La Bande de la belle Alliette

XXVI

Pendant cette délibération, les gendarmesfirent retirer les accusés qu’ils ramenèrent dans le préau de laConciergerie.

Lesage, qui avait recommencé ses menacescontre Micaud, fut enfermé dans une cellule.

Tous les autres restèrent dans la cour,attendant l’arrêt qui allait dicter leur sort :

Les uns pleins d’espoir ;

Les autres tristes et abattus.

Soufflard avait été s’asseoir sur un banc,immobile, les dents serrées, l’œil fixe, brisé de terreur et defatigue. Alors Micaud s’approcha doucement de lui, et après s’êtreassuré que les gardiens qui veillaient sur le préau étaient loind’eux, il lui dit à voix basse :

– Soufflard, j’ai une proposition à tefaire.

En entendant Micaud lui parler de proposition,Soufflard releva la tête :

– Qu’as-tu à me proposer ? mauvaisespion, lui dit-il.

– Tu sens la guillotine, n’est-ce pas,demanda brusquement Micaud.

– C’est à toi que je devrai lecadeau.

– Possible ! tu m’avais pris mafemme, je me suis vengé.

– Après ! viens au fait, ditSoufflard impatient.

– Dans une heure, continua Micaud, lesjuges vont te conter leur histoire ; aussitôt on te flanquerala camisole de force dans laquelle tu sueras de peur pendantquarante jours jusqu’au moment où ils te couperont le cou, monbonhomme.

– Assez ! cria Soufflard, effrayépar ce tableau de l’avenir qui l’attendait.

– Ils te faucheront, vieux, car tu n’aspas de grâce à espérer, poursuivit Micaud.

– Tais-toi ! répéta Soufflard seredressant convulsif, tais-toi, chien hargneux !

– Angoisses, prison, camisole de force,échafaud, j’ai le moyen de te faire éviter tout cela, si tu as unpeu de courage, ajouta Micaud.

Le visage de Soufflard s’éclaira subitementd’une lueur d’espoir.

– Parle, fit-il vivement.

Micaud vit que Soufflard avait compris qu’illui offrait le salut. Il secoua la tête.

– Tu te trompes, vieux. Il faudra tout demême sauter le pas. Je veux seulement t’offrir le moyen degagner quarante jours et de faire banqueroute à la guillotine.

– Des moyens de suicide ?

– Précisément.

– Va te promener, double brute !cria Soufflard qui avait un instant entrevu sa liberté dans lesparoles de Micaud.

– Ah ! tu vas bien t’ennuyer pendantles quarante jours qui précèdent la cérémonie. Je croyais te faireplaisir en te mettant à même de te hâter ; je me suistrompé ; alors, mettons que je n’ai rien dit, répliqua Micauden lui tournant le dos et en reprenant sa promenade dans lepréau.

Une demi-heure s’écoula dans l’épouvantableanxiété de l’attente qui minait Soufflard.

– Sont-ils lents pour se décider à fairecouper le cou à un homme, se disait-il… Après tout, je ne risquerien à accepter. Si je ne suis pas condamné, je n’utilise pas sonmoyen. Si je dois être guillotiné, Micaud a raison, je m’évite unelongue angoisse.

D’un imperceptible signe, il appela Micaud quile guettait :

– Quel est ton moyen ?demanda-t-il.

– Du poison, dit l’autre.

– On souffre ?

– Euh ! euh ! fit Micaud, uneminute à peine ; l’histoire d’un morceau de pain trop grosqu’on avale.

– Où est-il ?

– Là, fit Micaud, après un regard jetéaux gardiens qui veillaient à l’autre bout du préau.

Et, vivement, il entr’ouvrit sa main danslaquelle Soufflard aperçut un petit paquet long enveloppé d’unemince feuille de papier.

À cause de ses dénonciations, Micaud n’avaitpas été soumis à tous les détails de surveillance et de fouille quesubissent les prisonniers. Il avait donc pu facilement soustraireaux regards le paquet d’arsenic qu’il avait volé à la filleRamelet.

– Quelle est donc ta drogue ?demanda Soufflard.

Micaud, qui savait quelles terribles torturesdonne l’arsenic, ne se souciait pas d’effrayer Soufflard !

– Ma foi ! je n’en sais rien.

– Et on ne souffre pas ? répétal’autre.

– V’lan ! comme un coup defoudre ! répondit Micaud, qui se disait en lui-même :« Toi, quand tu l’auras dans le tuyau, tu verras bien si c’estde la guimauve. »

– Allons, donne, fit Soufflard, décidé àéviter ainsi le bourreau.

Micaud retira doucement la main.

– Ah ! non, fit-il, donnant,donnant.

– Donnant quoi ?

– Parbleu ! ma redingote que tu assur le dos. J’y tiens : c’est une superstition de ma part,mais je suis persuadé qu’elle me porte bonheur. Depuis qu’on me l’aprise dans le caveau, le jour de notre duel au couteau, rien ne m’aréussi, et je suis certain que si je suis dedans, tout à l’heure àl’audience, j’y gagnerai des années de prison en moins.

– Es-tu bête ! Micaud.

– Possible ! Mais c’est une idéefixe. – Il faut changer de vêtements.

– Je ne demande pas mieux, mais commentle faire ?

– Rien de plus facile, fit Micaud ;les deux vêtements sont de même nuance. Tiens, regarde, je place lepaquet dans cette poche où tu le trouveras. Maintenant, tu vasavoir l’air de devenir enragé après moi comme cette brute deLesage, nous mettons vite habit bas pour nous flanquer un coupde chausson, les gardiens accourent pour nous séparer et nousnous trompons de vêtement en nous rhabillant.

– Va, c’est dit.

– Avant, un dernier conseil. Quand nousallons rentrer au tribunal, méfie-toi pour ton paquet, car on nousfouillera.

– Sois tranquille. Y es-tu ?

– Allons-y.

En cinq secondes, les deux prisonniers mirenthabits bas et tombèrent en cette garde des tireurs de savate qu’onconnaît. Les gardiens accoururent et les séparèrent avant lepremier coup porté.

L’échange des vêtements se fit.

En retrouvant sa redingote, Micaud en avait,adroitement palpé le collet. Une molle résistance qu’il sentit fitépanouir sa figure.

– Ils peuvent m’envoyer au bagne, j’ai làde quoi m’évader, murmura-t-il.

Au même instant, la sonnette du préauretentit. C’était le signal parti du tribunal, et la voix dubrigadier-chef cria :

– Envoyez les hommes des assises.

Les gendarmes reprirent les prisonniers del’autre côté du guichet pour les conduire de nouveau dans la petitesalle d’attente, à côté du tribunal, dont nous avons précédemmentparlé.

Dans l’histoire des prisons, il est faitlongue mention de cette salle, où les accusés, près d’entendre ladéclaration du jury, éprouvent une terrible angoisse. Ils sont là,assis pendant dix minutes d’une attente anxieuse, et font toutessortes de conjectures.

C’est le dernier moment d’espérance.

Au moindre bruit d’une porte qui s’ouvre,l’anxiété redouble ; on tend l’oreille et on ne dit mot, parceque le premier appel s’adresse aux accusés que le jury vientd’acquitter. C’est comme au tirage d’une loterie pour les émotions.On a l’œil fixé aux lèvres de l’huissier, chacun cherche à y saisirson nom. Les accusés appelés les premiers sont aussi certains deleur acquittement que ceux qui restent le sont de leurcondamnation.

Dans le procès qui nous occupe, le premierappel fit lever Paulier, Guérard, Bicherelle et la femmeHardel.

– En voilà qui prennent la contremarquede sortie !… dit Lemeunier en voyant partir ceux que letribunal allait acquitter.

Bientôt l’huissier reparut.

Ils reprirent leurs places au tribunal.

Et ils écoutèrent la déclaration du jury dontles réponses aux cent cinquante-sept questions posées furentpresque toutes affirmatives.

Après la lecture de ce verdict, la cour seretira pour délibérer sur l’application de la peine, et les accusésfurent encore reconduits dans la salle d’attente, pour y attendrel’arrêt de condamnation.

Dans le mouvement de sortie, Micaud trouvamoyen de frôler Soufflard.

– Gare au paquet, lui souffla-t-il, voilàl’instant de la fouille.

C’est effectivement à ce moment qu’on visiteles accusés pour s’assurer s’ils n’ont pas sur eux une arme dont,en s’entendant bientôt condamner, ils se frapperaient ou voudraientfrapper les juges. À ceux qui portent des sabots, on les faitretirer depuis le jour où un condamné lança les siens à la tête duprésident.

Soufflard fut donc rigoureusementfouillé ; mais, depuis douze jours que durait le procès, onétait tellement habitué à lui voir à la main son mouchoir, qu’onnégligea de le palper.

Durant cette dernière attente, Lesage affectaencore de plaisanter avec Soufflard :

– Ils sont en train de nous préparer unejolie petite friture et nous sommes du vilain côté de la poêle,dit-il.

– Les gueux ! fit la Vollard, vousverrez qu’il ne leur viendra pas à l’idée de me renvoyer chez moiavec une indemnité et des excuses.

Après une demi-heure de délibération, lasonnette annonça que la Cour allait rentrer en séance.

Les accusés furent ramenés à leurs bancs.

Ainsi qu’il l’avait fait depuis lecommencement des débats, Soufflard, le mouchoir sur la bouche,s’appuya les coudes sur la barre placée devant lui et écouta.

Alors, d’une voix solennelle, le président lutl’arrêt qui condamnait :

Marchal et Calmel à cinq ans de travauxforcés.

Alliette à six ans de réclusion.

Lemeunier à sept ans de réclusion avecexposition.

Micaud à huit ans de réclusion avecexposition.

La Vollard à dix ans de travaux forcés.

Leviel à vingt ans de travaux forcés avecexposition.

Et Soufflard et Lesage À LA PEINE DE MORT.

À cet arrêt, Lesage demeura impassible.

Quant à Soufflard, au moment de sacondamnation, il avait appuyé son mouchoir plus fort sur sa bouche,puis il l’avait retiré. Alors il avait baissé la tête et on l’avaitvu remuer les lèvres comme s’il parlait tout bas.

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