Et, en disant cela, il se fouillait endisant :

– Ah ! si j’avais des clefs… On ditqu’en les fourrant dans le dos, l’écoulement s’arrête aussitôt.

En l’entendant, la fillette ne fait ni une nideux. Elle tire bêtement son trousseau de clefs de sa poche, et lespasse à Alfred en disant :

– Tenez essayez avec celles-ci.

Voilà donc que l’enfant m’introduitdélicatement les clefs dans le dos en appuyant bien le bout dupanneton de chacune sur la cire que j’avais entre les épaules.J’ignore si c’est par l’effet des clefs, mais mon saignement cessa.La fille reprit son trousseau et, après l’avoir bien remerciée,nous partîmes en emportant les empreintes.

En terminant son récit, la Vollard prit unignoble cabas qui ne la quittait pas, et, y plongeant la main, elleen sortit trois fausses clefs, qu’elle jeta sur la table.

– À vous les oiseaux, dit-elle ;maintenant faites-les chanter.

Soufflard les saisit.

– Tu es sûre qu’elles ouvrent la porte dela femme ? demanda-t-il.

– Vas-y voir, mon garçon.

Soufflard mit les clefs dans sa poche.

– Voilà déjà une partie des ustensilesnécessaires, dit-il.

Et son regard, parcourant la table, s’arrêtasur un couteau large de lame, à dos épais et bien solidementemmanché, qui se trouvait près de lui.

Lesage avait tranquillement écouté le récit desa sœur. Quand il vit Soufflard empocher les clefs, ildemanda :

– Pour quand ?

– Mettons cela pour après-demain, ditMicaud avec un léger tremblement dans la voix.

– Non, demain, dit Soufflard, cetteaffaire-là est comme l’omelette soufflée, elle n’attend pas.

– Convenu, dit Lesage.

En voyant le conciliabule des complices seprolonger, les autres bandits s’étaient éloignés, les uns pourgagner leurs taudis, les autres pour réclamer l’hospitalité dans ungrenier du Franc-Roulier.

Alliette avait tout écouté, muette et les yeuxsans cesse fixés sur Micaud.

À ce moment, une horloge voisine sonnaminuit.

Les trois hommes se levèrent.

– Ainsi donc, à demain, ditSoufflard.

– Bien, reprit Lesage, et lerendez-vous ?

– À midi. Au petit restaurant de la rueSaint-André-des-Arts. On y déjeunera, répondit Soufflard.

En sortant, Alliette souffla àLesage :

– Ne quittes pas Micaud, je m’enméfie.

– Très bien.

Arrivés à la rue, Alliette et Soufflardtournèrent à droite pour gagner la rue des Noyers où le coupleavait un de ses trois domiciles.

Micaud et Lesage prirent à droite.

Au premier coin de rue, Micaud s’arrêta ettendit la main à Lesage :

– Bonsoir et à demain, dit-il.

– Pourquoi, à demain ? demandaLesage. Quand on est si bien ensemble, on aurait tort de sequitter.

Et il passa son bras sous celui de Micaud. Cedernier était trop faible pour essayer lutter avec Lesage, ilcomprit qu’il était pris.

– Soit ! dit-il, ne nous quittonspas. Viens coucher chez moi.

Si ce pauvre Micaud avait une arrière-penséeen attirant son complice chez lui, il lui fallut y renoncer, carLesage lui répliqua :

– Mais non, je demeure à cent pas d’ici,nous y serons vite arrivés.

Et serrant plus fort le bras de Micaud, ill’entraîna.

À ce moment même, le fourgat Rigobin,en desservant la table où la bande avait soupé, constatait ladisparition de deux couteaux.

Il eut un sourire de satisfaction !

– Allons ! dit-il, je serai payé. Jevois que quelques-uns de ces messieurs songent sérieusement àtravailler.

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