La Bande de la belle Alliette

XXVII

Aussitôt la condamnation prononcée, lesgendarmes firent sortir les accusés pour les conduire à laConciergerie.

Arrivé dans la salle d’attente, Soufflards’appuya tout à coup contre le mur.

Par cet arrêt, Soufflard, qui marchait entête, suspendit la marche de tout le groupe.

– J’ai soif, dit-il d’une voix brève.

Un gendarme le poussa pour le faire avancerdans le couloir :

– Marchez, lui fit-il, vous allez boireen arrivant à la Conciergerie.

Soufflard se cramponna à l’espagnolette d’unefenêtre et répéta encore :

– J’ai soif ! J’ai soif !

Il y avait un tel accent dans cette voixrauque qu’un gendarme, attendri, quitta l’escorte pour retournerdans la salle d’attente où se trouvait une fontaine avec un gobeletqu’il rapporta plein d’eau.

Soufflard le but d’un seul trait.

– Sapristi ! il avait soif, fitLemeunier.

– Il a avalé une condamnation trop salée,c’est cela qui l’altère, répliqua la Vollard.

On reprit la marche en silence.

Les pas retentissaient sur la dalle sonore descouloirs, et on entendait le bruit des sanglots d’Alliette,marchant à la fin de la troupe, à côté de la Vollard, qui, ne sedoutant même pas du repentir de la belle blonde, luirépétait :

– Les juges ne sont plus là, ma petite,tu peux fermer tes écluses.

En écoutant ces sanglots, Soufflard sembladisposé à s’arrêter encore :

– Je veux la revoir une dernière fois,murmura-t-il.

Mais, tout à coup, il haussa les épaules etreprit sa marche en disant tout bas :

– À quoi bon ? tout est fini pourmoi…

Au bas de l’escalier du tribunal, on trouvales soldats du poste de service, commandés pour faire la factiondevant les cellules des condamnés à mort.

Le guichet de la Conciergerie se referma surles prisonniers, que les gendarmes avaient remis aux geôliers. Onsépara aussitôt les autres condamnés de Soufflard et Lesage, puisdes gardiens s’emparèrent de ceux-ci pour leur mettre la camisolede force.

Lesage se laissa faire assez gaiement.

– Y a-t-il du bon sens à empaqueterainsi, un homme, dit-il ; pourquoi ne pas m’entourer tout desuite d’un papier d’argent ? J’aurais au moins l’air d’unsaucisson de Lyon !

À la vue de la camisole de force qu’on luiprésentait, la fureur s’empara de Soufflard, qui se mit à proférerdes injures contre les juges et les jurés qui l’avaientcondamné.

Mais, soudainement, une horrible contractiondécomposa les traits du condamné, qui se prit la poitrine de sesdeux mains convulsives en criant :

– J’ai soif ! à boire ! àboire !

L’altération du visage était effrayante. Lesdents serrées laissaient échapper une écume jaunâtre, et les yeux,cerclés de noir, étaient injectés de sang. La douleur secouait toutle corps du misérable.

– À boire ! à boire ! hurlaencore le condamné. Avant qu’on pût lui offrir de l’eau, ils’abattit sur le plancher où il se roula dans une effroyableconvulsion.

Du premier coup d’œil, le chef geôlier compritla vérité.

– Vite un médecin, cria-t-il, cet hommes’est empoisonné…

– Tiens, le farceur ! et il neprévient pas les camarades ! s’écria Lesage, insensible auxdouleurs de son compagnon.

La souffrance était si violente, qu’il fallut,avec le manche d’un couteau, desserrer les dents du condamné pourlui faire avaler une tasse de lait. Cette boisson parut soulager uninstant Soufflard qui n’eut pourtant pas la force de répondre quandle gardien-chef lui demanda :

– Quel poison avez-vous pris ?

– Il aura fait sa régalade lui-même, ditLesage. Dans les prisons, c’est le secret de polichinelle.

On emporta Soufflard sur un lit où lespremiers soins lui furent administrés par un interne, accouru del’Hôtel-Dieu, qui ordonna un vomitif.

Les déjections furent soumises à l’action dufeu, et la forte odeur d’ail qui se dégagea aussitôt révéla que lepoison pris était de l’arsenic.

À l’interne vint se joindre le médecin desprisons, et le plus énergique traitement fut appliqué au malade,qui, avec un sourire horrible, répétait ironiquement :

– Vous perdez votre temps, mon affaireest toisée.

L’arsenic a cette particularité remarquableque plus la dose est forte, plus la mort est lente à venir.

Plus tard, l’autopsie révéla que le condamnéen avait absorbé de quoi empoisonner au moins trois hommes.

Les souffrances furent épouvantables et,malgré tous les soins des médecins, rien ne put calmer l’horriblesupplice du misérable qui, pendant seize heures, se tordit enjurant et blasphémant.

Quand l’aumônier des prisons, l’abbé Montès,arriva pour lui apporter les consolations religieuses, Soufflard necessa de maudire Micaud, qu’il accusait d’être l’auteur de tous sesmaux.

Dans un des courts répits que lui laissaientles convulsions, il parut s’attendrir au souvenir d’Alliette qu’ilavait entraînée avec lui. On profita de cet instant de calme pourtâcher de lui arracher des aveux. Il nia qu’il fût complice del’assassinat de la rue du Temple.

– Je n’ai jamais tué, disait-il. Volé,oui c’est vrai ; mais je n’ai jamais pensé à tuer.

Puis, après un instant de réflexion, il ajoutatrès vite : – Sauf une fois.

Et, au milieu des douleurs les plus aiguës, ilavoua qu’un jour il avait été sur le point de tuer un artiste,devenu plus tard célèbre, M. Durand-Brager, mort il y aquelques années.

 

Ce fait est assez inconnu.

À cette époque, l’artiste occupait un atelierdont la toiture en mauvais état laissait pénétrer la pluie dans sonlocal. Il avait réclamé, et le propriétaire avait promis de luienvoyer son architecte pour voir les réparations qu’il fallaitexécuter.

Un beau jour, M. Durand-Brager trouve surle carré un inconnu qui, le nez en l’air, paraissait inspecterl’immeuble.

– Êtes-vous par hasard l’architecte dupropriétaire ? lui demande-t-il.

– Précisément.

– Alors entrez donc dans mon atelier, jevous montrerai le mauvais état de la toiture. Le propriétairem’avait annoncé votre visite, et je vous attendais avecimpatience.

L’inconnu visite minutieusement lesdégâts.

– Très bien, dit-il, je vous mettrai lesouvriers demain au plus tard. En quatre jours, vous serezsatisfait.

Ce point réglé, l’artiste fait les honneurs deson atelier à l’architecte, qui admire surtout la riche collectiond’armes que possédait M. Durand-Brager.

Tout en causant l’inconnu s’était rapproché del’artiste qui, retourné à son chevalet, lui tournait alors ledos.

À ce moment un grognement se fit entendre. –C’était le réveil d’un gros chien qui dormait dans un coin del’atelier.

– Ah ! vous avez là un magnifiqueanimal, dit le visiteur qui paraissait désagréablement surpris.

– N’est-ce pas qu’il est beau ?

– Superbe ! mais souvent ceschiens-là ne sont que beaux ; ils ne sauraient défendre leurmaître.

– Eh bien, reprit l’artiste, faitesseulement le geste de me toucher et vous verrez si celui-ci estincapable de me défendre.

L’inconnu leva la main sur le peintre.Aussitôt le chien bondit furieux, montrant deux rangées de crocsformidables.

Son maître calma vite cette fureur.

– Hein ! qu’en dites-vous ?

– Vous aviez raison ; avec cecamarade-là, il ne fait pas bon plaisanter, répondit le visiteur ense dirigeant vers la porte.

M. Durand-Brager le reconduisit en luirecommandant bien de ne pas oublier d’envoyer le lendemain lesouvriers promis.

Et il revint reprendre son travail sans sedouter que son chien lui avait sauvé la vie, car le prétenduarchitecte qu’il avait introduit chez lui, n’était autre queSoufflard qui, au moment où il avait été surpris sur le carréfaisait le guet pendant que ses compagnons dévalisaientl’appartement situé au-dessus de l’atelier.

Comme il l’avoua plus tard, Soufflard, envoyant les richesses artistiques de l’atelier, avait eu l’idée detuer Durand-Brager et n’avait reculé dans l’exécution que parcrainte du chien.

 

Après seize heures d’une si terriblesouffrance que le corps du misérable, par l’effet du poison, étaitrapetissé de moitié, Soufflard mourut dans une convulsionsuprême.

Quand son trépas fut annoncé à Alliette, elledemanda à voir une dernière fois le cadavre. On la conduisit dansla cellule où son ex-amant venait de payer toute une vie deforfaits par cette épouvantable agonie.

La terreur la prit à l’aspect de ce corpstordu et raccourci par la souffrance, et elle ne prononça que cesmots :

– Comme il est petit !

On apprit aussi cette mort à Lesage.

Il entra aussitôt en fureur.

– Ah ! voilà une bien vilaine farceque vient de me jouer Soufflard ! s’écria-t-il. On se tuequand on est coupable. Il n’a pas agi en bon camarade, car jugez unpeu tout le tort que son trépas va me faire pour mon pourvoi encassation ? Les juges se diront : « L’autre étaitcoupable puisqu’il s’est tué ; donc celui-ci doit être dansles mêmes numéros. » et, avec ce raisonnement-là, ils meferont couper le cou. Oui, je le répète, Soufflard est un mauvaisfarceur !

Telle fut l’oraison funèbre de son complicefaite par Lesage.

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