La Ténébreuse Affaire de Green-Park

Chapitre 2Le mort parle

M. Crawford prit le volant, et, comme ilmenait un train d’enfer, au bout de dix minutes, nous stoppionsdevant le cottage de M. Ugo Chancer.

C’est une coquette habitation en briquesrouges et en pierres de taille avec des bow-window aurez-de-chaussée et de petites fenêtres irrégulières au premier etau second étage ; une énorme vigne-vierge et des clématitesgrimpent le long des murs, formant au-dessus des balcons plusieursbosquets aériens du plus joli effet.

Après avoir suivi une allée de tilleuls, nousarrivâmes devant un monumental perron soigneusement passé au blancde Sydney, suivant la mode australienne.

Dans le vestibule étaient assis quelquesdomestiques qui, en nous apercevant, prirent incontinent des mineséplorées comme s’ils eussent été les plus proches parents dumort.

Quand j’eus dit mon nom, un valet de chambreobèse et exagérément parfumé à l’héliotrope, nous conduisitaussitôt au premier étage où se trouvait le cabinet de M. UgoChancer.

La porte, très éprouvée par les vigoureusesépaules de Bailey et de Mac Pherson était demeuréeentr’ouverte.

– Laissez-moi entrer seul, dis-je à Bailey… ouplutôt non… avec monsieur…

Et je désignai M. Crawford.

– Comme vous voudrez, monsieur Dickson,répondit le chief-inspector avec un sourire narquois.

Nous pénétrâmes dans la chambre mortuaire, monhonorable voisin et moi, et aussitôt je poussai une chaise contrela porte.

J’eus soin aussi de boucher le trou de laserrure avec une cigarette afin que personne ne pût nous observerdu dehors.

L’obscurité était complète.

Je frottai une allumette et regardairapidement autour de moi, cherchant d’un coup d’œil à mereprésenter la scène qui s’était passée.

J’ai toujours pour habitude de procéder ainsi,car j’ai remarqué que ma première impression est généralement labonne.

M. Crawford suivait tous mes mouvementsavec un intérêt visible.

– Je regrette, dit-il, de n’avoir pas lafacilité d’un docteur Watson pour me faire l’historiographe destours de force de votre imagination.

– Votre admiration me flatte, répondis-je ensouriant… mais elle est un peu prématurée… Attendez donc, au moins,que j’aie découvert quelque chose.

Autour de moi je ne distinguai, tout d’abord,que quelques meubles de bois noir et une grande glace dans laquellese jouait la petite flamme jaune de mon allumette de cire… puis,sur le parquet, j’aperçus une sorte de plumeau blanc, oublié làsans doute par quelque domestique distrait.

Cependant, m’étant approché de la chose, jereconnus que ce que je prenais pour un plumeau, c’était la tête del’infortuné M. Chancer.

J’allumai alors une bougie qui se trouvait surune console et je commençai mon inspection, avec lenteur etméthode, selon ma formule.

Le premier coup d’œil ne m’avait rien révéléqui pût me fournir un indice.

Cela débutait mal.

– Voyons, dis-je, examinons attentivement lecadavre.

M. Chancer était étendu sur le dos, lebras gauche allongé et le poing crispé ; une de ses jambes, ladroite, se repliait sous le corps.

Chose curieuse ! le visage du mort étaitpourpre, presque violet au sommet du front et les yeux grandsouverts brillaient d’un éclat singulier.

Je collai mon oreille contre la poitrine deM. Ugo Chancer et, je dois l’avouer, j’éprouvai une réelleémotion en entendant un petit bruit étouffé, régulier et trèsrapide.

– Ah çà ! est-ce que je rêve ?fis-je en prenant le bras de M. Crawford… écoutez donc, jevous prie.

M. Crawford s’accroupit et écouta à sontour.

– En effet, murmura-t-il, on entend quelquechose… comme si…

L’expression effarée de son regard achevait lapensée que son trouble l’empêchait de formuler.

Soudain je haussai les épaules.

La montre !… c’était de la montre du mortque provenait ce bruit… d’une grosse montre de chasse semblable àcelles qui se fabriquent depuis quelques années à Manchester etdont l’échappement, au lieu d’être sec et bruyant, rend, aucontraire, un son mat, à cause de deux garnitures de cuir trèsépaisses interposées entre le boîtier et le mouvement, dans le butd’empêcher l’humidité.

Il n’y avait plus à en douter, M. UgoChancer était bien mort et si – chose singulière – ses yeux étaientdemeurés brillants, cela tenait à la grande quantité de sanglocalisée dans le cerveau.

Posant alors ma bougie sur un meuble, je memis à arpenter la pièce, m’arrêtant longuement devant chaqueobjet.

Tout était en ordre ! seule une chaiseavait été renversée, mais il n’était pas possible d’admettrequ’elle fût tombée en même temps que M. Chancer. Elle setrouvait d’ailleurs trop loin du cadavre et il aurait fallusupposer – ce qui eût été invraisemblable – que le vieillardl’avait repoussée en s’abattant sur le parquet.

Tout cela était bien étrange et j’en pris moncompagnon à témoin.

– J’admire, me répondit M. Crawford, lapeine que vous vous donnez pour reconstituer un crime que rien nefait présumer… Vous tenez donc bien, monsieur Dickson, à ce que cevieillard ait été assassiné ?… Inclination professionnelle, medirez-vous… Quant à moi, je me range à l’opinion des bonnesgens…

– La congestion ?

– Oui… La congestion. Regardez cette face, lacoloration insolite de ce front, l’œdème des paupières et jusqu’àla position repliée, recroquevillée, pour mieux dire, des membresinférieurs ; tout semble, n’est-il pas vrai, corroborer cediagnostic ?

– J’étais ébranlé.

– Pourtant, cette chaise ? fis-jeremarquer à mon interlocuteur.

– Eh ! sait-on à quels mouvementsdésordonnés peut se livrer un malheureux qui se sent subitementsaisi à la gorge par l’asphyxie ?

J’étais bien près de me rendre à la parfaitejustesse de cette objection. Mon admirateur de tout à l’heure serévélait comme un terrible critique. Ce n’était plus un Watson quitoujours approuve et s’extasie… c’était un raisonneur qui voyaittrès juste, ma foi, et qui, avant d’arriver à une conclusion,voulait savoir de quoi elle était faite.

Il n’est rien de si vétilleux qu’unmillionnaire !

En somme, que me restait-il pour étayer monopinion contre celle de M. Crawford ? rien, sinon letémoignage tardif d’une fille peut-être hallucinée ou névropathe,nerveuse à coup sûr… et à bon droit surexcitée…

N’importe, mon habileté professionnelle étaiten jeu et il s’agissait de faire bonne figure devant moncontradicteur.

J’ouvris la porte.

– Que l’on fasse monter la fille Ketty,ordonnai-je aux deux policiers qui se tenaient toujours sur lepalier.

Quelques minutes après, la femme de chambrearrivait.

C’était une petite boulotte au teint en fleur,aux cheveux couleur de blé mûr, aux yeux rieurs et parfaitementsymétriques.

Elle n’avait rien d’une hallucinée ni d’unemalade et je fis part de cette remarque à M. Crawford.

La maid se tenait devant nous, les mains dansles poches de son tablier blanc à bavette et regardait le cadavreavec un air de compassion que l’on sentait de commande.

– Qu’a dit le médecin ? lui demandai-je àbrûle-pourpoint.

– Que c’était un coup de sang.

– Oui… grommelai-je… encore un professionnel,celui-là… et quel est votre avis ?

– Mon avis à moi, répondit la maid, c’est quemon maître a été assassiné… de ça, monsieur, je n’en démordrai pas…d’ailleurs, je l’ai dit à la police.

– Je connais votre déposition… À quelle heureexactement avez-vous entendu des bruits de lutte ?

– Un peu avant minuit.

– Et à quelle heure le médecin fait-ilremonter le décès ?

– À minuit, monsieur.

– Parfait !… voilà qui concorde de toutpoint, dis-je en m’adressant à M. Crawford, par-dessus la têtede la jeune fille.

Mon voisin eut un petit sourire.

– Pardon, fit-il, quand le médecin est-il venufaire ses constatations ?

– Ce matin, aussitôt après que le corps eûtété découvert, répondis-je.

– Et cette enfant a déposé devant lesurintendant de police… ?

– Cet après-midi.

– Sa déposition a donc pu être inspirée parles propos du docteur.

Le terrible millionnaire triomphait ! Del’échafaudage si précaire de mes probabilités il ne restait plusgrand’chose… un doute… une présomption tout au plus…

Mais j’étais résolu à lutter jusqu’aubout.

– Amenez-moi tous les domestiques,ordonnai-je.

Ils étaient quatre, outre la maid : unjardinier, une cuisinière, une vieille gouvernante et le valet dechambre qui se parfumait outrageusement.

Quand ils furent réunis :

– Votre maître, leur dis-je, avait-ill’habitude de se verrouiller chez lui ?

Le jardinier se récusa ; il ne montaitjamais à l’appartement de M. Chancer.

Chez les autres les réponses furentcontradictoires.

Ketty qui tenait à sa version prétendit quel’on entrait librement chez le vieillard à toute heure, où qu’il setrouvât. La cuisinière faisait des réserves : il était arrivéque M. Chancer la laissât frapper vainement à la porte alorsqu’elle venait prendre ses ordres pour le dîner.

Le suave valet de chambre fut plusexplicite.

– J’ai été fort surpris, dit-il, de constaterque Monsieur s’était enfermé chez lui… Une chose m’a surtoutétonné : en cette saison Monsieur dormait ou veillait toujoursles fenêtres ouvertes… J’avais bien soin, tous les soirs, aprèsavoir fermé les volets, de laisser les vantaux des croiséesentrebâillés derrière les rideaux… Eh bien ! ce matin, nousavons trouvé toutes les fenêtres hermétiquement closes… Il faut queMonsieur les ait refermées après mon départ et s’il est mort d’uncoup de sang, comme on le dit, c’est probablement à cause del’excessive chaleur à laquelle il s’était condamné.

– Voyez-vous, dis-je à M. Crawford, unexcès de précaution peut être quelquefois pire qu’uneimprudence ? Notre assassin a pensé à tout… Il a même dépasséla mesure, car le soin qu’on a mis à démontrer qu’il étaitimpossible de pénétrer chez M. Chancer prouve au contrairequ’on y est entré.

M. Crawford parut contrarié.

Il était évident qu’il perdait du terrain.

– Pourquoi, riposta-t-il, vous faut-il bon grémal gré un assassin ? On ne tue pas les gens sans raison… onassassine pour des motifs d’ordre passionnel, ce qui n’est pas lecas, je suppose… On assassine surtout pour de l’argent… A-t-on voléM. Chancer ?

Mon honorable contradicteur avait raison.

Dans ma précipitation, je n’avais pas encoresongé à ce facteur élémentaire de toute présomption de crime :le vol.

Je congédiai donc la valetaille et fis signe àBailey et à Mac Pherson d’approcher.

L’inspecteur Bailey gardait un air goguenardqu’il accentua même lorsque je pris la parole.

– Vous vous êtes sans doute, lui dis-je, livréà une perquisition sommaire ?

– Dès la première heure, oui, monsieurDickson.

– Avez-vous relevé des traces d’effraction surles meubles ?

– Aucune, monsieur Dickson.

Et le chief-inspector ajouta avecemphase :

– Le vol n’est pas le mobile du crime, sitoutefois il y a crime.

– Sur quoi étayez-vous cetteaffirmation ?

Bailey me désigna un petit secrétaire en boisde rose :

– Voici le meuble où le défunt serrait sesvaleurs. Tout est en place… monsieur Dickson peut s’en rendrecompte.

J’ouvris le secrétaire avec précaution.

Sur les tablettes, des papiers soigneusementrangés et assemblés par liasses s’étageaient en petites pilesrégulières. Rien dans cet ordre méticuleux ne laissait supposer quela main hâtive d’un voleur eût fouillé ces archives.

Je visitai un à un les six tiroirs intérieursdu meuble et j’en trouvai cinq bondés de ces menus objets sansvaleur que collectionnent les maniaques inoffensifs. Quant ausixième, lorsque je le tirai, il rendit un son métallique.

La figure de Bailey s’épanouit.

Ce tiroir était rempli de monnaie d’or.

– Ce sont les économies du bonhomme, me dit lechief-inspector. Je ne pense pas que l’on puisse parler de vol dèslors qu’on se trouve en présence d’un malfaiteur assez novice pourne pas faire main basse sur un trésor aussi peu caché.

Je considérai cet or qui scintillait au fonddu tiroir et semblait me narguer.

La somme paraissait assez considérable, maisen cela seul ne pouvait consister toute la fortune du mort.

J’en fis l’observation à Bailey.

– Sait-on d’où M. Chancer tirait sesressources ? me répondit le chief-inspector. Il devait avoirun ou plusieurs hommes d’affaires à Melbourne… Ceux-ciadministraient son bien et lui en servaient le revenu… Cet argentdoit représenter le dernier versement ; tel est du moins monhumble avis, monsieur Dickson.

L’explication était, en effet, assezvraisemblable.

En présence des policiers, je vidai le contenudu tiroir et une à une les pièces d’or me passèrent entre lesdoigts.

C’étaient des souverains à l’effigie de lareine Victoria et – détail qui me surprit – ayant tous un aspectneuf et brillant bien que la plupart portassent des millésimes déjàanciens.

J’en vins à supposer que M. Chancer, quise complaisait sans doute dans la contemplation de ses richesses,se faisait spécialement réserver les pièces qui, ayant longtempsséjourné dans les caisses publiques, gardent cet éclat de métalvierge que perdent rapidement leurs contemporaines lancées dans lacirculation. Il y avait en or exactement cent quatre-vingt-troislivres, plus quelque monnaie en argent, couronnes et shillingsauxquels je ne prêtai pas attention. Toutefois, mettant à profit lademi-obscurité dans laquelle nous opérions, je glissaisubrepticement dans ma poche quatre souverains empruntés au magotet que je remplaçai, séance tenante, par quatre pièces à moi, demême valeur.

– C’est bien, dis-je d’un ton sec… il n’y a euni effraction, ni vol… Je vous remercie, messieurs… vous êtestémoins que j’ai remis la somme en place dans son intégrité.

Les policiers s’inclinèrent.

J’avais repris en main la bougie… un refletéclaira soudain la tête du mort et je tressaillisimperceptiblement.

Je reconduisis vivement Bailey et Mac Phersonjusqu’à la porte que je refermai en la calant avec une chaise,comme je l’avais fait quelques minutes auparavant, puis jem’approchai de mon ami.

M. Crawford ne semblait plus s’intéresserà cette affaire et je le surpris bâillant à se décrocher lamâchoire… Il devait sans doute à ce moment avoir une triste opinionde moi et il n’était pas douteux que je lui fisse l’effet d’unpiètre Sherlock Holmes.

– Maintenant, lui dis-je, je vais interrogerle cadavre…

– Que signifie cette plaisanteriemacabre ? dit-il.

Je revins auprès du corps, et dès que j’euspromené la lumière en tous sens, de droite, de gauche, en bas, enhaut, je ne pus retenir une petite exclamation de joie.

Je ne m’étais pas trompé.

Alors, je m’agenouillai et priantM. Crawford de me tenir la bougie à bonne distance, je pris àdeux mains la tête de M. Ugo Chancer.

Dans ses cheveux on voyait des petits pointsqui brillaient comme des paillettes de verre.

C’étaient des grains de sable presqueimperceptibles, mais que l’on sentait cependant très bien sous lesdoigts.

Lorsque, reconduisant les policiers, j’avaissurpris ce scintillement, une idée m’était venue qui se précisarapidement.

Oui, c’était bien cela, je me trouvais enprésence d’une affaire absolument semblable à celle dePaddington-House.

– Ceci est du sable, déclarai-je d’un tonpéremptoire.

M. Crawford répétamachinalement :

– En effet, on dirait du sable.

– Et la présence de ce sable dans la chevelurede M. Chancer ne vous paraît pas bizarre ?

– Ma foi…

– Cela ne vous suggère rien ?

– Rien… sinon – mais ce serait insoutenable –que M. Chancer est tombé dans une allée de son jardin et qu’ilest venu ensuite mourir ici…

– C’est assez bien déduit, répliquai-je… maisinsoutenable en effet… Ce sable est beaucoup trop menu pourprovenir du jardin… C’est du sable de mer, monsieur Crawford.

– Vous croyez ?

– Je l’affirme… et ces parcelles que vousvoyez là se sont échappées d’un bag-maul.

– Un bag-maul, dites-vous ?

– Oui… vous ne connaissez pas cetengin ?

– Ma foi non… c’est même la première fois quej’entends prononcer ce mot.

– Eh bien ! monsieur Crawford, lebag-maul est une sorte de petit sac oblong rempli de sabledont se servent comme d’une massue certains professionnalrobbers[1] d’Australie… M. Ugo Chancer a étéassommé au moyen d’un de ces sacs.

– Ah ! vous m’intéressez… oui, vousm’intéressez vivement… condescendit mon critique dont la figures’était éclairée.

Je repris :

– M. Chancer est mort victime d’unattentat, cela, je l’affirme… Je l’ai toujours affirmé d’ailleurset je vous en fournis présentement la preuve.

– En ce cas, repartit M. Crawford, votreenquête devrait maintenant porter sur le personnel.

– J’y ai pensé… mais pour l’instant il importepeu… Qu’il soit de la maison ou d’ailleurs, je dois d’abord établircomment l’assassin a pu pénétrer ici et en sortir, toutes lesissues s’étant trouvées fermées en dedans, lors de la constatationdu décès.

C’était Bailey qui était entré le premier dansle bureau de M. Chancer en faisant sauter la porte.

Son premier soin, après s’être assuré que lerentier était bien mort, avait été de visiter les portes et lesfenêtres. Elles étaient closes et solidement maintenues, lespremières par des verrous, les secondes à l’aide de petitestargettes d’acier.

Je refis pour mon compte les observations deBailey.

Tout se trouvait en effet tel qu’il l’avaitdit.

L’extrémité d’une des crémones avait même été,pour plus d’herméticité, calée dans sa gâche à l’aide d’un tamponde papier.

Je pris ce papier et le dépliai lentement.

C’était une enveloppe de format moyen quiportait au verso la trace d’un cachet de cire tout craquelé par lefroissement. La suscription indiquait qu’elle avait été adressée àM. Ugo Chancer et dans le coin était imprimée au timbre humidel’adresse de l’expéditeur : M. R.-C. Withworth, 18,Fitzroy street, Melbourne.

– Lettres d’affaires, me dis-je… peut-êtreenvoi de fonds… Le chief-inspector Bailey a pour une foisraison.

Je glissai, sans y attacher autrementd’importance, l’enveloppe repliée dans le gousset de mon gilet,puis je poursuivis lentement mes investigations.

Elles allaient sans nul doute demeurerinfructueuses, quand en examinant attentivement une porte bassedissimulée derrière une tapisserie, je remarquai qu’à la hauteur duverrou de sûreté, il y avait un petit trou rond, grand tout au pluscomme une pièce de six pence, pratiqué à droite de lagarniture.

Ce trou, la chose était visible, avait étéfait récemment à l’aide d’une mèche moyenne de vilebrequin.

On voyait même encore sur le parquet unelégère couche de sciure tombée pendant l’opération.

Je tenais la clef de l’énigme.

L’assassin était décidément un homme trèshabile et la lutte que j’aurais à soutenir contre lui promettaitd’être intéressante.

Cette affaire, si obscure dès le début,m’apparaissait maintenant d’une limpidité merveilleuse. Lemeurtrier, son forfait accompli, était sorti par cette porte basseet à l’aide d’une ficelle double passée dans le bouton du verrou,il avait pu, une fois à l’extérieur, faire jouer celui-ci… La porterefermée, il avait retiré la ficelle et s’était enfui.

Je fis part aussitôt de ma découverte àM. Crawford et lui exposai le stratagème du malfaiteur entermes nets et concis.

Il parut abasourdi d’abord, puis émerveillé,mais je voyais bien qu’au fond il était un peu vexé.

Je triomphais !

– C’est très bien imaginé, dit-il en examinantle trou.

– Oui… répliquai-je, mais c’eût été tout àfait bien si le meurtrier avait eu soin de reboucher ce trou avecune petite cheville de bois dont il aurait dû préalablement semunir.

Le millionnaire me regarda en souriant.

– Quelle remarquable fripouille vous auriezfait, mon cher Dickson ! me dit-il en me frappant amicalementsur l’épaule.

Je m’inclinai modestement.

Mon amateur en avait, je crois, pour sonargent. Il ne devait pas regretter son voyage et je sentais bienqu’il ne tenterait plus de me jeter à bas du piédestal où je venaistout à coup de me hisser à ses yeux.

Je ne voulais point toutefois que cet homme meménageât désormais ses critiques.

Elles m’étaient un stimulant et j’entrepris del’y encourager en le prenant par la flatterie :

– Vous avez médit de vous tout à l’heure, chermonsieur, lorsque vous vous êtes défendu d’être un docteur Watson…Vous êtes précisément quelque chose de semblable en vérité… Lecélèbre Sherlock Holmes dit quelque part à son collaborateur Watsonqu’il existe des gens qui, sans avoir du génie, possèdent le don dele stimuler chez autrui. Il reconnaît que le docteur lui rendjournellement ce service rien qu’en le forçant à reprendre sesdéductions et il se proclame son obligé… Je ferai de même avecvous… Vos contradictions sont pour moi précieuses et biensupérieures en elles-mêmes aux simples erreurs d’un Watson.

M. Crawford me regarda toutinterloqué :

– Ainsi vous croyez que c’est à moi que vousdevez d’avoir démasqué l’assassin de M. Ugo Chancer ?

– Absolument, mon cher.

– Je suis, croyez le, très flatté, mais jevous soupçonne fort de me « monter un bateau », comme ondit en France.

– Détrompez-vous, je pense réellement ce queje dis.

– En ce cas, permettez-moi de vousremercier.

Et nous étreignîmes nos phalanges d’unvigoureux shake-hands.

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