La Bande de la belle Alliette

XXII

Une heure après, le geôlier entrait.

Il lui apportait son dîner.

– Ferez-vous votre cellule ? luidemanda-t-il. Si vous ne voulez pas prendre ce soin, il est permisaux prisonniers, en payant cinq sous par semaine, de laisser cettepeine à un des gamins prisonniers de la cour desmômes.

– Donnez-moi un gamin.

– C’est convenu. Pendant que je vousconduirai à la promenade, l’enfant viendra balayer la cellule etfaire le lit.

Après le dîner, le guichetier vint prendre leprisonnier qu’il conduisit à la cour qu’on appelait la Fosseaux lions. Pendant une heure, Soufflard se promena dans lacour déserte, escorté de son gardien, qui, le temps écoulé, leramena dans sa prison.

En son absence, on avait balayé la cellule etfait le lit, comme le gardien l’avait annoncé.

Quand le jour tomba, un autre guichetier, toutluisant d’huile, vint allumer la lanterne triangulaire placée auchevet de son lit.

L’énorme tension d’esprit déployée pendant laconfrontation par Soufflard, avait amené maintenant pour lui unabattement général des forces. Il songea à se coucher et se mit aulit ; mais en se glissant entre les draps grossiers, il sentitun petit corps rond lui frôler le corps.

C’était une minime boulette de mie depain.

Le prisonnier était trop au fait de tous lesmoyens de correspondance, employés par les détenus, pour ne pasdeviner que cette mie de pain devait contenir un billet.

Il l’ouvrit et en tira un mince morceau depapier sur lequel se lisait cette phrase dont nous conservons lelaconisme et le style : Gé pour tésigue dix tailbins malespour la défouraille de Lorcefée[26].

– C’est du moucheron, se dit toutaussitôt le prisonnier.

Sans se demander comment le moucheron pouvaitavoir une pareille somme à sa disposition, il chercha toute la nuitpar quels moyens il pourrait s’évader. Il chercha quels étaientceux qu’il aurait à corrompre.

Trois personnes seulement pénétraient dans lacellule des prisonniers au secret.

Le brigadier-gardien qui venait tous les soirsinspecter la cellule et faire sonner les barreaux de lafenêtre.

Soufflard ne s’arrêta pas à lui.

Dans sa promenade, il avait fait causer legeôlier habituel qui l’accompagnait. Le brave homme, ancienmilitaire, ne voyait rien de plus beau que son métier.

Restait le lampiste, pauvre diable qui, danssa vie entière, n’avait peut-être jamais eu cinquante francs à lafois.

Dès le lendemain, Soufflard se mit à l’œuvre.L’affaire était d’autant plus difficile à traiter que le lampistene venait tout au plus dans son cachot qu’une minute par jour, letemps d’allumer le soir la lanterne qu’il avait préparée le matinen l’absence du prisonnier à la promenade dans la Fosse auxlions. – De plus, le graisseux personnage était si bête qu’ilavait besoin d’un bien long temps avant de comprendre qu’on voulaitle corrompre.

Soufflard mit quinze jours à lui faire avouerque le rêve de sa vie était de s’établir épicier.

– Je n’aurai jamais le temps de délurercet idiot, se disait le prisonnier.

Ce temps, il l’eut pleinement.

Car le crime avait été commis le 5 juin, et,dans le mois de février suivant, l’instruction n’était pas encoreterminée. Il est vrai que les nombreuses arrestations que lajustice avait dû faire, au moment du crime, pour en trouver lesauteurs, l’avait mise sur la piste de cette bande de voleurs, tousaffiliés à Lesage et Soufflard, dont les déprédations troublaientdepuis longtemps la capitale.

Soufflard eut donc sept longs mois pourcorrompre le lampiste, qui finit enfin par comprendre. Les cinqmille francs qu’on lui promettait l’éblouirent et l’espérance de sevoir épicier lui donna de l’esprit. Tous les samedis, un garçon del’administration centrale des prisons apportait sur une petitecharrette à bras, à la Force, les provisions hebdomadaires d’huilepour le service. Le lampiste allait recevoir la barrique à la portede la rue Pavée, sur laquelle donnait la Cour des poules,ainsi désignée parce qu’on n’y rencontrait que les poules dudirecteur. L’arrivée du garçon de l’administration, qui finissaitsa tournée par la Force, avait ordinairement lieu entre six et septheures du soir, moment du repas des guichetiers. – Soufflard,travesti avec des habits que lui apporterait le lampiste, devaitsuivre ce dernier, auquel son service dans le bâtiment procuraittoutes les clefs de la prison. Ils descendraient ensemble dans laCour des poules, toujours déserte, et par la porte de larue Pavée, Soufflard s’échapperait aussitôt que l’homme à lacharrette se serait éloigné.

Pendant les longs mois qu’il fallut employer àcorrompre le lampiste, Soufflard avait vu plusieurs fois lemoucheron qui, devant nettoyer la cellule pendant la promenade duprisonnier, avait fait traîner son ouvrage pour se trouver surprispar le retour du prisonnier et de son gardien.

Sa lenteur avait toujours été punie d’ungrandissime coup de pied en certain endroit :

– Comment ! encore toi ici,galopin ! s’écriait le gardien ; je t’ai répété vingtfois que tu devais avoir disparu avant le retour du prisonnier.

– Oh ! là ! là ! criait legamin, le jour où vous aurez de la fortune, prévenez-moi,j’entrerai à votre service.

Le moucheron, en même temps, guettait dans lesyeux de Soufflard un signe qui l’avertît que l’évasion était enbonne voie.

Huit jours après la première boulette, il enavait glissé une seconde contenant un billet dont nous traduisonsl’argot : « Au secret on n’a ni plume ni papier ;grave le jour convenu sur le mur et je mettrai la veille l’argentdans le lit. »

Depuis six mois, le moucheron examinait chaquejour avec soin, mais inutilement, le mur de la cellule.

Enfin il lut un beau matin :

Samedi 4 mars.

– Bon, se dit le gamin, dans troisjours ! vendredi, je lui mettrai l’argent dans ses draps.

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