La Bande de la belle Alliette

VI

Alliette avait dit vrai, car, une heure plustard, l’Écureuil arrivait. Seulement il connaissait trop leshabitudes des voleurs pour ignorer que ceux-ci ne l’attendraientpas. Il avait dédaigné un renfort inutile, et ne s’était faitaccompagner que du seul Lévy, tous deux bien armés et chacunimpatient de venger l’échec particulier qu’il avait subi.

Ainsi que l’avait prévu l’Écureuil, la masureparaissait être déserte. Lévy crocheta la porte et les deux agentsentrèrent. – Pièce par pièce, ils firent leur perquisition partoutsans trouver autre chose que la litière de paille, la table et lesbancs.

Disons-le. Malgré ce que, dans le caveau, ilavait appris par les combattants sur le monstrueux passéd’Alliette, malgré la façon dont il en avait été traité, lepolicier songeait à cette belle créature dont la beauté et la voixl’avaient enivré, et il avait espéré trouver là quelque souvenir decelle dont la pensée le mordait toujours au cœur.

Pendant que Lévy visitait les mansardes, lepensif l’Écureuil redescendit l’escalier.

La porte de la rue, grande ouverte, éclairaitmaintenant le sombre couloir, et l’agent vit un point lumineux quipiquetait le sol. À coup sûr, un objet quelconque, à face polie,devait ainsi réfléchir la lumière.

L’Écureuil le ramassa.

C’était un médaillon. Une face en verre luilaissa voir les cheveux blonds qui s’y trouvaient enfermés, et surl’autre face, en or plein, il lut gravées les deux lettres E. A.entrelacées.

Sans savoir pourquoi, l’Écureuil eut laconviction qu’il avait trouvé un bijou appartenant àAlliette ; un souvenir qui devait lui être cher et luirappeler un des rares moments purs de sa sinistre existence. Il lavit d’avance revenant dans la masure pour y chercher, à genoux,coin par coin, ce médaillon perdu.

Il se persuada qu’une sincère reconnaissancerécompenserait celui qui lui rendrait le bijou regretté.

Alors l’Écureuil, sans bien se rendre comptede ce qu’il faisait, tira son couteau, et, dans le plâtre du mur ducouloir, il grava ces deux mots : Médaillontrouvé.

Il finissait à peine quand l’escalier résonnasous les pieds de Lévy, qui venait rejoindre son chef.

Il avait apporté une lanterne sourde qu’ilalluma, et les deux policiers descendirent dans la cave qui leurrestait seule à visiter.

Le corps, en partie dépouillé, gisait sur lesol.

– Lévy, je te présente feuM. Micaud, dit l’Écureuil.

– Il faut le transporter là-haut pour leprocès-verbal et l’enquête de l’autorité.

– Prends-le par les pieds, je me chargede la tête.

Ils se baissèrent pour le saisir.

L’Écureuil s’arrêta subitement.

– Tiens ! il n’est pas mort !s’écria-t-il.

En effet, Micaud venait de rouvrir lesyeux.

Sous la poigne de l’Écureuil, l’asphyxien’avait sans doute pas été complète, et Lemeunier, en volant àMicaud la cravate qui lui serrait le cou, lui avait sauvé lavie.

Les deux agents le soulevèrent sur son séantet l’adossèrent à la muraille.

À mesure que Micaud revenait à lui, ilretrouvait le souvenir clair et précis du passé. Sa querelle avecSoufflard, la descente dans la cave, leurs mutuelles injures, il serappelait tout jusqu’au moment où, la gorge prise dans un étau defer, Il avait été si vigoureusement étranglé qu’il n’avait pupousser un seul cri.

En même temps que la vie, il reprenait aussisa haine pour Soufflard, haine doublée par la rage d’avoir étévaincu ; car, ignorant la présence de l’Écureuil dans la cavependant le combat, il était convaincu que c’était à Soufflard qu’ildevait son étranglement.

Seulement, une chose l’intriguait. Il necomprenait pas comment il se trouvait maintenant en présence dedeux étrangers quand, une heure avant, la maison était peuplée detous ses complices.

Micaud était trop fin matois pour faire desquestions. – Il étira ses bras, esquissa un bâillement, et jouantl’homme satisfait :

– Ah ! ah ! fit-il j’ai biendormi. Ce petit somme m’a guéri ma migraine.

– Tu veux faire le malin, toi, se ditl’Écureuil, nous allons rire.

L’Écureuil, bien décidé à faire parler Micaud,reprit à haute voix :

– Tiens, mon bon monsieur, vous aviezdonc la migraine ?

– Oui, il fait si chaud que je m’étaisdit qu’en allant dormir une heure dans la cave, bien au frais, celame remettrait.

– Mais comment se fait-il que la vieilledame ne nous ait pas prévenus ?

– Quelle vieille dame ?

– Celle qui nous a loué la maison, lapropriétaire.

– Ah ! oui, ma femme.

– Votre femme ? mais alors vous êtesdonc mon propriétaire.

– Comme vous le dites, mon garçon.

– Ah ! elle est ronde en affaires,votre dame. Figurez-vous que je m’en allais le nez en l’aircherchant les écriteaux. Elle était sur le pas de la porte, et, enme voyant, elle a deviné que je cherchais à louer une maison.Ah ! nous n’avons pas été longs à conclure.

– C’est sans doute la veuve Vollard quiaura joué le tour à cet imbécile, se dit Micaud.

Et comme il était anxieux de savoir cequ’étaient devenus ses complices, il ajouta à haute voix :

– Ah ! çà, que sont devenus lesautres ?

– Quels autres ?

– Mes précédents locataires.

– Ah ! les riches Anglais ?

– Comment savez-vous qu’ils étaient deriches Anglais ?

– C’est votre dame qui me l’a dit. Ellem’a conté que leur ambassadeur était venu leur dire qu’on lesdemandait tout de suite en Angleterre. Ils n’ont eu que le temps depayer et de partir.

– On n’est pas plus bête que cegarçon-là, pensait Micaud, qui s’amusait fort dans son rôle.

– C’est alors que votre dame m’a loué aumoment où je passais, cherchant un local pour y installer mesdépôts de fromages.

Micaud prit un air mécontent.

– Pouah ! fit-il, je m’étaistoujours bien promis de ne jamais louer à un marchand de fromages…Enfin, soit ! puisque ma femme vous a donné parole, je nereviens pas dessus.

– Donc, continua l’Écureuil, c’est endescendant avec mon premier commis dans cette cave, pour voir sielle n’était pas trop chaude pour mes fromages, que je vous aitrouvé dormant.

– Oui, pour ma migraine.

– Une fière migraine ! elle vousfaisait rudement tirer la langue.

– C’est que ma cravate me gênait unpeu.

– Mais, mon cher propriétaire, je vousferai remarquer que vous n’avez aucune espèce de cravate.

Jusqu’à ce moment, Micaud, absorbé parl’unique désir de savoir ce que ses complices étalent devenus,n’avait pas remarqué ce que son habillement offrait d’incomplet.L’observation de l’Écureuil sur sa cravate appela sonattention.

Alors il vit qu’il se trouvait aussi enmanches de chemise.

En un instant, il fut dressé sur ses pieds,et, pâle, égaré, il s’écria d’une voix coupée par la plus poignanteanxiété :

– Ma redingote ! où est maredingote ?

– Nous ne l’avons pas vue.

– Les misérables me l’ontvolée !

– Quels misérables… les richesAnglais ?

Cette question rappela Micaud à lui-même. Lesang-froid lui revint, et, malgré l’émotion violente qu’iléprouvait (plus tard nous en dirons la cause), il eut la force desourire :

– Suis-je fou, dit-il, j’oublie que j’aiplacé ma redingote sur un fauteuil de mon salon pour que ma femmelui recouse un bouton. Je vais aller la reprendre.

Il prit un ton protecteur :

– Allons, je vous laisse, mon bravegarçon. Je compte que vous serez un locataire bien exact, car jevous avoue que j’ai la manie d’aimer à être payé exactement. À partcela, doux à vivre.

Et Micaud se dirigea vers l’escalier.

Il lui tardait de rejoindre la bande.

– Pardon, mon cher propriétaire, fitl’Écureuil.

Micaud se retourna.

– Je vous vois si peu habillé pour sortirdans la rue, poursuivit l’Écureuil, que, si j’osais…

– Osez, mon cher locataire.

– Je vous offrirais quelque chose pourcompléter votre toilette.

Micaud crut qu’il allait lui donner sonpaletot.

– Que voulez-vous m’offrir ?

– Tenez, ceci.

Micaud sauta de terreur à cette vue.

L’Écureuil lui tendait une paire demenottes.

Le bandit voulut résister, mais les deuxagents en eurent beau jeu et l’attachèrent en un instant.

– Là, fit l’Écureuil, maintenant que vousvoilà un peu vêtu,causons en amis, mon cher Micaud.

– Je ne m’appelle pas Micaud, entends-tu,mauvais mouchard, hurla le misérable furieux.

– Ah ! ce n’est pas gentil. Je vousai laissé faire à votre aise le propriétaire, et vous boudezmaintenant que c’est à mon tour de rire.

Micaud ne trouvait plus qu’il n’y avait pasaussi bête que ce garçon. Il vit qu’il fallait jouer serré et ilreprit son calme.

– Pourquoi m’arrêter ? On n’a rien àme reprocher.

– C’est ce que je disais ce matin à monchef quand il m’a signé l’ordre, mais il m’a parlé de je ne saisquelle affaire de la rue des Abattoirs, 21,000 francs d’un seulcoup de filet, reprit l’Écureuil en répétant textuellement tout cequ’il se rappelait avoir entendu au moment du duel manqué.

– Ce n’est pas vrai !

– Il y a aussi un peintre dévalisé dansla rue des Boulangers et un général volé, pendant la nuit, àNeuilly.

– Mensonges !

– J’en suis persuadé ; mais on nepeut empêcher les mauvaises langues de jacasser ; ce sontelles aussi qui racontent, le vol de la rue Racine : un beaucoup, ma foi !

On voit que maître l’Écureuil avait bonnemémoire.

Ignorant que c’était de lui-même que l’agentavait appris ces renseignements, Micaud, en le reconnaissant sibien instruit, crut avoir été trahi par un complice et cessa denier.

– Quelle est la crapule qui m’adénoncé ? demanda-t-il.

– Oh ! crapule ! comme voustraitez mal votre meilleur ami !

Micaud ne pouvait comprendre laplaisanterie.

– Mon ami ! lui ! allonsdonc ! Je lui mangerais plutôt la figure… car, j’en suiscertain, j’ai été trahi par cette canaille de Soufflard.

L’Écureuil guettait ce nom de Soufflard ;– on se le rappelle, il n’avait pas été prononcé une seule foisdans le duel. – Le policier avait bien entendu parler l’inconnu deson domicile de la rue de Seine, mais il n’avait pu savoir commentil s’appelait.

En entendant le nom de Soufflard, l’Écureuilprit le ton indifférent.

– Soufflard ? fit-il, ah ! oui,celui qui vous a soufflé la belle Alliette.

– L’infâme gredin !

– La donzelle paraît beaucoupl’aimer.

Micaud écumait de rage et de jalousie.

L’Écureuil continua d’appuyer sur la cordesensible de son prisonnier.

– Ah ! c’est un beau couple !car il est joli garçon, ce Soufflard… je les ai vus un jour, onaurait dit deux tourtereaux… ils entraient à je ne sais quel numérode la rue de Seine.

– Au numéro 21, lâcha involontairementMicaud, égaré par la jalousie.

– Ah çà, mon cher Micaud, poursuivitl’Écureuil, qui venait de pincer le numéro au vol, pourriez-vous medire comment, possédant une aussi ravissante maîtresse, vous vousl’êtes laissé enlever par Soufflard… il est vrai qu’il est plus belhomme que vous.

Micaud secouait ses menottes avec rage.

– Être pris ! hurlait-il, quand jene songeais qu’à me venger !

– Comment ? vous haïssez donc bienvotre ami Soufflard ?

– À mort !

– Tant que ça ?

– Quitte à y monter moi-même, je leconduirais à la guillotine.

– Oh ! oh ! fit l’Écureuil, sivous avez de si belles dispositions, nous sommes bien près de nousentendre tous les deux.

Et après un court instant de silence, durantlequel on put entendre un soupir d’espoir poussé par le bandit,l’Écureuil ajouta :

– Mon cher monsieur Micaud, j’ai unejolie petite proposition à vous faire.

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